La soirée est jeune et les ambitions sont titanesques. Pour mettre à exécution le plus gros projet de sa vie, Archie a besoin de s'entourer des bonnes personnes.

Jetant un dernier coup d’œil à son reflet dans la vitre teintée de sa Tesla satinée, Archie y trouve la perfection et se l’approprie. D’un sourire pratiqué, il lance le décompte : dix, neuf… Il se redresse, replace sa coiffe vers l’arrière pour se donner les airs d’un étalon et serre le nœud de sa cravate vert canard. Huit, sept… Il louvoie entre les voitures garées, se permet de reluquer les sportives à la carrosserie brossée. Il s’attarde à la hauteur d’une Corvette Chevrolet 1980 ambrée, dont il découvre la silhouette atypique pour la première fois de ses yeux nus. Il lâche un gloussement – le modèle ressemble encore plus à une chaussure de clown en vrai.

Six, cinq. Son téléphone vibre dans sa poche mais il lui impose un mutisme d’un geste qu’il effectue à travers le tissu de son pantalon. Un petit clic provoqué par son ongle qui s’encoche à la sourdine, puis il reprend la marche tel le roi qui ouvre le bal. Quatre, trois… Il ne savait pas qu’une thématique masquée avait été proposée. Les visages qu’il croise sont à moitié couverts de parure, mais ça n’empêche pas Archie de leur adresser un sourire entier. Rangée de dents prédatrices, ivoires comme sa précieuse richesse, angulaires à leurs pointes, pour mieux imager cette métaphore du requin qui papillonne entre les poissons.

À l’entrée, il effectue deux petits bonds confiants pour franchir les dernières marches. Il reconnait la façade contre laquelle il s’est enfumé les poumons en compagnie de cette serveuse orageuse devenue apprentie boxeuse. Le hasard fait bien les choses. Deux, un : le valet à l’entrée lui accorde la bienvenue mais une lueur indescriptible traverse ses pupilles juste avant qu’il ne jette un coup d’œil vers ce qui ressemble à la direction. « Il y a un problème ? » Qu’interpelle Archie en défroissant son col, sans lâcher le jeune homme du regard pour mieux le bouffer, le réduire à rien du tout. « Non, monsieur. Bienvenue à l’Octopus. » D’un hochement du chef, il acquiesce et vient tapoter l’épaule du novice dont l’air n’a pas changé. Les genoux de ce dernier sont ramollis. Archie le contourne sans lui accorder plus d’importance. Il ne porte pas de masque et c’est sans doute cela le problème. Tant pis. Il n’a jamais aimé se plier aux règles des autres.  

Zéro : la partie de chasse peut commencer. D’un côté, les carnivores qui épient, de l’autre, les herbivores qui dansent et célèbrent sans se soucier de ce qu’Archie est venu chercher ici. Des deals et des poignées de main.  

Des deals et des poignées de main.      

t'as vu j'ai fait court chéwie    

« J’ai pas signé pour être baby-sitter. » Putain. Ce dernier mot, Finn le garde précieusement pour lui, conscient que cela n’arrangerait en rien ses affaires de le verbaliser à voix haute à ses supérieurs. Il ignore si l’ordre vient d’Amos, de Raelyn (encore pire) ou d’un autre maillon au milieu de la chaîne, mais toujours est-il que la mission qui vient de lui être confiée est loin de le ravir. Il vient de le dire, il n’est pas un baby-sitter ; lorsqu’il a signé pour travailler ici, il devait s’occuper de ce qu’il sait faire de mieux. Repérer les tricheurs, parce qu’il en lui-même un. Les signaler, les exhorter à quitter le casino pour les moins récalcitrants, les bannir pour ceux qui entament malgré tout des pourparlers. En aucun cas, il n’est un concierge ou un assistant – ou peu importe le mot utilisé en 2023 pour désigner les boniches des clients fortunés. Ce n’est certainement pas son rôle, et malgré d’âpres négociations, il n’a pas réussi à se défaire de cette tâche, car s’il n’est pas le serviteur des fortunés, il n'en reste pas moins celui de ses supérieurs. La mâchoire de Finnley se crispe alors qu’il finit par quitter la pièce, murmurant des jurons qu’il est le seul à entendre, mais qui ont le mérite de l’aider à faire passer la pilule, tandis qu’il prend le chemin de l’entrée.

La soirée ne devait pas se passer de cette façon. Il avait réussi à accepter la perspective d’un foutu bal sous prétexte qu’il n’était pas obligé d’interagir avec les clients, se contentant de surveiller les tables ci et là en passant entre elles, gardant l’œil affuté sur les jeux plus que sur les tenues. De temps à autre, il aurait dû faire preuve des quelques mots relevant des sympathies d’usage, mais rien d’insurmontable pour le grincheux qu’il est et qui n’a vraisemblablement aucune envie d’être ici. Mais du baby-sitting, putain. On s’en était amusé en lui disant que, dans le fond, c’est très exactement ce qu’il fait, l’interaction sociale en moins, quand il guette les faits et gestes des grosses fortunes autour d’une table. Mais, comme c’est très justement souligné, Finnley n’a pas grand-chose d’autre à faire que d’observer, puis de désigner les profils qui lui paraissent suspects, sans réellement se mouiller les mains. Et quand bien même, il le fait dans le cadre d’un sujet qu’il maîtrise. Il va droit au but, pointe du doigt le problème, tente d’y trouver une solution, ou impose une issue. Jamais il n’est confronté à la perspective d’un small talk comme on l’invite à le faire ce soir-là, auprès d’un type qui représente tout ce qu’il déteste.

Il n’a pas bien compris ce dont cet Archie s’est rendu coupable, toujours est-il qu’il est préférable qu’il se tienne loin des tables de jeux pour le confort de tous – sauf le sien, a priori. Finn a bien tenté de proposer la solution de l’exclusion, mais cet homme semble avoir une fortune qui le classe entre ceux dont on ne peut pas totalement se passer et ceux qui ne méritent pas pour autant qu’on leur déroule le tapis rouge. Inspirant profondément dans une ultime tentative de se donner de courage, Finnley traverse la grande salle jusqu’à arriver à l’entrée, où il accueille cet homme dès qu’il a franchi la porte. « Bonsoir monsieur... Kwanteen, c’est bien ça ? » Question rhétorique, l’homme doit s’attendre à ce qu’on connaisse son identité par cœur, alors que Finnley s’en fiche bien. « Je dois vous demander de porter un masque. C’est le thème de la soirée, et vous connaissez suffisamment la maison pour savoir que les règles sont importantes. » Il demande, esquissant même un rictus qui a sûrement dû lui faire perdre dix ans de vitalité tant l’effort est considérable.

@Archie Kwanteen  

« Bonsoir monsieur... Kwanteen, c’est bien ça ? » Un sourcil s’hausse, une interrogation patiente survole les deux têtes des hommes qui se fixent un instant, tandis que l’interpellé impose un silence volontaire. Il préfère être accueilli par des hommes du même rang que lui. Qui est cet homme qui a emprunté le shampoing d’une salade de carottes ? « Mmmm-oui... » Qu’il fredonne sans délaisser son faciès accusateur. Un obstacle, rien de plus. Il le passera outre en deux temps trois mouvements. « Je dois vous demander de porter un masque. C’est le thème de la soirée, et vous connaissez suffisamment la maison pour savoir que les règles sont importantes. » C’est d’abord un gloussement qui trahit sa surprise, et il caresse sa barbe avec tout le mépris dont il peut faire preuve. Les règles de ce casino sont peut-être importantes, mais elles ne surplombent pas les siennes. Prêt à déjà aboyer comme un malinois, il entrouvre les lèvres, un premier mot s’échappe en vapeur, mais au dernier instant il prend la décision de se clouer le bec. Il a vu d’autres silhouettes observatrices plus loin dans la salle. Il est épié. C’est étrange, cette position dans laquelle il s’est placé. Un rire nerveux secoue sa poitrine et il repose ses deux perles bleues dans celles de cet objet encombrant qui lui barre la route. Il ne pourra pas jouer la carte de l’intimidateur, aussi parce qu’il fait une tête de moins que lui, aussi parce qu’il ne nage pas dans ses eaux familières. Il n’est venu qu’une seule fois dans cet établissement doré, et cette première expérience s’est terminée avec une chemise souillée, quelques millilitres de gin gaspillés et une sortie en trombe des plus théâtrales. Archie payerait cher, s’il décidait de présenter ce même numéro ce soir. Il a des mains à serrer et l’encre de son stylo lourd à faire couler. S’il ne se plie pas à cette stupide règle de porter un masque, il peut dire au revoir à ses aspirations.  

Prenant sur lui-même pour ne pas grogner, il redresse le dos, défroisse sa cravate et s’accroche à son encolure de mains fermes. Il doit puiser dans tout son entregent pour demander d’une voix quasi fluette tant elle est contenue : « Est-il possible d’acheter un masque quelque part ? » Cette fois, il regarde le garde du corps comme s’il s’agissait d’un enfant. Ils ne sont pas égaux. Il le traitera en conséquence : « Vous devriez bien avoir quelques exemplaires disponibles pour les tête-en-l'airs qui ont omis de lire certains détails de l’événement ? » S’il était de mauvaise foi, il ajouterait... - ah mais, il est de mauvaise foi : « Ce devait être écrit en tout petit dans le bas. »  

« Mmmm-oui... » Le regard que cet homme porte sur lui ne le déstabilise pas – Finnley a lu bien des choses le concernant au travers des prunelles des autres et tout ce que peut bien penser ce type de lui est très loin de l’atteindre. Le mépris qu’il lui adresse en un coup d’œil est sûrement proportionnel à celui que Finnley ressent à son égard, à la différence que le rouquin sait s’en cacher. Il n’est pas difficile d’imaginer la raison de son agacement, alors qu’il s’attendait sans doute à ce qu’on lui déroule le tapis rouge et certainement pas à ce que l’on interdise l’accès. Et alors qu’il entrouvre les lèvres, Finn est prêt à recevoir un « vous savez qui je suis ? » on ne peut plus cliché qu’il anticipe en haussant un sourcil pour lui signifier, qu’à cet instant, il n’est personne. Rectification. Finnley ne cache pas son dédain ; mais il n’a pas besoin d’ouvrir la bouche pour le traduire. Il ne sera pas compliqué de lui prouver que, ce soir, tout le monde est logé à la même enseigne alors qu’un coup d’œil dans la salle suffit à comprendre qu’à l’exception des employés, tout le monde est tenu de jouer le jeu. Les curieux d’un jour comme les habitués du soir, et s’il veut déroger à la règle, il le fera à l’extérieur de cet établissement. Finn jauge l’attitude de cet homme qui reste étonnamment silencieux, mais son langage non verbal parle pour lui alors que son agacement est perceptible. Au moins un point sur lequel ils sont d’accord. « Est-il possible d’acheter un masque quelque part ? » Et peut-être que, finalement, la tâche sera plus facile qu’il ne l’a cru alors que, s’il n’a même pas un masque avec lui, il sera justifié de le renvoyer à d’autres occupations – qui se déroulent loin de cet établissement, il va sans dire. « Vous devriez bien avoir quelques exemplaires disponibles pour les tête-en-l'airs qui ont omis de lire certains détails de l’événement ? » Finn se fait violence pour ne pas laisser échapper le rictus moqueur qui se dessine au coin de ses lèvres, amusé par la situation. L’homme qui se croit grand – du ‘’haut’’ de ses... quoi, un mètre soixante-dix ? – et malin, mais il ne s’attend pas à sa dernière réflexion : « Ce devait être écrit en tout petit dans le bas. »  Et cette fois-ci il n’arrive à contenir le léger rire moqueur qui glisse entre ses lèvres, le faisant toussoter un bref instant avant qu’il ne reprenne son sérieux. « Ce ne sont pas des détails, c’est littéralement le nom de l’événement. » Il débute, laissant planer un court silence, ajoutant, non sans une certaine satisfaction : « Bal masqué à l’Octopus. » Écrit en toutes lettres sur les invitations envoyées et les affiches ci et là en ville. Ce n’est pas être tête en l’air, c’est être analphabète, mais il se retiendra de le préciser puisqu’il tient à conserver son boulot. « Si ce n’est pas assez clair pour vous, ce n’est pas de notre ressort. » Mais d’un spécialiste qu’il faudrait aller consulter, à tout hasard, un médecin qui lui ferait passer un test de quotient intellectuel. « Donc, non, nous n’avons pas des exemplaires disponibles, car nous avons estimé que tout le monde saurait de quoi il tient, ce soir. » Et face au regard du videur qui le rappelle à l’ordre, Finnley termine par un : « Mais vous serez évidemment le bienvenu dès demain, quand les festivités seront terminées. » S’il pouvait s’étrangler avec sa honte, d’ici là, ça en fera un de moins à se farcir, ce qui n’est pas négligeable.

@Archie Kwanteen plait-il ?  

Bon, il en a marre. Ce type commence à lui titiller les couilles avec ses airs supérieurs et l’absence total de respect dans son ton. Parce qu’il l’entend, l’ironie qui coule de ses lèvres comme de la salive, tandis qu’il emploie des mots solennels mais que ses expressions faciales traduisent un certain amusement. Qu’est-ce qu’il peut bien lui vouloir ? « Ce ne sont pas des détails, c’est littéralement le nom de l’événement. » Et lui il se fiche bien du nom de l’événement. Il est venu parce qu’il y en avait un qui se déroulait, et c’est tout. Il n’a pas l’intention de profiter des activités qui ont été organisées, ou de goûter un cocktail qui a été nommé pour l’occasion, dont le prix a été doublé, alors qu’il ne s’agit que d’un mélange d’alcool déjà sur la carte. « Bal masqué à l’Octopus. » Lèvres pincées, pour contenir son agacement, il opine du chef en fixant l’homme avec intensité. Il n’a pas vraiment l’intention de répondre, seulement de le bouffer du regard jusqu’à ce qu’il se pousse sur le côté pour le laisser passer. « Si ce n’est pas assez clair pour vous, ce n’est pas de notre ressort. Donc, non, nous n’avons pas des exemplaires disponibles, car nous avons estimé que tout le monde saurait de quoi il tient, ce soir. » Il rencontre un mur. Ce n’est pas dans ses habitudes. Les éclairs qu’il lui lance n’ont aucun effet, si ce n’est qu’un petit choc électrique inoffensif comme ceux qui surprennent après avoir frotté ses chaussettes contre le tapis du salon. « Ce n’est pas très intrusif. » Il prétend, se montrant nouvellement activiste, alors qu’il n’en a rien à faire des droits des minorités. « Il doit bien y avoir des gens qui ne peuvent pas porter de masque par soucis de... » Il ne l’a pas préparé, ce discours. C’est bien la première fois qu’il part à la pêche dans des eaux aussi troubles. Ce n’est pas un sujet qu’il connait et, dans le journal, il passe tous les articles adressant ces problèmes sociaux. « De santé... » Oui bon, il n’est pas très crédible, et le visage de son obstacle ne se trémousse pas d’un poil. « Mais vous serez évidemment le bienvenu dès demain, quand les festivités seront terminées. » Il perd sa contenance ; un nuage gris lui passe devant les yeux et sa posture s’endurcit. Il le retient, ce majeur qui menace de poindre, et qu’il cache dans la poche de son veston comme ultime tentative de garder son calme. « Très bien. » Il souffle, faisant un tour sur lui-même en puisant dans toute la sècheresse dont il peut faire preuve, avant de retrouver le chemin de la sortie en lançant des regards irrités à tous ceux, masqués, qui croisent son chemin.  

Archie n’abandonne pas. C’est de mal le connaître, de penser qu’il rentrera chez lui avec la queue entre les jambes. Dans le parking, il attend une victime. Une personne seule, qui ne pourrait compter sur la présence de personne pour influencer sa décision. Il la trouve ! Jackpot ! Un jeune homme dans la vingtaine, son costume sculpté dans un flexible voile de paillettes bleues marin.  Il l’approche avec confiance et se rassure de constater qu'il n’est pas plus grand que lui une fois arrivé à sa hauteur. Ça l’aidera, pour le coup. Il lui suffit de quelques jolies paroles, d’un compliment et d’un mensonge pour lui échanger son masque contre quelques billets verts. Fier comme un paon, Archie retrouve la porte d’entrée et la seconde tentative peut commencer. Il se dirige tout naturellement vers son rival, qui ne tarde pas avant de capter sa présence, comme s’il avait senti son parfum dès qu’il avait posé son pied dans la grande salle d’accueil. « Ça te va, trou duc ? » Cette fois, il peut se permettre la petite revanche verbale. Il respecte les règles. Son visage est paré d’un masque (qui ne matche pas du tout avec le reste de son habit, d’ailleurs) alors plus personne ne peut lui reprocher quoi que ce soit.  

Finnley a la satisfaction de constater qu’il sera débarrassé de ce parasite plus vite qu’il ne l’aurait cru, si celui-ci n’est même pas capable de lire quatre mots frappés sur une invitation. Il doit se faire violence pour contenir le sourire qui menace à tout moment d’apparaître, preuve s’il en faut encore une qu’il se moque ouvertement de ce type. Ils ne vous apprennent pas à lire, chez les riches ? Ou quelqu’un le fait pour vous ? Vraisemblablement, les hypothèses sont cohérentes l’une comme l’autre puisqu’il n’a pas brillé par ses capacités de réflexion jusqu’ici, ce qui facilite aisément la tâche d’un Finnley qui doit s’assurer que le Kwanteen ne mette pas les pieds dans le casino. Ou plutôt, qu’il ne s’approche pas des tables de jeu, mais puisqu’il lui glisse entre les mains un très bon argument pour s’abstenir de le surveiller et se satisfaire de son absence, Finnley compte en profiter. L’homme reste silencieux et le rouquin ne peut que se féliciter d’avoir pris le dessus durant cette joute verbale qui, de toute évidence, n'a pas vraiment été un combat équitable considérant l’autre parti, qu’il se permet de juger avec le même dédain qu’il lui a offert dès qu’il est apparu à l’entrée. « Ce n’est pas très intrusif. » Il se mord la lèvre, Finn, doit encore une fois se faire violence pour ne pas rire, alors qu’il corrige : « Inclusif, vous voulez dire ? » Visiblement, l’argent de papa et maman a été dépensé quant à des cours sur comment être le plus arrogant des cons, à défaut d’une vraie éducation. « Il doit bien y avoir des gens qui ne peuvent pas porter de masque par soucis de... » Il attend la suite, Finn, se repositionnant un instant pour le jauger, ses mains qui viennent se croiser derrière son dos, alors qu’il flanche un instant sur ses chaussures pour démontrer de son impatience. « De santé... » - « Jusqu’ici, personne ne s’est présenté sans nez ou sans oreilles pour leur permettre de tenir leur masque, mais merci de vous en soucier. » Il rétorque, d’un air parfaitement sérieux qui se mêle pourtant à une évidence condescendante. Il peut presque comprendre pourquoi les gens comme lui prennent un malin plaisir à écraser les autres. C’est revigorant, c’est vrai. Finnley finit toutefois par l’inviter à revenir dès le lendemain, quand les lieux ne seront plus accessibles uniquement sous respect d’un thème qui semble avoir été trop difficile à deviner pour lui, et s’il s’attendait à un esclandre, il ne s’attendait certainement pas à un : « Très bien. » qui le laisse toutefois dubitatif.

Pourtant, il fait demi-tour et Finnley se réjouit que la soirée prenne une tournure différente que celle qu’il avait supposée de prime abord, où il aurait été inévitablement obligé de se farcir le parasite. Mais il aurait aussi dû se douter que ceux-ci tendent à être increvable, et il n’est pas tant surpris de le voir se présenter à nouveau quelques instants plus tard, un masque sur le visage. Il s’en fiche bien de savoir où il l’a obtenu, il est seulement dépité de réaliser qu’il sera vraiment amené à faire du baby-sitting ce soir. « Ça te va, trou duc ? » Et le sourire qu’il lui offre ne vise même pas à garder contenance, alors qu’encore une fois, ce type ne réalise même pas à quel point il facilite la tâche de Finnley. « Pour le masque, oui, très bien. » Il débute, laissant planer un instant le suspense avant de reprendre : « Pour l’insulte, cependant, ça ne fait là-aussi pas partie des règles de la maison. » Il ajoute, avant de reprendre, sur un ton respirant la confidence. « Il serait peut-être temps de se pencher sur celles-ci, ça fait quand même deux manquements en cinq minutes. » Il serait tenté d’applaudir pour parfaire le tout, mais se ravise, alors qu’il se positionne devant le type pour l’empêcher d’avancer, désignant la sortie d’un signe de la tête. « Je crains que cette fois encore, je ne puisse pas vous laisser entrer. » Et le sourire hypocrite qu’il lui adresse attester de sa désolation à cette idée, évidemment.

@Archie Kwanteen  

Le volcan va entrer en éruption. Cette tête de carotte a le don de lui faire sortir la vapeur par les oreilles et les narines. Elle est le rouge, Archie est le taureau, sabot claquant contre le pavé, poussière soulevée. « Inclusif, vous voulez dire ? » Et le voilà à corriger un mot qu’il n’a pas pris de son lexique mais plutôt des quelques articles qu’il feuillette à peine tant il se tient loin de ses démons. L’inclusivité est intrusive dans son cas à lui. Elle s’est faufilée en lui quand il était gamin et lui fait pourrir les organes de l’intérieur. Aujourd’hui, il a envie de la cracher au visage de cet obstacle qui l’empêche d’aller serrer des mains en or au casino. « Jusqu’ici, personne ne s’est présenté sans nez ou sans oreilles pour leur permettre de tenir leur masque, mais merci de vous en soucier. » La grimace qu’il tire n’est rien de plus que son agacement qui s’expulse à coups d’impulsions non retenues. Sa manière d’extérioriser sa colère, sinon l’agent de sécurité aurait déjà perdu un morceau de cartilage de son nez. Heureusement Archie a des années d’expertise dans les poches et cela fait longtemps qu’il n’a pas eu besoin de se jeter sur quelqu’un pour lui arracher les doigts à pleines dents. Lorgnant sur le groupe d’hommes d’affaires à l’autre bout de la salle clignotante de lumières stroboscopiques, l’actionnaire finit par se résoudre à chercher une autre solution. Le piquet devant lui n’a pas l’intention de se déplacer ni à droite, ni à gauche, et Archie ne pourra pas passer par-dessus ou passer par en-dessous. Il y a des limites aux bêtises qu’il peut faire pour agripper l’étoile en diamant dans le haut du sapin de Noël. Lançant des éclairs avec les yeux, il dévisage une dernière fois le trou duc avant de tourner des talons pour chercher à soudoyer un autre client afin de lui acheter son masque. C’est ce qu’il fait, revenant fièrement comme un paon, la démarche sûre, la victoire dans ses yeux désormais à moitié recouverts. L’insulte qu’il adresse à sa Némésis lui échappe complètement. Il l’avait pensé bien trop fort qu’il s’est transformé en un mot tangible. « Pour l’insulte, cependant, ça ne fait là-aussi pas partie des règles de la maison. » Son visage se durcit à nouveau. Il reste muet de frustration, ses palettes enfoncées dans sa langue. « Il serait peut-être temps de se pencher sur celles-ci, ça fait quand même deux manquements en cinq minutes. » « C’est quoi ton problème ? » Il siffle sans laisser de pause rythmer la confrontation. Il n’aime pas sa tête ? Un diable sur son épaule lui a ordonné de lui pourrir sa soirée ? C’est de la jalousie ? Ce doit être de la jalousie ; qui n’envierait pas la fortune et le titre d’Archie ? Sûrement pas les zombies qui déclenchent la manivelle des machines avec l’espoir que celle-ci soit la bonne ; ou la prochaine ; non, l’autre, ; la dernière ! « Je crains que cette fois encore, je ne puisse pas vous laisser entrer. » Il décalque son sourire, rendant le sien tout aussi hypocrite, y ajoutant un autre juron camouflé derrière une onomatopée. « Très bien. » Qu’il abdique avant de sentir plus de paires de yeux se tourner vers lui. C’est qu’ils attirent les regards, les deux chiens qui se sondent. « Une agréable soirée à vous. » D’un geste détaché, Archie replace soigneusement sa cravate, la déblayant du moindre pli et, d’un geste tout aussi appliqué, il vient se départir du masque qu’il laisse tomber sur les pieds de la carotte. Le doigt d’honneur, il le cache dans sa poche lorsqu’il tourne des talons une deuxième fois afin de déserter le lieu. Si l’homme d’affaire est du genre à se battre pour sa dignité, il sait quand s’arrêter, quand laisser l’eau couler sous les ponts. Ce qu’il refuse par-dessus tout, c’est l’incapacité de revenir en arrière une fois qu’il a commis l’erreur ultime. Pour célébrer cette défaite, il se laisse en rire jusqu’à la porte de sortie qu’il ne claque même pas à son passage. De toute façon, cet endroit est un trou à rats.