« Plus de traces de lui. Le portable est inaccessible et aucun mouvement sur son compte. A croire que ce type s’est volatilisé… » Connor haussa les épaules. « Je rentre, on voit ça demain. » Cade hocha de la tête pour acquiescer. C’était une bonne idée. Dormir et revoir ce dossier le lendemain, avec les yeux en face des trous. Une fois que son associé eut quitté la pièce, Cade se leva. Tout foirait ces derniers temps et après avoir tenté de se maitriser pendant plusieurs jours, sa colère prit le dessus. D’un revers de bras, il balaya son bureau furieusement. Feuilles de papiers, stylos, dossiers cartonnés, tout fut projeté contre le mur. « Fais chier ! » lâcha t-il pour lui-même. Ca faisait du bien. Mais…pas encore assez.

Au volant de sa voiture, l’enquêteur avait une mine soucieuse. Ce n’était pas ce dossier qu’il ressassait pourtant, et ce malgré l’échec qu’il représentait et qui s’accumulait aux autres. Il y avait bien une voix qui pouvait l’apaiser et tout en conduisant, il attrapa son portable et composa son numéro. « Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur de Milena Grimes. Je n’suis pas disponible pour l’instant. Je vous rappelle dès que possible… » Dès que possible... Cela faisait des jours qu’il n’avait pas eu sa sœur au téléphone. Et Dieu savait comme il avait besoin de la serrer dans ses bras pour retrouver un peu de chaleur familière et réconfortante. Un peu de motivation aussi, car Milena était une des seule à lui mettre un coup de pieds au cul quand il en avait besoin. Il raccrocha et laissa tomber son téléphone sur le siège passager, puis il reposa ses yeux sur la route. D’un coup de volant soudain, et en serrant les dents, il fit demi-tour sur une route heureusement déserte. Il ne rentrera pas tout de suite.

Il lui semblait que ça faisait des années qu’il n’avait pas mit les pieds dans un bar, seul, à cette heure-ci. La fréquentation ne le surprit pas, et il na tarda pas à s’avancer jusqu’au comptoir. Les fesses posées sur un tabouret haut, il observa les bouteilles qui ornaient les étagères et se demandait déjà s’il allait y aller progressivement. Son téléphone vibra dans sa poche avant qu’il n’ait pu appeler la serveuse. Une petite enveloppe apparue sur son écran, avec le prénom de son expéditrice. Deborah. Ah oui, il se souvenait lui avoir promis quelques nouvelles, au sujet de son histoire de paparazzis un peu trop collants. Pas tellement d’humeur et sans prendre de gants, il lui répondit. « Désolé, je suis trop occupé à me défoncer la tronche pour le moment ! » Elle n’avait rien demandé et c’était elle qui prenait. En le réalisant le lendemain, Cade lui enverrait sans aucun doute des excuses bien plus sincères. « Un scotch ! » Fit-il finalement en levant la main avec un sourire.

Si sa journée avait été tranquille, le début de soirée l’était moins. Elle était rentrée un peu tard, l’heure du dîner habituelle dépassée, la nuit était déjà tombée. Dans le rétro de son véhicule, elle eut la sensation d’être suivie. Un détour par ci, un détour par là… puis la voiture avait disparu. Rien de grave en soi. Elle s’était faite des films mais son passé faisant, l’angoisse de revivre une période de harcèlement médiatique l’avait prise à la gorge. Elle était rentrée chez elle tendue, aux aguets. La voiture qui semblait la suivre avait disparu mais elle avait toujours cette (fausse) sensation d’être observée. Un constat qui ne lui plaisait pas et forcément ses pensées se tournaient vers Cade avec qui elle collaborait pour calmer le jeu et garder la paix de son nouveau lieu de vie. Plantée devant son frigo a se demander ce qu’elle allait bien pouvoir manger (il était grand temps de faire des courses), elle attrapait son téléphone dans la poche arrière de son jean pour lui envoyer un message pour savoir ce qu’il en était. Elle n’avait pas voulu l’appeler parce qu’elle savait qu’il était relativement tard et qu’à cette heure-ci, poser des questions sur le boulot quand la plupart des gens ne travaillent plus depuis quelques heures, c’était mal venu. Elle ne voulait pas le déranger plus que nécessaire (surtout quand elle prenait du recul et qu’elle réalisait que rien d’important ne s’était passé), ça ne serait pas grave qu’il ne réponde pas, rien n’était urgent.

La réponse ne tardait pourtant pas, lui faisant lever les sourcils (plus de surprise que de colère d’ailleurs). Un instant, elle hésitait, la porte du frigo se refermant toute seule car elle ne la tenait plus. En quelques mots, il avait capté toute son attention. Instinct féminin ou ton peu habituel entre eux, peu importe, elle comprenait que quelque chose clochait. Devait-elle le laisser tranquille ou creuser un peu plus ? « Si tu me dis où tu es, je te ramène un burger-frite. Je n’ai pas encore dîné, je compte y aller, je peux faire un détour de quelques minutes ou quelques heures selon comment tu supportes la reine chieuse (promis, je ne parlerais pas du boulot et je tiens plutôt bien l’alcool s’il faut t’accompagner dans la descente). » Un message plutôt clair qui lui laissait toutes les portes ouvertes : il pouvait autant l’envoyer se faire foutre, que de lui demander un burger-frite et lui sommer de partir après livraison ou rester avec lui (avec ou sans burger-frite). Du côté de Debbie, elle était déjà au volant de son véhicule direction un fast-food qui saurait la sustenter. Le temps de commander (pour elle ou pour eux), il lui concéda au moins sa localisation. Ce n’était pas si loin d’où elle était (tant mieux, ça éviterait à la bouffe d’être froide), elle prenait donc la route sans attendre. Elle pointait alors le bout de son nez dans le bar une quinzaine de minutes plus tard, repérant Cade d’un coup d’œil, accoudé au bar, un verre d’alcool fort à la main (reconnaissable par la faible quantité comparée au volume du verre). « Je peux avoir la même chose que lui s’il vous plait ? » lançait-elle à la serveuse en prenant place sur le tabouret à côté du sien. Scotch et fast-food, un doux mélange peu recommandé. « Tu préfères que je fasse semblant que tout va bien ou tu veux en parler ? » Droit au but. Le doute n’était plus permis, quelque chose clochait et ça se voyait à sa tronche.

@Cade Grimes

Ça ne lui était plus arrivé depuis un moment et pourtant, Cade n’avait pas paumé ses habitudes. Plutôt que de s’asseoir à une table, en salle, il avait préféré prendre place au comptoir. De cette façon, il tournait le dos à ceux qui se poseraient des questions à son sujet, à ceux qui compteraient les verres qu’il aurait ingurgité et surtout, il était au plus près pour se faire servir le plus rapidement possible. Autant dire qu’il se mettait des œillères ce soir-là, se rendant aveugle à toute possibilité d’échapper à ce qu’il avait entreprit. Personne ne l’attendait chez lui. Milena était à des kilomètres d’ici, en Europe ou il ne savait où pour son boulot. Ses frères vaquaient à leurs occupations chacun de leurs côtés, sans avoir besoin de lui. Rien ni personne ne semblait requérir sa présence. A moins que….

Sa réponse à Deborah aurait pu être plus courtoise. Mais il avait abandonné toute forme de bienséance pour l’heure et misait sur une honnêteté déroutante. Pourquoi mentir ? Il allait enchainer les scotchs jusqu’à ce que sa caboche menace d’exploser. Au moins, elle ne lui permettrait plus de réfléchir. Bien évidemment, la belle brune ne s’arrêta pas à son message. Il aurait pu s’en douter. Dans la minute, une autre petite enveloppe apparue sur son portable. Cade garda le téléphone en main et son regard, hésitant, se perdit quelques secondes face à lui. Avait-il vraiment envie de sa compagnie ? « Si tu me dis où tu es, je te ramène un burger-frite. » C’était quand même convaincant mais ce n’était pas la raison pour laquelle il lui envoya l’adresse, sans y ajouter quoi que ce soit. « Canvas. Fortitude Valley. » Après quoi il rangea son téléphone dans sa poche se jurant de ne plus se laisser influencer par quiconque. La serveuse déposa son verre devant lui.

« Je peux avoir la même chose que lui s’il vous plait ? » Deborah débarqua à côté de lui lorsqu’il chopait son troisième verre, sous le regard curieux de la jeune serveuse, dont le patron avait dû lui demander de l’informer si un client dépassait un certain nombre de commandes. Cade ne jeta qu’un rapide coup d’œil à la brunette qui s’imposait de façon presque naturelle. « Tu préfères que je fasse semblant que tout va bien ou tu veux en parler ? » Oh non, elle n’allait quand même pas lui jouer le coup de la psychologue ?! Il avala son verre presque entièrement avant de lui rétorquer « J’ai pas besoin de parler. J’ai besoin d’un bon whisky. » Le verre qu’elle venait de réclamer lui fut servi et Grimes le fit glisser jusqu’à elle. « Tu devrais en faire autant ! » Il se pencha légèrement pour lui chuchoter « Tu vas voir, c’est magique ! »

Un nom. Un quartier. Rien de plus, si ce n’était de quoi la persuader d’y aller. Cade et elle ne se connaissaient pas tant que ça jusqu’ici. Ils avaient passés une nuit ensemble, ils se voyaient de temps en temps pour cette histoire de médias trop intrusifs, ils aimaient se taquiner mais ça s’arrêtait là. Ils ne s’engageaient jamais dans des discussions trop sérieuses en dehors de l’affaire qu’elle lui avait confié, ils ne s’épanchaient pas sur leurs états d’âme et ne glissaient jamais sur des sujets trop personnels. Pourtant ce soir, elle était intimement convaincue qu’elle ne pouvait pas faire semblant de n’avoir rien ressenti. Evidemment, elle n’avait pas idée de ce qui se passait réellement, elle ne pouvait pas deviner mais son intuition lui disait qu’il n’était pas dans son état normal, dans son assiette comme on dit. Elle avait beau ne pas tant le connaître, elle ne se voyait pas passer son chemin et faire semblant : elle était que trop bien placée pour savoir que tout pouvait aller rapidement et que les faux semblants étaient un masque facile à porter. S’il osait avouer son besoin de se torcher la gueule ce soir alors qu’ils n’étaient pas si proches, tombant son masque, son vécu et sa sensibilité quotidienne lui faisait ressentir du souci pour lui, réellement inquiète.

Un tour au fast food plus tard, elle se retrouvait rapidement devant ce bar connu du quartier. Sans hésitation, elle était entrée, avait balayé le lieu du regard pour mieux le repérer. Une seconde de plus et elle se retrouvait à côté de lui, sur un tabouret haut, à commander la même chose : un whisky donc. Sans demie mesure, elle entrait dans le vif sujet, lui proposant d’en parler ou de faire semblant. Elle en concluait qu’il ne souhaitait aucun des deux. Il exprimait clairement son envie de taire le sujet mais il ne voulait pas non plus faire comme si de rien était. Il voulait noyer le problème avec elle, glissant le verre nouvellement servi par la serveuse vers elle alors que le sien était déjà pratiquement vide. Magique qu’il disait… « Au bout de combien ça le devient réellement ? » disait-elle en y plongeant les lèvres. Elle entrait dans son jeu mais elle allait à la pêche aux informations également. S’il trouvait déjà ça magique, elle pourrait appréhender plus ou moins le nombre de verres qu’il avait déjà dans le sang. Sans aucun jugement, bien sûr, juste ce besoin de le protéger de lui-même si c’était nécessaire au cours de la soirée. Sans plus de cérémonie, elle sortait des frites et deux burgers de son sac en papier différenciés par une étiquette de poulet et de vache. « Prend celui que tu veux. » parce qu’elle ne lui imposerait rien ce soir : ni parler, ni être raisonnable, ni le goût du burger. Quartier libre. « C’est quand même un menu particulier burger-frites-whisky. » Disait-elle dans un sourire réellement amusé. « Et c’est une Irlandaise qui te dit ça, c’est dire. » Originaire du pays de l’élixir ambré, c’était tout de même fort ironique.

@Cade Grimes

Ce n’était pas du tout parce qu’il avait envie d’un burger que Cade avait envoyé l’adresse du bar à Deborah. Il avait un peu hésité à le faire pour tout avouer. D’une part parce qu’il avait d’abord eu l’intention de rester seul, et d’autre part parce que la jeune femme avait l’habitude de le voir jovial et prêt à affronter le monde, alors qu’il n’en était véritablement rien ce soir-là et qu’il n’allait pas faire semblant. C’était une nuit à prendre une belle cuite et à rentrer se coucher sans faire attention au reste. C’était dans cet état d’âme qu’il avait déjà enchainé plusieurs verres sous les yeux curieux des employés de l’établissement. Deborah débarqua peu de temps après son message. Et comme promis, elle apporta un repas qui était sensé lui redonner la pêche. Elle avait bien cerné son goût pour la malbouffe et pourtant, elle ne reçu pas un vif enthousiasme de la part de l’ex agent fédéral américain. Il lui avoua même qu’il était peu enclin à faire des efforts et à papoter de ses petits problèmes personnels. A la place, Cade propose à Deborah de faire comme lui, de boire et de se laisser aller doucement dans la spirale d’effets que l’alcool créait au fil des minutes. « Au bout de combien ça le devient réellement ? » A bout de combien de temps ? Ou de combien de verres ? Ce qu’elle voulait savoir en vérité, c’était la quantité de liquide ambré qu’il avait déjà ingurgité. Lui-même était incapable de le déterminer. « Ca dépend de pas mal de choses. » Commença t-il en soulevant son propre verre pour l’observer. « Si tu lui fait une belle place, un bon Malt peut faire des ravages très rapidement… » Il regarda Deborah et il haussa les sourcils. Cade en avait testé des whiskys, et selon son humeur et la qualité de sa journée, ils n’avaient pas tous la même saveur.

La brunette plongea ses lèvres dans son verre comme pour prendre part au jeu et elle sortit ensuite deux burgers et des frites du sac. Grimes regarda les emballages mais bizarrement, combler le creux dans son ventre n’était pas sa priorité. « C’est quand même un menu particulier burger-frites-whisky. » C’était effectivement une première. « Et c’est une Irlandaise qui te dit ça, c’est dire. » Alors Deborah était irlandaise ? Il en apprenait encore. Etait-ce trop cliché de l’imaginer vêtue de vert à dévorer des pommes de terre et à boire jusqu’à plus soif ? Oui. Mais elle l’autorisait à le voir comme un américain rustre, aux habitudes alimentaires dégueulasses et à la descente facile. Quant au chapeau de cow-boy, il s’en passerait. « Pourquoi t’es là Deborah ? » Après tout, ils n’étaient rien l’un pour l’autre. Etaient-ils seulement amis ? Ils n’avaient passés qu’une nuit ensemble et s’étaient ensuite retrouvés par hasard sur une route. Comment pouvait-elle se trouver là, à lui offrir un réconfort, alors même qu’il ne l’avait pas contacté depuis plusieurs semaines pour lui donner des nouvelles de son affaire de paparazzis ? « Tu dois forcément avoir mieux à faire que me surveiller. T’en fais pas, j’vais très bien. » Il avala une autre gorgée de whisky et termina « Rentres chez toi. » La brunette ne le connaissait pas comme ça et pourtant, cela faisait bien partie de sa personnalité complexe et extrême. Il posa son verre dans un claquement sur le comptoir, comme pour alerter le serveur qu’il allait besoin d’être servi de nouveau.

Il l’avait prévenu, elle le constatait à son visage de trois pieds de long : il n’était pas d’humeur à quoi que ce soit. Tant pis, elle s’en accommoderait. Elle était là sa force : capable de s’adapter pour ne pas bousculer. Capable de parler pour deux s’il n’en avait pas envie ou se taire s’il préférait. Capable de deviner les sous-entends sans le forcer à parler de ce qui le chagrinait. Capable aussi de faire diversion et ne rien évoquer si tel était son désir. Elle était un caméléon au service du bien-être des autres. C’était ainsi qu’elle fonctionnait et Cade ne passait pas au travers du filet. Être ici, armée de burger-frites et déterminée à l’accompagner, c’était sa façon à elle de prendre soin de lui. La simple présence d’autrui peut parfois être bénéfique, elle l’avait largement compris lors de sa dépression. Elle ne supportait pas d’être vue avec tant de fragilité, elle envoyait chier le monde quand elle n’avait envie de rien et encore moins de voir des gens, elle se persuadait que la solitude était sa meilleure ennemie mais de celle dont être proche est dispensable. Ses proches, Camil plus précisément, était venu se placer en l’encontre de ça. Parfois, il ne faisait rien de plus que d’être là, de vivre autour d’elle, lui montrer que le monde continuait de tourner et qu’elle en faisait partie quand elle cherchait pourtant à le fuir. Juste par sa présence, il avait su lui maintenir la tête hors de l’eau car le simple fait d’être là obligeait Deborah a ne pas se laisser totalement aller sur bien des plans. Une compagnie qui l’avait sauvé, sans nul doute possible.

Si Cade n’avait (peut-être) pas encore atteint un stade de dépression, Deborah voulait être là, être cette compagnie qui peut parfois nous sauver d’une connerie supplémentaire, aussi minime soit-elle : comme se ravager la tronche au whisky. Si elle ne l’empêcherait pas (elle n’était pas là pour enfoncer le clou en lui disant qu’il était con de faire ça), elle était encore capable de limiter les dégâts post alcool. « Parce que je suis pas encore assez idiote pour te croire sur parole quand tu me dis que tu vas bien alors que l’un de tes derniers messages souligne que tu te défonces la tronche. » Croquant dans une frite, elle haussait quelque peu les épaules. « Je considère que les relations humaines ne s’arrêtent pas qu’aux bons moments et aux services rendus, peu importe leur stade. » Et même, au contraire. Pour elle, elles se développaient et se renforçaient dans les pires moments. Là encore, elle avait assez d’expérience pour le savoir. Cade et elle n’étaient peut-être rien de plus que des connaissances (pour le moment) mais ce n’était pas une raison pour le laisser au bord de la route. Ne l’avait-il pas aidée quand elle s’était physiquement elle-même retrouvée sur le côté ?

« Quant à savoir si j’ai mieux à faire, c’est pas ton problème. » Aussi directe qu’il peut l’être, sa manière de déballer un burger pour mordre dedans laissait savoir à elle seule qu’elle ne comptait pas s’en aller en dépit de l’injonction de Grimes. « Tu apprendras par la même occasion que je suis du genre têtue comme meuf… ou déterminée selon comment tu prends cette information. » défaut ou qualité, peu importe, elle lui laissait savoir qui elle était (s’il ne le savait pas déjà). « Si tu veux vraiment que je te foute la paix, je te laisserais tranquille mais je serais pas loin quand même, je te préviens. » Sortir du bar mais rester dans sa bagnole en attendant qu’il sorte lui-même, elle en était tout à fait capable. Pas question pour elle de ne pas avoir un œil sur lui tandis que le verre du brun claquait de nouveau le bar pour se faire servir une énième fois. « Il y a d’autres moyens pour faire passer ta colère ou ta tristesse que celle-là. J’ai sincèrement envie de t’aider ou au moins essayer si tu me le permets et si tu en as envie. » Sa voix était soudainement plus douce, sous couvert de réelle inquiétude pour lui. Si elle ne le forçait pas à dévoiler le pourquoi de son besoin d’abus d’alcool pour se détendre et probablement oublier le temps d’une soirée, elle ne pouvait pas s’empêcher de souligner que ce n’était pas forcément une très bonne idée (sans pour autant le blâmer). Elle tentait de lui ouvrir des fenêtres de vision plus larges et probablement plus saine que l’alcool.

@Cade Grimes

« Parce que je suis pas encore assez idiote pour te croire sur parole quand tu me dis que tu vas bien alors que l’un de tes derniers messages souligne que tu te défonces la tronche. » Grimes entendait mais ne répondait pas. Il en avait pourtant passé des moments à se « défoncer la tronche » sans que Deborah ne débarque telle une sauveuse d’âme en peine. Alors, qu’est ce qui l’avait poussé à venir le rejoindre ? Pas mieux à faire ? Quelque chose à lui demander ? « Je considère que les relations humaines ne s’arrêtent pas qu’aux bons moments et aux services rendus, peu importe leur stade. » Sa gorgée de whisky coula dans son œsophage et il serra les dents pour encaisser le retour. Les relations humaines ? C’était justement l’un des sujets qui l’avait conduit ici. Involontairement, la brunette allait donc pour contrecarrer toutes ses réflexions les plus déprimantes. Les personnes les plus proches de lui n’étaient pas au rendez-vous. Il n’était pourtant pas certain de les accueillir avec plus d’enthousiasme si c’était le cas. Deborah avait au moins assez de caractère pour s’imposer et vraisemblablement, elle ne comptait pas s’en aller de si tôt. « Quant à savoir si j’ai mieux à faire, c’est pas ton problème. ». Il plissa les paupières en la regardant, comme pour inspecter la solidité de cette réplique. La franchise était une qualité que Cade avait déjà discernée chez elle, malgré le peu de fois où ils s’étaient vus, et en excluant bien entendu leur rencontre où la conversation n’avait été que de courte durée. « Okay… » Finit-il par lâcher en levant son verre une nouvelle fois et en admirant les lignes de bouteilles bien rangées, tels de petits soldats, face à lui.

« Tu apprendras par la même occasion que je suis du genre têtue comme meuf… ou déterminée selon comment tu prends cette information. » Sans bouger, il haussa les sourcils. « Légèrement kamikaze… » reprit-il avec une ironie qui n’était plus à prouver. C’était extrême mais Deborah ne le connaissait pas comme ça, soumis à un flot de pensées destructrices et prêt à tout balancer pour ne plus avoir à se soucier de quoi que ce soit. « Si tu veux vraiment que je te foute la paix, je te laisserais tranquille mais je serais pas loin quand même, je te préviens. » Ce burger dans lequel elle venait de mordre à pleine dents lui donnerait sûrement l’énergie pour poursuivre la mission qu’elle s’était attribuée. Etait-ce donc peine perdue ? Il se tourna vers elle et lui envoya un regard noir. « A la manière de ces paparazzis que tu cherches à fuir ? » Un petit silence définit cette question comme pas sympathique du tout. Son attitude n’était pas excusable mais Deborah avait déjà connaissance du contexte et elle avait décidé de s’y confronter. Grimes avala le reste de son verre d’une traite. « Il y a d’autres moyens pour faire passer ta colère ou ta tristesse que celle-là. J’ai sincèrement envie de t’aider ou au moins essayer si tu me le permets et si tu en as envie. » Oh seigneur, elle n’allait pas lui faire le coup de la psy ?! Ses yeux roulèrent dans ses orbites. « Pitié Déborah…J’suis pas en état de me confesser là. » Son haleine alcoolisée était déjà un péché pour quiconque tenterait de l’écouter. Cherchant à se faire servir de nouveau, il finit par observer la mine de la brunette, toujours aussi déterminée et conquérante. Si téméraire qu’il finît par lâcher du lest. « Tu n’peux pas faire grand-chose pour moi de toute façon. J’essaie juste de te faire gagner un peu de temps. » Il se saoulerait un coup, s’arracherait le crâne toute la journée du lendemain, et poserait une autre brique sur ce mur, déjà haut, qui l’empêchait de sombrer sous une quelconque faiblesse. « Je te rappellerai bientôt…pour ton dossier. » S’il avait, dés lors, réussi à mettre la main sur quelque chose qui en vaille le coup. Un serveur arriva enfin près de lui. « Un autre. »

Le regard qu’il posait sur elle après l’avoir comparée aux paparazzis était dur. Il cherchait clairement à lui faire mal et lui faire comprendre que l’idée qu’elle garde un œil sur lui ne lui plaisait pas. Elle ne s’en offusquait pas pour autant. Elle savait parfaitement dans quoi elle s’embarquait et ce, depuis qu’elle avait demandé l’adresse du bar où il était. « J’aurais plutôt dit à la manière d’un gardien qui te laisse la place dont tu as besoin mais qui est prêt à te rattraper avant que tu te ramasses la gueule sur le trottoir pour t’y casser les dents. » disait-elle après avoir fini une bouchée de burger, une façon aussi de montrer que ses mots ne la touchaient pas, consciente qu’il n’était pas vraiment lui-même sur le coup. « Et entre toi et moi, c’est clairement ce qui risque de t’arriver. » Compte tenu de la vitesse à laquelle il buvait ses verres, elle n’avait aucun doute sur l’idée qu’il n’allait pas marcher très droit. Elle lui avait dit, elle n’allait pas être intrusive, trop lui en demander, ni même parler du boulot. Elle voulait l’accompagner, que cela soit à la manière d’un pote de beuverie ou autrement. Simplement être présente et si ça passait par l’idée de prendre soin de lui, elle allait le faire. Deborah était de cet acabit : toujours présente pour les autres, quitte à s’en prendre plein la gueule. Elle considérait que c’était la meilleure chose à faire, pour eux comme pour elle d’ailleurs, bien incapable de faire semblant et de faire sa petite vie pendant qu’une personne de sa connaissance est en galère.

« Je ne te demande pas nécessairement de me parler. » Elle avait compris depuis le départ qu’il ne comptait pas mettre de mots sur sa souffrance et elle respectait ça. Elle marchait de la même manière que lui : se foutre dans un coin, être une éponge, encaisser les chocs tant bien que mal et continuer sa route. Ils se ressemblaient beaucoup sur ce point. Il y avait néanmoins une différence notable entre eux : Deborah avait subi un retour de bâton violent. A trop encaisser, elle avait fini par déborder. Chez elle, ça s’était traduit par une année de dépression. Elle ne le souhaitait à personne, pas même à son pire ennemi. La détresse pouvait se traduire de beaucoup de façon. Cade semblait se tourner vers la bouteille plus qu’à l’accoutumée. Elle avait fait la même chose et à part lui faire d’autant plus de mal, ça n’avait rien réglé. « Je me fiche de mon dossier. Cade, s’t’plait, écoute-moi. » Le verre claquait de nouveau contre la surface en bois du bar. Avant même que le serveur n’attrape une bouteille, Deborah posait sa main au-dessus du verre, empêchant un instant que quiconque ne le resserve. « Non attends. » De son autre main, elle attrapait le menton de Cade, le forçant à la regarder. « Est-ce que tu me fais confiance ? Au moins un peu ? Je te l’ai dit, tu ne seras pas obligé de parler mais il y a d’autres moyens. Tu me suis, on essaie autre chose et si ça ne fonctionne pas, si tu n’es pas satisfait, on revient et tu bois autant que tu veux. » Après tout, le bar n’allait pas fermer de sitôt, ils avaient tout le temps d’essayer autre chose avant de se tourner définitivement vers l’idée de se mettre la tête à l’envers. « Deal ? »

@Cade Grimes