Juillet 2011, Brisbane

Elle a débarqué chez lui la veille, en fin d’après-midi. Il était encore à moitié saoul de la veille lorsqu’il lui avait ouvert, mais le fait qu’il se soit réveillé sur son canapé ce matin lui confirme qu’il n’a pas rêvé ou halluciné la scène qui avait eu lieu dans son entrée la veille. Alex, debout, avec à ses côtés une grande valise, et un sac, à ses pieds. Quand elle lui a demandé sans autres préliminaires si elle pouvait venir vivre chez lui quelques temps, il a accepté, sans chercher à réfléchir - son cerveau ne le lui avait pas permis de toute façon. Il avait pris sa valise, l’avait invitée à entrer. Elle portait un grand manteau, pour se couvrir du froid de l’hiver. Malgré son cerveau embrumé par l’alcool, il avait vu que quelque chose avait changé, sans réussir à mettre le doigt dessus. Il a préparé du thé. Elle s’est installée dans un fauteuil, a enlevé son manteau. Et quand il est revenu, il a vu. Il a posé la théière et les tasses sur la table basse du salon, et s’est agenouillé près d’elle. Il n’a pas eu le temps de terminer de poser sa question, qu’elle l’a coupé, lui demandant de garder un secret. Elle était enceinte. Il n’a pas posé davantage de questions. Elle avait l’air visiblement bouleversée et effrayée. Ils ont bu leur thé en silence, puis il l’a aidée à ranger ses affaires. Il a insisté pour qu’elle dorme dans sa chambre. Il trouverait bien quelqu’un pour lui prêter un matelas gonflable, mais en attendant, il dormirait dans son salon. Il a eu du mal à trouver le sommeil cette nuit, ressassant sans cesse le secret que venait de lui confier sa cousine. Comment avait-il pu ne rien voir ? Depuis combien de temps est-elle enceinte ? Depuis quand le sait-elle ? Et Caleb dans tout ça ? Est-ce que c’est lui le père ? L’idée que le mec de sa cousine ne puisse pas être le père de son enfant le met un peu mal à l’aise. Si Alex est venue se planquer chez lui, ça doit certainement y être lié. Il entend son téléphone vibrer au pied du canapé. Il s’en saisit et soupire en voyant le nom qui s’affiche. « Caleb ». En parlant du loup… Il décide d’ignorer son portable, pour le moment. Pas tant qu’il aura eu davantage d’explications. L’heure sur l’écran indique 8h30. Lucas décide alors que la conversation qu’il aura avec sa cousine se fera autour du petit déjeuner. Si elle allait vivre ici, il allait falloir qu’ils discutent à coeur ouvert. Environ trente minutes plus tard, la table est mise et la cuisine s’est emplie d’une délicieuse odeur de café et de gaufres. Une fois satisfait de sa mise en place, le jeune homme décide qu’il est temps d’aller réveiller sa cousine. Il se dirige vers sa chambre, et toque de trois petits coups secs avant d’entrer. Il ouvre légèrement la porte pour la trouver, encore endormie, roulée en boule. Il s’en veut de la réveiller, mais son cerveau risque d’exploser s’il n’a pas les réponses à ses questions. Il s’assied au bord du lit, et pose doucement sa main sur l’épaule de sa cousine, la secouant gentiment. « Hé, Alex. Réveille-toi, j’ai servi le petit-déj. J’ai fait des gaufres. », lui dit-il à voix basse.

@Alexandra Anderson

Juillet 2011, Brisbane

Elle avait pensé vivre la pire journée de sa vie, cette journée ou elle avait découvert qu'elle était enceinte. Pas une grossesse récente, non, ça faisait déjà 5 mois qu'elle hébergeait une petite chose, non désirée, non voulue, non attendue. Une petite chose qui venait de chambouler toute sa vie et après une dernière nuit au côté de Caleb, elle avait prit la lourde décision de partir. De fuir cette réalité, de fuir cette situation, de fuir pour éviter d'avoir à assumer face à Caleb le fait qu'elle ne voulait pas de cet enfant, de leur enfant. Elle n'a jamais voulu être enceinte, elle n'a jamais voulu être mère. Elle n'a que 21 ans, elle n'est rien, incapable de prendre soin d'elle et la vie lui impose cette petite vie en elle, une vie qu'elle a déjà malmenée durant cinq mois et aujourd'hui si elle déteste l'idée d'être enceinte, si elle déteste cette situation, elle ne peut plus continuer à faire comme si ce bébé n'était pas là. A faire comme si elle ne savait pas. Son corps s'est transformé, son corps affiche cette grossesse qu'elle veut plus que tout cacher, mais son corps n'est déjà plus le même et elle sait qu'elle ne sera plus jamais la même. Cette vie elle n'en voulait pas, ce bébé elle n'en voulait pas, mais elle n'a pas le choix. Et après une nuit à retenir ses larmes, à lutter contre le besoin de venir se blottir dans les bras de Caleb, après une nuit à se torturer l'esprit et à se culpabiliser de son comportement et son attitude envers Caleb, au petit matin elle a attendu que son petit ami parte au travail pour se lever et regrouper toutes ses affaires. Elle a décidé, elle ne peut pas faire autrement, sa lucidité a disparu, sa capacité à réfléchir est entravée par cet état de choc dans lequel elle est depuis la veille et elle a décidé de fuir. De quitter cette vie, celle qui depuis un an et demi la rendait si heureuse mais elle ne peut pas assumer. Elle ne peut pas faire face à son petit ami et lui annoncer sa décision. Elle ne peut pas voir dans les yeux du seul homme qu'elle n'a jamais aimé, la colère, la haine, le dégoût. Elle est lâche, mais elle a trop à gérer et elle est juste dépassée par ce qui se passe en elle. Les changements de son corps, les changements en elle, ses émotions sont en vracs, elle qui n'a jamais été très douée pour gérer les choses, cette fois tout lui échappe et elle a l'impression de voir sa vie s'écrouler sans pouvoir gérer quoique ce soit. Elle s'effondre et elle ne veut pas qu'on puisse la voir comme ça. Elle ne veut pas entraîner Caleb avec elle dans cet effondrement, elle ne veut pas gâcher sa vie, parce qu'elle est persuadée qu'elle va forcément lui faire du mal et elle refuse. Elle ne pense pas à ce mal qu'elle va lui faire en le laissant ainsi. Elle ne pense pas à tout ça, une part d'elle étant persuadée qu'il sera plus heureux sans elle, qu'il pourra se remettre plus vite de son départ que de cette annonce de leur enfant dont elle ne veut pas. Elle ne pense pas à tous les enjeux autour de cette situation, elle est incapable de penser, incapable de réfléchir, épuisée et sous le choc. Elle se remets à pleurer en mettant en vrac chacune de ses affaires dans une valise. Elle passe dans chaque pièce du petit appartement de Caleb et les souvenirs de leur vie à deux sont présents partout dans cet appartement et elle se déteste de faire ça, mais elle ne voit pas d'autres choix pour elle, pour eux. Elle est conne, elle est égoïste, elle est surtout perdue et sous le choc, mais la décision qu'elle est en train de prendre va changer sa vie à jamais et pas que la sienne. Elle s'allonge une dernière fois dans le lit de Caleb, à la place de celui dont elle porte l'enfant, elle sent l'odeur de l'homme qu'elle aime et elle pleure encore en comprenant qu'elle n'aura plus l'occasion de sentir cette odeur, qu'elle n'aura plus la chance d'être dans ses bras, qu'elle n'aura plus la possibilité de se blottir contre lui. Qu'elle n'aura plus la chance de partager des moments intimes avec lui. Elle hurle contre l'oreiller, elle pleure contre l'oreiller, pendant quelques secondes, elle a des pensées dont elle a si honte qu'elle ne pourrait jamais les assumer, mais elle a mal. Elle est mal. Elle enfile le pull de Caleb, le dernier qu'il a porté, dans l'espoir d'avoir son odeur avec elle, encore un peu. Et c'est avec sa valise et son sac qu'elle quitte l'appartement de Caleb, celui dans lequel elle a passé quasiment toutes ses journées depuis quelques moins, celui dans lequel elle a tant de souvenirs si particuliers. Elle qui a toujours grandit dans des espaces grandioses, elle avait trouvé dans ce petit espace un lieu dans lequel elle se sentait si bien. Elle ferme la porte pour la dernière fois et sans même avoir vraiment réfléchis, c'est vers l'appartement de son cousin qu'elle se dirige. Le visage fermé, les yeux rougis par les larmes et par la fatigue, le corps lourd et le cœur encore plus lourd. Elle ne l'a pas prévenu, elle n'a pas prit le temps de l'appeler avant de débarquer chez lui, elle ne peut pas aller chez elle, elle veut juste se cacher, elle veut juste que plus personne ne la voit, jamais, pas alors qu'elle est enceinte parce que dans quelques mois elle a bien l'intention de tout oublier. Et elle ne veut pas qu'on sache qu'elle a été enceinte. Jamais. Pourtant, elle ne se voit pas être seule durant cette période, peut-être qu'une partie d'elle a peur de ce qu'elle pourrait faire si elle reste seule ? Peut-être qu'il faut au moins une personne pour lui rappeler de manger, pour lui rappeler de prendre soin d'elle, non pas pour elle mais pour ce bébé. Parce qu'elle n'en aura pas la force. Parce qu'elle n'en aura pas l'envie non plus. Elle n'a jamais été douée pour prendre soin d'elle, et elle sait qu'elle ne le saura pas non plus pour prendre soin d'un autre. Alors, c'est à Lucas qu'elle va confier ce rôle. Sans lui dire, sans lui demander, sans même lui expliquer pourquoi elle a besoin d'aide, il va le comprendre, il va le voir, parce que désormais son corps parle pour elle. Son corps exprime tout ce qu'elle est encore incapable de dire à haute voix.

Et quand elle débarque chez lui avec sa valise et son sac, elle ne se demande pas s'il est prêt à supporter cette responsabilité, elle ne pense pas à tout ce qu'elle vient chambouler chez lui, elle ne pense qu'à trouver un lieu dans lequel elle pourra passer les quatre prochains mois sans qu'on la juge, sans qu'on ne lui demande des comptes. Elle a confiance en Lucas, elle sait qu'il ne dira rien à leur famille, elle sait que lui mieux que quiconque sait à quel point cette décision, cette grossesse, serait mal vue dans leur famille, et elle sait qu'il gardera ce secret pour elle. Mais, elle n'a pas pensé au fait qu'elle va aussi lui demander de mentir à Caleb. Mais, elle n'a pas pensé à tout ça, elle a pensé à pas grand chose finalement. Elle sait juste qu'elle a besoin de son cousin et elle espère juste qu'il pourra l'accueillir sans lui demander des explications. Elle a vu son regard quand il est revenu avec le thé, quand elle s'est retrouvée sans son manteau pour se cacher. Quand il a réalisé qu'elle est enceinte. Elle s'est sentie si vulnérable à nouveau, elle a attrapé un cousin pour cacher son ventre et avant même qu'il ne pose des questions auxquelles elle aurait été incapable de répondre, elle lui a dit. La voix tremblante, le regard fuyant, les yeux brillants, elle a murmuré des mots qu'elle ne pensait jamais dire. Elle est enceinte, elle n'a rien dit à Caleb et elle n'a nul part ou aller. Voilà les infos qu'elle pouvait partager, difficilement mais Lucas avait au moins les infos principales. Pour le reste, il a du faire face au mutisme d'Alex qui n'a rien pu dire de plus avant que les larmes ne se remettent à couler à nouveau. Alors, ils ont bu le thé préparé par Lucas, et elle s'est installé dans le lit de Lucas, le pull de Caleb toujours sur elle. Elle a fait semblant de dormir quand Lucas est venu l'appeler pour le dîner, elle a fait semblant de dormir pour éviter d'avoir à parler, d'avoir à manger aussi, parce qu'elle sait que ce sujet risque d'être problématique, qu'elle ne pourra pas continuer à ne pas se nourrir, mais elle n'a pas la force ce soir de faire face. Le sommeil fut long à venir, après un long moment à se tourner dans le lit en quête d'une position pour dormir, elle a fini par trouver le sommeil, épuisée par ces deux journées et par les changements dans son corps.

La nuit n'a pas été bonne pour Alex, elle s'est réveillée en sursaut avec une envie de vomir et surtout à la recherche de Caleb, avant de se rappeler qu'elle n'était pas avec lui, et qu'elle ne serait plus jamais avec lui. Les larmes ont coulé à nouveau pendant de longues minutes, mais elle a fini par se rendormir un peu, elle a réussi, pendant quelques heures, a trouvé un peu de répit mais quand elle sent une main se poser sur son corps elle sursaute, avant de réaliser que ce n'est que son cousin. Elle peine à ouvrir les yeux, elle peine à bouger parce que chaque mouvements de son corps lui rappelle la réalité et elle déteste sentir ce ventre, sentir ce corps qui a connu tout un tas de bouleversement qu'elle n'a pas encore apprit à gérer. « Hé, Alex. Réveille-toi, j’ai servi le petit-déj. J’ai fait des gaufres. » Il parle doucement, il est doux mais Alex ne veut pas affronter le monde, ne veut pas ouvrir les yeux. Alex ne veut pas avoir à répondre aux questions de Lucas aussi. Et pourtant elle sait que c'est inévitable. « J'ai pas faim. » Elle râle presque, elle n'a jamais été du matin mais ce n'est même pas vraiment le réveil qui est dur aujourd'hui, c'est l'idée de devoir affronter cette vie qui est la sienne désormais. « Je veux juste dormir. » Elle veut dormir parce que pendant ce temps elle peut oublier la présence de ce bébé. L'odeur des gaufres vient titiller les narines d'Alex et son ventre gargouille comme pour témoigner que si elle ne veut pas manger, son corps lui le veut. Et après les gaufres, c'est l'odeur du café qui vient se faire sentir dans la chambre et cette fois c'est une toute autre réaction face à laquelle elle doit encore apprendre à faire face : son estomac se sert et là voilà obligée de quitter précipitamment le lit pour courir aux toilettes. Comme si tout n'était déjà pas assez compliquée, elle doit aussi gérer les symptômes de sa grossesse. Elle sort des toilettes quelques minutes plus tard, elle est pâle, elle est cernée aussi, mais surtout elle tremble et se sent faible, et si elle n'a pas envie de manger, elle se rends à l'évidence, elle doit le faire. Il le faut, et si elle ne pourrait pas expliquer ce qui la pousse à penser ainsi, elle a conscience que son corps et ce qu'il abrite a besoin de nourriture alors elle finit par s'asseoir à table, sans un mot de plus, le pull de Caleb toujours sur elle. « Merci pour les gaufres, mais je vais pas prendre de café. » Elle fait comme si tout était normal, comme si elle n'était pas arrivée chez lui la veille enceinte de cinq mois. Elle fait comme si, elle ne venait pas de bouleverser son quotidien en venant squatter chez elle ainsi. Elle fait comme si en espérant ainsi éviter les questions de son cousin.

@Lucas Allen

Malgré toute la douceur qu’il a mise dans son geste, Lucas perçoit le sursaut de sa cousine lorsqu’il pose sa main sur son épaule. Elle est bien réveillée désormais, mais elle refuse d’ouvrir les yeux. Elle lui dit ne pas avoir faim, ce qu’il comprend certainement, mais il ne peut pas la laisser ainsi dépérir pendant des jours. « Alex… », souffle-t-il, avec un mine inquiète. Il est sincèrement triste pour sa cousine, bien qu’elle ne lui ait pas dit grand chose, il arrive à ressentir sa détresse. Il se sent bien impuissant et lui préparer le petit déjeuner semblait être une bien maigre consolation, en comparaison avec ce qu’elle devait être en train de vivre. « Je veux juste dormir. », lui dit-elle, insistant sur le fait qu’elle n’était pas disposée à sortir de son lit. Son coeur se serre, mais il ne peut s’empêcher d’insister à son tour. « Aller, Alex. Pour moi ? », la supplie-t-il, avec un petit sourire. Il espère la faire craquer ainsi, et il croise les doigts pour que la douce odeur de gaufres qui commence à imprégner tout l’appartement finisse de la convaincre. Mais Lucas se trouve bien décontenancé lorsque sa cousine se lève précipitamment de lit, la couette valsant de l’autre côté. « Hé, t’inquiètes, elles vont pas disparaî… », lance-t-il, avec un petit sourire, satisfait, mais étonné d’avoir réussi à la convaincre en si peu d’efforts. Mais il se rend compte rapidement qu’il s’était fait des idées, lorsqu’il arrive dans le couloir et la voit, tout au fond, la tête au dessus de la cuvette. Évidemment, il aurait dû y penser. L’expérience de Lucas avec les femmes enceintes était certes nulle, mais les nausées matinales n’étaient pas non plus une surprise. Préparer un petit déjeuner à sa cousine n’était peut-être pas la meilleure des idées. Il se traite intérieurement d’idiot, avant d’avancer vers sa cousine. Il s’accroupit doucement, avant de rassembler ses cheveux au sommet de sa tête et de poser une main sur le dos de sa cousine, qu’il frotte gentiment. Son estomac se serre, non pas à cause de la vue de sa cousine en train de vomir, mais parce qu’il compatit et que la voir dans cet état, vulnérable et désespérée, le met face à l’impossibilité de l’aider. « Ça va aller… », chuchote-t-il, ne pouvant rien dire d’autre qui pourrait avoir du sens. Quelques minutes plus tard, ils sont tous les deux dans la cuisine. Alex finit par s’asseoir autour de la table qu’a préparé Lucas, encore un peu pâle. Lucas l’observe un instant ; elle est vêtue d’un simple pull, qu’il devine appartenir à Caleb. Nouveau pincement au coeur. Avant de s’installer avec elle, le jeune homme fait un détour par le salon où il trouve un plaid en laine, qu’il ramène avec lui dans la cuisine. Il le pose autour des épaules de sa cousine. « Tu vas attraper froid. Il fait -2 dehors. » Ils étaient au coeur d’un hiver particulièrement froid, et Lucas refusait de voir Alex tomber malade. Elle le remercie pour les gaufres, mais refuse le café qu’il a préparé. « Très bien, des gaufres pour Madame. », dit-il avec un sourire, tout en lui servant une paire de gaufres dans son assiette. « Je devrais avoir quelque chose pour remplacer le café. », marmonne-t-il, en fouillant dans son frigo. Il y trouve une bouteille de Perrier, qu’il ouvre, avant d’en verser un peu dans un verre. Puis, il sort un pamplemousse de sa corbeille à fruits, qu’il presse avant de l’ajouter au Perrier.  Il touille le tout avec une cuillère, avant de poser le verre devant sa cousine. « Tiens. Je crois que ça aide pour… tu sais, les nausées. », bafouille-t-il. Il s’installe, face à elle, et se sert quelques gaufres à son tour, qu’il noie dans une cascade de sirop d’érable. La première bouchée lui apporte un peu de réconfort, et il espère qu’il en est de même pour sa cousine. Il pose ses couverts, et décide de se servir une tasse de thé fumante - le café, ça n’a jamais été son truc, certainement l’héritage de ses origines anglaises d’un côté de sa famille. Personne n’a dit un mot depuis quelques minutes, alors Lucas estime que c’est le bon moment pour poser les questions qui lui brûlent la langue. Le plus urgent pour lui semble Caleb, puisque son téléphone a vibré plusieurs fois à nouveau pendant qu’il préparait le petit déjeuner. « Bon. Je vais pas y aller par quatre chemins. », commence-t-il. Il essaie de prendre une posture confiante, presque autoritaire, même s’il ne sait pas ce qu’il fait. Alex a besoin de lui, et il ne peut pas être une bonne personne pour elle s’il se met à paniquer. « Caleb est pas au courant, j’imagine ? Il arrête pas de m’envoyer des messages depuis ce matin. », annonce-t-il à sa cousine, qui joue avec ses pancakes, du bout de sa fourchette. Il sait que sa prochaine question risque de paraître un peu indiscrète, mais il doit lui demander. « Est-ce que c’est lui, le père ? », demande-t-il. La réponse lui importait peu, même si cela signifiait que le secret serait d’autant plus lourd à porter, que Caleb soit le père de l’enfant d’Alex ou non. Dans tous les cas, Lucas allait devoir mentir à Caleb pour Alex. « Je te jugerai jamais. C’est promis. Mais si tu veux que je garde ton secret, il va falloir que tu m’aides, Alex. », lui dit-il, en la regardant dans les yeux, insistant bien sur sa dernière phrase pour que sa cousine comprenne qu’elle allait devoir lui donner des réponses si elle veut pouvoir compter sur lui.

@Alexandra Anderson

Juillet 2011, Brisbane

« Alex… » Elle a déjà eu à faire face à son regard inquiet de la veille, elle a déjà eu à le regarder alors qu'il découvrait ce ventre qu'elle aurait voulu garder cacher à jamais. Elle a déjà beaucoup trop à gérer en elle, et elle sait qu'elle ne pourra pas gérer l'inquiétude d'un autre et pourtant, elle est chez lui. Elle est même dans son lit et il mérite des explications non ? Sûrement, mais Alex ne se sent pas prête pour ça. Elle veut dormir, juste dormir et oublier ce qu'elle est en train de vivre. « Aller, Alex. Pour moi ? » Elle adore son cousin et si elle est chez lui aujourd'hui, c'est bien la preuve qu'il est important dans sa vie, mais aujourd'hui elle n'a pas la force de réagir à cette remarque. Pas la force de sourire non plus. Pas la force de se lever aussi. C'est ce qu'elle pensait mais son corps l'oblige à le faire, non pas pour aller manger mais parce qu'il a décidé de lui rappeler les joies de la grossesse. Ce n'est malheureusement pas pour faire plaisir à son cousin qu'elle finit par quitter le lit, elle aurait préféré mais ce n'est pas le cas. Elle sent la présence de Lucas auprès d'elle, elle sent la main de son cousin se poser sur son dos, elle a honte de se montrer ainsi. Elle a honte d'être dans cette position, honte de se montrer si faible. Elle ne l'est pas vraiment, mais c'est la sensation qu'elle ressent, elle a honte de tout. Ce qu'elle est, ce qu'elle fait, ce qu'elle pense, elle a honte d'elle et elle a honte de montrer ce visage à son cousin et de le sentir présent malgré tout. « Ça va aller… » Elle se met à pleurer quand elle entends ces mots. Ca va aller. Elle ne voit pas comment, elle ne voit pas d'issue à cette situation, elle ne voit que du noir et ces simples paroles lui rappelle que rien n'ira plus jamais. Un peu dramatique vous pensez ? Mais c'est vraiment ce qu'elle ressent, ce qu'elle pense au plus profond d'elle. Il suffirait qu'elle fasse d'autres choix, il suffirait qu'elle ouvre les yeux, il suffirait qu'elle s'ouvre aux autres mais elle ne peut pas, elle n'y arrive pas et elle se renferme, s'isole, s'éloigne d'un monde qui continue de tourner normalement pour le reste du monde mais qui semble s'être arrêté pour elle au moment de cette fameuse annonce. Depuis elle suffoque, elle pleure, elle souffre, elle se perds dans ses pensées, dans une vie qui n'était pas faite pour elle. Alors non, ça ne va pas aller. Elle le sait, elle le sent et c'est sans doute ça qui lui fait le plus de mal.

Il lui faut plusieurs minutes pour se remettre, pour quitter les toilettes et pour cesser de pleurer aussi. Son corps qui tremble, ses jambes qui flageolent, elle est faible. Psychologiquement et physiquement aussi. Son corps a changé, il a des besoins, et elle ne l'alimente plus depuis la veille. Il le faut pourtant et si elle ne fait que les mauvais choix depuis deux jours, sa conscience semble fonctionner encore un peu pour la pousser à manger ce matin. Il le faut. Elle s'installe et avant même de manger, elle est surprise par l'attention que lui porte son cousin alors qu'elle sent la chaleur du plaid qu'il vient de déposer sur ses épaules.« Tu vas attraper froid. Il fait -2 dehors. »  Elle s'enroule dedans, non pas pour éviter d'attraper froid, ça elle s'en moque un peu pour dire vrai mais parce qu'elle peut cacher son corps un peu plus avec ce plaid. « Merci. » Elle qui est si bavarde habituellement, elle qui peut tenir des heures à parler de tout et de rien, ce matin n'a pas la force de parler, n'en a pas envie aussi parce qu'elle est juste à bout de force, à bout tout simplement et rien qu'être là lui demande une énergie incroyable dont elle ne pensait pas disposer. « Très bien, des gaufres pour Madame. » Il sourit, il essaye Lucas, il se montre présent, gentil et prévenant avec elle. Il ne mérite pas cette attitude d'Alex mais elle ne peut même pas lui sourire en retour. Elle s'en veut de ne même pas réussir à faire semblant, mais à quoi bon ? Elle ne peut tromper personne actuellement, et c'est juste avec un simple regard qu'elle le remercie quand il dépose les gaufres devant elle. Ca compte pour elle tout ce qu'il fait, rien ne l'y oblige, et l'attitude d'Alex envers lui est tout sauf acceptable et il pourrait lui dire, il pourrait réclamer des explications, il pourrait s'énerver devant tant de froideur, de passivité et de distance de la part d'Alex, mais il ne le fait pas. Elle prends une gaufre, la porte à sa bouche et croque dedans. Son corps en a besoin, mais elle se sent coupable d'apprécier ce qu'elle mange, elle se sent coupable d'aimer la gaufre. C'est bête mais c'est la vérité. « Je devrais avoir quelque chose pour remplacer le café. » Elle lève les yeux vers lui. « T'embêtes pas, tu as déjà fais assez pour moi. » Mais il n'écoute pas, et elle le regarde s'activer en cuisine pour lui préparer quelque chose, quelque chose qui aiderait pour les nausées. Elle réalise qu'elle ne sait pas ce qui est bon ou pas pour ce genre de chose. Elle découvre, qu'il y a encore tant de choses qu'elle va devoir apprendre rapidement parce qu'elle a perdu cinq mois de grossesse et tout arrive d'un coup, si vite, si violemment et les nausées aussi. Elle n'a rien à perdre après tout non ? Alors, elle prends le verre que lui a préparé Lucas, non pas qu'elle en ait envie mais elle doit essayer de manger, elle doit boire aussi pour éviter d'autres complications dont elle n'a même pas idées tant elle ne connaissait rien sur la grossesse il y a encore 48 heures. Ils mangent en silence, elle bouge un peu sur sa chaise et c'est le seul bruit qu'elle fait, quand son corps changé bouge à la recherche d'une position plus confortable. Elle a toujours détesté les silences, elle a toujours détesté ne pas parler trouvant ça gênant et même angoissant mais aujourd'hui ce sont les mots, la réalité qui la terrifie et le silence semble avoir quelque chose de finalement pas si dérangeant. Mais, le silence ne dure jamais. Quelque soit le moment, quelque soit les circonstances, les silences sont faits pour être brisés et c'est Lucas qui brise celui là par une phrase qui ne laisse aucun doute dans l'esprit d'Alex. Il a choisit d'en parler, il a besoin d'en parler et s'il ne veut pas y aller par quatre chemins, Alex n'est pas prête à aller sur le chemin qu'est en train d'emprunté Lucas. Elle soupire mais quand il évoque Caleb, quand il prononce le prénom de Caleb, elle baisse les yeux honteusement. Pour cacher la douleur qu'elle ressent, pour cacher la honte qu'elle ressent aussi. Pour cacher les larmes qui lui montent aux yeux. « Non je n'ai pas pu lui dire. » C'est une toute petite voix, à peine audible, pleine de honte. Elle pense à lui, elle pense à ce qu'il doit ressentir aujourd'hui, son cœur se serre, son ventre aussi, elle a mal, elle a honte, elle se déteste. Elle a déjà passé des nuits loin de lui, en soirée avec Rachel, mais elle n'a jamais laissé Caleb sans nouvelles. Elle a vidé son appartement, elle a préparé son départ sans même lui laissé un mot et elle s'en veut. Mais, elle ne peut pas lui faire face, c'est trop dur. La question suivante de Lucas, aurait pu rendre folle Alex, la faire sortir de ses gonds et la faire hurler, parce qu'il était incroyable pour elle qu'on puisse douter de sa fidélité envers Caleb, mais avec du recul, cette question prends tout son sens. Mais, pour Alex, elle n'en a pas. Parce que pour rien au monde elle n'aurait pu coucher avec un autre que Caleb, parce qu'elle a tout avec lui. Avait tout. Parce qu'elle l'aime et qu'il l'aime. Qu'il l'aimait avant tout ça, qu'il la détestera après tout ça. Elle en est persuadée et c'est sans doute pour ça qu'elle est chez Lucas aujourd'hui. Elle secoue la tête de haut en bas, pour lui répondre, sans une explication de plus. Oui c'est Caleb le père parce que c'est le seul homme avec qui elle a couché depuis plus d'un an et demi. Elle n'a pas envie de parler mais cette fois elle n'a plus vraiment le choix. Lucas est là devant elle, lui demandant des explications en échange de son soutien. Elle y voit presque du chantage, alors que cette attitude est normale de la part de Lucas. Il doit être tout aussi perdu face à tout ça, et il a le droit à une explication. Elle n'est pas assez forte pour tout lui dire, pour que les mots soient cohérents, mais elle sait qu'elle a besoin de lui, parce qu'elle a décidé de passer le reste de sa grossesse enfermée ici. Elle a décidé ça et elle n'a pas d'option numéro 2, alors elle va devoir trouver la force pour expliquer sa situation à Lucas. « Je veux pas de cette grossesse. » La grossesse est là et elle ne peut plus rien y faire, pourtant elle refuse encore cette grossesse, et ce bébé aussi mais elle a encore du mal à dire qu'il y a un bébé la dedans. Qu'il y a son bébé en elle. « Je veux pas de tout ça Lucas, je peux pas être mère, je ne veux pas. » Oh ça je pense que tout le monde a comprit Alex. Elle ne veut pas être mère, elle ne veut pas de cette grossesse et si pour la première chose elle a encore le choix, pour la seconde c'est trop tard. Elle est enceinte et bien enceinte et dans quatre mois elle devra mettre au monde un bébé, une pensée qu'elle ne peut pas encore assumer ni même penser. « Je veux que personne le sache, ni Caleb, ni mes parents, ni mes amis, personne. S'il te plaît, je suis pas prête à faire face à tout ça, j'ai besoin de toi, promets moi que tu ne le diras à personne. » Peut-être qu'elle aurait pu commencer par lui expliquer pourquoi il y a quatre jours ils avaient fait un jogging de 50 minutes tous les deux et comment quatre jours plus tard elle se retrouvait à être essoufflée après avoir monté les marches de l'appartement ? Ca aurait pu être un début d'exprimer l'annonce de la grossesse, le déni et tout ce qu'elle avait traversé ces 48 dernières heures. Peut-être oui mais pour ça aussi elle est perdue. Elle lui parle et c'est déjà énorme finalement.

@Lucas Allen

Alex confirme ce que Lucas craignait, à savoir, le fait que son petit-ami n’est pas au courant pour sa grossesse. Toute cette histoire s’annonce alors plus compliqué que ce à quoi il s’attendait. Il s’imaginait que Caleb avait peut-être mal digéré la nouvelle et que sa cousine avait besoin d’un endroit où dormir pour quelques jours, le temps que tout ceci se tasse. Sa théorie selon laquelle le jeune homme n’était peut-être pas le père du bébé semble alors se confirmer dangereusement, ce qui n’aide pas Lucas à calmer ses inquiétudes quant à la suite des événements. Si Caleb finissait pas débarquer ici… Non, il ne préférait pas y penser. Il devait être sûr d’abord. Il pose la question à Alex, de but en blanc. Lorsque la jeune femme hoche la tête, il se sent un peu rassuré. Au moins, une tromperie n’allait pas se mêler à tout ce merdier dans lequel il s’était fourré, un peu malgré lui. Voyant sa cousine peu disposée à lui donner davantage de détails, il se décide à lui mettre un gentil coup de pression. Évidemment, il se doute bien que sa situation est loin d’être confortable - preuve en est qu’elle était venue toquer chez lui hier avec toutes ses affaires. Néanmoins, il a besoin de connaître toute l’histoire pour pouvoir la protéger et lui venir en aide du mieux qu’il pourra. Alex finit alors par enfin cracher le morceau. Ses premiers mots résonnent en lui, et il ne peut que se sentir compatissant à son égard. À leurs âges, qui voudrait d’une vie pareille ? Ils n’avaient ni situation stable, ni la maturité nécessaire pour accueillir un enfant. L’idée qu’un jour, une fille vienne toquer à sa porte pour lui annoncer qu’il allait bientôt être père lui glace le sang. D’autant qu’aussi loin qu’il s’en souvienne, il n’avait jamais trop aimé les enfants. Finalement, il se dit qu’il fallait mieux pour Caleb qu’il ne soit au courant de rien - même si celui-ci ne serait certainement pas de cet avis. « Je comprends. C’est normal. Qui voudrait d’un môme à vingt piges ? », répond-il, maladroitement. Puis, elle le supplie presque de ne rien à dire à personne. Comme s’il était une balance… Il tient à la rassurer tout de suite. « Hé, tu crois que je vais tout cafter ? J’ai pas parlé à mes darons depuis trois ans, je te rappelle. », dit-il, un peu amer. « Je vais rien dire, t’inquiète. Mais il faut que tu me racontes tout. », poursuit-il, en enfournant dans sa bouche un bout de gaufre recouvert de sirop d’érable. « Ça fait combien de temps que t’es au courant ? T’es à combien de semaines ? », demande-t-il d’abord. En fonction, ils aviseraient. Plusieurs solutions étaient possibles, si sa grossesse n’en était pas à un stade trop avancé. Même si, en étant honnête, il avait peur de connaître plus ou moins la réponse à cette question ; il ne devait plus rester à Alex beaucoup d’option, si ce n’est celle de mener la grossesse à son terme. « C’est quoi le plan ? Je dis quoi à Caleb ? » Un nouveau silence s’installe. « Alex, imagine, s’il débarque ici, je lui dis quoi ? Faut qu’on ait un plan. », dit-il, légèrement inquiet. Lucas voit au visage de sa cousine qu’elle n’a pas spécialement envie de discuter du père de son bébé, mais le message qu’il a reçu ce matin de sa part, le force à la ramener à la réalité. Si Alex n’était pas en capacité de garder la tête froide en ce moment précis, il devait le faire, pour eux deux.

@Alexandra Anderson