@Archie Kwanteen

« Tu bluffes. - Pas du tout. » Jonah haussa les épaules. Incroyable mais vrai, quelqu’un d’autre qu’Archie avait des connaissances utiles dans cet autobus. Le Fletcher portrait pourtant son t-shirt du club de robotique qui attestait qu’il pouvait s’en sortir avec quelques fils électriques. Il y tenait comme à la prunelle de ses yeux, mais désormais, il était tâché de sang, de bave de zombie, de terre et puait la transpiration. « Tu veux que je m’agenouille devant toi pour dire à tout le monde que tu m’as eu à tes pieds. Tu ne m’auras pas. Va chercher les clefs ou on rentre à la maison à pied. » Pas tout le monde se donnait autant de mal pour garder le melon en toutes circonstances, mais ça aussi, Kwanteen ne l’imprimait pas. C’était la seconde fois que Jonah exigeait un peu de respect, mais c’était sans doute impensable de céder à la moindre demande de la plèbe, même si elle ne consistait qu’à obtenir le strict minimum de la civilité. Incapable de faire preuve d’humanité envers un congénère dont il dépendait autant, Archie ne valait pas beaucoup mieux que les zombies là-dehors. « Tu me porteras sur ton dos, au moins ça te fera faire un peu de sport, brindille. » Jonah s’étrangla. “Parce que tu crois que si je refuse de démarrer le bus pour un ‘s’il te plaît’ je vais accepter de te porter jusqu’à la ville ? C’est la fièvre qui te fait délirer ou t’as fumé pour planer autant ?” On atteignait des sommets. Bien décidé à ne pas céder cette fois, l’adolescent s’installa un peu plus confortablement sur sa banquette ; il posa son dos contre l’accoudoir du fond et étira ses jambes tout du long. Bras croisés, s’il n’était pas aussi tendu par ce qu’il se passait dans cette fichue forêt, il pourrait aisément taper une sieste. “T’as qu’à retourner dans ton manoir à cloche-pied, moi je reste là. C’est cozy. J’ai le sac avec la bouffe et les premiers secours. Je vais démarrer cet engin et partir d’ici. En plus j’aurais plus à subir tes jérémiades, de mon point de vue, c’est tout bénef. Par contre, je donne pas cher de ta peau sans la ‘brindille’ pour te sauver les miches toutes les dix minutes.”

- Pas du tout. » Tant pis, Archie sortira la liste des arguments qui prouvent qu’il ne s’agit que d’un simple bluffe pour arriver à faire de lui ce que personne n’a jamais pu faire. Il ne se laisse pas marcher sur les pieds, l’arrogant, et les menaces ne transpercent pas son bouclier. “Parce que tu crois que si je refuse de démarrer le bus pour un ‘s’il te plaît’ je vais accepter de te porter jusqu’à la ville ? C’est la fièvre qui te fait délirer ou t’as fumé pour planer autant ?” Haussant les épaules, il repose son dos contre le siège du conducteur, croise ses mains devant lui tel le ferait un professeur. Il poserait ses pieds sur le tableau de bord si ça ne mettait pas son genou à risque. L’intention est là et traduite dans son expression détachée, presque reposée. Les mots de Jonass entrent par son oreille droite et sortent par la gauche sans passer par aucun filtre. Et, tandis qu’il prétend qu’il sera celui qui survira s’ils se retrouvent séparés, Archie baille et se met à contempler la vue qu’il a sur la forêt. Il n’a plus l’intention de parler. Plutôt mourir que de se laisser manipuler de la sorte. Ce n’est pas une invasion de zombies qui le changera.

Parlant de zombies, il remarque un mouvement entre les arbres. D’abord, il reste discret, serrant seulement ses muscles et avalant sa salive. Il cesse de respirer, détaillant l’agitation, puis il voit une jambe rampante, un bras qui la suite en se balançant maladroitement. Et une tête défigurée, des tics nerveux surnaturels. Plus aucun doute : ils ont été suivis. Avant même qu’il ne puisse avertir l’autre élève, il entend un bruit à l’opposé : trois autres zombies qui s’approchent dangereusement de la porte grande ouverte de l’autobus. « Merde ! » Il s’exclame en se redressant, l’adrénaline lui faisant oublier le combat d’égo qu’il menait. Il tend la main vers la poignée de la porte, l’accroche, la ferme dans un claquement brutal. Le bras d’un des zombies reste coincé dans la fente et il s’agite dans tous les sens pour tenter de s’accrocher à quelque chose. « EEEEEEEEEW ! » Que se répugne Archie en reculant le plus loin possible de ce bras monstrueux, tandis qu’une dizaine d’autres zombies s’agglutinent autour de l’autobus et grattent les vitres avec leurs ongles sales. « FAIS QUELQUE CHOSE ! »  

@Archie Kwanteen

Sourcil levé en signe de défi, Archie n’en avait visiblement que faire des exigences de Jonah. La fierté avant la survie. Ils croisaient les bras, l’un comme l’autre, comme s'ils étaient en train de donner une leçon magistrale d’entêtement. Au final, le calme soudain poussa le Fletcher à piquer du nez peu à peu. Leur nuit n’avait pas été de tout repos, après tout. Il sursauta en sentant le mouvement de son camarade sur l’autre banquette. « Merde ! - Bah alors, t’as laissé ton afféterie au campem-...» Le sourire sarcastique sur ses lèvres disparut dans la seconde : les zombies étaient là. Ses yeux s'élargissent en voyant la scène chaotique qui se déroule devant lui. Les zombies grattaient les vitres, leurs gémissements sinistres se mêlant pour former une cacophonie angoissante. La peur envahit l’habitacle comme une détonation dans l'espace confiné de l'autobus. La montée d’adrénaline fut instantanée, l’alerte maximale. « FAIS QUELQUE CHOSE ! » Des ordres, toujours des ordres, Archie ne s’en lassait définitivement pas, hein ? L’heure n’était plus à jouer à qui a la plus grosse… patience. Les monstres étaient littéralement à leur porte -un bras dans l’embrasure. Le cerveau de Jonah fonctionna en mode survie, écartant momentanément la haine qu'il éprouvait pour Archie et son envie d’étrangler si fort son cou que sa tête se déboiterait de ses épaules. Sans perdre de temps, Jonah sauta sur le siège conducteur, son visage en sueur exprimant une urgence incontestable. “DANS QUELLE MERDE TU NOUS AS FOUTUS.” Tout ça parce que sa nanny ne lui avait jamais appris le mot magique. D’un coup de pied dans le tableau de bord, il déboîta l’emplacement des câbles électriques. Pas droit à l’erreur ; certains devaient contrôler les freins et d’autres fonctions dont pourraient dépendre leur vie. Sauf que sans aucune visibilité sur les directions des fils, impossible d’être certain qu’il allait sectionner les bons. “Merde, merde, merde…” Les pensées rationnelles se firent la malle, la panique prit leur place. Jonah tira d’un coup sec sur tous les câbles et les frotta hasardeusement les uns aux autres. S’ils n’avaient pas perdu du temps à cause d’Archie, il aurait pu effectuer la manipulation correctement. Désormais, ils n’avaient sans doute plus de freins. “Démarre, allez démarre !” L’un des zombies parvint à briser une des vitres latérales, ses mains décharnées cherchant à s'agripper à l'intérieur. Le bruit du moteur tardait à se faire entendre. S’ils crevaient là, c’était définitivement la faute de Kwantâche.

Ils battaient des paupières tous les deux, tels des enfants qui espèrent vaincre le sommeil pour voir la fée des dents glisser la pièce sous leur oreiller. Archie a pu oublier un tout petit instant cette pression incessante dans laquelle ils s’étaient retrouvés du jour au lendemain et, pour la première fois, l’image des visages défoncés de ses anciens collègues de classe avait quitté son esprit. Les habituelles rêveries avaient repris le dessus sur le fil de ses pensées. Le football, ses amis les hyènes, la professeure de mathématiques qui, il le jurerait, lui avait déjà fait un clin d’œil entre deux leçon d’algèbre. Les filles, aussi, et Lena qu’il espérait impressionner en montant sur les tables à la cantine.

Le retour à la réalité est brusque et ponctué d’un juron qui réveille aussitôt Jonah. Ses réflexes sont encore assez affutés alors il arrive à fermer la porte de l’autobus avant qu’un zombie n’y pose le pied, mais la panique ne cesse pas de suite. “DANS QUELLE MERDE TU NOUS AS FOUTUS.” « C’EST TOI QUI T’ES ENDORMI IDIOT ! » Ils ne sauront jamais vraiment lequel des deux s’est essoufflé le premier mais le débat ne servirait à rien, si ce n’est que de mettre leurs vies encore plus en danger. Un gémissement cru s’échappe de sa bouche quand l’autre garçon le piétine pour prendre place sur le siège du conducteur. « TU M’ÉCRASES ! » Il écrase surtout son genou, duquel il sent irradier la douleur en vagues électrisantes. De justesse, il arrive à se sortir de son piège, tombant lourdement sur le sol de l’autobus, où le bras du zombie s’accroche à son poignet. La colère se prend de lui tel un coup de feu tiré. Il hurle de rage, tire sa main pour la récupérer, se redresse, écrase encore et encore le bras zombifié avec sa semelle qui s’improvise massicot, jusqu’à ce que la chair s’effrite comme du fromage râpé. L’os découvre l’air pour la première fois et une odeur nauséabonde s’élève dans l’habitacle. Archie ne vomi pas de justesse. Derrière lui, Jonah se prétend mécanicien en menant une lutte contre les câbles. “Démarre, allez démarre !” Ses sens se calibrent. Il se relève sans plus accorder la moindre attention à l’os ambulant et il appuie frénétiquement sur le bouton qui sert à démarrer le moteur. « Allez… Allez… Allez ! » Il s’impatiente, appuyant de plus en plus fort, l’agitation des zombies autour d’eux se faisant de plus en plus étouffante. Juste devant eux, dans le pare-brise… « Lena…? » Couine le garçon en reconnaissant le visage décomposé de son crush. C’est à ce moment que le moteur décide enfin de s’allumer, faisant trembler le véhicule entier. Agressif, Archie accroche le t-shirt laid de Jonah pour le tirer hors du siège. « Dégage ! » Qu’il ordonne, prenant sa place, enfonçant le pied dans la pédale de l’accélérateur. L’autobus écrase tout sur son passage, y compris le corps de l’élève à la tignasse jadis parfaite, et ils s’enfoncent d’abord dans la forêt avant de se replacer sur la route.

« AAAAAH PUTAIN DE MERDE ! WOOOOOOOOOOOOOOO ! » Archie s’écrit, son cœur pompant encore de l’adrénaline dans tout son corps. « T’AS VU Y’AVAIT LENA ?!!!! ON A TUÉ LENA !!!!!!!!! » Il hurle en faisant aller ses yeux sur la route puis sur Jonah sans arrêt, sa conduite étant fortement maladroite.

@Archie Kwanteen

Un battement de paupières, et il se réveillera dans sa tente, au campement. Un battement de paupières, et il réalisera que tout ceci n’était qu’un mauvais rêve. Archie continuera de lui faire vivre un enfer, il se fera dévorer par les moustiques, ils chanteront kumbaya autour du feu, il aura encore un C en littérature. Un battement de paupières, et les zombies étaient à leur porte -littéralement. La menace des zombies était toujours présente, la situation avait empiré pendant qu’ils reprenaient leurs forces. La fatigue disparut en un éclair. La panique s’empara de son rythme cardiaque. « C’EST TOI QUI T’ES ENDORMI IDIOT ! - PT’ÊTRE PARCE QUE T’AS UN NARCISSISME ASSOMMANT ! » Était-ce vraiment le moment idéal pour une joute verbale sauce mauvais jeux de mots ? Même lorsqu’ils faisaient équipe, Archiduc et Jonah étaient incapables de s’entendre. Ses mots frappaient ses oreilles, toujours plus d’accusations venimeuses qui lui faisaient bouillir le sang. « TU M’ÉCRASES ! - IL ÉTAIT TEMPS QUE QUELQU’UN LE FASSE. » Faute que Kwanteen ne daigne se plier au B.A.BA de la politesse. Qu’importe s’il lui faisait mal. Ils n'avaient pas le temps de s’attarder sur la douleur. Qu’il garde ça pour l’hôpital.

Une étincelle et le moteur de l’autobus rugit enfin. « Dégage ! » Archie tira Jonah hors du siège avec une force brute, le plongeant dans une confusion momentanée alors que le choc et l'urgence prenaient le dessus. Rapidement, Jonah sauta sur la banquette juste derrière et rebondit tandis qu’un immense fracas accompagnait les secousses brutales du véhicule. Ils avaient roulé sur quelque chose. Des zombies sans doute. Autant faire d’une pierre deux coups.  « T’AS VU Y’AVAIT LENA ?!!!! ON A TUÉ LENA !!!!!!!!! - REGARDE LA ROUTE PUTAIN ! » Il n’avait pas vu, non, et c’était tant mieux. Tuer les cadavres ambulants de ses anciens camarades de classe n’avait rien d’une partie de bowling. Il savait que ce n’était plus eux, juste une enveloppe physique sans âme, sans souvenirs, sans émotions ; mais c’étaient leurs visages, et rien que la déformation de la transformation lui soulevait l’estomac autant qu’elle lui brisait le cœur. Sauf que, pour ça aussi, ils n’avaient pas le temps.

L’euphorie redescendait difficilement. La folle course de l’autobus faisait grincer le caoutchouc sur l’asphalte. La trace des pneus marquant la distance qu’ils mettaient entre eux et les zombies était un mélange de gomme et de sang. Jonah reprenait son souffle, tout un craignant pour sa vie maintenant qu’il était entièrement entre les mains d’Archie. Son regard se posa sur la route qui défilait à travers les vitres. Et son cœur se serra lorsqu’il réalisa que toutes les voitures qu’ils croisaient étaient abandonnées. Un soupir quitta ses lèvres. L’adolescent passa la tête par-dessus le dossier du siège du conducteur afin de constater comment Archie se débrouillait. “T’as, euh… un truc, là.” fit-il en désignant la main de zombie toujours fermement agrippée à son poignet, l’os brisé, les chairs ballantes. “Ça chlingue, la vache. On dirait les chiottes de l’école après le passage d’Arthur.” Ce gars mangeait vraiment trop épicé, ce n’était pas normal d’avoir les entrailles qui puaient autant dès qu’il posait une pêche. “Regarde.” Là, un panneau indiquait la direction de l’hôpital le plus proche. Mais l’espoir d’y trouver de l’aide s’amenuisait de minute en minute.  

- PT’ÊTRE PARCE QUE T’AS UN NARCISSISME ASSOMMANT ! » Incorrigibles. Même la fin du monde ne leur confisque pas leur inventivité. Ils semblent encore plus imaginatifs lorsque leurs réparties sont tirées sous la pressions. C’est ainsi qu’ils bâtissent un mur entre eux et la dure réalité, retrouvant quelque chose de familier et chaleureux dans les insultes qu’ils se balançaient avant que leurs camarades de classe ne deviennent des zombies. De leur relation, rien n’a changé, alors ils peuvent espérer qu’en dehors de cette forêt, tout est normal aussi.

Enfin, après moult injures, prises de pouvoir partagées et manœuvres bancales, ils se retrouvent sur la route avec un moteur et quatre roues qui fonctionnent. Incapable de se calmer, Archie ne trouve pas meilleure solution pour évacuer sa peur que d’hurler sa surprise. Il a écrasé son crush, il a vu son corps se faire absorber par le pare-chocs de l’autobus, et il souhaiterait tant retirer cette image de sa tête qu’il la hurle. - REGARDE LA ROUTE PUTAIN ! » L’ordre de Jonah agit comme un coup de fouet. Il reprend contenance, ses yeux rivés vers l’avant, sa bouche entrouverte, prête à vomir la dernière chose qu’il a avalée. Enfin, le véhicule se stabilise et la route paraît presque calme maintenant que les monstres sont derrière et que devant eux se dessine une autoroute qui les mènera en ville en moins de quinze minutes. Le silence qui habite désormais l’espace est surnaturel. “T’as, euh… un truc, là.” Il lui faut au moins cinq secondes pour comprendre de quoi il parle. Lorsqu’il voit la main accrochée à son poignet, il sursaute en le secouant dans tous les sens, traversé par un millier de petits spasmes de dégoût. « EW EW EW ! » Le membre coupé se projette contre le pare-brise et tombe sur le tableau de bord. “Ça chlingue, la vache. On dirait les chiottes de l’école après le passage d’Arthur.” Il aurait rigolé s’il n’était pas encore dégoûté par ce qui s’était posé juste sous ses yeux. « Retire-moi ça de la vue avant que tu finisses châtré. » Lui, il conduit. Ce n’est pas son rôle de faire un peu de ménage.

La route est tout à fait vide sans compter les quelques voitures abandonnées sur les bords. La voix intérieure d’Archie tente de le rassurer en lui rappelant qu’il est encore très tôt et que, à cette heure-là, les gens sont encore chez eux. Et, quand Jonah lui indique le panneau H, il prend même la peine de mettre son clignotant et de s’assurer qu’il n’y a personne dans son angle mort avant de s’engager dans la sortie d’autoroute. Une dizaine de minutes plus tard, il peut apercevoir l’énorme parking de l’hôpital. Il est plein à craquer. Mais quelque chose cloche. Avant d’y conduire l’autobus, il se stoppe. Son cœur reprend son rythme effréné. « Ce sont… C’est… On voit la même chose ? » Il demande à mi-voix, comptant instinctivement le nombre de têtes zombifiées qui déambulent avec nonchalance entre les voitures. Il peut s’imaginer le grognement qui s’élève de ce chahut même à cette distance.  

@Archie Kwanteen

La secousse tumultueuse de l'autobus s'apaisa, laissant Jonah à la fois soulagé et épuisé. La route s'étirait devant eux, dévoilant une étendue d'asphalte relativement dégagée, d’un calme suspect, contrastant avec les horreurs dont ils venaient de s’arracher. Le calme qui régnait dans l'habitacle semblait presque irréel après les cris et la panique qui avaient régné quelques minutes plus tôt. Sa respiration se calmait peu à peu, laissant place à un sentiment de victoire mêlé de perplexité. Et maintenant ? Désormais, ils pouvaient se rendre à l’hôpital, en sécurité. On leur mettrait une couverture autour des épaules, comme dans les films. Leurs familles viendraient les chercher et ils iraient se mettre en sûreté jusqu’à ce que l’épidémie prenne fin. Et tout irait bien.

« EW EW EW ! » Les hurlements de fillette d’Archiottes retentissaient de plus belle lorsqu’il remarqua enfin la main de zombie toujours bien accrochée à lui. Celle-ci valdingua sur le tableau de bord, laissant derrière elle une traînée de liquide visqueux. « Retire-moi ça de la vue avant que tu finisses châtré. » Nope, hors de question, même pas en rêve. Jonah se planqua au fond de sa banquette avec un air de dégoût. “J’touche pas ça, moi.” C'était plus dégueu qu'une holothurie. Plutôt continuer d’asphyxier à cause de l’odeur que de poser un seul doigt sur cette chair décomposée. Il ne manquerait plus que le membre se réveille, pleinement indépendant, et les attaque à son tour. Mais non, pas de remake de la Famille Addams en vue.

Ils se rapprochaient de plus en plus de l'hôpital, dont le parking se profilait devant eux. Cependant, ce qu'ils découvrirent en arrivant à proximité du bâtiment était bien loin de ce à quoi ils s'attendaient. Jonah laissa ses yeux parcourir le parking bondé de voitures laissées à l’abandon. "Ce sont... C'est... On voit la même chose ?" demanda Archie à voix basse, un mélange de choc et d'incrédulité dans sa voix. L’adolescent suivit son regard et pâlit légèrement en découvrant la scène qui se déroulait devant eux. Le parking de l'hôpital était envahi par des créatures zombifiées, qui déambulaient parmi les voitures. Des individus défigurés et en décomposition déambulaient entre les voitures, se heurtant les uns aux autres, cherchant désespérément quelque chose à manger. Leurs vêtements étaient déchirés et maculés de sang séché, leurs yeux vides. La scène n’était que chaos et désolation. "Je... je crois que oui," murmura Jonah, les yeux écarquillés devant cette vision cauchemardesque. La  cacophonie sinistre du grognement des zombies s'élevait dans l'air. "Putain, ils sont nombreux..." il marmonna.

Jonah passa une main sur son visage, semblant essayer de rassembler ses pensées. "Ça veut dire que... ils sont partout. Si l'hôpital n'est pas sûr, où est-ce qu’on peut aller ?" demanda-t-il d'une voix tremblante. “Ta famille de pété de thunes a forcément un genre de bunker tout confort prévu pour l’apocalypse, non ? On peut pas y aller ?” Sûrement que si. Sauf que s’il se référait aux films, encore une fois, les places étaient limitées et réservées pour l’élite. Lui, il n’était le fils de personne.

Alors la main restera sur le tableau de bord. Ça leur fera un joli souvenir, au même titre qu’un porte-clefs qu’ils auraient ramené de leurs vacances en Floride. Ils finiront par s’habituer à voir toute cette chaire en putréfaction et l’odeur qui vient avec, même si elle rappelle celle des caprices intestinaux d’Arthur et la saga des plats épicés.

Avec détermination, ils se rapprochent de l’hôpital. Les rues sont toujours aussi inanimées mais le cerveau d’Archie se plaît à poser un voile devant cette réalité. Il trouve des excuses au silence et au vide, et concentre toute son attention sur son genou qui a besoin de soins le plus vite possible. Seulement, et les deux garçons le remarquent seulement quand leurs espoirs sont au plus haut, le parking du centre hospitalier est plein à rebord des mêmes bêtes ambulantes qui ont tenté de les tuer à maintes reprises. Archie a le souffle coupé. Ses mains sont serrées autour de l’énorme volant de l’autobus, et il s’y accroche comme si sa vie en dépendait. Il a beau cligner des paupières pour nettoyer sa vision : le paysage reste inchangé. Et Jonah assiste au même spectacle que lui. "Putain, ils sont nombreux..." Il acquiesce silencieusement, incapable de faire la part des choses. Il voit tous ces monstres, se surprend à compter les têtes, ne s’imagine aucune issue, sauf celle de foncer dans le tas avec l’autobus pour être le premier dans la salle d’attente. La voix de Jonah s’élève à nouveau mais elle est étouffée par l’ébahissement qui enveloppe le sportif à la jambe pétée. Il entend les mots prononcés mais n’en capte pas le sens. Après un court silence, il réalise que c’est à son tour de répondre. Il sort de sa bulle, se secoue les puces, et interroge Jonah du regard : « Hein, quoi ? » Il croit avoir capté quelques thèmes importants tels que bunker, apocalypse, thunes. Mais il ne peut pas lier A, B et C, doit se contenter de tirer des conclusions dans cet assemblage de terme : « Comment ça, l’apocalypse ? De quoi tu parles ? » Blême, il déglutit. Il n’a vu aucun film de ce genre, lui. Il ne peut pas l’envisager. « Nous pouvons conduire jusqu’à la prochaine ville. Là-bas ils pourront nous aider ! » Inconscient jusqu’au bout, il appuie sur la pédale de l’accélérateur pour relancer le véhicule sur l’autoroute fantomatique. Trouver une solution, coûte que coûte et, surtout, refuser de croire à cette nouvelle réalité.        

@Archie Kwanteen

Les soins et l’aide dont ils avaient désespérément besoin étaient loin d’être à portée de main. Le parking de l'hôpital, qui aurait dû marquer la fin de leur cavalcade, était bien pire que ce qu’ils avaient vu dans la forêt. L'intérieur n’était probablement pas mieux. Ils ne pouvaient pas rester là, mais si cette scène était le reflet de ce qui les attendait partout où ils iraient, que pouvaient-ils faire ? « Comment ça, l’apocalypse ? De quoi tu parles ? - De quoi tu veux que je parle ?! T’as vu le bordel dehors ! Si c’est comme ça ici alors… c’est comme ça partout. » L'idée que le monde pourrait sombrer dans le chaos, dans une apocalypse, Jonah y avait toujours cru, quelque part, tout en espérant ne jamais voir cela arriver de son vivant. Malheureusement, les catastrophes ne survenaient pas que dans les films, et il était là pour en faire l’expérience. « Nous pouvons conduire jusqu’à la prochaine ville. Là-bas ils pourront nous aider ! lança Archie, défiant tout réalisme. - S’il reste quelqu’un pour aider… » Pour la première fois, Jonah se montrait défaitiste. Le monde qu’ils avaient connu était probablement foutu. Et à en croire les nombreux films du genre qu’il avait regardés, ils étaient bons pour survivre sur la route à jamais, ou être parqués dans des villages de réfugiés aux clôtures de barbelés tenus par des militaires abusifs jusqu’à l’hypothétique découverte d’un vaccin.

Chaque kilomètre parcouru était à la fois un espoir et un doute. Les questions tourbillonnaient dans l'esprit de Jonah, les visages de ceux qu'il aimait et avait peut-être perdus flottant devant ses yeux. Le sentiment d’impuissance était écrasant. Il pianotait nerveusement sur son téléphone portable, espérant désespérément obtenir une connexion Internet, une lueur d'espoir, un signe du monde extérieur. Mais le téléphone était muet, incapable de se connecter au réseau. Nerveux, angoissé, il se pencha par-dessus le dossier du conducteur pour atteindre la radio et chercher un signal. Le seul son diffusé était celui de l’annonce d’alerte du gouvernement.

“Pour votre sécurité, suivez ces instructions:
•  Restez à l'intérieur de votre domicile ou d'un lieu sûr. Fermez les portes, les fenêtres et les volets. Barricadez-vous si possible.
•  Évitez tout contact avec les zombies ou les personnes suspectées d'être infectées. Ne sortez pas sans arme ni protection.
•  Écoutez la radio ou la télévision pour recevoir des informations officielles et des consignes à suivre. Ne croyez pas les rumeurs ou les fausses alertes.
•  Préparez un kit de survie avec de l'eau, de la nourriture, des médicaments, une lampe de poche, une radio, des piles et des objets utiles.
•  Si vous êtes blessé ou malade, contactez immédiatement les services d'urgence. Si vous êtes mordu ou griffé par un zombie, isolez-vous et signalez votre situation.
•  Si vous devez évacuer votre domicile, suivez les instructions des autorités. Ne vous rendez pas dans les zones infectées ou les zones à risque.
Restez calme et solidaire. Ensemble, nous vaincrons cette menace.”

L’annonce reprit ensuite du début, et ainsi de suite. “Tu parles d’un réconfort.” Jonah soupira lourdement et s’enfonça dans sa banquette. “Comment ça a pu partir en sucette en une nuit ?..” s'interrogeait-il dans un murmure. Mais la question était surtout : pourquoi ? D’un geste las, il attrapa son sac à dos et trouva deux barres chocolatées tout au fond. Eau, nourriture, médocs ; pour ça, au moins, ils cochaient la case. Il tendit l’une des barres à Archie. Ils ne devaient pas oublier de se nourrir.

Quelques kilomètres plus loin, un camion citerne avait glissé en travers de la route et s’était renversé sur le côté. Les voitures arrêtées s’étendaient sur une centaine de mètres avant le lieu de l’accident. Jonah imaginait que tout le monde s’était retrouvé bloqué en essayant de fuir. S’il y avait eu des morts dans la collision et qu’ils s’étaient transformés, la panique avait vidé les véhicules de leurs passagers qui s’étaient dispersés pour fuir et survivre. Quoi qu’il en soit, les alentours étaient calmes, silencieux en dehors du bruit du moteur de l’autobus. Mais leur char n’irait pas plus loin. “On doit continuer à pied.” statua le Fletcher en jetant le sac sur son épaule. “Le dernier panneau indiquait la prochaine ville à cinq kilomètres.” Et Archie n’avait pas intérêt à lui demander de le porter.

« De quoi tu veux que je parle ?! T’as vu le bordel dehors ! Si c’est comme ça ici alors… c’est comme ça partout. » Basculant sa tête de droite à gauche par automatisme, il se voile la face. Il refuse de croire à cette histoire que lui raconte le garçon aux milles scénarios imaginables. « Tu regardes beaucoup trop de films ! J’espère que tu t’en rends compte ! » Il trouvera toujours un moyen de contrer ses propositions par des arguments invalides : c’est tout ce qu’il arrive à faire en cet instant où il n’y a plus que l’espoir qui le fait appuyer sur la pédale. Ils trouveront un autre hôpital, peut-être dans une autre ville, mais ils trouveront. Avec un peu de détermination, ils peuvent arriver à faire retourner la situation à leurs avantage. La crème battue dans la baratte termine toujours en beurre si un bras ambitieux tient le fouet.

Un nouveau silence s’installe. Il est plus lourd que le précédent. Les kilomètres sont avalés par l’autobus et l’état désertique persiste, faisant multiplier en le ventre d’Archie une colonie de fourmis. Il a pensé rebrousser chemin et rentrer chez lui mais il n’est pas certain d’arriver à retrouver la bonne sortie d’autoroute. C’était la première fois qu’il se rendait dans cette forêt, et il n’avait pas porté attention aux alentours lorsque la classe s’y faisait conduire hier. Dans le pare-brise, la main détachée ballotte au rythme des imperfections de la route. Du coin de l’œil, le jeune homme capte un mouvement. Il avait presque oublié la présence de Jonah sur le banc derrière lui. « Qu’est-ce que tu… » Il s’empresse à demander, jusqu’à ce que le poste de radio interrompe sa question.

Une annonce diffusée dans toute la province. Les mots s’enfilent à une vitesse si consistante qu’Archie aurait presque l’impression d’entendre un robot réciter un texte. Pourtant, c’est bien la voix d’une femme qui fait de son mieux pour ne pas laisser fuiter la panique. Les instructions données terrorisent le conducteur, dont les phalanges sont blanchies par la pression exercée autour du volant. “Tu parles d’un réconfort.” Il redresse les yeux sur la route. Il vient de se surprendre à fixer la radio comme s’il allait voir des images de cette catastrophe qui se produit en direct. “Comment ça a pu partir en sucette en une nuit ?..” Pour seule réponse, il déglutit. Il n’aime pas cette réalité, et ce n’est pas seulement parce qu’elle lui donne tort.

Du trafic ! Au départ, l’image de toutes ces bagnoles arrêtées au loin enthousiastes Archie. Il revoit là un scénario familier, celui qu’il rencontrait tous les soirs en rentrant de l’école. Mais, plus l’autobus avance et plus le paysage est ponctué d’erreurs de raccord. Certaines voitures sont arrêtées dans le mauvais sens. Des vitres sont cassées, des portes ouvertes et repliées en accordéon.  Un juron discret s’échappe enfin de ses lèvres alors qu’il arrête le véhicule à une dizaine de mètres des premiers débris. “On doit continuer à pied.” Il ne répond toujours pas. Il enfonce dans sa bouche la barre de chocolat que lui avait donné Jonah plus tôt. Il n’a pas encore faim. « Cinq kilomètres ?.. » Il couine, balayant une autre fois l’autoroute du regard pour chercher une issue. Aucun passage n’est assez large pour laisser passer un autobus entier. Il doit se faire à l’idée et abdiquer. « Putain de merde. » Il renvoie, s’extirpant enfin du siège qui a épousé la forme de ses fesses. Maladroitement, il boite sur toute la longueur de l’allée jusqu’à retrouver le dernier siège, où il s’était installé avec ses amis le jour précédent. Les places des populaires, of course. Grimaçant, il s’abaisse pour tâter en-dessous d’un des sièges, accroche un morceau de ruban adhésif, le décolle, ramasse le paquet en carton qui tombe au sol. Il retourne à Jonah et, le regardant avec de grands yeux, il hausse les épaules. « Quoi ? Ils conseillaient de faire une trousse avec des médocs. » Dans le paquet : des joints roulés ainsi qu’un briquet. « Ça nous aidera, promis. » Qu’il marmonne en sortant de l’autobus, ravalant chacune de ses grimaces. Il n’oublie pas de choper la branche qui lui servait de béquille plus tôt. « Tu crois qu’il vaut mieux faire le tour ou passer à travers les voitures. » C’est Jonah l’expert. Lui, il, se contentera de fumer la came quand le stress deviendra insurmontable.  

@Archie Kwanteen

Alors que Jonah observait les environs depuis sa place dans l'autobus, il ne put s'empêcher de ressentir une montée d'angoisse. Les événements s'étaient précipités de manière inexplicable, et il peinait à trouver un sens à tout cela. Les informations diffusées à la radio semblaient insuffisantes pour expliquer la situation et il était de plus en plus difficile pour lui de conserver son calme naturel. Mais il le fallait, car entre lui et Archie, il était le plus à même de les garder en vie. Oui, peut-être qu’il regardait trop de films ; au moins cela l’avait préparé pour ce cas de figure, aussi fictif eut-il encore pu paraître l’avant-veille. Il avait tout retenu, au cas où, comme si la science-fiction n’était rien d’autre qu’un ensemble de leçons pour l’avenir. Si être le nerd de service avait placé une cible sur son front visible uniquement des gens de la pire espèce, c’était désormais ce qui allait lui permettre de vivre bien plus longtemps que ces mêmes bullies.

La réalisation qu'ils devaient continuer à pied commença à s'enfoncer dans l'esprit de Jonah. Il avala difficilement sa propre appréhension, se préparant mentalement à ce qui les attendait. L'idée de marcher cinq kilomètres dans cet environnement dévasté ne lui plaisait guère, mais il savait qu'ils n'avaient pas d'autre choix. Ils devaient avancer, trouver un moyen de rester en sécurité et de rejoindre leur destination -bien qu’ils n’en aient plus vraiment. Archie, lui, était allé chercher il-ne-savait-quoi au fond du bus. Il revint avec un paquet dont la senteur caractéristique était reconnaissable par n’importe quel jeune de leur génération. « Quoi ? Ils conseillaient de faire une trousse avec des médocs. Ça nous aidera, promis. » Habituellement, Jonah ne touchait pas à ce genre de chose. La situation n’ayant rien d’habituel, au diable ces considérations. “T’es moins complètement inutile que t’en as l’air.” C’était quasiment un compliment. Archie restait un boulet, et la seule raison pour laquelle il n’avait pas encore été dévoré par les zombies, c’était que le Fletcher tenait à sa bonne conscience.

Kwanteen boitillait toujours. Les kilomètres allaient être longs et pénibles. Faute d’être expert en algologie, l’adolescent ne pouvait rien faire de plus pour lui. « Tu crois qu’il vaut mieux faire le tour ou passer à travers les voitures. » Se frayer un chemin tout droit serait plus rapide, mais plus risqué ; il suffisait que des conducteurs se soient retrouvés coincés dans leur voiture pour que ce labyrinthe soit un véritable repère de zombies prêts à les prendre en embuscade. “On va faire le tour.” décida Jonah. Il ouvrit la marche et aida Archie à passer par-dessus la rambarde de sécurité qui longeait la route. Ils n’avaient toujours rien pouvant faire office d’arme, et Jonah doutait que proposer un joint aux monstres les dissuaderait de leur sauter dessus.

Ils avaient parcouru une certaine distance, et l'environnement continuait de se transformer en un paysage de désolation. Les éclats de verre et les débris parsemaient le bitume. Ils avaient enjambé plusieurs cadavres aux chairs dévorées, aux entrailles éparpillées. Pourtant la vision de chaque nouveau corps paraissait d’abord irréelle… avant que l’odeur n’attrape leurs narines. A la moitié du chemin jusqu’à la prochaine ville, ils tombèrent sur une station service. Personne aux alentours. Les pompes avaient visiblement été pillées, des mares d’essence tachaient le sol avec des reflets irisés. Les fenêtres avaient été brisées, la porte forcée. Une voiture de police était garée près de l’entrée. D’un coup d'œil, on pouvait deviner la scène tragique et sauvage qui s’était déroulée. Jonah serra les dents. Une pensée oppressante envahit soudainement son esprit, comme un hurlement, la réalisation soudaine que… “Faut que je pisse.” Et il y avait probablement des toilettes là-dedans. “Fouille la bagnole des flics pendant que j’y vais. Faut vraiment qu’on trouve de quoi se défendre.”

“T’es moins complètement inutile que t’en as l’air.” Il aurait sûrement été surpris d’apprendre que la drogue s’avérait être une bonne idée pour monsieur nerd, mais les conditions actuelle l’empêchent de réaliser le ridicule de la chose. Jonah n’avait jamais fait partie de ces têtes enfumées qui planent entre les cours, mais les choses étaient bien forcées de changer maintenant qu’ils fuyaient les zombies plutôt que les heures de colle. Archie n’a jamais abusé de l’herbe, mais de temps en temps il appréciait de se détendre autour d’un jeu de cartes et d’une bonne compagnie. Ce n’était pas lui qui avait apporté les joints, c’était feu David. Ceci dit, c’était son idée de les coller sous le siège pour les dissimuler de l’œil des responsables.

Deux options s’offrent à eux. L’une semble comporter un peu moins de danger que l’autre, quoique la jambe d’Archie aura son mot à redire. “On va faire le tour.” La décision est prise et incontestable. Le blessé gonfle ses poumons d’un air difficile  à puiser il et abdique rapidement. « Okay. » Mais le ton de sa voix est plein de reproches inavoués. Il sait que la marche sera plus longue, et il doute que son genou puisse supporter son poids sur plus de cinq kilomètres. La drogue se coincera entre ses lèvres plus tôt que prévu. Grimaçant, mais sans bruit, il grimpe par-dessus la rambarde avec l’aide de Jonah et il ravale sa douleur en s’essuyant les épaules. Ce n’est que le début.

Autant le paysage est fascinant à voir, autant Archie aurait eu la même réaction en se promenant sur les bords de l’autoroute sans que l’apocalypse ne soit déclenchée. C’est bien la première fois qu’il obtient cette vue, et il constate que les broussailles qui accueillent leurs semelles sont sèches et cassantes. Tantôt ils traversent l’asphalte pointillé de corps maintenus coincés au sol par les voitures, comme le ferait une baude avec un filet de pêche. Tantôt leurs pas les mènent à croiser des cours d’eau salie par les égouts. Entre deux kilomètres, Archie se cache derrière un capot pour vomir de la bile. Rien ne sort, seulement le gout amer de la peur.

Nouvelle scène : une station-service. Au milieu du parking, une voiture de police délabrée git, les vitres cassées, de la fumée qui s’échappe en latte du capot cabossé. C’est presque joli, les miroirs d’essence qui marbrent le sol.  “Faut que je pisse.” La remarque lui arrache enfin un petit rire. « Tu pouvais pisser n’importe où. » Ils ont la chance d’avoir des tuyaux d’arrosage, autant en profiter. Là, il va risquer de s'enfermer quelque part. “Fouille la bagnole des flics pendant que j’y vais. Faut vraiment qu’on trouve de quoi se défendre.” Il déglutit, jetant un coup d’œil à cette fameuse voiture. Il s’en approche, toujours en titubant, et il se mord la langue jusqu’au sang tandis qu’il bascule vers l’avant pour observer à travers la portière avant entrouverte. Il ne semble pas y avoir de zombie. Naturellement, il ouvre le coffre à gants, mais un grognement épouvantable le fait sauter sur place. Il tombe à la renverse, les yeux écarquillés figés en direction des sièges arrière, où un zombie emprisonné et menotté s’agite, remue le véhicule. « JONAH ! » Il appelle pour qu’il vienne voir le spectacle. Ils ne semblent pas en danger. Le monstre est coincé-là et le regarde de ses yeux jaunes et perçants.              

@Archie Kwanteen

Leurs pas les guidèrent finalement vers une station-service, d’hors et déjà touchée par la sauvagerie de l’instinct de survie des humains mis face à l’adversité. La voiture de police endommagée reposait là comme une métaphore, le symbole d'autorité frappé par les zombies, l’officier absent incapable de protéger qui que ce soit. L’or noir, pour lequel des guerres avaient été déclarées à travers les décennies, était maintenant négligé sur le sol. Toujours aussi dangereux, cependant. En tout cas, c’était tout ce que l’œil cinéphile de Jonah déduisait de la scène. Ça, et l’opportunité d’aller faire ses besoins dans une petite oasis d’intimité, ce qui allait devenir un luxe rare. « Tu pouvais pisser n’importe où. » fit remarquer Archie. “Genre sur tes belles Nike toutes neuves ?” Ou sur ta sale tête, t’as une face d’adepte des golden shower. Y’avait que les riches pour aimer ça de toute manière, tout ce qui avait la notion d’or et d’argent dans le titre leur plaisait, qu’importe la teneur de la chose. Jonah grimaça face au cheminement de ses propres pensées. C’est trash, Fletcher.

Ils se séparèrent et le jeune homme fonça en direction du panneau des WC de la station. Les rayons étaient vides, personne derrière le comptoir, aucune mauvaise surprise dans les toilettes. Un coup de chance comme ils en auraient peu. L’idée de pouvoir se soulager en paix fit naître un large sourire sur le visage de l’adolescent. Plutôt se retenir trois jours que de faire ses besoins devant Kwanteen, il ne lui faisait aucune confiance pour se retenir de profiter d’une situation de vulnérabilité pareille afin de lui faire une mauvaise blague. Braguette descendue, les premières gouttes procuraient instantanément cette sensation de profond soulagement qui détendait même les épaules. Les petits bonheurs du quotidien. Malheureusement, ce moment de béatitude fut, bien sûr, interrompu par, je vous le donne en mille, Archieur. "JONAH !" Il grogna de frustration, pressa sa vessie de faire son possible et, sans parvenir à finir, stressé par la sensation d’alerte, il rangea son engin à toute vitesse et couru hors des toilettes tout en se débattant avec sa fermeture Éclair. “Bordel.” On peut même pas pisser en paix. “Qu’est-ce qu’il y…”

Les yeux écarquillés, Jonah tomba sur la scène qui se déroulait à l'intérieur du véhicule, la stupeur gravée sur son visage. Un zombie, prisonnier des sièges arrière, émettait des grognements sinistres et des mouvements désordonnés. Il ressentit une vague de soulagement en constatant que le monstre était menotté, coincé dans un espace étroit. “Merde.” Ce n’était pas une situation de vie ou de mort, Kwanteen se contenter d’être une chochotte, mais ça valait le coup d'œil. Voir l’un des monstres de près était à la fois effrayant et fascinant. Jonah avança avec précaution, gardant une distance sécuritaire entre lui et le zombie piégé. Il observa ses mouvements avec une méfiance palpable, analysant la situation. “On pourrait… on devrait l’utiliser comme cobaye.” il murmura, sa nerdité le trahissant une fois encore. N’importe quel autre ado ne songerait qu’à faire éclater la tête du zombie avec une batte et étaler sa cervelle dans tout l’habitacle. Jonah, lui, s’imaginait plutôt observer son comportement diurne et nocturne, les comparer pour savoir quand se déplacer pour être le plus en sécurité, tester sa résistance à la douleur, sa sensibilité aux éléments… C’était une occasion en or d’enfin comprendre ce à quoi ils avaient affaire.

“Genre sur tes belles Nike toutes neuves ?” Ses belles Nike toutes neuves étaient déjà foutues, de toute façon. La balade prolongée en forêt ne les avait pas épargnées. Archie avait mal prévu son coup – mais comment aurait-il pu le prévoir de toute façon. Aucun médium n’avait vu cette malédiction arriver, ou alors personne ne l’avait écouté. « Je ne crois pas que ça changerait quelque chose. Elles étaient beige et voilà qu’elles sont vert céladon. » Il marmonne en le dévisageant. Il n’a pas un vrai mec devant lui parce qu’il ne sait visiblement pas utiliser son plus grand atout en cas de survie. Et dire qu’il pensait être épargné des pauses pipi.

À nouveau seul, Archie ne se sent pas tout à fait à l’aise. Il n’a beau entendre aucun grognement monstrueux, il n’arrive pas à se détendre complètement. La scène est calme, un sentiment de solitude profond alourdi son estomac et c’est avec le courage d’une petite souris qu’il se met à fouiller la voiture de police, comme l’a proposé le spécialiste de la fin du monde. Peu de secondes s’écoulent avant qu’un nouvel obstacle vienne fracturer sa concentration : un zombie enfermé à l’arrière de la voiture, affamé, qui fait claquer ses menottes comme un criminel enragé. “Merde.” Yep, c’est le mot qu’il aurait lui aussi employé s’il n’avait pas été occupé à hurler le nom de la seule personne qui semble savoir ce qui se passe dans ce mauvais épisode de série télévisée. “On pourrait… on devrait l’utiliser comme cobaye.”  Posant de grands yeux exorbités sur Jonah, il l’attaque d’un long silence pantois. Il l’aurait fait durer, ce silence, s’ils ne devaient pas agir rapidement : « De quoi tu parles ? C’est pas une expérience scientifique. On ne va pas le tuer avec du vinaigre et du bicarbonate de soude. Faut lui exploser la cervelle et prendre cette voiture. Elle sera bien plus pratique que l’autobus. » Il renchérit d’ailleurs : « À la radio, ils ont dit que c’était contagieux. Ils ont parlé de morsure et de griffure, et toi tu veux te la jouer c’est pas sorcier ? » Pour sa défense, c'est pas lui qui regardait cette émission.

@Archie Kwanteen

Le zombie enfermé à l'arrière de la voiture se manifestait bruyamment en faisant claquer ses menottes. Forcément, leur détour par la station service était bien loin d'être aussi simple qu'il l'avait espéré. Entrer, pisser, partir, c’était devenu trop demander dans cette nouvelle réalité. Alors qu'il observait la créature emprisonnée, il était évident qu'elle était affamée et prête à tout pour sortir de sa cage métallique. La voiture, bien assez solide, assurait leur sécurité à l’extérieur pendant que le mort-vivant s'agitait à l’intérieur. Pourtant, Jonah se sentait quand même sur le qui-vive, nerveux, angoissé.

Sa suggestion d'utiliser le zombie comme cobaye fut accueillie par un silence incrédule et choqué d'Archie. Ses grands yeux exorbités se posèrent sur lui, comme s'il avait du mal à croire ce qu'il venait d'entendre. C’était pourtant la chose la plus rationnelle à faire, non ? Le premier de la classe devrait comprendre ça. « De quoi tu parles ? C’est pas une expérience scientifique. On ne va pas le tuer avec du vinaigre et du bicarbonate de soude. Faut lui exploser la cervelle et prendre cette voiture. Elle sera bien plus pratique que l’autobus. » Il était direct, sans compromis. Les épaules de Jonah baissèrent sous le poids de la déception. Il savait qu’il avait raison de vouloir étudier le zombie, mais Archie n’avait pas tort non plus. Il n’était pas un scientifique dans un labo high-tech. Juste un ado paniqué essayant de survivre dans un remake grandeur nature de 28 Jours Plus Tard. Et cela le faisait sentir impuissant. « À la radio, ils ont dit que c’était contagieux. Ils ont parlé de morsure et de griffure, et toi tu veux te la jouer c’est pas sorcier ? »

"Bon, d'accord, d'accord," admit Jonah, levant les mains en signe de capitulation. "On oublie le cobaye. Y’a qu’à… “exploser la cervelle” de cette chose." Qu’importe comment Archie comptait s’y prendre pour ça. Mains sur les hanches, le Fletcher réfléchit un instant. S’il y avait une voiture de police, il y avait forcément un officier quelque part. Avec un peu de chance, si on pouvait appeler ça de la chance, il avait été dévoré quelque part dans le coin, son révolver à la main. S’il n’avait pas vidé son chargeur en vain sur les monstres, cela leur ferait une première arme utile. “J’vais fouiller l’intérieur.” il déclara, encore dépité. Archie n’avait qu’à rester là, et continuer de ne pas servir à grand-chose.

Le truc, c’est qu’ils n’étaient pas aux States. Le port d’armes était très limité et ils ne trouveraient pas de pistolets, fusils à pompe et lances patates à chaque coin de rue (à moins de s’éloigner de la ville, là où les chasseurs sévissaient). Jonah jeta donc un coup d’oeil derrière la caisse enregistreuse, sans conviction d’y trouver un flingue contre les braqueurs du dimanche. Ce fut dans la réserve qu’il tomba en effet sur le cadavre décharné du policier, une arme à feu non loin. L’adolescent n’avait jamais vu, encore moins touché, à un engin pareil. C’était vachement plus lourd que ce qu’il avait imaginé. Plus froid aussi.

“Tiens, les dames d’abord.” il lança à Archie une fois de retour, lui tendant le pistolet. C’était son idée de dégommer du zombie, après tout.