« J’ai envie d’une pomme d’amour, ça te dit ? » Alors qu’ils viennent de quitter le palais du rire, Kieran anticipe la question d’Autumn ; celle qu’elle lui pose depuis sa sortie de l’hôpital à chaque fois qu’ils passent du temps ensemble. T’as envie de quoi ? Si le dessinateur apprécie la sollicitude de la jeune femme, le fait est que bien souvent il n’a aucune idée de la réponse. Ou plutôt, de la réponse adéquate. De celle qui l’empêcherait de paniquer, alors que Kieran est bien conscient d’être responsable de l’air soucieux qu’elle lui adresse depuis plusieurs semaines, alors que ses interrogations cherchent surtout à déterminer les raisons pour lesquelles il a fini dans le même service qu’elle quelques années plus tôt. Il est resté évasif, évoquant un jour un accident, le suivant un geste qu’il n’a lui-même compris, pour finir par avouer qu’il a peur de lui-même avant de lui assurer que tout ceci relève d’un malentendu. Il sait qu’il ne dupe probablement plus personne et ce n’est pas tant ce qu’il recherche que le simple fait d’éviter des questions auxquelles il n’a lui-même pas les réponses. Alors lorsqu’Autumn lui a proposé une fois encore de sortir de son appartement pour lui changer les idées, il a cette fois-ci accepté pour ne pas lui causer plus de soucis – et parce qu’il en a envie, aussi. Il a envie d’être avec elle plus qu’il n’a réellement envie de se confronter au monde extérieur, mais dans un cas comme dans l’autre il s’agit d’un désir qu’il se garde bien de partager pour ne pas qu’il interroge plus que nécessaire. Il ne veut pas envoyer les mauvais signaux à Autumn alors qu’il ne sait lui-même pas ceux qu’il envoie actuellement, partagé entre l’envie de l’avoir à ses côtés autant que de la repousser pour ne pas être un fardeau alors qu’elle semble enfin sur le chemin de l’épanouissement. Alors Kieran ne répond pas par l’affirmative à chaque proposition, mais lorsqu’il le fait, il n’arrive pas à se raisonner et à tenter de maintenir des distances qu’ils ont de toute façon rompues il y a quelques semaines, en Indonésie. Il entend encore les mots de Raphael qui ne cessent de lui répéter qu’il ne sait pas ce qu’il veut ; et c’est vrai. Il ne sait pas ce qu’il veut, parce qu’il ne sait pas ce qui est bon pour lui et c’est là-aussi l’une des raisons pour laquelle il tente parfois d’anticiper les questions d’Autumn pour ne pas avoir à se confronter à une réflexion pour laquelle il n’est pas prêt. La fête foraine, c’est un cadre rassurant, un de ceux où il peut aisément changer de conversation s’il perd la maîtrise de celle-ci, où il y a mille choses pour attirer leur attention plutôt que de s’épancher sur les raisons de leur rapprochement, où il n’aura pas de peine à se forcer quant au fait qu’il semble apprécier sa journée – il les apprécie toujours quand elles se déroulent en compagnie d’Autumn, mais il est parfois plus difficile de l’exprimer.

Quand sa proposition est acceptée, il esquisse un sourire timide, mais qui se veut sincère. Une démonstration d’affection comme elles sont d’ordinaire naturelles avec Autumn, mais qui deviennent difficiles alors que son propre esprit se bat avec lui-même. Il a des centaines de pensées qui l’assaillent quotidiennement, celles-là même qu’il a essayé de réduire au silence quelques semaines plus tôt, il passe d’une préoccupation à une autre, d’une joie qu’il ne dissimule pas à une peine qu’il n’arrive plus à contenir ; et malgré tout, il est épuisé. La présence d’Autumn n’est qu’un bref réconfort auquel il s’accroche, tout comme ses yeux s’accrochent à cette main qu’il n’ose saisir de la sienne, avant de reporter son attention sur le stand devant lequel ils finissent par arriver. « On a pas encore fait le train fantôme. » Qu’il précise en attendant leur tour et d’un pas qui avance lorsque la foule se réduit, il en profite pour se rapprocher légèrement d’elle, son épaule frôlant la sienne à défaut de s’oser l’entourer de son bras. « Ni la grande roue. » Son regard papillonne sur les stands autour d’eux, décrivant chacun de ceux qu’ils n’ont pas encore eu l’occasion de tester. « Le tir à la carabine et la pêche aux canards non plus. » Et tant d’autres ; et tous ceux qui lui permettront de rester un peu plus longtemps ici, d’être un peu plus longtemps occupé, de profiter un peu plus longtemps de sa présence, surtout.

@Autumn Galloway  

all i want to hear you say

AUTUMN GALLOWAY & @KIERAN HALSTEAD

La question te démange le bout des lèvres, mais tu la retiens. Constamment. Chaque fois que tu te retrouves avec Kieran, ou chaque fois que tu l’as au bout du fil, chaque fois que tu lui envoies un message texte. Comment tu vas? C’est si simple, et pourtant rempli de sous-entendus auquel il n’est pas capable de faire face présentement. Tu le sais, parce que tu as été là, toi aussi, il y a si longtemps il te semble, mais pas si longtemps quand tu y repenses réellement. Dans une autre vie presque, mais aussi, tu te revois encore, comme si c’était hier. Prisonnière de cette chambre aux lumières agressantes, à la fenêtre barrée, aux draps inconfortables qui te donnaient l’impression de dormir contre du papier. Tu voudrais lui demander si les draps sont encore aussi inconfortables que dans tes souvenirs. Ou si la nourriture est toujours aussi infecte. Tu voudrais lui demander s’il a vu les mêmes infirmières que toi. Ce qu’il a pensé du psychiatre traitant, si c’est le même que tu as vu quand tu as été admise il y a plusieurs années de ça maintenant. Tu voudrais qu’il t’en parle pour lui dire que tu comprends, mais la vérité, c’est que les raisons qui l’ont emmené là t’échappent encore, elles. Et tu crains que de lui rappeler que tu as été là toi aussi le ramène plutôt au moment où il est parti, faisant de cette chance de vous comprendre plutôt une autre occasion de vous faire du mal. Pour vous faire changement. Alors à défaut de parler de ce qui compte et de ce qui peut faire mal, tu remplis l’air de faits divers, d’activités en tout genre pour lui changer les idées et tu évites tout sujet pouvant être déstabilisant, même si tu en es au point de croire que ta simple existence puisse être déstabilisante pour le Halstead. Est-ce que tu as parlé de moi à ton psychiatre, Kieran? Est-ce que c’est de ma faute, si tu as voulu en finir? Est-ce que tu irais mieux, si je n’étais jamais revenue dans ta vie? Tant de questions qui demeurent sans réponse, quand celle qui franchit les lèvres de Kieran est à des années lumières de ce qui se passe présentement dans ton esprit : « J’ai envie d’une pomme d’amour, ça te dit? »

Tu redescends brutalement sur terre, prenant conscience de votre environnement à nouveau. La fête foraine qui s’agite autour de vous t’avait semblé être une bonne idée pour une sortie distrayante, mais pas trop épuisante. Kieran semble s’y plaire, quand vous enchaînez les attractions, comme si le fait d’occuper mains et esprits permettaient de laisser derrière toutes ces choses non-dites qui pourraient devenir encombrantes trop facilement. « Seulement si on partage. » que tu réponds avec un large sourire sur les lèvres, comme si c’était la chose la plus naturelle qui soit alors qu’une chose est pourtant certaine dans ta tête en ce moment : tu n’as pas la moindre idée d’où tu te situes vis-à-vis de Kieran Halstead. Chaque fois que tu penses que tu sais quelque chose, que tu as l’impression que les choses progressent comme tu le voudrais, tu te retrouves à la case départ, à te demander si vraiment, il existe encore de réelles chances entre vous deux après tout ça. Tu détestes la traînée de frissons qui t’assaillent que son épaule ne fait que frôler la tienne, quand il y a quelques semaines à peine, vos corps s’étaient retrouvés bien plus que ça. Pourtant, c’est l’effet qu’il te fait Kieran, potentiellement l’effet qu’il te fera toujours : une drogue à laquelle tu n’as jamais eu envie de résister. « On a pas encore fait le train fantôme. » Ton regard se perd sur les différentes attractions de la fête foraine. Il y en a encore plusieurs que vous n’avez pas faites, même si vous êtes ici depuis quelques heures déjà. « Ni la grande roue. Le tir à la carabine et la pêche aux canards non plus. » « Est-ce que ton but c’est de faire toutes les attractions avant de rentrer chez toi ce soir? » que tu lui demandes avec une pointe d’humour dans la voix. « Parce que je suis pas certaine qu’on va avoir le temps. » Tu hausses les épaules devant ce fait. « Peut-être qu’il faudra revenir. » Toi, vouloir toujours un peu plus de temps avec Kieran? Si peu voyons. Quand vous êtes les prochains à commander au stand de confiserie, tu demandes la fameuse pomme d’amour, et un sac de bonbons en tout genre que vous pourrez partager plus tard dans la soirée. Le soleil est en pente descendante et bientôt, les lumières des jeux et des arcades en tout genre rayonneront de partout, et peut-être bien que tu as attendu précisément ce moment pour finalement faire un tour de grande roue. « Viens, la file pour la grande roue est pas trop longue en ce moment. » Sans trop y penser – mais tout en étant complètement consciente du mouvement – tu attrapes la main de Kieran pour le tirer vers le manège, telle une gamine impatiente. « Je me souviens pas la dernière fois que j’ai fait un tour de grande roue. » que tu lui avoues, même si la confession n’est pas complètement véridique, ni anecdotique. « Je pense que c’est quand on est allé à Sea World, à Gold Coast. Avant qu’on déménage à Toowoomba. » Le sourire est parfaitement placé sur tes lèvres, le souvenir heureux, d’un temps où tout n’était pas encore compliqué entre vous et qu’une journée à faire des manèges dans un parc d’attraction n’avait rien de lourd, un temps où vous n’aviez pas de secrets l’un pour l’autre.

Il n’y a pas de manuel pour expliciter les étapes à suivre après un tel passage à l’acte, sans quoi Kieran l’aurait parcouru au plus vite pour obtenir des réponses à ses nombreuses questions. Il est pourtant celui le plus à même de posséder celles-ci compte tenu du fait que la décision a été la sienne, mais pour autant le dessinateur n’arrive pas à se projeter dans le futur. Pas celui sur le long terme, non, celui à valeur immédiate lui semble déjà bien accessible alors qu’il vit littéralement au jour le jour, tentant de se réinsérer dans une vie qu’il a pourtant voulu quitter. Kieran n’a aucune foutue idée de la bonne façon de faire, pas plus qu’il ne sait s’il a réellement envie de le faire. Sa présence à cette fête foraine laisse croire qu’il s’accroche à ce qui l’entoure, pour autant il ne ressent que peu de choses à être ici. Pas de plaisir, pas d’agacement non plus, pas plus de mélancolie qu’à l’accoutumée, aucune forme d’excitation. Bien sûr, la présence d’Autumn a quelque chose d’agréable, autant qu’elle est perturbante ; toujours est-il qu’il a l’impression d’être une coquille vide qui se contente de vivre les heures les unes après les autres dans l’espoir que le temps jusqu’à ce qu’il guérisse passe plus vite. Ou qu’il se rapproche inévitablement d’une autre finalité, qu’il saurait maîtriser cette fois-ci. Et si Kieran tente de se rassurer en prenant en compte son état général autant que la quantité d’antidépresseurs qui lui est désormais prescrite pour expliquer son manque de bonhomie, le fait est que les activités qui lui procuraient une forme de satisfaction autrefois le laissent désormais indifférent. Il pouvait passer des heures à écumer les salles d’arcade, à se goinfrer de churros juste avant de se rendre malade sur un grand huit, aujourd’hui l’énumération des stands autour de lui ne vise pas à faire la liste de ses préférences, mais seulement à empêcher Autumn de poser les questions auxquelles il ne veut pas être confronté. « Seulement si on partage. » Il fronce les sourcils, s’ose à souligner, d’une voix autoritaire : « tu m’as déjà vu partager une confiserie ? » Son régime alimentaire digne d’un adolescent a souvent été source de plaisanterie et il tente d’en faire usage aujourd’hui, alors que s’il a envie d’une pomme d’amour, le fait est que son appétit n’est pas particulièrement développé. Il veut juste s’occuper, repousser le moment où il rentrera pour retrouver le silence de son appartement et se heurter à une solitude pesante, tout en évitant les interrogations d’Autumn. « Est-ce que ton but c’est de faire toutes les attractions avant de rentrer chez toi ce soir? » - « C’est l’idée, oui. » Il reconnait sans hésitation, tentant d’afficher un sourire qui se veut convaincant. « Parce que je suis pas certaine qu’on va avoir le temps. » Probablement que nous et ce n’est pas vraiment le problème alors qu’il a surtout envie de rester ici le plus longtemps possible. Les attractions ne sont qu’un prétexte. « Peut-être qu’il faudra revenir. » - « Ce serait dommage. » Le ton de sa voix laisse présager qu’il n’est pas sérieux et que cette perspective est loin d’être contraignante. Devant le stand, il laisse la jeune femme passer commande, riant légèrement face au sac de bonbons qu’elle prévoit pour deux, alors qu’il pioche au hasard un marshmallow qui finit sa course dans sa bouche. « Viens, la file pour la grande roue est pas trop longue en ce moment. » Sa main libre est vite saisie par Autumn et il se laisse faire docilement, ne lâchant pas celle-ci même lorsqu’ils sont statiques dans cette file. « Je me souviens pas la dernière fois que j’ai fait un tour de grande roue. » Il reste silencieux alors qu’il essaie lui-même de s’en souvenir, tandis qu’elle renchérit rapidement : « Je pense que c’est quand on est allé à Sea World, à Gold Coast. Avant qu’on déménage à Toowoomba. » La mention le heurte plus qu’il ne l’aurait voulu et dans un rappel à un passé qui lui est encore douloureux, il lâche sa main pour mieux prétendre fouiller dans le sac de bonbons qu’il tient de l’autre. « Je pense que c’est la dernière fois où j’ai mis les pieds dans un parc d’attractions. » Il y a bien eu les salles d’arcade, mais ça n’a pas la même saveur, c’est certain. « Je me souviens aussi que les trois loopings à la suite, c’était pas l’idée du siècle. » Il ajoute avec un léger rire, avant que la file n’avance et que ce soit bientôt leur tour de monter dans la nacelle. Il prête sa main à Autumn dans l’hypothèse où elle aurait besoin d’un équilibre, avant de grimper à son tour et de s’asseoir. « Au moins, ici, pas de risque pour mon estomac. » Il s’amuse, avant de lui tendre le sac de bonbons et de désigner d’un regard la pomme d’amour pour un échange en bonne et due forme. « Tu sais, t’étais pas obligée de me tenir compagnie... » Il débute, un peu hésitant. Pas après tout ce qu’il s’est passé entre eux, pas après des retrouvailles douloureuses et un rapprochement interdit qui est passé sous silence depuis. « Mais je voulais te remercier de le faire. » Surtout après que, de son côté, il ait fui lorsque des difficultés du même type se sont présentées à elle. Honteux, il ne le mentionne pas, se réduisant au silence et préférant détourner le regard sur le paysage qui n’a pas grand-chose d’intéressant pour l’instant, mais qui est toujours plus plaisant que d’avoir à affronter les prunelles d’Autumn.

@Autumn Galloway

« Tu m’as déjà vu partager une confiserie? » Son air faussement autoritaire te fait rire. Vu de loin, la scène paraît incroyablement banal. Simplement un garçon et une fille au milieu d’une fête foraine, à rire comme si leur monde n’avait pas le moindre problème, à s’obstiner pour des bêtises, comme savoir si oui ou non elle aura le droit à une bouchée de sa pomme d’amour. Pendant quelques secondes, tu as envie de croire que vous êtes réellement ce garçon et cette fille, ceux sans problème, ceux sans passé. Peut-être que dans une version alternative, dans ce monde où ta santé mentale n’a jamais dégringolé et celle dans laquelle vos fiançailles n’ont jamais été annulé, vous n'êtes qu’un couple affreusement simple et affreusement heureux. Ça te fait du bien de te l’imaginer, même si c’est à des années lumières de la réalité. La réalité qui ne cesse de te rappeler que tu ne sais pas vraiment ce que tu fais là, que tu ne sais plus vraiment comment agir avec Kieran et que tu n’as pas la moindre idée des attentes qui existent désormais entre vous. « J’ai jamais eu de mal à te convaincre de partager par le passé. » Même ce qui était dit avec légèreté et humour semblait chargé de double-sens et de sous-entendu, et tu étais soulagée que les différentes attractions autour de vous fassent office de distraction. « C’est l’idée, oui. » Sa réponse te fait sourire et tu fais de ton mieux pour te perdre dans la simplicité du moment, pour ne pas te perdre dans tes pensées trop lourdes, dans tout ce qui reste encore à discuter entre vous deux, ce que vous vous efforcez de cacher dans les craques d’une fondation qui n’a pourtant rien de solide. « Ce serait dommage. » « Très dommage. » que tu réponds, faisant écho à sa réponse qui n’a pourtant rien de sérieux. Non, tu ne serais jamais contre un peu plus de temps avec lui, ça, c’est une certitude que tu n’as pas envie de remettre en question.

Et pourtant, depuis ce qui s’est passé il y a quelques mois, tu te demandes si tu es vraiment ce qu’il lui faut, la meilleure personne pour lui changer les idées, comme si tu en venais à douter de ce que tu avais réellement à lui offrir, outre votre passé tumultueux et des problèmes à n’en plus finir. Peut-être que finalement, sans trop te l’avouer, tu venais peu à peu à comprendre le besoin de préservation qui avait poussé Kieran à partir quand tu n’allais pas bien, toutes ces années passées. Mais ton cœur réfute cette possibilité, tout comme ton corps continue de chercher contact avec le sien. Sa main dans la tienne que tu ne lâches sous aucun prétexte, qu’importe si c’est peu pratique pour continuer de t’empiffrer des bonbons que tu viens d’acheter. La grande roue se dessine sous vos yeux et peut-être qu’une fois tous les deux cachés dans la nacelle, à voir la ville se dessiner sous vos yeux, il sera plus facile de faire taire tous tes doutes, tous tes questionnements. « Je pense que c’est la dernière fois que j’ai mis les pieds dans un parc d’attractions. Je me souviens aussi que les trois loopings à la suite, c’était pas l’idée du siècle. » Il rigole doucement et ton rire joint le sien. Regarde Autumn, ça n’a pas besoin d’être compliquée. Vous pouvez partager des souvenirs sans que ça ne fasse mal, pas vrai? « Au moins, ici, pas de risque pour mon estomac. » « Je peux m’occuper de la pomme d’amour aussi, si jamais t’as des doutes. » que tu renchéris de ta petite voix de gamine, la bonne excuse pour engouffrer la sucrerie toute seule. « Tu sais, t’étais pas obligée de me tenir compagnie… » Ton esprit un instant concentré sur la pomme d’amour ne l’est désormais plus, toute ton attention soudainement sur Kieran qui semble hésitant, et - malgré la proximité immédiate entre vous – un peu distant. « Mais je voulais te remercier de le faire. » « T’as pas à me remercier. Ça me fait vraiment plaisir de passer du temps avec toi. » C’est la vérité, mais ça n’efface pas ce poids dans le fond de ton ventre. Tu te râcles légèrement la gorge, peinant soudainement à rester complètement immobile. Tu voudrais que Kieran te regarde, mais peut-être que le fait que son regard ne soit pas ancré dans le tien t’aide à formuler cette question que tu gardes pour toi depuis plusieurs mois maintenant. « On a jamais vraiment pris le temps de discuter de ce qui s’est passé en Indonésie… » que tu débutes, maladroitement, t’en voulant soudainement d’avoir choisi un endroit où vous êtes prisonniers pour aborder le sujet, tout en sachant que le fait de ne pas pouvoir échapper à la conversation est exactement la raison pour laquelle tu viens de le faire toutefois. « De ce qu’on est toi et moi, ou de ce que tu attends de moi. » Ce n’est pas ce que tu veux dire, et pourtant, tu n’as pas la moindre idée de ce que tu demandes, ni même de ce que tu veux vraiment savoir. C’est qu’elle est loin, la simplicité que tu désirais tant il y a quelques instants à peine. « Enfin, je veux dire… Je suis là pour toi, peu importe hein. Mais je, je… J’me demandais ce qu’on fait. C’est tout. » Non, ce n’est pas tout, mais c’est déjà un bon début, non?

« J’ai jamais eu de mal à te convaincre de partager par le passé. » Le rire qui s’échappe d’entre ses lèvres n’est pas aussi joyeux qu’il le voudrait alors qu’il ne peut s’empêcher de songer au sens caché de cette phrase – quand bien même il paraît évident qu’Autumn ne pense pas à mal. Ce n’est pas elle, c’est lui ; vérité universelle d’aussi loin qu’il s’en souvienne et particulièrement vrai aujourd’hui alors que Kieran est accaparé par des pensées qu’il n’arrive plus à maîtriser. Celles qui pointent du doigt chacun des mots d’Autumn sont les plus difficiles à discipliner, transformant ce moment a priori léger en quelque chose de beaucoup plus pesant. Mais ce traitement n’est pas exclusif à la jeune femme et Kieran n’arrive pas encore à orienter son quotidien de façon à ce que celui-ci soit plus doux. Chaque moment agréable se transforme rapidement en épreuve et cette sortie n’est qu’une preuve supplémentaire de son incapacité à vivre les choses avec légèreté, pas alors qu’il est encore enseveli sous le poids de sa désolation. Pourtant, la présence d’Autumn est appréciée, si l’on fait abstraction des non-dits qui règnent encore entre eux depuis quelques mois. Depuis leur retour d’Indonésie, depuis sa visite à l’hôpital et, surtout, depuis les mensonges qu’il continue de lui adresser sous couvert de ne pas vouloir la briser plus qu’il ne l’a déjà fait. Mais Kieran ne cherche pas pour autant à rétablir l’ordre des choses et préfère continuer de se voiler la face, se réjouissant déjà de la possibilité de passer un jour supplémentaire en compagnie de la jeune femme pour tester toutes les attractions qu’ils n’auront pas le temps d’essayer avant leur départ. « Très dommage. » Cette fois-ci son sourire est plus sincère, même si au fond de lui il sait qu’il s’agit d’une mauvaise idée. Chaque minute passée en la compagnie d’Autumn continue de lui faire miroiter un futur réjouissant à ses côtés, alors que le passé leur a prouvé le contraire.

Mais cela n’arrête pas pour autant Kieran, ni Autumn vraisemblablement, alors que celle-ci se remémore des vieux souvenirs qui sont aussi plaisants qu’ils ne sont douloureux. Parce qu’ils renvoient Kieran à la meilleure période de son existence, qui s’est très rapidement transformée en la pire. Mais alors qu’il avait fui Autumn, alors qu’il s’était persuadé que la meilleure chose à faire était de rester loin d’elle, leur rapprochement des derniers mois lui fait croire que tout a changé, et qu’il peut décemment se permettre de croire à une fin heureuse, de celle qu’il a toujours souhaitée. Une vie où les souvenirs entourant les parcs d’attractions ne seraient alors que joyeux, sans qu’aucune ombre ne plane sur eux. « Je peux m’occuper de la pomme d’amour aussi, si jamais t’as des doutes. » - « Je serais un monstre de te le refuser. » Il soupire exagérément en lui tendant la friandise, néanmoins soulagé à l’idée de ne pas avoir à trouver une excuse pour justifier de son estomac noué. Car la vérité est que rien de tout ceci n’est réellement naturel, quand bien même il l’espère. Kieran n’est jamais totalement détendu, pris au piège entre des souvenirs et des fautes, et désormais l’obligation qu’Autumn semble ressentir à son égard. « T’as pas à me remercier. Ça me fait vraiment plaisir de passer du temps avec toi. » Il aimerait croire en sa sincérité, mais malgré tout Kieran a senti que l’attitude des autres à son égard a changé depuis son geste désespéré ; et Autumn ne fait pas exception à la règle même si elle ne semble en effet pas dérangée par la perspective de lui consacrer des journées entières. « On a jamais vraiment pris le temps de discuter de ce qui s’est passé en Indonésie… » Ce n’est pas le genre de sujet qu’il espérait aborder maintenant qu’il est pris au piège de cette nacelle, d’autant qu’il imagine sans peine où veut en venir la jeune femme, à poser des questions dont il n’a pas les réponses. « De ce qu’on est toi et moi, ou de ce que tu attends de moi. » Comment lui dire qu’il n’y a jamais vraiment réfléchi ou, plutôt, qu’il n’a pas envie d’y réfléchir ? « Enfin, je veux dire… Je suis là pour toi, peu importe hein. Mais je, je… J’me demandais ce qu’on fait. C’est tout. » C’est tout ; sauf que ce n’est pas rien. Kieran a la désagréable impression de devoir songer à ses mots, de peser ceux-ci, afin de ne pas prendre le risque de heurter Autumn plus qu’il ne l’a déjà fait par le passé. « Je... j’attends rien de toi. » Qu’il débute avec hésitation, dans l’espoir de la rassurer sur ce point ; elle n’est pas garante de son bien-être, pas alors que celui-ci lui semble inaccessible. « Je veux dire, t’as pas à te sentir responsable de moi ou à devoir m’assurer que t’es là pour moi. » Il souligne dans un premier temps, n’ayant aucune envie qu’elle perçoive son existence comme une charge. « Et pour le reste... » Il débute, réfléchissant encore une fois à ses mots. « J’en sais pas plus que toi. » Il finit par avouer, avant de rapidement reprendre : « J’y ai pas vraiment réfléchi. » Kieran l’admet, bien qu’il ne soit pas à l’aise avec cette précision. « Je crois que pour une fois, j’ai juste envie de prendre les choses comme elles viennent. » Et ce n’est pas un mensonge, il omet simplement de préciser qu’il ne pense pas être en mesure de se projeter sur le long terme. Ni avec elle, ni de manière générale. « Et je sais que j’aime moi aussi passer du temps avec toi. » Il s’agit là d’une certitude, qui se lie difficilement avec une autre ; et le fait qu’il n’arrive pas à se positionner quant au statut de leur relation.

@Autumn Galloway

« Je serais un monstre de te le refuser. » Tu es comme une gamine à qui l’on vient d’offrir une sucrerie (c’est presque ça) lorsque tu reprends la pomme d’amour et viens en prendre une bouchée avant de venir t’installer dans la nacelle, tes genoux cognant contre ceux de Kieran. Bientôt, vous serez assez haut pour avoir un aperçu panoramique de la ville, et peut-être que c’est ce sentiment d’être au-dessus de tout qui te donne enfin le courage d’aborder la question de ce que vous êtes, de ce qui se cache derrière chaque rapprochement qui a eu lieu entre vous deux depuis votre voyage en Indonésie. L’espoir plus fort que jamais que c’est ce soir, avec Brisbane illuminé sous vos yeux que reprend cette histoire à laquelle tu ressens le besoin de changer la fin. « Je… j’attends rien de toi. » Oh. Le sourire maladroit sur ton visage disparaît aussitôt et tu as soudainement l’impression que l’air à respirer disponible dans la nacelle vient de chuter de moitié tant ta poitrine se serre à l’instant. Des mois que ton esprit fabule, qu’il se perd dans les plus beaux et les plus grands scénarios, qu’il s’imagine le renouveau de ce que vous aviez été autrefois, Kieran et toi, et voilà qu’une fois encore, tu as l’impression de tomber tête première dans une dose de réalité que tu n’avais pourtant pas su prédire. Il y avait eu son hospitalisation il y a quelques semaines, ombre de noirceur sur un tableau que tu t’efforçais de peindre de toutes les couleurs les plus vives qui soient, et puis il y avait maintenant. L’hésitation dans sa voix, son regard fuyant, la réalisation que tes pensées, que tes envies et les siennes ne s’accordaient peut-être pas tant que ça, finalement. « Je veux dire, t’as pas à te sentir responsable de moi ou à devoir m’assurer que t’es là pour moi. » « C’est pas ce que je fais. Ou du moins, c’est pas ce que je voulais dire. » Tes mots sont peut-être sortis dans un ordre décousu et maladroit, peut-être que tu lui as donné l’impression que tu l’infantilisais sans le vouloir, peut-être que tu t’y prends vraiment très mal pour tout ça. Ce n’est pas ce que tu avais imaginé, ce n’est pas ainsi que le moment devait se dérouler, ce n’est pas comme ce qui se passait dans tes dizaines de scénarios qui menaient tous inévitablement à une fin heureuse. « C’est l’impression que je te donne? Que je me sens responsable de toi? » Est-ce que tu étais soudainement trop insistante, à prendre de ses nouvelles, à t’assurer qu’il va bien? Est-ce que tu avais mal perçu les signes que tu pensais qu’il envoyait en ta direction, t’accrochant trop à lui depuis l’hiver alors qu’il aurait préféré que tu ne sois pas si présente dans son quotidien?

« Et pour le reste… J’en sais pas plus que toi. » C’est ce qu’il n’a pas encore compris Kieran, c’est que tu sais toi. Mais tu préférais ne pas aller trop vite, ne pas imposer, ne pas rien faire de travers au cas où tu te tromperais, au cas où tu aurais mal encore. Tu entends encore la voix d’Andréa qui te met en garde, et il faut que tu fermes les yeux quelques secondes pour ne pas te laisser complètement envahir par l’inconfort que cela te procure, les lèvres fermement pincées pour ne pas échapper un commentaire que tu finirais sans doute par regretter. « Je crois que pour une fois, j’ai juste envie de prendre les choses comme elles viennent. » Et c’est bien ce que vous faites depuis plusieurs mois maintenant, non? Prendre les choses comme elles viennent. Ne pas mettre d’étiquette sur ce qui se passe entre vous. Continuer de te questionner éternellement à savoir si tu as toujours le droit de lier ta main à la sienne lorsque vous vous promenez en ville, à savoir si lui aussi il a l’impression que le monde s’arrête quand tes lèvres trouvent les siennes. Ça fait des mois que tu le fais, alors qu’est-ce que quelques semaines, quelques mois de plus, si ça t’assure autant de temps que possible près de lui? « Et je sais que j’aime moi aussi passer du temps avec toi. » « Alors c’est ce qui compte, pas vrai? » Si tu le dis et que tu le répètes, peut-être que tu vas finir par y croire. « On est bien là, comme ça. » Tu insistes, tu essayes si faire de déjouer ton cerveau et ton cœur qui sont tous les deux en alerte depuis le début de cette conversation. Ton sourire est revenu sur tes lèvres, tu oses même croiser le regard de Kieran, et tu te distraits en prenant bouchée après bouchée de ta pomme d’amour parce qu’avec la bouche pleine, tu ne risques pas de faire de faux pas. Parce que comme ça, tu ne peux pas gâcher complètement le peu qu’il est encore prêt à t’offrir et c’est plus important que de tout étaler à ses pieds et de le faire fuir, pas vrai?

Tu es soulagée quand votre nacelle approche le sol à nouveau, ta respiration qui se fait plus facile maintenant que tu n’es plus enfermée dans cette petite boîte métallique. Et si tu te questionnes tout de même sur ta validité à prendre la main de Kieran, l’envie prend le dessus sur la raison quand tu viens naturellement enrouler tes doigts des siens. Tu es d’ailleurs trop concentrée sur ce simple contact que tu en oublies les gens autour, dont ceux qui marche en sens inverse dans votre direction, un corps dans lequel tu rentres en collision par accident. « Désolée, je regardais pas où j’allais. » Tu offres déjà ton sourire le plus sincère à l’homme que tu as accroché, même si ce dernier semble bien plus solide et grand que toi et que tu ne douterais pas être celle qui a le plus ressenti le choc entre vous deux. Ça aurait dû être l’histoire de quelques secondes à peine, une excuse, un léger mouvement de la tête et continuer ton chemin avec Kieran pour finir cette longue liste de choses qu’il veut faire avant de rentrer, mais malheureusement, tu reconnais le visage de l’homme qui te fait désormais face et tu te sais prisonnière avant même qu’il n’ait ouvert la bouche. Tes doigts s’accrochent avec force à ceux de Kieran. Quelles sont les chances que Mason agisse comme s’il ne te connaissait pas? Aucune? Eh merde, une fille peut bien espérer.

 « all i want to hear you say »    autumn, kieran & mason.

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Il venait de retrouver Birdie et avait passé plusieurs heures auprès de son amie. Ils avaient pu faire un tas d’attractions, tout en rigolant, mais surtout en se taquinant comme à leur habitude. Mason était parti de Brisbane du jour au lendemain sans avertir personne, et Birdie n’a pas été épargné elle aussi. Fort heureusement, elle ne lui en veut pas, et il peut reprendre le chemin de leur amitié sans craindre un retour de manivelle de sa part – simplement, elle ne l’épargne pas verbalement, voulant lui rappeler à chaque fois que son départ aurait été meilleur si il avait osé parler de ses problèmes. La mort de son père n’est pas quelque chose qu’il affectionne de parler. De sa famille aussi. C’est quelque chose qu’il préfère garder secret. Pour autant, Autumn est au courant. Il s’est laissé aller à quelques confidences – surprenantes, lors de leur retrouvaille. Et si au début la Galloway n’avait envie que d’une chose : qu’il déguerpisse, finalement elle a été le témoin direct des questions qu’elle lui posait. Ils ne se connaissent pourtant pas, si mal alors qu’ils ont étés mariés, que quelques semaines. Quelques semaines avant qu’il accepte – à regret et contrecœur, qu’ils l’annulent. Il n’y avait pourtant aucun sentiment de la part de Bradford pour qu’il ne veuille pas, rien qui puisse justifier de vouloir rester marié avec elle, mais il est contradictoire Mason, et tant que ça peut servir sa petite personne, il maintient le cap. Un divorce sonnait meilleur à ses yeux. Une annulation signifiait simplement que rien de cela n’avait existé et c’est tout là, ce qu’il n’aime pas. Retrouvant le chemin du retour, Birdie est partie d’un côté, lui de l’autre alors qu’il l’a invité à manger pour soit disant se faire pardonner – c’était les mots de la jeune femme, comme si il avait besoin de ça. Toutefois, son attention était surtout tournée sur son téléphone, et le basketteur ne regardait pas vraiment devant lui. Il n’avait encore moins reconnue la voix ni la silhouette de la Galloway. Le choc était inévitable. « Désolée, je regardais pas où j’allais. » Un bond en arrière, son téléphone qui tombe par terre, Mason grommèle en le ramassant, par chance il n’est pas cassé, il aurait demandé réparation et intérêts c’était certain. « Vous pouvez pas regar… » Et finalement, il relève son visage, instinctivement, Autumn a un moment de recul quand ils se frôlent du regard, alors que ce dernier capte la main de la jeune femme dans celle de l’inconnu. Les yeux du basketteur brillent, à cet instant même, finalement il allait rester plus longtemps que prévu dans ce lieu riche en rebondissement pour pas qu’il en profite. « Mon ex-épouse, » qu’il ne peut s’empêcher d’avouer, un sourire au coin des lèvres tout en jetant un rapide coup d’œil à l’idiot qui se tient à côté d’elle. C'était donc pour lui, qu'Autumn s'est retrouvé dans cette église le fameux soir. C'était aussi sûrement à cause de lui, qu'elle avait bu par la même occasion. « Mason Bradford. Et à qui ais-je l’honneur ? » Il demande, d‘humeur joueuse, rien ne sonnait très bon pour le duo, parce qu’en rôle de chieur, Mason ne manquait pas d’originalité. Et vu la tête de la jeune femme, elle est parfaitement consciente de l’atout du basketteur. « Si je m’attendais à ça, vous êtes venus en amoureux ? » C’est le principe même de se tenir la main, Bradford. Mais ça, lui il l’ignore complètement. Il est pas le genre de mec avec qui on pratique ce genre de chose, parce qu’il prend souvent ses jambes à son cou avant même que la personne se réveille au petit matin. Et ça l’amuse bien trop de remuer le couteau dans la plaie, faut croire. Plus encore quand ça concerne Autumn qui est souvent le genre à mordre à l’hameçon bien trop rapidement.