"Bon, d'accord, d'accord," Ah bon ? Minus se replie si tôt ? Il ne débat pas davantage ? Étrange. Archie n’avait pas lu chez lui les qualités d’un lâcheur. Il avait pourtant l’air motivé à affronter Cortex, qui se bat pour les mêmes raisons.  "On oublie le cobaye. Y’a qu’à… “exploser la cervelle” de cette chose." Muet, il l’observe, toujours silencieux, tandis qu’il comprend ce que ça sous-entend, de lui exploser la cervelle. Il a utilisé les mots sans les peser. Cette chose était un être humain (même s’il venait visiblement de commettre un crime vue sa position) et Archie n’a aucunement envie de faire couler le sang de cette manière. Il n’est plus question de se défendre.

“J’vais fouiller l’intérieur.” Il assiste au reste de la scène dans la peau du spectateur. Jonah disparait dans la station-service, esseule celui qui vient de se reléguer la pire responsabilité simplement par esprit de contradiction. Il aimait jouer l’avocat du diable et aller à l’encontre de l’opinion des autres, c’est ainsi, mais cette fois le vent n’a pas tourné dans sa direction. Telle la misaine calée entre le grand mât et le beaupré, il est coincé entre deux solutions : soit il va au bout de ses pensées d’avocat du diable, soit il se rétracte et admet qu’il avait tort depuis le début. Effectivement, ce zombie pourrait leur servir. Aussi, il ne veut pas lui percer la cervelle d’une balle. La décision devrait pourtant être si simple à prendre, mais l’égo surdimensionné et insatiable d’Archie fait équilibrer la balance.

Et voilà que Jonah revient, sa petite main alourdie par une arme métallique qui semblerait presque le faire boiter malgré sa petitesse. Son poids est aussi physique que psychologique. Le sportif s’en ronge déjà les ongles. “Tiens, les dames d’abord.” Il ne le réalise pas mais sa tête réagit avant sa langue ; elle se secoue de droite à gauche. Ainsi révélé, il doit s’expliquer : « Non en fait c’est mieux de le garder vivant. » Qu’il affirme d’une voix ferme. « Je pense qu’on pourrait l’utiliser pour comprendre la nature de nos ennemis. » C’est bien la définition du mot cobaye. Paraphraser ne le sortira pas de sa gêne. Ça peut cependant lui donner l’impression d’avoir eu l’idée le premier. « Mais tu peux garder le pistolet au cas où. Pour se défendre. Ce monstre-là ne nous met pas en danger. » C’est la conclusion qu’il tire d’un air détaché et innocent, tandis que ses yeux couvrent le zombie immobile. Sans laisser Jonah se plaindre de son changement d’opinion radical et de son appropriation d’idées, il change de sujet : « La clef est encore dans la fente. Ce doit être sympa, de conduire une voiture de flic. » Et plus pratique pour se faufiler entre les débris qui se sont dispersés depuis qu’ils ont franchi les derniers aqueducs avant l’arrivée en ville. S'il le cœur en est, il pourra allumer les sirènes.

@Archie Kwanteen

Jonah avait la ferme conviction qu'ils ne pouvaient pas se permettre de tuer ce zombie. Au-delà des questions morales, il y avait une opportunité d'apprendre quelque chose de précieux sur les créatures qui forgeaient leur nouvelle réalité. Mais après s’être frotté à l’esprit de contradiction et à l’entêtement d’Archie plusieurs fois maintenant, cette fois, l’adolescent avait décidé de mettre son énergie à meilleur escient et de capituler d’office. Et ce, même si cela le frustrait au plus haut point, de laisser de côté une source d'informations potentiellement cruciale. Lorsqu’il revint de sa courte exploration de la station service, arme en main, ses yeux trahissaient une certaine perplexité. Archie secouait soudainement la tête. Après un moment de silence, déclara d'une voix ferme : « Non en fait c’est mieux de le garder vivant. Je pense qu’on pourrait l’utiliser pour comprendre la nature de nos ennemis. » Ses paroles semblaient presque identiques à celles de Jonah lorsqu'il avait plaidé en faveur du "cobaye". Il retint un soupir, leva les yeux au ciel. “Sans dec’ Bill Nye.”

Jonah acquiesça légèrement quand Archie ajouta : « Mais tu peux garder le pistolet au cas où. Pour se défendre. Ce monstre-là ne nous met pas en danger. » Bien sûr, l’adolescent était soulagé qu'Archie ait finalement accepté son point de vue, mais il était également conscient que la décision avait été motivée davantage par son immense égo que par la raison. Agacé, il plaqua violemment le pistolet sur le torse d’Archie et l’abandonna dans sa main libre. “Je voudrais pas t’ôter le plaisir d’exploser des cervelles le moment venu” lâcha-t-il, cynique. Son idée, sa responsabilité. “La larve que je suis risquerait de tirer dans ta dernière jambe valide.” C’était Kwanteen le plus fort, le plus intelligent, le meilleur en tout, après tout. N’est-ce pas ?

« La clef est encore dans la fente. Ce doit être sympa, de conduire une voiture de flic. » Ouais, super sympa de se la jouer Pat'Patrouille pendant qu’un zombie grogne à l’arrière et s’excite contre le grillage les séparant de la banquette arrière. Par-fait. Jonah s’installa sur le siège passager et fit mine de ne pas relever l’odeur nauséabonde provenant de leur ami en décomposition juste derrière. Il abaissa totalement la vitre de son côté néanmoins, avant de vérifier la boîte à gants. Il y trouva le portefeuille de l’officier et n’y toucha pas, songeant que cela était plus respectueux ainsi. Il trouva également une flasque dont l’odeur le fit grimacer -mais pas assez pour le dissuader d’en prendre une gorgée qui froissa un peu plus les traits de son visage. “Jus de courage ?” il proposa à Archie en lui tendant le whisky. Ils étaient deux adolescents livrés à eux-mêmes en pleine invasion de zombies avec une créature à l’arrière d’une voiture de police abandonnée ; qui les blâmerait ?

Encore une autre référence obscure pour un Archie qui n’a pas de temps à perdre sur internet. Il n’aura qu’à espérer que ce Bill Nye est un bon type. En attendant, même s’il a proposé de garder le zombie en vie (oui c’était sa proposition !), il n’a pas envie de se trimbaler avec un pistolet. La violence physique, ce n’est pas son truc. Il préfère intimider ses ennemis avec des mots et quelque chose lui dit que les monstres qu’ils croiseront n’auront pas assez de neurones pour comprendre ses insultes. Mais, contre toute attente, Jonah lui plaque le flingue sur la poitrine et il est bien obligé de l’attraper s’il ne veut pas risquer qu’il s’écrase au sol et envoie une balle perdue dans son pied. “Je voudrais pas t’ôter le plaisir d’exploser des cervelles le moment venu” Il lui jette un regard agacé, ses doigts incapables de complètement se refermer sur leur prise. Cette arme lui fait peur. Il ne connait pas son fonctionnement et il est certain que son camarade s’y connait davantage en objets de ce genre. “La larve que je suis risquerait de tirer dans ta dernière jambe valide.” Nouvelle grimace alors qu’il cherche un endroit où s’en disposer. Il la glisse à sa ceinture, aussi délicat qu’une petite fleur qui pourrait faner au moindre mouvement brusque, et sa position n’est plus du tout naturelle lorsqu’il se redresse. Il n’en tire pas mot pour garder le peu de dignité qu’il lui reste. Le moment venu, son balai lui sortira du cul et il arrivera à tirer correctement. C’est bien l’un de ses rares défauts qui l’évite de passer pour imbécile dans toutes les situations : il apprend rapidement.  

La voiture est fraichement disposée à leur servir de carrosse dans la ville. Archie propose de s’en servir et c’est tout naturellement qu’il se glisse derrière le volant. Une caisse comme celle-là, il sait encore plus la conduire. Aussi, elle se faufilera bien plus facilement dans les décombres. L’autre autobus était plus un poids lourd qu’autre chose. Se frottant les mains avec malice, il démarre le moteur. Son premier réflexe est de chercher le bouton qui allumerait les sirènes. Il a tant rêvé de le faire. « Y’a des trucs intéressants ? » Qu’il demande en sentant les mouvements de Jonah du côté du siège passager. “Jus de courage ?” Il pivote la tête vers lui, sourcil relevé et les pincées. Il y a quelque chose dans cette expression qui lui est trop familier. C’est le surnom que son père Charles donne à l’alcool. Sans répondre, il attrape la bouteille de whisky et s’en serre une gorgée, puis deux, puis trois, sans jamais grimacer, parce qu’il a déjà l’habitude à son âge. Il en profiterait bien à l'invité à l'arrière, mais il ne semble pas très loquasse.  

Les voilà lancés sur l’autoroute avec bien plus d’aisance : des poissons dans l’eau. Cependant, Archie ne reconnait toujours pas les environs. Il suit les indications sur la route, louvoie entre les carrosseries enflammées. « Tu sais on est où ? » Il finit par dire, admettant enfin ne pas savoir ce qu’il fait exactement. Il y a eu un panneau qui annonçait Brisbane dans 25 kilomètres, mais il ne sait pas s’il vient du nord ou du sud. Entrera-t-il dans la ville par la 93, la 92, la 31 ? Puisqu’il n’a pas l’impression d’avoir déjà emprunté cette autoroute, il se doute qu’ils ne passeront pas par chez lui en premier. De toute façon, il n’a pas nécessairement hâte de voir c’est rendu comment, son chez lui. L’alcool l’aide à ne pas trop y penser, mais l'absence de trafic est un rappel constant d'une humanité possiblement éteinte. Les grognements persistants derrière lui aussi.

@Archie Kwanteen désolée d'avance pour ce rp très conceptuel

Je suis là, observant ce corps décomposé qui fut un jour le mien, dérivant sans but sur cette autoroute chaotique. Ni tout à fait mort, et certainement plus vivant, j’ai un pied dans l’Après et un autre dans ce présent qui me dégoûte. Arraché à toute possibilité de repos, une partie de moi demeure dans cette carcasse décrépie comme un démon invoqué malgré lui. Mes sens sont altérés, et la faim qui me tenaille me pousse à avancer, à me mouvoir, à chercher la chair fraîche. Je suis devenu l'un de ces monstres qu’on appelle zombies en croyant que cela n’existait que dans les séries cheesy sur AMC, et la conscience de ma situation est à la fois terrifiante et désespérante.

Lorsque cet état de conscience me le permet, je regarde mon propre corps, déformé, en lambeaux. Mes chairs pendent là où j’ai moi-même été dévoré par d’autres, révélant des os dénudés et des muscles en décomposition. Mes yeux sont vitreux, ma bouche bée, émettant des grognements et des gémissements inhumains. Une abomination.

Je les ai rencontrés -si on pouvait dire ça comme ça- à la station service, les deux jeunes, à travers les entraves de cette boîte de métal qui m’entoure. Si mon cerveau en bouillie m'avait permis de leur donner un surnom, je les aurais appelés Tic et Tac. Mais ça sera Ghn et Grh. Ma matière grise atrophiée ne me permet plus non plus de comprendre ce qu’ils se disent. Les phrases, les mots, ne sont que des ensembles de sons qui, un jour, avaient eu un sens pour moi. Désormais, ils ne me permettaient que de les repérer, les voir, et saisir qu’ils étaient deux humains -non, deux tas de chair vivante dont je voulais me sustenter. Le moi à distance, l’impalpable, tente de retenir le moi pourrissant. Ce ne sont que des ados.

Ils montent dans la voiture où je suis prisonnier. Ils me gardent “en vie”, sans se douter que n’importe quel autre sort serait préférable à l’état dans lequel je me trouve. La boîte bouge, le paysage change. L’âme sortie de mon corps me suit toujours, spectatrice impuissante. D’en haut, je vois que le monde extérieur est un cauchemar.

Je reconnais l’odeur du whisky dans l’habitacle. Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour une lichée. J’espère qu’ils en ont des gallons de l’autre côté, au ciel, qu’importe où mon esprit ira. C’est le cadet de mes soucis, j’avoue ; le paradis, l’enfer. Tant qu’il y a de quoi me faire oublier cet état de semi-mort pour l’éternité.

Où allons-nous ? Je crois que les ados n’en savent rien. L’horizon est vaste et les possibilités aussi, toutes plus dévastées les unes que les autres. Je suis témoin de leur peur, de leur incertitude, de leur détermination à survivre. Je sens une pointe de tristesse pour eux, même si je ne peux pas la montrer, de là où se trouve ce qu’il reste d’humain, de moi. Le temps passe, les kilomètres défilent, et je suis condamné à rester dans ce corps en putréfaction. Finalement, ils se retrouvent à un carrefour, confrontés à un choix de direction. Ils ont l’embarras du choix et cela me narguerait presque. L’un des garçons indique une direction, la voiture tourne et poursuit sa route.

Je me demande si je suis le seul à être dans cette situation, si d'autres âmes errantes observent leur propre misère. Peut-être que nous sommes nombreux, condamnés à attendre, en tant que spectateurs, la fin de notre séjour au purgatoire. En attendant, j’assiste à l’aventure des deux adolescents, addition par défaut à leur binôme, jusqu’à ce qu’ils décident que faire de moi. Je n’ai jamais espéré la mort avec pareille ferveur.

Certaines balades en voiture sont plus bénignes que d’autres. Il y a les retours de classe, la route vers les vacances, les allées et retours à l’hôpital qui cessent le jour où le malade n’a plus besoin d’être conduit parce qu’il n’est plus.

Pendant un instant, Archie est perdu si profondément dans ses pensées qu’il oublie autant son passager vivant (plus muet) que son passager mort (plus vocal, étonnamment). Sa conduite s’est adaptée à cette route inégale et ces dépouilles ferreuses qui font pointiller la ligne jaune au centre de l’autoroute. Il est rare de voir le cancre de la classe si calme, mais il n’y a plus aucune classe à impressionner alors le silence vient par défaut. Les prochaines minutes – peut-être heures – seront les plus importantes de sa vie. D’abord, il doit ramener Jonah en un seul morceau, exercice qui s’avère plus difficile quand les météorologues annoncent une pluie de zombies. Ensuite, ils pourront découvrir le prochain problème.

À une intersection, le conducteur est forcé d’admettre qu’il est perdu. C’était la première fois qu’il se rendait dans la jungle au nord de Brisbane et, ici, toutes les routes sont identiques ; il n’y a que les enseignes qui pointent de nouvelles directions. C’est Jonah qui décide de la droite et, sans débattre, Archie tourne le volant dans cette direction. De temps en temps, ses yeux rencontrent le reflet du zombie dans le rétroviseur et la salive qu’il ravale est de plus en plus sèche malgré l’abondante quantité d’alcool à leur disposition. Puisqu’il a trop souvent fait la fête, Archie connait ses limites. Il a cessé de boire depuis la dernière sortie d’autoroute. Au loin, des premiers édifices tracent leurs contours à l’horizon et un soupir de soulagement s’échappe de la gorge nouée des deux garçons. Puis ils semblent réaliser en même temps ce que ça signifie. En ville, ils verront les vrais dégâts. Comme un con qui aurait déjà oublié que l’apocalypse a frappé, Archie stoppe la voiture au premier feu rouge qui modère la circulation dans le quartier. Il peut constater de flamboyantes incendies qui dansent de tous les côtés. Pourtant, il n’y a toujours aucun zombie. Se sont-ils tous ressemblés au centre-ville, là où il y a plus de viande disponible ? « Alors… » Il bredouille, le feu ayant tourné au vert sans qu’il ne réappuie sur l’accélérateur. « On va chez toi ou chez moi ? » Lequel aura le plus de courage d’affronter cette nouvelle réalité ?

@Archie Kwanteen

Les flammes crépitaient dans le paysage apocalyptique qui s'étendait devant eux, et les ombres dansaient sur les façades en ruines des bâtiments. La ville, autrefois vivante et pleine d'activité, était maintenant un théâtre de destruction et de désolation. Le regard de Jonah se perdait dans les détails macabres de cette nouvelle réalité, une réalité où les vivants étaient devenus les proies et les morts les chasseurs. Archie avait arrêté la voiture, fixant le spectacle infernal qui se déroulait sous leurs yeux. Le zombie à l'arrière restait étrangement calme, une présence morbide parmi les vivants. Archie, toujours pragmatique, s'était tourné vers Jonah, ses yeux bordés d'incertitude. « Alors… On va chez toi ou chez moi ? » Sa question avait résonné dans l'habitacle de la voiture, chargée de l'ampleur de la décision à prendre. « J’suis pas un garçon facile, Kwantarte, j’attends le troisième rendez-vous, » balança le jeune homme, parce que la blague était irrésistible, même dans un instant pareil. Surtout dans un instant pareil, en réalité, car le petit rire qui lui échappa valait mieux que la gerbe de stress qui flirtait avec sa glotte à l’idée de prendre une décision. Finalement, il soupira, résigné. L’humour n’allait pas faire disparaître leur réalité. Jonah avait pesé le pour et le contre dans sa tête. D'un côté, il y avait la familiarité de son chez-lui, un endroit où il aurait peut-être pu retrouver des souvenirs, des indices sur l’endroit où se trouvait sa famille -s’ils étaient vivants. Sinon, il ne trouverait que des cadavres. D'un autre côté, il y avait la curiosité de découvrir la demeure d'Archie, de voir comment il vivait avant que tout cela ne bascule dans l'horreur, et à quel point le marbre blanc pouvait s’imprégner d’hémoglobine. "Chez moi," avait répondu le Fletcher après un moment de réflexion. Il avait besoin de réponses avant toute chose, et puisque Archie lui laissait le choix, alors il le saisissait. Il devait lever le voile des incertitudes comme on arrachait un pansement.

La voiture les propulsa à nouveau dans les rues désertes de la ville. Les flammes crépitaient toujours, éclairant sporadiquement leur chemin. Le zombie à l'arrière restait étonnamment calme, comme fasciné par le paysage en mouvement. Les rues étaient jonchées de débris, de carcasses de voitures en feu, et d'ombres mouvantes qui auraient pu être des rôdeurs en attente. Les yeux de Jonah scrutaient l'horizon, cherchant des signes de mouvement, de danger imminent. Finalement, le véhicule s'arrêta devant son domicile, la maison familiale. Son cœur avait battu un peu plus vite en reconnaissant les contours familiers du quartier, de l’impasse, de l’habitation. La maison semblait relativement intacte de l'extérieur, exception faite d’une vitre brisée et de la porte d’entrée restée entr'ouverte. Archie avait coupé le moteur, et un silence pesant s'était installé. “Prêt ?” demanda Jonah, plus pour lui que pour son compagnon d’infortune sans doute. Il ne l’était pas, mais il ne le serait jamais, et ils n’avaient pas l’éternité devant eux. En plus, le zombie sur la banquette arrière puait littéralement la mort, alors sortir de la voiture et prendre l’air ne lui ferait pas de mal.

Jonah, ignorant le frisson qui parcourait sa colonne vertébrale, quitta le véhicule. C'était le moment de faire face à une vie qui paraissait désormais dater de plusieurs années, à ce qui restait de la normalité perdue. La lumière pâle de la fin du jour filtrait à travers les volets poussiéreux. Comme il l’avait redouté, les meubles renversés et des traces de lutte indiquaient des moments de chaos. “Maman ? Papa ?” appelait-il timidement, de crainte que ce soit un monstre qui réponde à son appel à leur place. Le silence demeurait complet, froid, terrifiant. Une à une, le garçon ouvrit les portes ; la cuisine aux éclats de porcelaine sur le sol, la salle à manger aux assiettes pleines laissées en plan, la salle de bains entièrement retournée. Le sang, ici et là, en quantités multiples, il faisait mine de ne pas le voir, ne pas le sentir crisper ses narines et remonter dans sa gorge. Ses frères et sœurs n’étaient pas là, ce qui avait du sens maintenant qu’il y pensait : ils étaient tous à l’école, comme lui, lorsque tout ceci était arrivé. Les retrouver n’allait être que plus difficile. Les chambres étaient vides. L’étage était étrangement paisible. Jonah jeta un regard à travers l’une des fenêtres donnant sur le jardin ; deux zombies se disputaient les tripes de son père dont le corps en morceaux grossiers trainaient ici et là sur la pelouse qu’il avait tant choyée. Ils avaient du sang plein les lèvres et les dents comme deux gosses se gavant avidement de Nutella au goûter. Jonah serra les dents et tourna les talons sans un mot. Ses phalanges recroquevillées étaient blanchies par la pression exercée par le sentiment de colère qui le traversait tandis que ses yeux rougissaient. D’un pas rapide, il se rendit dans sa chambre, jeta un grand sac sur son lit et quelques affaires dedans. Voyage léger, mais pas sans caleçons propres. Il était allergique aux synthétiques, en plus. Duffle bag sur l’épaule, il retourna au rez-de-chaussée où il avait laissé Archie. “Y’a personne. On récupère tout ce qu’on peut et on se casse.”

« J’suis pas un garçon facile, Kwantarte, j’attends le troisième rendez-vous, » Il est tellement stressé qu’il ne comprend pas la vanne aussitôt. Il lui faut un bon cinq secondes à filtrer l’incompréhension puis l’indignation d’avoir été le destinataire de ce genre de sous-entendu. Et il se rappelle enfin la phrase qu’il a dite avant, et qui a permis à Jonah de sortir son ironie comme on sort son chien pour le faire pisser. « Haha. » Il n’aura rien de plus, parce que Archie est assez embarrassé de s’être figé comme un imbécile pendant tout ce temps. Cinq secondes qui ont paru une éternité. "Chez moi," Opinant du chef, il récolte quelques informations sur la destination à prendre (parce qu’il ne sait pas où ce loser habite, ce n’est jamais chez lui que les party sont organisés) et les revoilà à louvoyer dans les rues chaotiques et ponctuées de voitures accidentées. Une dizaine de minutes plus tard, à avoir un avant-goût de l’enfer, Jonah lui indique de s’arrêter. À travers la vitre, il détaille sa barraque avec une saveur amère sur la langue. Il remarque la porte entre-ouverte mais il juge inutile de le mentionner. Son partenaire d’apocalypse a des yeux aussi. Il peut faire les constats lui-même. C’est sa voix plus solide que leur cœur qui sépare le silence en deux et sort Archie de son immobilisation sponsorisée par la peur bleue. « Prêt. » Il confirme d’un signe de la tête avant d’ouvrir la portière et de laisser derrière lui le mort-vivant un peu plus mort que-vivant. Une fois les portières refermées, ses grognements se voient étouffés et prodiguent à la scène une ambiance tout droit tirée des films d’horreur montés en found footage. Étrangement, Archie se fait plus petit désormais. Il s’apprête à pénétrer un univers qui n’est pas le sien, à peut-être croiser le chemin de personnes qu’il n’aurait jamais vues autrement. Sans pour autant toucher Jonass, il reste près de lui, à « guetter ses arrières » qu’il dirait pour se donner un genre. Devant eux se révèle un huis-clos des plus inquiétant. Meubles et appareils électroménagers se disputent le sol, renversés, retournés, démolis, déglingués. Sans vraiment s’en rendre compte, le garçon abasourdi emprunte sa propre voie, et désormais un couple de mètres le sépare de son compagnon plus aventureux que lui. Lorsqu’il le voit emprunter l’escalier principal, il lâche un : « Va pas trop loin hein ! Faudrait pas que tu fasses une connerie ! » Murmuré et plein de retenue, tandis que ses poings restent fermement serrés de part et d’autre de son corps. Comme il ne connait pas la maison, il n’a pas la curiosité de découvrir ce qu’elle est devenue. Il préfère se stopper au salon, là où il n’a pour compagnie que quelques tableaux décrochés du mur. Son cœur se serre quand il découvre de nombreux visages proprement installés pour une photo de famille. Ils sont nombreux. Ils ne se ressemblent pas. De voir leurs traits en santé le calme un peu, et il s’accroche à eux pour ne pas succomber à la panique qui menace de poindre. Quelques minutes plus tard, Jonah qui dévale les marches le sort de ses rêveries naïves. « Ok. » Il n’y a personne, donc. Il peut se mouvoir sans craindre d’attirer le danger – qu’il croit. Sans poser plus de questions, il se dirige vers ce qui ressemble à une cuisine, en vue du carrelage à l’angle du mur, afin de récupérer quelques boîtes dans les armoires. Le robinet est encore allumé et il l’éteint comme si ça allait réellement aider la planète. Il empoigne un sac de courses en papier et s’atèle à vider le panier de fruits, puis il se dirige vers une armoire. Il l’ouvre vivement, enfonce sa main sans précaution, et c’est un dentier aiguisé qui l’accueille à l’arrivée. Une gueule d’un enfant, huit ans au maximum, qui lâche un bourdonnement similaire au moteur d’un bateau. En panique, Archie referme la porte aussi vite qu’il l’a ouverte et il coince son poignet en lançant une prière. Si Dieu est réel et qu’il offre un vœu dans toute une vie, qu’il réponde aujourd’hui…

Faites que je ne saigne pas… Faites que je ne saigne pas…

Jonah était encore dans la pièce voisine, n’avait rien entendu. Archie avait fermé ses yeux pour mieux réciter sa requête et il avait senti son cœur battre dans son doigt où les dents l’avaient accroché. Et, quand il rouvre les paupières, son estomac se renverse. Le sol se dérobe sous ses pieds. Deux marques distordues et sa peau surélevée pour laisser s’échapper son nectar de vie en une fine goutte. Une seule. Mais c’est déjà trop.

Au milieu de la cuisine, il s’appuie au comptoir pour reprendre son souffle. Dans son angle mort, il sent la silhouette de son compagnon d’infortune se ficeler. Il n’a même pas entendu le bruit de ses pas qui se rapprochaient. « Eum, j’ai des fruits et quelques cannes de viandes de poisson, j’ai pu remplir deux sacs… Je crois qu’on peut y aller. »