❀ adress the letters to the holes in my butterfly wings «  address the letters to the holes in my butterfly wings, nothing's forever, nothing is as good as it seems and when the clouds are ironed out and the monsters creep into your house and every door is hard to close »

Madison compte ses verres. Dans sa tête, elle observe combien de fois Saddie porte le sien à ses lèvres, combien de fois Archie s’est resservi. Elle note mentalement les regards de sa mère, les froncements de sourcils de son père, elle s’applique à ne rien rater, à ne jamais être la première à remplir son verre, non, elle pousse juste le pied vers celui qui tient la bouteille, l’air de dire, ah oui, j’en reveux bien aussi. Elle s’est fixée des règles, une légère ivresse qu’elle ne peut absolument pas dépasser. Elle doit rester en contrôle, surtout devant sa famille, surtout ce weekend. Alors elle tient la barre, se restreint, reste plus sobre qu’elle ne l’a été toutes ses dernières semaines, depuis que sa vie s’est écroulée sur elle-même comme un vulgaire château de carte. Elle a l’impression de toujours flotter dans un entre-deux et parfois, elle se détache tellement qu’elle oublie presque qu’elle est réelle, que tout ça est arrivé. C’est les textos d’Oliver qui s’empilent dans son téléphone, lui suppliant le pardon, qui lui rappelle que tout ça est vrai..

Depuis qu’elle a annoncé à ses parents qu’elle avait rompu avec Oliver, Madison s’applique plus que de raison à être leur petite fille parfaite. Elle sait qu’elle a fauté, qu’elle a commis l’irréparable en brisant une relation amoureuse officiellement épanouie dans laquelle ils l’imaginaient devenir épouse, mère. Elle les déçoit, s’éloigne du rôle qu’elle sait maîtriser le mieux. Alors elle se tient parfaitement à table, aide à débarrasser, reste calme et silencieuse, effacée, s’habille avec les robes les plus étriquées que sa mère adore lui offrir. Elle est la Madison qu’ils veulent, coûte que coûte.

Les plats sont disposés sur la table, leur père assis en bout de table, comme d’habitude, Madison assise à côté de sa mère, Archie et Saddie assis à côté. Cet après-midi, elle a laissé Archie et Saddie ensemble, occupée à aider sa mère en cuisine, la petite assistante parfaite. De toute façon, dès que les trois enfants Kwanteen sont ensemble, Madison s’efface. Le duo d’Archie et Saddie prend toute la place, leurs blagues, leurs charismes. Madison, elle, retourne ridiculement dans les jupes de sa mère. Une place de choix qui ne lui offre pourtant aucun réconfort, puisque la conversation s’apprête à dériver sur un sujet qui ne fera pas briller la cadette.

« J’ai eu Eleanor au téléphone », sa soeur, la tante des enfants Kwanteen, « qui m’a annoncé que votre cousine Elsa est enceinte ! Et Madison, elle m’a demandé quand est-ce que tu te poserais enfin avec Oliver. Imagine sa surprise quand j’ai dû lui annoncer que vous aviez rompu. » Madison baisse les yeux sur son assiette, murmure un “hmmm” de celle qui ne sait pas comment réagir. « Elle était aussi surprise que nous l’avons été. Elle m’a demandé pourquoi, et à vrai dire, je n’ai même pas su lui dire », continue Esmée d’un ton agacé. « C’est juste que - » Mais à vrai dire, ses parents ne veulent pas vraiment savoir. Ils ne sont pas intéressés réellement par elle, simplement par ce qu’ils pourraient projeter sur elle. Sauf que cette fois-ci, la projection ne fonctionne pas et ne leur convient pas. « Les jeunes d’aujourd’hui ne savent absolument pas tenir des relations amoureuses, c’est désastreux », commence son père. « Mais Madison, je pensais que tu serais plus mature de ce point de vue là. J’ai bien l’impression que cette rupture est un caprice. » « C’est vrai, Saddie a malheureusement la tête dans le business, mais toi, Madison, je comptais sur toi ! » Une balle perdue pour Saddie au passage, et des coups un peu trop dans bien placé dans le petit coeur de Madison, qui ne rêve que de se jeter sur la bouteille de vin blanc au milieu de la table.

@Archie Kwanteen & @Saddie Kwanteen   (je propose que ça soit Saddie qui enchaîne, puisqu'elle vole au secours de Madi en déviant la convo ?   )

D’une certaine manière, de faire le clown avec Saddie dans le salon lui permettait de faire une pause. À chaque fois qu’il se retrouvait dans la maison de son enfance, plus petite que dans ses souvenirs les plus vieux, il arrivait à faire une fracture avec sa routine. Pendant une soirée, il pouvait mentir à son cerveau et revivre ses jeunes années aux côtés de sœurs qui ne souffrent pas encore et sous la protection de parents qui n’ont que de la fierté à partager. Il arrive à sourire entre deux gorgées de vin rouge. Il attaque Saddie avec la cuillère en bois couverte de sauce, prétend de lui salir le t-shirt. Et, derrière, parce que rien n’a jamais changé ; Madison qui se fait plus petite dans l’ombre et qui ajoute la vinaigrette à la salade verte. Les sujets lourds doivent rester au pas de la porte d’entrée, ne mérite pas de pénétrer la quiétude artificielle des Kwanteen.

Archie a retrouvé toute sa mémoire. Il n’a pas eu envie d’en toucher un mot à Madison. Il se souvenait la balade en voiture nocturne ainsi que la raison de tout ce sang sur le plancher de sa salle de bains. Mais, surtout, la chose que son cerveau ne lui laissait pas oublier : la connerie qu’il lui a dite dans le lit d’hôpital, quand il a prétendu maladroitement que sa sœur serait heureuse d’emménager avec le monstre qui la hante. Il avait oublié… Plus maintenant. Tout lui est revenu en tête comme des flash de lumière, et lui était le cerf qui s’arrête au milieu de l’autoroute, aveuglé par les phares du camion qui fonce tout droit sur lui. Il n’allait pas assez bien pour s’assurer que Madison allait mieux que lui. C’était compliqué. Il continuait pourtant à se détester de ne pas avoir le courage de revenir celui dont elle avait besoin pour traverser cette épreuve. Il espérait égoïstement que la responsabilité était tombée sur Saddie, la seconde plus ainée… Elle ne pouvait pas faire pire que l’idiot de frère, pas vrai ?

L’heure de manger sonne. L’odeur de la nourriture, qui à force a imbibé la tapisserie de la maison, n’ouvre pas l’appétit d’un Archie à l’estomac lourd. Sa mère a remarqué sa minceur et il l’a rassuré en disant qu’il était simplement trop occupé par le travail et qu’il sautait quelques repas par erreur, mais qu’il faisait de son mieux pour se sortir de cette passe très occupée. Après tout, sa mère ainsi que son père étaient toujours très heureux de savoir que leur fils bossait beaucoup, même s’il mettait sa santé en suspens pour gonfler un peu plus son compte de banque. Eux aussi avait traversé des épreuves similaires, qu’ils appelaient des « sacrifices ». Alors, devant l’assiette de porc, Archie ravale une grimace et se serre une portion en ayant bien l’intention de cacher la moitié de la chair sous sa serviette de table. D’habitude, il vole la part que Saddie boude, mais cette fois il n’a pas le cœur de faire cette boutade, et il semble complètement ignorer le fait que sa sœur végétarienne a à peine de quoi remplir son ventre, vu le menu carnassier. Puis, les discussions qui déjà passent bien au-dessus de la tête d’un Archie trop concentré à classer la nourriture dans son assiette en petits tas distincts. Oliver… La maturité… Le business… La fierté… Il n’en peut plus de cette formule. Il espérait pouvoir s’en tirer pour cette fois, prendre le rôle du muet pour la première fois de sa vie, mais le genou de Saddie le percute sous la table et il redresse le nez de son plat non entamé. Il semble se réveiller d’un rêve, mais il rattrape rapidement la discussion, parce qu’il aurait pu l’écrire lui-même tant elle revient encore et encore au sein des Kwanteen conservateurs. « On ne peut pas tout avoir dans la vie. » Que doit-il ajouter, exactement ? Échangeant un regard désolé à Madison, il lui fait comprendre qu’il n’arrivera malheureusement pas à parler pour elle ce soir. C’est la jeune businesswoman qui prend les rênes, et tant mieux. « Vous croyez que j’aurais pu travailler sur un marketing aussi efficace pour K. Cosmetics si un mec était là pour bloquer ma productivité ? » Il s’efforce de glousser, de se montrer vivant. Mais il est mort, crevé, six pieds sous terre. « Les chiffres sont excellents depuis l’arrivée de la marque à Sephora. » Il lui adresse un sourire, mime avec ses lèvres des félicitations, c’est tout ce qu’il arrive à faire. Charles et Esmée devaient faire la même chose, mais ils s’échangent un regard lourd de sens. Un silence est suspendu dans l’air, et chacun attend la suite sans pouvoir la deviner. Après s’être raclé la gorge, le patriarche reprend la parole d’une voix creuse. « Nous avons vu la photo sur ton compte Instagram. Esmée et moi avons trouvé cela étrange que tu choisisses ce mannequin pour faire la promotion de produits cosmétiques pour les femmes. » Déboussolé, Archie fait aller ses yeux de Charles à Saddie, puis de Saddie à Charles. Il a loupé quelque chose, ou quoi ? Quand il a liké le post, il n’a rien réalisé. L’envie de reprendre son téléphone et de scroll sur le compte de sa sœur le ronge, mais il décide de rester immobile. « Ma chérie… Tu sais bien que c’est un homme, rassure-moi ? »        
 

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TW : transphobie, homophobie.

« Au pire, c’est pas vraiment nos affaires et on peut laisser Madison faire ce qu’elle veut de sa vie, non ? » La tentative de sauvetage de Saddie ne suffit pas à calmer leurs parents, mais elle réchauffe au moins le cœur de Madison qui, pendant un instant, se dit qu’elle a une alliée à cette table. Elle jette un coup d'œil à sa sœur et lui adresse un tout petit sourire, un remerciement silencieux. Malheureusement, les commentaires de parents continuent de fuser, mais Saddie semble bien décidée à intervenir, alors que Madison a les joues rougies et est incapable de faire autre chose que bredouiller. « On ne peut pas tout avoir dans la vie. » Madison fait mine de trouver son assiette très intéressante, mais se promet de remercier Saddie après le repas, pour l’avoir discrètement sauvée. « Vous croyez que j’aurais pu travailler sur un marketing aussi efficace pour K. Cosmetics si un mec était là pour bloquer ma productivité ? » Madison et Archie ont un petit sourire, tous les deux admiratifs de la verve de Saddie, qui sait tourner la conversation à son avantage. « Les chiffres sont excellents depuis l’arrivée de la marque à Sephora. » Madison hoche la tête avec aplomb, parce que c’est vrai, tout son instagram regorge de vidéos reviews et de publicités pour la marque, tout le monde se l’arrache, et la réputation de K. Cosmetics est tout simplement excellente.

Félicitez-là, implore silencieusement Madison à l’attention de ses parents. C’est ce que mérite Saddie : un peu de fierté, de compliments. Mais l’espoir est vain, Madison le comprend dès que son père racle sa gorge et continue : « Nous avons vu la photo sur ton compte Instagram. Esmée et moi avons trouvé cela étrange que tu choisisses ce mannequin pour faire la promotion de produits cosmétiques pour les femmes. » Oh. Madison ferme les yeux un instant. Elle sait ce qui les attend, et elle a envie de disparaître. Elle n’en peut plus. « Ma chérie… Tu sais bien que c’est un homme, rassure-moi ? » Et voilà, la sentence est tombée. L’atmosphère de la pièce change, comme si la température venait de baisser de plusieurs degrés. Comme à chaque fois que ces sujets sont abordés, Madison se sent l’envie de fuir, de ne pas exister, parce que c’est trop proche d’elle, de son secret, proche de toutes ses peurs, qu’elle ne supporte pas qu’on s’en approche. Mais elle repense à Saddie qui l’a défendue quelques minutes plus tôt, elle repense à la gentillesse de Laurie qui n’a été qu’adorable avec elle sur le set. Comment Madison peut-elle se regarder dans la glace si elle ne fait que trahir les gens comme Laurie, comme Carmine, auprès de ses parents, pour se protéger ? Elle ne le supporte plus.   « Laurie n’est pas… un homme », bredouille Madison, les yeux baissés dans son assiette. La réponse de son père ne se fait pas attendre : il pose brusquement ses couverts contre son assiette dans un clanc de métal et de faïence. « Ne me dis pas que toute cette histoire était ton idée, Madison ? Je savais que tu n'aurais pas dû aller en fac d’art, avec tous ces wokes. » Il assène d’une voix glaciale. « D’abord tes photos avec ce mannequin anglais avec toutes ses rumeurs autour de lui, et maintenant ça », il le dit avec un tel dégoût que la nausée prend Madison, « c’est ta nouvelle spécialité, photographier ces gens-là ? »

Ces gens-là sont à ta table, voudrait dire Madison, qui a l’impression de fondre sur sa chaise, terrifiée par la conversation, par l’évocation de Carmine et la réaction possible d’Archie.

@Archie Kwanteen & @Saddie Kwanteen