Emery ❦ Carmine

Deux raisons avaient poussé Carmine à se présenter au casting. La première d'entre-elles - et la plus importante des deux - était bien évidemment la fuite. S'il avait consenti à retourner à Londres pour le lancement de la collection hiver des Sighbury, obligations et sens des responsabilités obligent, cela n'avait été qu'à condition de retourner à Brisbane tout de suite après, sous prétexte d'y avoir un contrat à honorer. On vous le donne en mille : ce contrat était la seconde raison de sa présence au casting. Ainsi, l'anglais avait convenu avec ses parents de faire l'aller-retour fin octobre, le temps du défilé et des mondanités associés, puis de repartir chez Greta (ou il pourrait continuer à réfléchir au sens de la vie sans avoir à se confronter une fois de plus à la vision dérangeante de Catherine et Alister concernant l'avenir et ce qu'ils espéraient de lui à ce sujet ...).

Carmine, qui avait vendu la peau de l'ours avant de l'avoir tué, se présenta aux rendez-vous avec sa classe habituelle. Il était vêtu d'un costume parfaitement ajusté et le choix de sa cravate d'un bleu azuréen avait pour objectif de mettre en valeur ce regard cristallin auxquels peu de personnes restaient insensibles. Sighbury n'avait peut-être pas encore décroché le contrat mais il se présenta au bureau des enregistrements comme si tel était le cas, sa démarche et sa posture témoignant d'une assurance inébranlable. Ils étaient évidemment plusieurs à l'avoir reconnu dans la salle d'attente réservées aux modèles masculins. Bouches entrouvertes et regards ronds accompagnèrent ses déplacements tandis qu'il prenait place au milieu de la plèbe, son dos bien droit et sa mèche impeccablement coiffée pour preuves de ses nombreuses années d'expérience. La démarche était majestueuse et l'attitude désespérante pour ceux qui, d'entrée de jeu, se voyaient ici perdre l'opportunité d'être choisi à sa place. Quel directeur de casting raterait l'occasion d'avoir une icône de la haute couture pour égérie ? Le simple visage de Carmine faisait monter en bourse la côte des produits sur lesquels il était apposé ...

Le mannequin n'avait ni fait appel à son agent, ni annoncé sa venue. Il ne désirait pas que ses parents sachent qu'il leur avait menti en prétendant avoir d'ores et déjà signé avec la marque de montres pour laquelle avait lieu ce recrutement. Fidèle à lui-même, il garda le silence et se mit à sourire aux différents postulants présents dans la pièce. Bien loin de mépriser ses concurrents, Carmine les observait avec humilité et bienveillance, rendant difficilement justifiable quelconque sentiment d'animosité à son encontre. Bon nombre de ses ennemis non déclarés étaient avant tout des jaloux frustrés de ne trouver aucune prise à leurs médisances et donc contrains de le maudire en silence sous peine d'être blâmés pour leur mauvaise langue. L'anglais, dans tout ce qu'il représentait de politesse, de savoir-être et de flegme britannique était aussi adorable pour les uns que détestable pour les autres.

Et il n'en avait que faire. C'était probablement ça, le plus exaspérant.

A peine quinze minutes après son arrivée, un homme à l'attitude agitée passa la tête par l'entrebâillement de la porte. Son regard scruta les visages tournés dans sa direction jusqu'à s'illuminer à la vision de Carmine. « C'était donc vrai ! » S'exclama-t-il en courant presque pour le saluer. « Quel honneur de vous recevoir, Carmine. » « Tout le plaisir est pour moi. Les montres Rolex ont toute mon affection. » Le fait qu'il portait au poignet le dernier modèle de la marque coupa court à toute suspicion : l'anglais était sincère en plus d'être connu pour sa passion des montres. Il n'avait pas choisi ce casting par hasard et prenait plaisir à affirmer ses choix dans un domaine qu'il appréciait depuis des dizaines d'années. « Vous auriez dû nous contacter ! » Entendez par là qu'on ne l'aurait probablement pas fait attendre avec les autres si le service marketing de Rolex avait été averti de son intérêt pour un partenariat ...  « Qui n'aime pas les surprises ? » Répondit-il avec l'innocence d'un enfant sage. L'homme approuva vigoureusement, enchanté, puis entraîna Carmine dans la salle d'audition. Le signe de tête qu'il fit à la réceptionniste avant de refermer la porte derrière eux signa la fin de l'attente pour les autres prétendants. Le directeur de casting venait de faire son choix. « Je suis justement en train de recevoir les jeunes femmes en lice. Prenez place, mon assistante se chargera de vous équiper pour quelques prises de vue préliminaires. Cela ne vous ennuie pas ? Votre avis serait le bienvenu sur le choix de la partenaire. » Sighbury accepta de se prêter au jeu. Là où son agent aurait probablement bondi en hurlant qu'il fallait négocier les termes du contrat avant toute séance photo, Carmine, lui, préféra la simplicité. Il se moquait bien du cachet ou du canal de diffusion. L'idée était de justifier sa présence en Australie et se faire immortaliser sur place par l'un des horlogers les plus prisés du monde suffirait largement à calmer les inquiétudes de ses géniteurs.

Emery ❦ Carmine

Carmine prit place sur le siège qu'on lui indiquait. Il resta immobile, figé dans une attitude de parfaite acceptation de sa condition de mannequin, capable de s'accommoder des coups de pinceaux et du batifolage de l'accessoiriste autour de lui comme s'il ne s'agissait que d'une abeille occupée à polliniser son jardin. Il avait l'habitude. Depuis ses cinq ans, on lui apprenait à se tenir tranquille, ne pas dandiner sur sa chaise, garder les yeux ouverts pour faciliter l'application de l'eye-liner et des fonds de teint. Son corps avait été piqué par tant d'aiguilles lors des retouches des couturiers qu'il était devenu expert dans l'art de l'immobilité. Il avait même fini par faire de ces moments de préparation des instants de méditation profonde où son esprit se mettait en veille tandis que d'autres s'appliquaient à rendre son corps le plus parfait possible. L'anglais aimait qu'on prenne soin de lui. Il avait appris à se sentir exister dans le regard des autres mais aussi et surtout à se sentir utile dans son rôle de cintre. Le plus beau de tous les cintres, celui sur lequel les créateurs voulaient suspendre leurs tissus et accrocher leurs accessoires. Une poupée pour adulte, un fantasme en chair et en os.

« Elle était faite pour vous ! » S'extasia le directeur de casting lorsque l'anglais s'avance sous les projecteurs paré du premier modèle à promouvoir. Carmine observa l'objet à son poignet sous les flashs immortalisant sa rencontre avec la montre. Il aimait la forme. Un peu moins les aiguilles, mais la couleur s'accordait parfaitement avec celle de son costume. Bizarrement, les planètes donnaient toujours l'impression de bien s'aligner lorsqu'il s'agissait de la carrière de Sighbury. Jamais un scandale, jamais un pas de travers, que de bons choix de collaborations et des défilés plébiscités quasi systématiquement. Carmine réussissait tout avec un naturel relevant du fantaisiste. Une carrière aussi longue, aussi remplie et sans traversée du désert, même Kate Moss n'avait pas réussi à le faire !

On lui signifia que la première candidate allait être appelée. Le mannequin acquiesça, s'installa sur un siège aux côtés du directeur et croisa les jambes tout en observant silencieusement les blondes défiler les unes après les autres. À chaque changement de prétendante, on lui demanda de s'avancer et de prendre quelques clichés de couple. Professionnel, il s'exécuta avec le savoir-faire de ceux auxquels il n'y avait plus rien à apprendre des trucs du métier. Ses partenaires rougirent toutes lorsqu'il leur caressa la joue. Après le troisième essai, Carmine partit observer les autres modèles de montre, se disant qu'il serait peut-être pertinent de varier un peu. Il avait le dos tourné lorsque la quatrième candidate fit son entrée et n'écouta pas ce que disait le directeur, trop passionné par les détails mécaniques des bijoux d'horlogerie pour deviner que la foudre s'apprêtait à tomber à ses pieds. « Qu’en pensez-vous Carmine ? » L'anglais se retourna, distrait, puis il figea son geste consistant à remettre la montre qu'il tenait en main dans sa boîte.

Emery lui faisait face. Il peinait à le croire. Des wagons entiers de souvenirs défilèrent sur les rails de sa mémoire tandis qu'il donnait le change, parfaitement serein, d'apparence toujours aussi détendu. Keep calm ... « Laissons parler l'objectif. » ... and carry on. Derrière son sourire de circonstances, Carmine sentait pourtant son estomac se contracter sous l'effet de la contrariété. On ne pouvait pas parler de colère - plus après tout ce temps - mais plutôt d'un sentiment désagréable à mi-chemin entre le ressentiment et le dégoût. L'anglais se souvenait parfaitement des désillusions provoquées par Dawson et l'armée de mensonges dont elle avait entouré sa personne dans l'unique but de se rapprocher d'eux, sa famille et lui. Pis encore, le mannequin se remémorait la trahison ressentit face à sa fuite, alors qu'il commençait à s'ouvrir, à se confier, à l'envisager comme plus qu'une simple invitée des soirées mondaines qu'il organisait à Londres.

Lorsqu'il prit place aux côtés de la blonde, Carmine savait qu'aucune autre personne qu'elle dans cette pièce ne serait capable de lire l'inimitié dans son regard. Aussi fit-il ce qu'il savait faire de mieux : poser. Cela commença avec quelques directives du responsable. Dos à dos, bras dessus bras dessous, main dans la main ... Une proximité dérangeante mais parfaitement gérable pour le mannequin expérimenté. Moins pour sa partenaire qu'il sentit frémir lorsque vint les shoots en face à face. Sighbury mettait un point d'honneur à la noyer dans son silence, à la laisser se trahir elle-même sans avoir à lui couler la tête sous l'eau. Et quand il réalisa qu'Emery se débrouillait toujours aussi bien au jeu de la grande comédie, il décida de la pousser dans ses retranchements en guise de douce vengeance. « Me permettez-vous quelques libertés ? » « Faîtes Carmine, faites ! » L'anglais invita Emery à tourner le dos à la l'objectif. Positionnés de trois-quart, ils offraient l'angle parfait pour un baiser simulé, lui passant sa main dans les cheveux blonds afin d'exposer sa montre, elle qui n'avait plus qu'à attraper son avant bras afin de faire rentrer la sienne dans le cadre. À cette distance, il suffisait de murmurer pour se faire entendre de l'autre sous les radars des bruits de flash, de cliquetis et du pianotage de l'assistante sur le clavier de son ordinateur portable. « Ne dit-on pas que tout ce qui brille attire les pies ? » Il était méprisant derrière sa rhétorique polie, preuve qu'elle l'avait bien plus déçu qu'il n'avait souhaité le laisser paraître.

Emery ❦ Carmine

« Je ne suis pas responsable si tu t’es laissé aveugler. » L'eut-elle giflé que Carmine aurait eu la même réaction. D'abord une immobilité totale, synonyme de stupéfaction face à tant de culot, puis un subtil pincement de lèvres, révélateur d'une contrariété maîtrisée. Tandis qu'elle posait sa joue contre son épaule, le mannequin plongea son visage dans la chevelure qu'Emery. Habile stratagème destiné à cacher sa frustration. « Excuse ma crédulité. » Siffla-t-il à son oreille, d'une voix aussi sucrée qu'elle n'était sarcastique. Soudain, la sonnerie d'un téléphone les sortit de cet échange venimeux. Sighubury releva la tête et tourna le visage en direction des objectifs. Le directeur de casting décrocha tout en décrétant la pause. Autour d'eux, l'équipe technique quitta son poste. Certains de ses membres se dirigèrent vers la buvette, d'autres sortirent leur téléphone afin de consulter leurs messages. Des bruits de conversations s'élevèrent bientôt de toutes parts. « J’imagine que ta préférence se portera sur une autre partenaire. »  « M'en tiendras-tu pour responsable ? » Carmine était aussi poli que mordant. Il la renvoyait à sa propre hypocrisie en affichant un sourire mielleux, tout sauf sincère.

Décidant de snober Emery, l'anglais quitta le podium et se dirigea vers la table sur laquelle étaient rangées les montres. Se retrouver seul lui permit de réaliser à quel point le toupet de la blonde l'avait agacé. Sighbury détestait par-dessus tout les profiteurs. Il en avait trop connu. Lui qui avait donné sans compter et dont les intentions avaient été si bienveillantes envers la blonde voyait revenir à la surface de ses longues années d'expériences dans le milieu de la mode toutes les déceptions que les fréquentations d'intérêts dissimulés lui avaient apportées et dont Dawson était la plus cuisante car celle qu'il avait le moins vu venir. Avant qu'elle ne le poignarde dans dos, Carmine se pensait avisé. Depuis, il avait tout simplement fait le choix de ne plus accorder sa confiance pleine et entière. Emery avait brisé quelque chose de précieux en prenant son amitié et son affection pour quantités négligeables. Aussi le fait qu'elle ne chercha même pas à s'en excuser lui donna une idée à la hauteur de la perfidie dont elle avait fait preuve vis à vis de sa famille ... L'air de rien, il plaça l'une des montres dans la poche de son pantalon.

Après l'appel, la séance photo reprit. Le directeur, très inspiré par ce qu'il appela " L'alchimie de couple " que dégageait leur duo, demanda à ce que d'autres angles soient exploités. La partie la plus pénible fut bien évidemment le moment où il avait fallu rire et feindre la bonne humeur pour immortaliser des moments de joie. « PAR-FAIT ! » S'exclama le chef d'orchestre après plus d'une vingtaine de minutes. « Qu'en dîtes-vous, Carmine ? » L'anglais mit un point d'honneur à ne pas croiser le regard de Dawson. Il était décidé à la laisser se ronger le sang dans la plus grande des incertitudes tandis qu'il quittait à nouveau le podium afin de rejoindre le directeur de casting prés de l'écran sur lequel le photographe faisait défiler le résultat de leur séance. À la demande du mannequin, les deux hommes s'isolèrent derrière les rangées de cintres destinés aux effets personnels des participants. Durant leur tête à tête à l'abris des regards et des oreilles trop curieuses, Carmine se montra comme toujours délicieux. Il donna son avis sur la pertinence de certains scripts et approuva, au plus grand bonheur de son interlocuteur, le choix d'Emery.

Ils revinrent sereinement auprès des autres auxquels la nouvelle fut annoncée : ils en avaient terminé pour aujourd'hui. L'équipe commença alors à ranger le studio tandis que le directeur s'approchait de la blonde, Carmine sur ses talons. « Ce sera une campagne magnifique, je le vois d'ici ! » Affirma-t-il en mimant un effet de cadre entre ses pouces et ses indexes qu'il brandit dans les airs. « Carmine m'a dit le plus grand bien de vous, Mademoiselle. Du sang neuf, un visage peu connu, c'est l'occasion rêvée pour se faire un nom chez Rolex. » Sighbury souriait poliment, réservant à Emery son visage le plus courtois. Il s'amusait intérieurement de la savoir déstabilisée par son attitude et son soutien pour le moins inattendu.

Pour conclure. L'assistante donna sa carte de visite à Dawson et récupéra celle de l'agent de Carmine qu'il tendit par réflexe dès qu'elle sembla vouloir aborder les détails barbant des petites lignes de fin de page. Enfin vint l'heure de quitter le plateau. Une file se forma devant la porte de sortie. Il était habituel que des fouilles soient effectuées sur les personnes présentes lors des shootings, spécialement lorsque la valeur des marchandises se comptait en centaines de milliers de dollars. Le directeur se confondit en excuses auprès de l'anglais qui leva une main en signe d'acceptation. « Les protocoles sont ce qu'ils sont, ne vous inquiétez pas, je n'ai rien à cacher. » Dit-il sur le ton de la plaisanterie tout en s'effaçant galamment pour laisser à Emery sa place dans la queue. « Sac à main, s'il vous plait. » Demanda l'agent de sécurité. Lorsqu'elle ouvrit son sac, l'employé fronça les sourcils. La montre dérobée plus tôt par Carmine se trouvait au milieu des effets personnel de Dawson. Durant un laps de temps suffisamment long pour attirer l'attention du personnel intrigué que la file n'avance plus, le garde retint Emery, l'oreille collée à son talkie-walkie. Il finit par avoir confirmation du chef accessoiriste : il manquait bel et bien une montre en or rose. « Cette montre ne vous appartient pas, Mademoiselle. » Déclara-t-il, professionnel.

Sighbury s'efforça de gommer de ses traits toute expression de satisfaction tandis que, peu à peu, les regards convergeaient en direction de la blonde. Des murmures commencèrent à s'élever dans les rangs. Carmine ne l'avait peut-être pas vu entrer dans la salle, mais il l'avait suivie du regard lorsqu'elle avait déposé ses affaires ... Il profita d'être derrière elle pour souffler un « Aveuglante ... » narquois avant de froncer les sourcils et de se reculer, comme s'il avait eu peur qu'Emery ne soit contagieuse. Les voleurs, personne n'aimait ça dans les hautes sphères. Ne pas payer pour un objet dont le but était de valoir cher à des fins purement ostentatoires était le plus grand des affronts, la pire des malhonnêtetés. Prétendre être l'un des leurs sans en avoir les moyens, quel toupet ! L'air déçu et courroucé de l'anglais laissait deviner qu'il tirait intérieurement les mêmes conclusions que les autres : Dawson était venue rafler le contrat, mais aussi de quoi se faire une petite avance sur salaire. Quel manque de classe ... « Vous me voyez confus. » Avoua-t-il au directeur, feintant un désarroi des plus convaincants. « Jamais je n'aurais cru que ... » Une grimace de dégoût termina sa phrase. Emery n'avait plus qu'à tenter de faire croire à qui voudrait bien l'écouter qu'elle n'avait rien volé du tout. On venait de la prendre la montre dans le sac ! Ce contrôle préventif lui éviterait de finir en prison mais pas d'être back-listée.

Emery ❦ Carmine

Un sentiment de satisfaction non négligeable s'empara de Carmine à la vue de l'air décomposé d'Emery. Tel un pansement que l'on dérobe, l'anglais arrachait à Dawson la joie qu'elle avait ressenti de se savoir choisie pour en recouvrir ses plaies jamais cicatrisées. La partie de lui blessée par le comportement de la blonde quelques années auparavant trouva dans ce spectacle et les trémolos de sa voix chevrotante la part de consolation dont elle avait besoin pour guérir tant et si bien que, lorsqu'Emery se tourna vers lui, Carmine hésita à lui venir en aide.

Détruire les perspectives d'avenir de la jeune femme au sein de la marque n'apporterait rien au roi Sighbury. Dawson n'était ni un danger, ni un challenge. À aucun moment sa présence au sein du casting n'allait changer quoique ce soit pour lui à qui tout réussissait, mais la seule idée de partager l'affiche avec elle le chiffonnait. Carmine ne souhaitait plus que son image soit associée à celle de la blonde. Il refusait de participer sciemment à la prise de photos qui témoigneraient pour les années à venir de leur rapprochement, même si ce dernier n'était que le fantôme embelli de ce que fut à une époque la relation sincère qu'il avait pensé entretenir avec elle. Ce que Carmine ne voulait pas, en réalité, c'était de se donner matière à ne jamais tourner la page alors qu'il touchait ici du doigt une douce vengeance capable d'apaiser sa rancœur et de reléguer Emery au rang de petite idiote punie pour ses bêtises ... Alors il fit le choix de la laisser couleur à pic : « Tu me déçois beaucoup, Emery. »

Ce fut comme si la réaction de Carmine valait jugement devant la loi. Instantanément, il devint évident dans l'assistance que Dawson était coupable, quand bien même son argumentaire tenait parfaitement la route. Superbe, Sighbury passa devant la blonde la tête haute, l'air dédaigneux. S'il pouvait se targuer d'avoir plus d'expérience qu'elle en matière de mannequinat, l'anglais pouvait également tristement se prévaloir de compter au compteur de son existence plus de déceptions et de coups bas que bon nombre de leurs semblables aux carrières éphéméres. Tenir dans la durée était un exercice complexe et fastidieux requérant à la fois savoir-être et savoir-faire. Ce jour là, Carmine avait choisi d'agir et les moyens employés pour apprendre à Emery les leçons de ses ambitions d'arriviste étaient à l'image du monde au sein duquel elle prétendait percer par tous les moyens.

Manipuler les puissants est un jeu dangereux. Aucun souverain n'aime être pris pour un idiot. Plus tard dans la soirée, Carmine repensa à cet épisode atypique, se demandant s'il aurait mieux fait d'attendre la blonde à la sortie afin de la tourmenter d'avantage ou de lui laisser une chance de s'excuser, histoire de remettre les compteurs à zéro. Finalement, il s'était contenter d'apprécier ce qu'il y avait de positif dans cette histoire : Il venait de décrocher un contrat avec l'une de ses marques préférées et pouvait désormais justifier à ses parents la nécessité de rester en Australie quelques semaines de plus. De quoi profiter de sa sœur et de son cousin entre deux shooting photos ; un rythme à la parfaite mesure du train de vie qu'il appréciait mener.