4 février.

Une odeur nauséabonde provient de la cuisine. Bucky s’est mis à aimer un peu trop la porte de l’armoire derrière laquelle est cachée la poubelle qui n’a pas été sortie depuis une semaine. Archie n’a plus la force de rien. Mais, ce soir, quand le chien réussi à ouvrir le battant et à choper le sac poubelle pour s’y plonger la truffe, son maître doit se lever en toute hâte pour l’empêcher de s’empoisonner avec un morceau de chocolat ou de grains moulus de café. « Nooooon ! Putain Bucky ! » Le pauvre animal ne mérite pas de se faire ainsi punir. Ce n’est pas sa faute si la personne qui doit prendre soin de lui n’y arrive plus comme avant, handicapé par la dépression et son incapacité à se concentrer plus de cinq minutes. Il tente encore de le sortir tous les jours mais les marches sont de moins en moins longues parce que Archie se découvre un cardio rabougri. Il a pensé le faire héberger par Saddie, le temps que les choses se replacent, mais il n’a pas réussi à prendre cette décision qui l’esseulerait plus que jamais. Bucky est le seul qui arrive encore à le faire sortir de ses pensées, que ce soit en aboyant après un chat dans la cour ou en couinant pour réclamer sa ration d’ailes de poulet crues.

« Je suis désolé Buck… » Il soupire après avoir ramassé tous les déchets pour les mettre dans un autre sac hermétique. Il se laisse tomber près du chien qui le pardonne aussitôt en blottissant sa grosse tête sous son menton. C’est comme s’il lui donnait la permission de pleurer. Mais il n’a plus aucune larme à verser, ses émotions ont été remplacées par un grand trou noir qui aspire tout sur son passage. Déglutissant, il coiffe le pelage plein de nœuds du barzoï. « On va prendre rendez-vous chez le toiletteur cette semaine, promis. » Puis il s’accroche au comptoir afin de se relever. Son estomac complètement vide se retourne dans ses tripes. Haut le cœur. Il doit poser le dos de sa main contre sa bouche pour faire passer le malaise. Sa tête lui tourne. Il a l’impression de ne pas avoir réussi à gruger une minute de sommeil depuis l’éternité. « Je reviens. Je sors les poubelles. » Il confie en se dirigeant vers la sortie d’un pas lent, le sac poubelle en main.

Dehors, l’air ne l’aide pas à mieux respirer. Sa démarche jusqu’au trottoir est boiteuse et étourdie. Plusieurs fois, il doit s’accrocher à sa rambarde en pierres pour ne pas tomber. Il a un mauvais pressentiment qui flotte au-dessus de sa tête. Et il n’existe pas seulement pour lui annoncer que sa grande poubelle verte a été renversée au passage des éboueurs. Lâchant un râlement, il insulte sa malchance et s’abaisse pour redresser la poubelle mais… Il est happé par… Par…

Oula… Ça tourne. Des étoiles. Un poids immensurable qui appuie sur sa tête et des flashs derrière ses paupières fermées. Black out.

Il ne sent même pas sa tempe entrer en contact direct avec le béton, ni le sang qui coule en larges rubans rouges de la plaie fraichement ouverte. Au loin, étouffés, les aboiements du chien n'alertent absolument personne dans le quartier endormi.

la tournée de tag bien sûr:

Le chemin jusqu'au dispensaire est devenu une nouvelle activité qu'Olive apprécie. Il fallait dire qu'avant, c'était plutôt l'angoisse qui lui nouait l'estomac alors qu'elle se rendait jusqu'au Saint-Vincent. Endroit mythique de ses pires craintes, voilà le nom qu'elle lui administrait avec plaisir depuis quelques semaines. Parce que finalement, le chemin jusqu'à ce jour n'avait pas été simple du tout, il était même ponctué de beaucoup, beaucoup, beaucoup d'obstacles. C'était pourtant maintenant le cœur bien plus léger qu'Olive Sterling circulait dans les rues de la ville. N'appréhendant plus du tout de se retrouver dans ce lieu qui quelques années plus tôt lui avait clairement donner la nausée. Parce que tout avait été différent à cette époque de sa vie. Si aujourd'hui elle voulait résumer tout cela, ça ne serait qu'une petite partie de son histoire. Parce que oui, elle a échoué Olive, elle n'a plus vraiment peur de l'admettre, simplement elle préfère le garder pour elle, c'est plus simple, mais au moins, elle a acté ce fait. Ça la rend pas fière évidement, ça ne rendrait fière personne de ne pas avoir été jusqu'au bout de son rêve, enfin de celui de ses géniteurs en vérité, mais quand même, ce n'était pas plaisant du tout. Sauf qu'elle n'était plus cette jeune fille là, du moins, elle tentait bénéfiquement de ne plus l'être. Et c'était sur la bonne voie. La preuve étant, son pas était léger, et son sourire heureux. Deux bonnes conditions pour débuter une journée en tant que bénévole non? Du moins à Olive, ça lui allait parfaitement et c'était un bon point qu'elle marquerait plus tard dans le carnet de sa vie.

La route n'est pas si longue, mais comme à son habitude, Olive est bien trop en avance. Alors elle prend le temps de flâner comme si rien d'autre n'était plus important que l'instant présent. Et la vérité n'est pas si lointaine quand on a vécu l'enfer. Le monde paraissait plus beau une fois le soleil en face. Olive avait envie de croire en cette révélation. En ce renouveau en quelque sorte. Même si cette pensée à vingt-huit ans était peut-être un peu enfantine, ça lui convenait. Elle traversa une rue passagère pour changer de cap, passant ainsi entre les logements. Serpentant entre les allées. Peut-être qu'elle aurait siffloté si elle n'avait pas été nulle pour ça, parce que c'était un beau moment et que tout allait bien maintenant. C'était une victoire non ? Jusqu'à ce que son regard s'arrête sur cette silhouette vacillante à quelques rues d'elle. Jusqu'à ce qu'elle comprenne que quelque chose cloche pour cet homme qui lui fait face. Le temps que les informations lui montent jusqu'au cerveau, l'inconnu se laisse tomber sur le sol, sa tête heurtant violemment le béton. Olive se précipite vers lui. Observe les alentours pour vérifier si quelqu'un d'autre à assister à la scène, si quelqu'un peut l'aider à appeler les secours pendant qu'elle vérifie que l'homme va bien. Olive s'agenouille près du corps inerte pour vérifier dans un premier temps qu'il respire. Le pouls est faible, mais le cœur bat, Olive est rassurée. Elle n'est pas arrivée trop tard, elle a eu la chance de le voir succomber devant elle, pouvant ainsi agir au plus vite. La jeune Australienne essaie de ne pas perdre fil en sortant le téléphone de sa poche arrière pour téléphone aux urgences. Tentant de ramener le jeune homme à lui jusqu'à ce qu'il soit pris en charge et entre de bonnes mains. Ce qui ne tarde pas à arriver. L'ambulance passe et emmène le patient jusqu'au Saint-Vincent où il sera sous surveillance.

Mais Olive n'est pas certaine de vouloir l'abandonner.

@Archie Kwanteen

Le blackout s’était produit en un éclair. Archie avait d’abord vu les maisons autour de lui prendre des formes abstraites et floues, puis il avait senti une légèreté inquiétante faire s’envoler dans sa boîte crânienne son cerveau. La sensation de salive pâteuse n’avait pas eu le temps de l’agacer parce qu’il n’a pas réalisé cette réaction chimique avant que son corps n’entre en contact avec le bitume où il avait tant entamé de promenades avec Bucky. Même les aboiements du chien n’étaient pas parvenus à ses oreilles quand il était tombé dans ce sommeil imposé par son corps affaibli. Il ne se souvient d’absolument rien, si ce n’est que le sac poubelle poisseux dans sa paume moite et l’impression de sentir la fin du monde le happer comme un camion.

Il se réveille seulement huit heures plus tard. La nuit entière a fait défiler le spectacle des étoiles dans le ciel qui a repris ses teintes matinales. Le soleil n’est pas assez fort pour percer le filtre des néons éclatants de la chambre d’hôpital dans laquelle il reprend conscience. D’abord, il cligne des paupières. Ses orbites sont sèches, douloureuses. Il veut les frotter mais le mouvement de son bras est intercepté par une aiguille plantée dans sa chair. Ça ne lui fait pas mal, mais son corps est pris d’un sursaut qui alerte la silhouette assoupie dans le siège contigu au lit. Son premier réflexe est de s’excuse comme un imbécile. Il n’a pas pu replacer la situation, il a l’impression de s’être réveillé dans son lit auprès d’une conquête. Il attend que le parfum du café provenant de sa machine programmée à 7h le réveille, mais il n’y a qu’une odeur rance de produits désinfectants qui percute son nez. Il se redresse, constate que le matelas n’est pas aussi moelleux que le sien, entend même un mécanisme en métal couiner. Puis, haut le cœur, mal de tête, il repose son occiput contre l’oreiller épais comme une croustille. Un gémissement plaintif s’échappe de ses lèvres entrouvertes. Il vient pour masser ses tempes avec sa main qui n’est branchée à rien, mais son geste est interrompu par une vision des plus… étrange.

À sa droite, Lola vient de se lever du siège pour se rapprocher de lui. Une vague d’apaisement le submerge. Ses yeux s’humidifient, son cœur s’agite dans sa poitrine. Autant il se souvient que sa sœur est décédée il y a plus de quinze ans, autant il arrive à croire à sa présence aujourd’hui. Après tout, il n’a jamais cru qu’elle était partie pour de bon. Il a la foi que ses parents catholiques lui ont transmis. « Lo… Lola..? » Qu’il ose demander, effrayé à l’idée qu’elle disparaisse aussitôt son nom prononcé. Mais ça n’arrive pas. Elle est bien là, en chair et en os, suspendant une question aux lèvres du frère encore en deuil malgré les années écoulées : « Comment… Qu’est-ce que tu fais ici ? »   Pourquoi aujourd'hui ? Vient-elle le chercher pour l'amener là-haut, à ses côtés ?  

Olive n'a pas eu le courage de l'abandonner. Elle n'a pas eu le courage de continuer sa route après avoir découvert le jeune homme affalé sur cette route. Alors quand le personnel de l'ambulance avait proposé que la brune accompagne l'inconnu jusqu'au Saint-Vincent, elle n'avait pas eu le cœur de refuser la proposition. De loin, elle avait suivi le médecin prendre soin du jeune homme, s'assurant par la même occasion que tout irait bien pour lui à présent. Son état ne semble pas alarmant, mais sa chute a été assez brutale pour lui faire perdre connaissance trop rapidement. Son état est stable mais ses pupilles restent closes alors que l'ambulance arrive aux urgence de l'hôpital, emportant ainsi dans son sillage le corps inerte du brun. Olive a hésité, trop longuement sûrement pour savoir si elle avait sa place près de lui. Si il était de bonne augure qu'elle reste dans le coin au cas où on aurait besoin de son témoignage, au cas où il aurait besoin de voir un visage réconfortant à son réveil. Le doute commençait à prendre possession de son esprit quand finalement ce fut le médecin qui sortit Olive de ses pensées. « Votre ami est dans la chambre 450, vous pouvez le rejoindre. » La nouvelle avait soulagé plus que de raison la jeune femme qui n'avait pas eu le temps de dire au médecin qu'elle ne le connaissait même pas. Qu'elle se sentait juste redevable de veiller sur lui, d'être là simplement. A la place, la brune avait hoché la tête et s'était dirigé d'un pas rapide vers la chambre. Olive connaissait l'hôpital comme sa poche, si bien qu'elle n'eut aucun mal à trouver son chemin dans ce labyrinthe. Elle toqua à la porte pour se faire savoir, même s'il était clair que personne ne pouvait lui répondre. Olive se sentait à la fois mal de ne pas être à sa place, et à la fois inquiète que personne ne sache que cet homme était ici à attendre une présence rassurante quand il se réveillerait. Parce que oui, il allait se réveiller à un moment et découvrir une chambre froide et morne.

La brune s'installa sur le fauteuil près du lit, gardant un œil sur les constantes du jeune homme. La tête reposant en arrière, son esprit distrait par le bip constant de la machine. Sans le vouloir, le sommeil fini par emporter la brune alors que depuis longtemps la nuit est tombée sur Brisbane. Elle n'a pas bougé, hypnotisé par un sentiment de bien être absolu. Comme si l'odeur acre de l'hôpital avait un bien fait réparateur sur son corps. C'est le bruit des vas et vient des infirmières dans le couloir qui fini par faire ouvrir les yeux à la jeune femme. Elle ouvre difficilement les yeux, se rendant compte de la situation un peu trop tardivement. Reprenant rapidement ses esprits, Olive porte immédiatement son attention sur les constantes du brun. Tout semble normal et son cœur cesse donc de battre aussi vite pour rien. Elle le sent avant de le voir, ce corps qui se redresse avec difficulté dans son champs de vision, alors elle se précipite à sa rencontre, comme la première fois. « Lo… Lola..? » - « Tout va bien. » Sa voix se veut rassurante alors qu'elle pose doucement sa main contre l'avant-bras du patient. Elle se met à sa place, se réveiller dans un hôpital après tout cela ne doit pas être évident, alors elle tente de l'apaiser du mieux qu'elle le peut. « Comment… Qu’est-ce que tu fais ici ? » La brune grimace à cette question, ne comprenant finalement pas qu'elle n'a rien à voir avec tout cela. N'ayant pas fait attention au reste. « Navrée, j'avais pas le cœur de t'abandonner. » Peut-être qu'elle aurait dû finalement, parce que le brun avait l'air surpris et bouleversé. Olive laissa sa main pendre dans la vide. L'impression un peu trop grande de s’immiscer dans la vie de cet inconnu. « Comment tu te sens ? » Mais elle n'arrive pas à se résoudre à partir.

@Archie Kwanteen

Il a d’abord été submergé par la lourdeur de la réalisation de son état. Les hôpitaux lui avaient toujours hérissé les poils sur les bras. Il ne supporte pas la vue des machines ni le parfum aseptisé du plancher, et ces néons éclatants de blancheur ne ramène que les pires souvenirs à sa mémoire. Il le téléporte à cet instant où il avait envie de pleurer toutes les larmes de son corps même si en avait pas le droit. Il revoit la silhouette inanimée de sa sœur ainée quand les machines se sont finalement mises à sonner. Il n’y avait plus rien à faire. Lola était partie, c’était hors de leur contrôle.

Mais la revoilà. Comme un ange, un fantôme, une illusion d’optique sûrement. Archie y croit à cette vision pourtant embrouillée qu’il a, de cette chevelure blé qui tombe de part et autre du visage de Lola. Son cœur se met à battre plus fort, ses mains deviennent si moites qu’il ne pourrait plus tenir un crayon. Et, malgré les étourdissements, malgré son envie de vomir permanent, il sourit à pleine dents en contemplant le retour tant espéré de sa sœur partie trop tôt. Même s’il est mort à son tour, il n’en a rien à cirer. Il se sent heureux de la voir et c’est tout ce qui compte. Plus de soucis ailleurs. Seulement son visage qu’il a envie de prendre dans ses mains pour s’assurer qu’elle est bien présente, en chair et en os. « Tout va bien. » C’est elle qui pose sa main sur lui et aussitôt le contact effectué il sent une vague de réconfort le traverser de la tête aux orteils. Il se fait bouffer par son matelas. Il sourit comme un débile. « Navrée, j'avais pas le cœur de t'abandonner. » Il se secoue la tête vivement, son instinct protecteur reprenant le dessus. « Non, ce n’est pas grave. Tu es là maintenant. » Conversation de sourds. Ses excuses, il les a prises pour d’autres. Il a revu Lola quelques jours avant qu’elle ne s’éteigne, quand elle lui a fait la promesse de veiller sur lui, sur eux, même de là-haut. Elle croyait dur comme fer au Paradis, et le reste de la fratrie aussi. Aujourd’hui, Archie est certain qu’il est possible de quitter le ciel pour redescendre chez les mortels. Il commence à réaliser qu’il n’est pas mort à son tour parce qu’il sent la douleur dans sa tempe, son sang qui pompe près de son œil ceinturé d’un bandage. Aussi, il se rappelle les mauvais sentiments alors qu’il imagine le Paradis autrement. Un endroit où souffrir ne fait plus partie du quotidien d’un homme qui a survécu plutôt qu’il a vécu. « Comment tu te sens ? » Quand Lola relâche son bras, il fait une moue surprise et va lui reprendre la main avec possessivité. Pas question qu’elle reparte. Ils ont encore plein de choses à se dire. Elle doit l’aider à faire de l’ordre dans le bordel qu’il a créé sur Terre. « Ça va mieux maintenant que tu es là. » Il se confie, ses yeux humides de larmes. « Je suis complètement perdu, Lola. » Il reprend, l’émotion lui serrant la gorge. Il n’avouera jamais ses faiblesses à un mortel. Madison et Saddie ne doivent pas savoir que leur frère n’est pas aussi solide qu’il n’y prétend. Mais il peut tout dire à une personne qui est partie quinze ans plus tôt sans promettre de revenir. « Je ne sais pas ce que je fous avec Madi. » Il n’a pas le temps de tourner autour du pot. Il a peur de la voir disparaître à nouveau. C’est le moment de poser les questions qu’il ne peut adresser à personne d’autre. « J’essaye d’être un bon frère mais à chaque nouveau jour j’ai l’impression de la perdre un peu plus. Est-ce que tu nous regardes ? Est-ce que tu sais ce que j’ai fait ? Dis-moi qu’est-ce que je fais de mal, s’il-te-plaît. » Les larmes se sont mises à couler, trop à l’étroit dans la commissure de sa paupière rouge.  

olive be like :

Les regrets ne sont pas encore assez présents pour que la jeune femme prenne ses jambes à son cou alors que la silhouette devant elle se relève. Elle n'avait clairement pas prévu d'être là au réveil du jeune homme, elle n'avait pas prévu de s'attarder plus que de raison dans cet hôpital où elle n'a clairement plus sa place depuis des années maintenant. Sauf qu'elle n'a pas eu le courage de déguerpir, pas eu le courage de retourner à son quotidien morose tout de suite. Olive, elle avait besoin de savoir ce qui venait de se dérouler devant ses yeux. Ce qui avait pu se produire et bouleverser ainsi sa journée. De toute manière, il était d'autant plus trop tard pour faire demi-tour alors que trop rapidement elle s'était précipitée vers le brun. Elle ne comprend pas tout de suite que ce n'est pas elle qui aurait dû se tenir à cet endroit, que ce n'est pas elle que le patient s'attendait à voir à son réveil. Olive prend une inspiration, prenant le temps de peser le pour et le contre dans son esprit. De ne pas interpréter trop rapidement les dires du jeune homme. Il ne doit pas être dans son état normal, et c'est logique d'halluciner après un repos forcé. « Non, ce n’est pas grave. Tu es là maintenant. » Et elle n'a pas envie d'être ailleurs, comme si elle était responsable de cet homme. Alors que non, elle ne le connait pas, elle ne sait rien de lui. Seulement qu'elle était là au mauvais moment et que c'était sûrement suffisant. Peut-être pas. Insister sur le fait qu'elle ne bougerait pas même si on l'y forçait serait sûrement de trop. Alors elle ne dit rien, observant à la dérobée les constantes de l'homme qui semble pourtant bien. Olive l'interroge, le regarde dans le moindre détail pour vérifier qu'elle ne loupe rien. Ses années de médecine, même si elles n'étaient pas nombreuses remontant à la surface. Elle a déjà fait ça, il y a quelques années maintenant, alors elle est attentive, pas seulement parce qu'elle s'en sent responsable. « Ça va mieux maintenant que tu es là. » Les sourcils d'Olive se fronce. Les mots n'ont pas de sens dans la bouche de l'inconnu, est-il réellement conscient de ce qui l'entoure ? Olive commence fortement à en douter. Davantage quand il prononce cette nouvelle phrase qui lui donne un électrochoc. « Je suis complètement perdu, Lola. » Visiblement, elle est tout autant perdue que lui à cet instant. La panique l'assaillant doucement. Elle sait que ce ne serait pas correct non-plus de le ramener trop brusquement à la réalité de cet instant, parce qu'elle n'est simplement pas cette Lola qu'il attend tant. Olive se racle la gorge. Espérant ne pas faire fausse route, promettant d'être franche avec lui dès qu'il s'en rendrait compte. « Est-ce que tu as mal quelque part ? » Un échange qui permettrait de passer à autre chose, de passer à l'instant présent, de se focaliser sur ses blessures physiques. Elle ne veut pas le brusquer, pas maintenant, il est trop tôt. L'expression sur le visage du patient resserre l'étreinte dans le cœur d'Olive qui se sent tout d'un coup minable d'être là, au mauvais endroit. « Je ne sais pas ce que je fous avec Madi. » Elle admet ne pas du tout comprendre de quoi il parle. De qui est cette nouvelle personne qu'il évoque à demi-mot alors que ce n'est pas la réponse qu'elle attendait de son côté. « Je suis désolée.. je ne comprends pas. » Elle bafouille, se retourner et cherche une infirmière du regard qui pourrait prendre sa place. Sauf que tout d'un coup, tout est vide autour d'elle. « J’essaye d’être un bon frère mais à chaque nouveau jour j’ai l’impression de la perdre un peu plus. Est-ce que tu nous regardes ? Est-ce que tu sais ce que j’ai fait ? Dis-moi qu’est-ce que je fais de mal, s’il-te-plaît. » Voilà qu'elle se retrouve confronter à une situation qui lui échappe. Olive doucement, elle vient caler sa main sur la joue du jeune homme, attrapant cette larme qui s'échappe. « Je.. » Elle marque une pause, ne sachant comment se sortir de cette impasse qui ronge sa conscience. Est-ce finalement le bon moment pour admettre qu'elle n'est pas celle qu'il croit ? Sûrement oui, et cela avant qu'il ne soit trop tard. « Tu n'as pas l'air d'être une mauvaise personne. » Il a juste l'air perdu, déboussolé. « As-tu.. as-tu besoin que je contacte quelqu'un ? Quelqu'un qui pourrait s'inquiéter de ne pas avoir de tes nouvelles ? » Quelqu'un d'autre qu'elle finalement. Quelqu'un qu'il connait véritablement.

@Archie Kwanteen

Devant l’expression confuse de celle qu’Archie a renommé Lola, ce dernier réagit à peine. Son idée est bien faite, impossible à déconstruire, et la drogue qu’on lui a proscrit pour atténuer la douleur ne fait qu’amplifier ses réflexions qui vont déjà dans le mauvais sens. Sa vision paraît un peu floue, comme dans un rêve, mais la masse du matelas qu’il sent sous son corps lourd le fait comprendre qu’il est bel et bien conscient. « Est-ce que tu as mal quelque part ? » Non, pas du tout, qu’il pense, alors qu’il s’émerveille devant cette vision toute dessinée sous ses yeux éveillés. C’est le mouvement de sa tête, qui bascule de droite à gauche, qui répond aux inquiétudes de Lola en premier. Non il n’a pas mal parce qu’il est engourdi de la tête au pied, et le bonheur de retrouver la personne qui lui a le plus manqué a lui-même un effet analgésiant sur lui. Il ne perçoit plus la douleur physique, mais celle psychologique lui remonte à la gorge tandis qu’il enchaine toutes les questions qu’il veut poser à sa sœur maintenant qu’elle est de retour momentanément. « Je suis désolée.. je ne comprends pas. » Il fronce à peine les sourcils. Les confessions de la jeune femme ne le remettent pas sur le droit chemin ; au contraire, il continue de plus bel avec la fervente certitude qu’il s’adresse à la bonne personne. Ça l’intrigue de savoir comment ça se passe là-haut depuis qu’elle a rejoint le ciel, si elle observe encore sa famille pour prendre soin d’eux, si elle a des conseils à lui partager aussi, parce qu’elle avait toujours réponse à tout jadis. Les larmes se mettent à couleur sur les joues d’un Archie qui a perdu ses moyens, et qui remet son sort entre les mains d’une étrangère sans le savoir. Une vague chaude d’apaisement le traverse tout entier lorsque la paume de Lola vient nicher sa joue, et des hoquets de pleurs secouent sa poitrine tant les émotions le submergent. Il a l’impression qu’aujourd’hui signera la fin de toutes ses souffrances.

Ça y est, on le départira de toutes ses responsabilités et il pourra redevenir un petit frère à son tour.

« Tu n'as pas l'air d'être une mauvaise personne. » Rouvrant les yeux par l’étonnement, il fixe Lola avec une pointe de soupçon dans la pupille. Pas une mauvaise personne ? Du Paradis, elle doit le regarder par à travers un filtre glorifiant, alors. Archie est le premier à savoir qu’il est une malédiction pour quiconque rencontre son chemin. Responsable de la maladie de Lyme comme la tique parasite qui s’accroche à la cheville nue. Mais il doit bien se nourrir sinon il en mourrait. « As-tu.. as-tu besoin que je contacte quelqu'un ? Quelqu'un qui pourrait s'inquiéter de ne pas avoir de tes nouvelles ? » Un mouvement de recul interloqué rompt son contact avec Lola. Pourquoi fait-elle semblant de ne plus le connaître ? Lui envoie-t-elle un message ? Les larmes se remettent à fuser, mais elles ne trouvent plus leur source dans le soulagement. C’est l’impuissance qui l’agite désormais, et ses yeux se mettent à balayer la pièce blanche et impersonnelle dans laquelle il se trouve. Le bip de son cardiogramme s’énerve tandis que les battements de son cœur se font plus fébriles. « J’ai compris le message. » Il siffle entre ses dents. « Tu veux que j’assume les conséquences de mes actes. Tu me le disais déjà, à l'époque. » Il n’arrive plus à regarder son ainée. Il lui en veut de lui tendre un peu d’espoir dans le creux de sa paume, puis de refermer ses doigts au-dessus avant qu’il ne s’en empare.

« Pourquoi viens-tu me voir après tout ce temps pour me dire une chose que je sais déjà ? » Qu’il est seul, et qu’il le sera toujours s’il continue à jeter ses chances de faire mieux. « J’ai envie de contacter personne. Et personne ne remarquera mon absence, alors si tu as du souci à te faire, ce n’est pas pour ça. » Il s’apprête à ajouter quelque chose, s’interrompt à la dernière seconde, réfléchi un peu plus longtemps, puis décide de se lancer parce qu’il n’a rien à perdre. « Ça t’a fait mal, quand tu es partie ? Je veux dire… Est-ce que la mort ça fait mal ? » Ou est-ce plutôt une délivrance ?