Je reste dubitatif face à la réponse de Jordan, même si ce dernier parle avec une assurance qui ne lui est d'ordinaire pas propre. Je peine à concevoir que les labels soient si peu avantageux pour les artistes, surtout lorsque certaines célébrités vivent comme des rois. Néanmoins, probablement composent-elles une petite minorité et finalement, la vie n'est qu'une succession de dettes pour la majorité de ses mortels, peu importe la voie empruntée. Toutefois, je persiste à penser que les maisons de disques représentent des tremplins réels, alors que sur les plateformes gratuites, quiconque peut vite être noyé dans la masse. Je ne suis pas certain que quelques chansons ici et là suffissent à permettre à Jordan d'empocher 100$ par mois, sans compter que ceux-ci ne lui permettront pas de subvenir à ses besoins, ni ceux de Rosa. Heureusement qu'il a son projet d'être vendeur en boutique. « 100$ par mois sur Youtube, ça sonne beaucoup, » je commente simplement avant de porter mon attention sur mes notes.

Jordan me questionne sur mes passions et l'interrogation me paraît prodigieusement superflu. Les passions riment avec lubies et caprices à mes yeux et je n'ai pas le temps à y consacrer. S'il y a bien des domaines qui m'attirent, je les exploite majoritairement pour me faire un nom et du fric. Sinon, je me plais à séduire les femmes le temps d'une nuit, ce que je finis par révéler à l'adolescent qui me répond d'un large haussement de sourcils. Je ricane brièvement, retiens la diversité des artistes qu'il apprécie, et me fige totalement lorsqu'il me demande si je ne redoute pas mettre une fille enceinte. Jordan a possiblement interprété mon malaise pour une incompréhension car voilà qu'il précise comment je pourrais procéder, comme si j'avais besoin d'un cours sur la reproduction.

« Non, » je rétorque sèchement, dardant un regard sombre vers le garçon. « Je ne donne pas aux meufs l'envie d'avoir un gosse de moi. » Je rétorque assez sauvagement. Non pas que je leur manque de respect mais vu qu'il s'agit que de plans culs, je suis loin d'apparaître comme un père modèle. Je ne fais pas dans les relations longues et je l'affiche clairement. Je ne veux pas m'imaginer qu'il couche avec Rosa mais sa question n'est pas innocente et je déteste cette idée. « Rappelle-moi ça fait combien de temps que tu es avec Rosa, déjà ? » Les hostilités reprennent avec fulgurance. J'espère que sa question ne sous-entend pas qu'il y a une panique dans le couple, soit une possibilité que Rosa porte son gosse. J'ai confiance que ma voisine saura y faire mais ce n'est pas quelque chose que je lui souhaite. Un frisson me parcourt en conjecturant que peut-être que Rosa reste avec ce guignole parce qu'elle est enceinte de lui et qu'elle n'a d'autre choix que d'avoir ce bébé. Au moins, si c'est le cas, Jordan est resté, ce qui est un bon point, mais ils auraient quand même pu faire gaffe. Nous avons tous les moyens à notre disposition pour empêcher ce genre d'accident.

Je dévisage sans merci Jordan alors qu'il prétend pouvoir empocher 100$ par mois via des streams sur Youtube. La somme me paraît grassement payée pour, à mes yeux, ne pas faire grand-chose. « Tu trouves ? C’est rien pourtant. » « Pour en vivre, ce n'est rien. Mais pour faire peu, c'est bien payé. » J'annonce, les préjugés puissants et acides malgré le fait que j'y connaisse très peu sur cette plateforme, pour ne pas dire rien. Si Rosa avait été là, elle m'aurait promptement remis à ma place et un débat ardent serait né entre nous deux, tels deux chats de gouttière. « Tu fais quoi pendant ces streams ? » J'essaie de comprendre néanmoins, d'ouvrir mon esprit si fermé et empoisonné d'a priori négatifs sur ce vecteur financier.

Subitement, Jordan me demande si je crains mettre une femme enceinte. Spontanément, je vois rouge, je m'élabore des scenarii catastrophiques au sein desquels mon amie de longue date et voisine serait enceinte de ce gringalet. Mon ton est tranchant et assuré lorsque je lui annonce qu'il n'y a aucun risque pour que moi-même, je colonise une femme de ma progéniture. En revanche, mes accusations sont à peine dissimulées et le blond les capte rapidement. « Je voulais dire, des accidents. Y’a toujours écrit que les préservatifs c’est efficace à 99,99%. » Je pouffe, mauvais. « Y'a jamais de risque zéro mais ceux qui tombent enceintes avec les capotes, c'est parce qu'ils ont pas été foutus de les mettre correctement. » Combien de fois j'ai entendu parler d'une erreur de taille ou même d'un couple qui était parvenu à enfiler le condom à l'envers et donc, ce dernier avait glissé durant l'acte. Puis il y a ceux qui se voilent la face, ceux qui font exprès pour engrosser ou être engrossée et avoir la main mise sur l'individu avec qui ils couchent. Selon moi, il n'y a pas vraiment de question de malchance pour mettre une fille enceinte lorsqu'on se protège avec des préservatifs. Pour ces mêmes raisons, je suis toujours celui qui l'enfile, n'ayant pas confiance en les nanas avec qui je compte simplement me détendre. « J’ai pas dit ça pour Rosa et moi. On est trop jeune pour avoir des enfants. » « Encore heureux, » je lance amèrement, songeant que s'ils pouvaient avoir aucun enfant, ce serait encore mieux. « J’ai même pas d’appartement ou de job… » Il hoche la tête en signe de dénégation et je considère en effet que ces deux carences sont hautement problématiques. « Et puis on se protège, on est pas stupide. » « Ouais, Rosa sait se protéger, » je rétorque, acerbe. L'énergumène en face de moi, j'en suis moins sûr, mais ma voisine maîtrise. Un sourire moqueur se dessine d'ailleurs sur mes lippes en réalisant le sous-entendu que ma phrase crée en laissant impliquer que je sais, en effet, que Rosa maîtrise la contraception.