De nature altruiste et empathique, Greta avait bien du mal ces jours-ci à accorder du temps à ses amis à cause d’un projet dont la date limite approchait à grands pas. La blonde était toujours présente pour les gens qui comptaient et encore plus en prenant conscience de leur importance. A son arrivée à Brisbane, c’était Swann qui l’avait accueillie mais le monde s’était avéré bien plus petit qu’elle ne l’aurait imaginé puisqu’elle avait retrouvé Maze et Emery, des connaissances de Londres également. Cette dernière était torturée et Greta avait du la consoler un nombre incalculable de fois et c’était paradoxalement ces moments tragiques qui étaient venus terminer de nouer les liens entre les deux filles. Alors, quand au milieu de cette frénésie dans laquelle elle s’était plongée pour terminer la biographie de Rhett dans les temps, Greta s’était enfin accordée une pause, un message était venu la faire se lever de sa chaise. Elle n’avait pas le temps, mais pour Emery, elle le prendrait évidemment, bien incapable de laisser celle qu’elle considérait presque comme sa petite soeur seule quand elle avait pris l’habitude de venir se réfugier chez elle quand elle n’allait pas bien. Selon les dires d’Emery, Greta aurait du être au courant et le problème concernait visiblement Carmine alors son ventre était venu se nouer alors que la nervosité l’avait gagnée rapidement. Son grand frère venait à peine de revenir, lui-même tiraillé par des problèmes avec leurs parents et voir ces deux-là s’attirer de nouveaux ennuis était très loin de la rassurer.

En ouvrant la porte, Greta était tombée nez à nez avec une Emery apprêtée et dont la prestance n’était gâchée que par cette mine affreusement triste. A bien y songer, il semblait que celle-ci ne passe la porte du loft que dans cet état, mais l’écrivaine ne voyait aucun problème à passer plus de temps avec la jeune mannequin quand elle allait mal que quand elle allait bien. Elle se contentait d’être un soutien pour elle, ayant rayé ses doutes du passé quand à sa sincérité depuis son arrivée dans la ville australienne. « Hey. » avait-elle dit en trouvant son chemin sans problème chez Greta. « Je sais pas quoi faire G. J’ai besoin de ton aide. » Pour le moment, le discours ressemblait assez à ceux dont la jeune femme avait l’habitude, pourtant, quelque chose semblait différent. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Emery lui avait demandé de préciser si Carmine était présent, et plus les indices prenaient forme dans son esprit plus Greta s’inquiétait, mimant son amie et croisant elle aussi les bras sur la poitrine.  « Ça a un lien avec le casting, j’imagine ? » avait-elle poursuivi en regardant nerveusement son téléphone. Son frère demeurait aux abonnés absents. Était-il envisageable qu’Emery ait été au même casting que Carmine ? La carrière de ce dernier n’était plus à faire et selon la première conversation qu’ils avaient eu à son retour, il semblait décidé à mettre le mannequinat et le monde de la mode de côté alors les raisons de sa présence là-bas étaient bien différentes de celles d’Emery. « Parce que Carmine vient très certainement de détruire ma carrière. »  Greta avait dû s'asseoir dans son immense canapé face à cette annonce.  « Hin ? Carmine ne ferait jamais ça, je comprends pas ? » Parce que son grand frère lui aussi appréciait la jeune femme à moins qu’un détail ne lui échappe. Et parce que Carmine n’était pas du genre à créer de scandales mais plutôt à les éviter avec classe. Greta en avait conscience, à la seconde où elle avait ouvert la porte elle s’était retrouvée sans le vouloir dans une position extrêmement difficile et le visage décomposé d’Emery ne présageait rien de bon. Une Emery qui avait finalement fondu en larmes, un désespoir notable et qui laissait penser que la situation était bien plus grave que toutes celles où Greta avait dû intervenir.

La voir arriver ici parce qu’elle avait des problèmes n’était pas nouveau et cela l’amusait plus que ça ne la dérangeait parce que Greta avait toujours du mal a imaginer être de bons conseils et représenter une figure rassurante pour la jeune Emery. Pourtant, le duo fonctionnait depuis leurs retrouvailles à Brisbane, bien plus que lorsqu’elles étaient à Londres. Mais la voir arriver ici pour se plaindre de Carmine etait quelque chose d’inédit. Greta était habituée aux cils qui battaient et aux sourires crispés des femmes - et aux hommes meme si eux traduisaient leur intérêt différemment la plupart du temps - quand ils se retrouvaient face à son grand frère et Emery n’avait jamais dérogé à la règle. La jeune femme avait toujours essayé de garder la tête haute et une certaine confiance en elle mais il etait clair que son attitude changeait lorsqu’il rentrait dans la pièce. La petite sœur avait toujours trouvé amusant de voir les gens se comporter avec Carmine, comme des abeilles papillonnant autour d’une ruche. Le comportement d’Emery l’avait dérangé par le passé mais aujourd’hui, Greta avait plus de recul et s’était convaincue qu’elle agissait comme n’importe quelle adolescente devant un homme beau et célèbre.

« A moi… si… »  Greta avait déjà vu ses pires facettes, la récupérant après avoir consommé de la drogue ou dans une colère noire suite à un casting raté. La blonde gérait les soucis de drogue parce que l’élite londonienne - et Arthur - lui avaient appris comment consommer correctement, sans que personne ne s’en rende compte et sans que les excès ne permettent plus de rentrer dans le moule d’une société parfaite. Quant à la colère, elle passait en général bien plus vite que les effets de la drague. La fragilité d’Emery était notoire mais elle savait si bien la cacher que ses sanglots lui avaient déchiré le cœur et l’avait amenée à s’installer à ses côtés dans le canapé et à la prendre instinctivement dans ses bras. « C’était Rolex, le casting. » avait-elle commencé après avoir réussi à se ressaisir. « Je savais pas que Carmine y serait. Mais j’ai obtenu le contrat. Il a… il m’a recommandée. » Pour l’instant, le récit semblait cohérent et Greta avait levé un sourcil se demandant comment ils étaient passés d’une recommandation à une trahison. « J’y comptais pas. Il… on s’est pas quittés en bons termes du tout. Je pensais qu’il était juste professionnel. Mais devine quoi. »  Son visage fermé était venu répondre à cette question rhétorique, elle n’avait aucune idée de ce qu’il s’était passé et craignait même la réponse. « Ils ont retrouvé une des montres dans mon sac. Délicate attention de Carmine. Il l’a subtilement admis. Tu sais ce que ça veut dire, G ? Tu sais pour quoi ça me fait passer ? Elle devait coûter plusieurs milliers de dollars, si ce n’est des dizaines de milliers de dollars. » Asshole. Il était rare pour elle de ressentir autre chose que de l’émerveillement et de l’amour envers son grand frère mais après l’annonce d’Emery, sa déception était grande et la liste de noms d’oiseaux qui lui venaient à l’esprit encore plus. « Il voulait juste se venger. » « Mais quel abruti … » Si cela sortait d’ici, la leçon de morale de l’aîné serait terrible mais quelque chose lui laissait dire que ses paroles ne seraient pas rapportées. « Il aurait dû prévenir si l’une des raisons de son retour était de se venger de toi… J’hallucine. » Déçue et furieuse à l’idée que son propre frère soit à l’origine des larmes de leur amie commune, Greta croisait à présent les bras, enfoncée dans le canapé. « Comment il a repris contact avec toi ? » Son numéro de téléphone, ses réseaux ? Carmine aurait-il réellement noté sur la to do list qui accompagnait son retour de ruiner la carrière d’Emery Dawson ? « Je peux arranger ça, Em’, tu le sais. Mais pour ça faut que tu me fasses confiance et que tu ne refuses pas mon aide comme d’habitude. » Le regard humide de son amie s’était posé sur elle et elle avait poursuivi. « Carmine a des contacts mais moi aussi, mes parents encore plus. » Emery commençait déjà à se relever pour la stopper et vociférer toute une liste de raisons pour lesquelles c’était une mauvaise idée. « Un appel de mes parents pour dire qu’une candidate jalouse t’as tendu un piège et Rolex blanchira ton nom sans poser de question. On ne nommera personne, Carmine n’en saura rien. Ce sera notre secret. » Loin d’elle l’idée de détruire la carrière d’une autre mannequin pour sauver Emery, elle savait de toute façon pertinemment que la seule voix d’Allister au bout du combiné suffirait à « Mais pourquoi il voudrait se venger ? » Parce qu’elle comprenait ses larmes, elle comprenait le chemin à emprunter pour sortir Emery de cette impasse mais ce qu’elle n’arrivait pas à saisir était la raison de cette animosité.

Emery avait passé le pas de la porte en se passant de tous les filtres qu’elle pouvait parfois arborer, prenant même le risque de se confier à la cadette de celui qui venait de lui causer du tort. La jeune femme connaissait la relation privilégiée des deux Sighbury et Greta en était convaincue, si elle prenait un tel risque en venant vers elle, c’étai qu’elle n’avait pas d’autres issues. Emery aurait pu se confier à ses autres amis, pourtant c’était encore une fois chez elle qu’elle avait pointé le bout de son nez dans un état bien plus déplorable qu’à l’accoutumée. Le récit avait suivi sans que Greta n’ait à la questionner comme à son habitude. « Je pense pas… il savait pas que j’étais là. C’était… du hasard. » « Oh, je pensais qu’il t’avait recommandé avant le casting, pas le jour J. »  avait-elle simplement répondu, de manière anecdotique, cherchant de suivre le fil de paroles d’Emery. Le hasard était parfois cruel, à l’en croire la situation dans laquelle elle se trouvait actuellement. « Je le connais par coeur mais ce côté machiavélique m’avait visiblement échappé »  Carmine avait une gueule d’ange et il était peut-être l’une des rares personnes à ne pas utiliser le privilège de son physique et de sa notoriété pour arriver à ses fins. Pourtant, l’action que décrivait une Emery détruire parlait pour elle-même, la notoriété du garçon lui avait servi à arriver à une sorte de vengeance mal placée. « On n’est plus en contact. » Greta avait hoché la tête, réfléchissant à ses derniers échanges avec Carmine, essayant de savoir si elle avait évoqué son amitié grandissante avec la jeune femme depuis son arrivée. Peut-être qu’il n’en savait rien, mais cela ne rendait pas son comportement excusable. « J’ai besoin de ton aide. » Ces mots avaient amené un sourire sur le visage d’une Greta qui se félicitait d’avoir réussi à atteindre ce moment où Emery n’aurait plus peur de demander de l’aide. « Je veux juste pas que ça me retombe dessus. » Alors Greta avait attendu un temps avant de prendre son téléphone, écoutant les craintes de la mannequin. « T’es sûre qu’il ne saura rien ? Et si c’était le cas ? S’il recommençait ? » L’écrivaine commençait à sentir un brin de culpabilité, comme si elle avait été à l’origine de la rencontre entre Carmine et Emery. C’était plutôt l’inverse, Greta toujours au centre des différentes soirées organisées par son aîné, tentant de juger qui valait la peine ou non.

Puis les explications que l’écrivaine avait demandées étaient arrivées, la faisant renoncer totalement à son téléphone qu’elle avait posé à côté d’elle. « Quand j’ai quitté Londres… j’ai pas prévenu. Ou dit au revoir. Ou gardé contact. »  A cette annonce, Greta avait arqué un sourcil, se refusant à tirer des conclusions trop hâtives sur des mots prononcés rapidement, au milieu de deux sanglots. Il était difficile pour elle d’entendre Emery dire tout haut ses craintes passées, quand voir la blonde bourdonner autour de Carmine lui avait laissé penser que ses intentions n’étaient pas louables, alors, elle avait ignoré, préférant garder l’image d’une petite sœur en détresse. « Je regrette vraiment. Je pensais que partir serait le plus juste pour lui. » Son sourire était revenu, ce même regard rempli de tendresse en écoutant parler celle qui aurait eu sa place sans soucis dans la famille Sighbury, petite blonde au charisme évident. Greta était rassurée, Emery avait joué un temps de son amitié avec Carmine mais s’était éloignée de lui en comprenant que son comportement dépassait les limites - elle en avait été consciente et ce simple détail suffisait à la séparer de tous les autres vautours. « T’étais jeune, t’es entrée dans sa vie et je peux comprendre que ça t’a laissée envieuse. Ne t’en veux pas, Carmine a connu bien pire… » Parce que la cadette n’avait finalement aucune idée de l’entière vérité, de ce qu’Emery avait bien pu lui cacher d’autre et elle n’avait pas envie de creuser plus, loin de pouvoir supporter une enième déception. « Pour l’instant je vais juste retenir que t’as besoin de moi et je vais arranger ça. » Et elle s’était levée, sans attendre un mot de plus d’Emery et avait appelé en Angleterre - sans s'inquiéter de l'heure qu'il pouvait bien être de l'autre côté du globe.

« C’est moi… oui je sais, j’appelle pas assez souvent. Oui Carmine va bien… » Greta avait lancé un regard à Emery en levant les yeux exagèrement au ciel, agacée que les premiers mots de ses parents soient toujours pour son aîné. « Ecoute je suis avec une amie et j’ai besoin d’un service… Tu peux appeler ton contact chez Rolex et dire que tu as entendu parler d’un coup monté contre une mannequin ? » Les regards s’échangeaient entre une Greta qui se serait bien passé d’un appel à ses parents et une Emery extrêmement nerveuse. « Emery Dawson. Oui Dawson… Je t’expliquerais plus en détail mais je compte sur toi. Et ne dis rien à Carmine… non, s’il te plait, c’est important, s’il le sait je le saurais et je te jure que je donnerais plus de nouvelles. » Emery se liquéfiait sur le canapé et Greta se voulait rassurante même si elle ne croyait pas totalement au silence de sa mère, c’était la seule solution. « Merci maman, tiens moi au courant et embrasse papa. »

Greta avait posé son téléphone et avais repris place à  côté de son amie. « Ca va aller, elle m’envoie un message quand c’est fait. » Le regard d’Emery était clair, les bribes de discussions qu’elle avait entendu ne l’aidait pas à croire aux paroles de Greta. « Et même s’il l’apprend, je te jure que s’il te recontacte à ce propos on aura notre toute première dispute. » Et la fratrie Sighbury avait connu trop peu de discordes pour que cela ne soit pas un argument valide.

La question l’avait fait réfléchir un temps. Les choses se faisaient naturellement entre le frère et la sœur et Greta n’avait jamais réalisé que cela n’était pas la norme sans toutes les familles. Mais après tout, à propos de quoi auraient-ils pu tellement se disputer ? Carmine avait la lumière, Greta se contentait de l’ombre, l’équilibre était parfait et c’était surtout ce sentiment d’avoir un pilier dans le monde impitoyable de la mode qui les nouait si solidement. « Je crois que j’ai toujours eu trop besoin de lui pour me disputer avec. On a eu des désaccords mais tu imagines un peu Carmine hausser le ton toi ? » Et elles avaient éclaté de rire apres quelques secondes prises à imaginer le dandy employer des mots qui auraient laissé son élégance sur le tapis. Greta était loin d’avoir pour habitude de dénigrer son frère, et elle était encore ici loin de le faire, mais cette petite pique à l’aînée permettait de détendre une Emery bien trop abattue. La blonde le détestait de lui avoir fait tant de mal, le détestait de lui avoir donné, pour la toute première fois, une raison de le faire. « Merci. » Leurs sourires étaient tristes mais sincères et Greta avait regagné le canapé.

« Merci. » avait-elle dit une seconde fois en venant se nicher contre elle. « Vous vous êtes jamais disputés ? Enfin, j’ai pas de frère ou de sœur… pas que je sache, du moins. Mais j’ai entendu que c’est habituel dans une fratrie de se disputer tout le temps. » Greta avait évoqué la façon dont leur première dispute aurait lieu si Carmine s’hasardait à faire souffrir la jeune mannequin à nouveau alors la question était légitime. Greta repensait à leurs années à Londres, il y avait été son seul pilier, la seule personne qui le comprenait. En plus de cela, Carmine était si conscient de sa personne et de ce l’image qu’il devait renvoyer qu’il bénéficiait d’un self-control à toute épreuve et ne s’emportait jamais. « On a eu des désaccords, mais rien que je puisse vraiment qualifier de dispute. C’est pour ça que je suis si déçue. » Elle était peut-être aussi triste qu’Emery parce que leurs deux mondes s’écroulaient en même temps, Rolex et le contrat idéal pour Emery, Carmine le frère prodige et la personne qu’elle aimait le plus au monde pour Greta. « Je sais même pas comment te remercier. Tu veux m’endetter à vie ? » Pointant l’index sur sa lèvre supérieure pour faire mine de réfléchir, soulignant l’idée qu’elle n’attendait rien en retour, Greta avait trouvé une réponse qui saurait changer les idées d’Emery. « J’attends toujours que tu me présentes ce fameux coloc. »  avait-elle répondu sur le ton de la plaisanterie, son esprit se hasardant à flâner ailleurs qu’auprès de cette relation avortée avec Lucas. Emery avait secoué doucement la tête d’après la sensation sur l’épaule de Greta alors elle avait ri avant de poursuivre. « Tu me dois rien, je suis là pour toi, toujours. »  La main qu’elle avait passée dans les cheveux de la tête blonde posée sur son épaule était presque maternelle. « Et puis je te cache pas que le sujet va forcément resurgir. Carmine vit ici, j’aurais du mal à faire semblant que tout va bien alors que je lui en veux. »  Emery s’était redressée et son regard l’avait transpercée, plus vulnérable et perdue que jamais. Il y avait des choses que Greta ne savait pas, un passé qui liait le trio empli de non-dits mais la négativité qui régnait dans sa vie était trop importante pour qu’elle creuse et ne se contente pas de rassurer et d’aider. « T’aurais eu ta place, chez les Sighbury, Em. »  Une petite sœur à protéger de ce monde bien trop dangereux.