La suite a des allures de chambre des secrets. La lumière y est tamisée. Les draps du lit n’ont pas encore été froissés. De la salle de bains s’évade un ruban de vapeur, vestige des deux douches enchaînées en solitaire. Archie porte une robe de chambre – pas la même qu’ultérieurement. Celle-ci est rouge vin et se marie à la perfection avec le liquide fruitée de la coupe qu’il porte à ses lèvres au rythme de ses pensées grandissantes. Au niveau de la poitrine, un petit écriteau a été brodé en or. Emporium Hotel. Ça lui plaît, à Archie, d’être un panneau publicitaire ambulant pour une marque aussi luxurieuse. Ainsi vêtu, il a hérité des gestes gracieux qui caractérisent Carmine et son aisance, tandis qu’il se tourne délicatement vers le mannequin pour l’interroger du regard. Les corps ne sont plus couverts de frissons. Les boissons ont ramolli les muscles. L’heure est aux confessions.  

C’est difficile, de poser les mots tels qu’ils sont. Archie s’est toujours interdit le vocabulaire. Aimer les hommes ne devrait pas faire partie de son dictionnaire. Si son père l’entendait, il lui taperait les doigts avec une règle – il n’a pourtant jamais été violent envers son fils parfait. Son unique héritier masculin qui se doit de chercher la compagnie de la féminité. Hélas, l’histoire n’a pas tourné dans ce sens-là. Chez Carmine aussi, la boussole s’est mise à tourner dans tous les sens et à pointer autant le nord que le sud. « Ils ne me plaisent pas pour les mêmes raisons. » Pensif, il baisse le regard vers la tasse de thé de sa majesté. Si l’odeur de shampoing et de savon ne s’était pas déjà approprié l’air, il pourrait percevoir un effluve mentholé. Il réfléchit à ces mots mais s’il n’en a pas vraiment besoin. Il connait tout à fait ce sentiment. Le tracé de ses souvenirs s’égare une seconde vers Autumn, qu’il a tant adorée sans jamais arriver à lui souffler les mots magiques. Il n’a jamais aimé de la bonne façon. Ils étaient de parfaits complices et il se pavanait à ses hanches avec fierté, mais la profondeur du lien puisant sa source ailleurs. Vers l’amitié, l’intimité ; ils pouvaient lire dans les pensées de l’autre, mais il n’y trouvait pas le mot amour. « Et toi ? » Il ne relève pas la tête de suite. Il se plaît à prolonger le moment en sondant les géométries qui garnissent le tapis. Tant de cordons et de fils qui s’entrelacent pour former quelque chose de beau. Carmine et Archie étaient peut-être comme un tapis persan dans la salle de massage. « Je ne sais pas. » Il sait. Il ne peut simplement pas prononcer cette vérité. S’il le fait, il n’y aura plus de retour en arrière possible. Mais il serait idiot de refaire la même erreur qu’il a commise cinquante fois dans le passé, et qui a réduit ses amitiés à néant. Il doit ravaler sa fierté ce soir pour ne pas perdre ce qu’il bâtit avec l’anglais. Si c’est réellement quelque chose. « Comment tu fais pour garder le secret ? » Il se risque à demander, redressant le nez pour observer Carmine. Pour préciser sa demande, il doit sacrifier l’un de ses nombreux secrets : « J’ai fait beaucoup de recherche sur toi. Je n’ai vu aucun article qui parlait de tes préférences. » Sur internet, dans les journaux, il était le parfait gendre hétérosexuel. L’icone chic de l’Angleterre, sans défauts.      

Il est vrai qu’Archie s’était construit toute une image de Carmine et sa notoriété. Il lui avait suffit de regarder quelques images de paparazzis sur Google, ce regard charmant duquel il couvrait la majorité des caméras, de ses mains chaleureuses au creux desquelles reposait le flanc de multiple femmes tout aussi souriante. Il s’en était imaginé, des choses, l’actionnaire qui entretient ses relations sexuelles comme il pouponne son apparence. Si lui-même pouvait nommer une dizaine de femmes qu’il avait rejoint sous les draps, il assumait que le nombre de Carmine était au moins un multiple. Femmes, et hommes, dont il n’avait trouvé aucune trace en élaborant ses fouilles archéologiques sur le net. Malgré sa popularité et son nombre d’abonnés, personne n’avait émis le moindre doute quant à l’orientation sexuelle de sa majesté, et voilà qu’Archie s’inquiétait de se faire reconnaître auprès d’un garçon dans une ville qui ne connait même pas son visage, seulement son nom. L’empire Kwanteen existait bel et bien dans la paperasse de Wall Street, mais dans le vrai monde pas fait de chiffres et de statistiques, il n’était absolument personne.

« Je couche avec moins de personnes que ce que tu sembles imaginer. » L’observant avec un peu plus d’insistance, il hausse un sourcil. Il s’était fait des idées dès l’instant où les hanches de Sighbury étaient venues s’emboiter aux siennes sans qu’il n’ait à y réfléchir deux fois. Si les rôles avaient été inversés, Archie aurait eu besoin d’un exposé oral (et de quelques exemple vidéoludiques) pour comprendre les mécaniques de l’amour entre deux hommes. Le monde est fait de préjugés et il s’y calquait sans se poser plus de questions ; ainsi, il avait construit un royaume, à Carmine, mais ce dernier n’en connaissait même pas le territoire et les frontières. Le roi de je-ne-sais-où. « Ça limite les rumeurs. » Et la seule chose qu’Archie pouvait tirer avec certitude de cette confession, c’était la nature secrète de leur relation. Personne ne saurait et c’est ainsi qu’il souhaitait que ça se déroule. Personne n’avait à savoir, non plus, et celui qui vantait jadis ses périples et exploits au lit se verra taire l’identité de son nouveau partenaire de luxure. D’un regard entendu partagé avec Sighbury, il lui fait comprendre que la discussion est terminée et qu’il ne s’immiscera pas davantage dans les rouages de sa vie privée. Les recherches sur le net, c’est fini. Il apprendra à découvrir son amant pour ce qu’il est, son épiderme brûlant, les rictus que l’amour lui arrache, les grognements aussi, et ainsi découvrir la source de la source.