Emery était le genre de personne qui lui permettait de relativiser. Il n’était pas ce gamin peu populaire, cette image qu’il s’était donnée à lui même pour justifier son incapacité à être aussi avenant que ses camarades de classe. Pas quand cette amie là, qu’il connaissait depuis aussi longtemps qu’il se souvienne, avait choisi de lui envoyer un message à lui quand elle en avait eu besoin. Et si ses vieux démons refaisaient surface Lewis s’empresserait de penser que la raison de leurs retrouvailles autour d’un verre n’était dû qu'au fait qu’elle avait besoin d’un service mais il préférait maintenant balayer ces doutes d’un revers de la main. Ce n’était que la cousine d’Ollie, quelqu’un qui avait rejoint son cercle proche par hasard - ou suite à l’obstination dont elle avait fait preuve. Mais si Emery avait un jour été celle qui mourrait d’envie de traîner avec eux, les rôles s’étaient volontiers inversés depuis, laissant Lewis paraître bien plat aux côtés de la blonde dont il connaissait quelques bribes de la vie. « Hey ! ça fait plaisir de te voir, ça fait trop longtemps. » S’il se questionnait sur la meilleure façon de saluer une vieille amie, Emery, elle, avait chassé le moment de gêne en lui accordant une accolade sans aucune hésitation. Etrangement, celle-ci ne l’avait pas dérangée, il était réellement heureux de la revoir, seul les doutes planant sur sa demande à venir le laissant perplexe. « Comment tu vas ? » Ils n’étaient pas du genre à utiliser ces banalités ce qui laissait sous-entendre que les circonstances de cette rencontre étaient particulières et venaient un peu plus appuyer sur la curiosité de Lewis. La laissant reculer d’un pas et marquant un sourcil en la voyant le toiser, il l’avait laissée reprendre. « J’ai pas de corps à cacher mais toi, tu t’es débarrassé de ton coiffeur récemment, non ? » Passant machinalement la main dans ses cheveux mi-longs qu’il n’avait pas pris le temps de coiffer, il avait rigolé avant de secouer la tête. « T’as dit que c’était pas un rencard j’allais pas en plus me coiffer. » avait-il lancé dans un rire avant de s’installer sur la banquette, en face d’Emery qu’il était venu scruter dans l’espoir qu’elle parlerait plus vite qu’elle n’en avait visiblement l’intention. « On commande ? Désolée, j’ai pris de l’avance. » Il n’était pas étonné tout comme il ne jugeait pas, appréciant lui-même de commander une première bière en attendant ses amis. « Je sais je suis en retard, ce sera une pinte d’ambrée pour moi. » Cette dernière phrase s’était adressée au serveur. « Il va pas s’autodétruire dans cinq secondes. Mais oui, j’ai peut-être une mission pour toi, si tu l’acceptes. » Le regard de Lewis était effectivement accroché à ce dossier qu’elle avait sciemment laissé sur un coin de la table, comme s’il aurait pu croire que ce détail était une pure coïncidence. Il s’apprêtait à répondre mais le fait d’avoir passé de longs moments ensemble permettait à Emery d’encore avoir les bons réflexes et de savoir comment répondre à ses questionnements avant même qu’il ne les prononce tout haut. « Est-ce que tu penses que les mauvaises personnes méritent d’être exposées ? » Il avait soupiré, venant frotter son front puis sa joue avec sa main, se sentait déjà piégé. La bière était arrivée à point nommé et il en avait bu une grande gorgée avant de répondre. « Tu m’auras pas avec de la psychologie inversée, Em’, tu sais que je peux rien faire d’illégal, pas vrai ? » avait-il répondu en se penchant légèrement vers elle comme si la discussion qu’ils s’apprêtaient à avoir serait confidentielle. « Dans quel merdier tu t’es mise et qu’est ce que tu veux que je fasse ? » Il connaissait la capacité de la jeune femme à faire tout et n’importe quoi pour attirer l’attention, et même s’il tentait parfois de comprendre, il devait admettre qu’il était parfois difficile d’être toujours de son côté.

Ce n’était pas tant la curiosité de savoir ce qu’allait réellement lui demander Emery qui l’avait mené jusque-là mais bien la promesse de passer une soirée devant un verre, ou plusieurs. S’il avait passé la plupart de son adolescence devant son écran, il avait finalement pris goût à la fête grâce à Kendall et c’était ce qui lui avait permis de reconnecter un peu avec le monde réel. Avec la blonde, tout était beaucoup plus simple parce qu’elle était la cousine d’un ami, et il avait toujours eu le sentiment de n’avoir rien à lui prouver, contrairement au reste du monde. « Oui, pas un rencard avec moi. Mais si j’avais voulu te présenter quelqu’un ? Tu sais jamais quand les opportunités se présenteront. » Il avait levé les yeux au ciel, il savait que l’idée de le caser après sa rupture avec Sinead avait un temps traversé l’esprit d’Emery et cela l’amusait plus qu’autre chose. « Autant que la meuf ait pas de surprises plus tard. » Il avait haussé les épaules, il n’était et ne serait jamais l’idéal masculin de toutes les femmes mais se plaisait dans ses jeans et ses chemises. « J’ai l’habitude. » Un grand sourire s’était dessiné sur le visage de Lewis, une attitude un brin provocatrice. C’était plus fort que lui, même s’il commençait à se préparer avec une heure d’avance et que la-dite préparation ne consistait qu’à passer sa main avec un peu de gel dessus dans ses cheveux, il finissait toujours par être en retard. Sans plus attendre il s’était donc installé en face d’elle, prenant une gorgée de sa bière fraîche à peine avait-elle été servie. Et quelque chose lui disait qu’il allait avoir besoin de plusieurs tournées s’il voulait suivre les explications d’Emery. « C’était pas de la psychologie, juste une question très philosophique déjà. » Son menton s’était levé, acquiesçant un propos qu’il ne validait pourtant absolument pas. Il avait rappelé quelques règles, parce que nombreux étaient ceux qui pensaient que Lewis pouvait tout faire grâce à ses qualités de hacker et il convenait toujours de rappeler les limites de cette pratique. « Et ça dépend, qu’est-ce que tu définis d’illégal ? » Il avait fait mine de réfléchir avant de répondre. « Je peux pas porter atteinte à la vie personnelle des gens, donc pas infiltrer celle de ceux qui ne sont pas mes clients, je ne peux pas infiltrer un système sans que le détenteur soit au courant… Je continue ? » Son index venait exercer des cercles sur le rebord de son verre alors qu’il adressait toujours ce même sourire sarcastique - mais inquiet - à une Emery qui battait déjà des cils pour se donner l’air innocent. Cela ne prenait pas avec lui. « Pourquoi immédiatement, tu conclues que j’ai des ennuis ? » Un rire s’était échappé de ses lèvres, il ne se moquait pas d’elle, mais de sa capacité à prétendre être une sainte. « Parce qu’Ollie et moi on a dû te sortir d’un paquet de situations… embarrassantes. Et je suis sûr que c’est que la partie visible de l’iceberg, tu vois. » Ils possédaient un dossier sur la jeune femme bien plus conséquent encore que celui posé sur la table du bar et il y avait fort à parier qu’Emery cachait une zone d’ombre encore plus importante. Parce que si elle avait parfois eu besoin de leur aide, ces petits écarts de conduite étaient insignifiants. « Nan. En fait, j’aurais besoin…d’informations. » Cette fois-ci, il avait repris son sérieux pour l’écouter. « Tu vois, j’ai un super projet professionnel en cours, mais… » Mais ? « J’ai besoin de saborder la compétition. C’est pour ça que je te demandais si tu penses que les mauvaises personnes méritent ce qui peut leur arriver. Parce que je te jure, c’est un sombre connard. » Le blond se retrouvait encore une fois dans l’incompréhension, comme si la jeune femme avait décidé de parler en code comme un agent secret. Difficile, donc, de pouvoir réellement comprendre s’il pouvait accéder ou non à sa requête. « Vous organisez des compétitions au sex-shop ? J’voudrais bien voir ça. » avait-il demandé parce qu’il était venu ici pour rire et passer du bon temps, quitte à devoir tremper dans ce qu’Emery avait en tête. « Plus sérieusement, je peux pas obtenir des données confidentielles. Mais si c’est un réel connard ton gars, du genre qui pourrait te porter atteinte, on peut en discuter. » Quoiqu’ils en diraient, Lewis considérait Emery comme une amie et il avait horreur que ses proches se fassent avoir et dans ce cas, il était capable de contourner l'éthique de sa profession. « Tu vas continuer à parler en énigmes toute la soirée ou te décider à me raconter clairement les choses ? » avait-il demandé en finissant son verre d’une traite et en faisant signe au serveur de lui apporter la même chose.