Cameron est éreinté par l’effort et il sent son rythme ralentir malgré lui, malgré les pas de son poursuivant qui résonnent de plus en plus près de lui sur l’asphalte. Il profite de la pénombre de l’enseigne d’un restaurant pour jeter un coup d’œil par-dessus son épaule dans l’espoir de reconnaître l’homme qui est à ses trousses, mais en vain, alors il continue de courir comme il peut, en dépit du goût de sang dans sa bouche et de son cœur qui menace de sortir un peu plus de sa cage thoracique à chaque foulée. Ce rêve, il l’a fait des dizaines de fois dans les dernières semaines, il connait donc la suite par cœur et il tente comme il peut d’ouvrir les yeux pour se réveiller avant que l’homme ne se rende jusqu’à lui, mais ses paupières sont lourdes et il passe de sa chambre à la ruelle à chaque clignement de paupières. C’est seulement lorsqu’il sent l’homme lui agripper le chandail que Cam se réveille et qu’il se redresse soudainement dans son lit en se frottant l’épaule, à bout de souffle. Confus, il demeure immobile un instant avant de passer une main dans son dos humide et d’essuyer son visage trempé de sueur du bout des doigts. Au bout de quelques secondes, motivé par sa vessie qui menace d’éclater, le brun pivote son corps pour s’asseoir sur le bout du lit, puis il se donne une poussée à l’aide de ses bras pour se lever. Trop endormi, Cameron a le réflexe de se lever comme s’il avait encore ses deux jambes, comme on lui a appris à le faire dès l’instant où il a appris à marcher, il s’écroule donc au sol de tout son long en se cognant la tête sur le coin du bureau pendant sa chute.

Tandis qu’il roule sur son dos parmi les objets qu’il a fait tomber en essayant de se rattraper, il pose l’une de ses paumes sur son arcade sourcilière pour calmer la douleur qui le fait grogner et pour arrêter le sang qui coule sur le côté de son visage. Avec son autre main, il tente tant bien que mal de trouver sa canne en tâtonnant le sol, mais il ne voit rien et il commence à perdre patience. Vraisemblablement alertée par le bruit de la chute de son frère, Zoya accoure en direction de la chambre de Cameron et elle a à peine le temps de poser une main sur son bras qu’il se dégage d’un mouvement brusque sans même la regarder, aveuglé par la lumière qu’elle a allumée en pénétrant dans sa chambre. « LÂCHE-MOI! » hurle-t-il les yeux plissés en s’assoyant sans lâcher son visage d’une main, mais sa sœur ignore ses paroles et tente de s’approcher une seconde fois. Déterminé à se débrouiller tout seul, Cameron lance plusieurs crayons en direction de Zoya pour qu’elle le laisse tranquille. « J’AI PAS BESOIN DE TON AIDE! » Et comme pour lui prouver, il se lâche le visage et il tente de s’agenouiller, mais son dos le fait tellement souffrir qu’il n’arrive pas à forcer suffisamment pour se relever. Désespéré, il courbe le dos jusqu’à ce qu’il puisse appuyer ses coudes contre le sol devant lui et il pose ses mains sur le derrière de sa tête en déglutissant difficilement. « Laisse-moi tranquille… » lâche-t-il dans un murmure, le corps secoué par un sanglot.

Dès que Cameron a atteint la majorité, il est parti de chez ses parents pour voler de ses propres ailes, s’habituant rapidement à cette totale indépendance qu’il a perdue en même temps que sa jambe en juillet dernier. Jamais il n’aurait cru revenir vivre chez ses parents et encore moins se faire garder par sa sœur à l’âge qu’il est rendu. Une réalité qui provoque chez lui de nombreuses réactions infantiles. Malgré la douleur lancinante causée le choc de sa tête contre son bureau et le mal de dos qui l’empêche de se mouvoir comme il le souhaite, il s’entête à refuser l’aide que Zoya lui offre. Il refuse de s’avouer vaincu et de montrer à sa sœur à quel point il est vulnérable présentement. « Cam’, come on » La brune ignore ses paroles et tente une seconde approche, ce à quoi Cameron répond en lui lançant quelques crayons qui se trouvent sous sa main dans l’espoir qu’elle quitte sa chambre et qu’elle le laisse enfin tranquille. Le geste est désespéré et il n’obtient pas la réaction souhaitée. « T’ES SERIEUX ? » Cameron en comprend que sa sœur ne partira pas de sa chambre aussi rapidement, qu’il ne gagnera pas contre elle à ce jeu maintenant qu’ils ne sont plus des enfants. Épuisé, il s’effondre sur le plancher de sa chambre malgré lui en la suppliant de le laisser tranquille.

Il tente tant bien que mal de retenir ses larmes ainsi que son souffle pour ne pas être trahi par sa respiration tremblante, mais un sanglot jaillit d’entre ses lèvres et secoue son corps déjà affaibli. Zoya s’approcher de lui et, cette fois-ci, il la laisse faire parce qu’il n’a plus la force de lutter contre elle. La brune réussit à s’approcher suffisamment près de son frère pour poser une main dans son dos. « Je ne te laisserai pas. Laisse-moi t’aider. » Accepter son aide est beaucoup trop difficile, pourtant, il lui permet de rester près de lui et de le toucher. En vérité, les caresses qu’elle lui prodigue lui font du bien, l’apaisent même, mais jamais il n’osera lui dire. Il demeure un moment recroquevillé jusqu’à ce qu’il reprenne doucement le contrôle de sa respiration. « Tu ne vas pas rester comme ça, fais pas ta tête de mule. Aller… » Il hésite un instant, puis il se redresse doucement après avoir essuyé son visage du bout des doigts non sans avoir étendu un peu de sang sur celui-ci. « J’ai vraiment envie de pisser… » lâche-t-il dans un soupir en lançant un regard furtif vers sa sœur en s’agrippant à son bras pour s’asseoir sur le bord de son lit. Laisser la jeune femme l’aider n’est pas évident pour lui, mais c’est toujours mieux que de s’uriner dessus. Une fois assis sur son lit, il s’étire pour attraper sa prothèse en reniflant un bon coup. « Retourne-toi… » demande-t-il à la brune en agrippant à deux mains le bas de pantalon pour le relever et ensuite mettre sa prothèse. « La canne. » Il la pointe un peu plus loin et lorsqu’elle lui donne enfin, il se lève en grimaçant sans oser la regarder, puis il se dirige jusqu’à la salle de bain pour se soulager. Lorsqu’il rouvre la porte de la salle de bain et que son regard croise celui de sa sœur, il détourne honteusement la tête. « N’en parle pas aux parents, ça va juste les inquiéter pour rien… » Même s’il met l’attention sur ce que pourraient ressentir ses parents, c’est plutôt pour lui qu’il n’a pas envie que cette mésaventure parvienne à leurs oreilles. Il ne veut pas se faire chaperonner davantage, déjà que la cohabitation est loin d’être facile pour lui.

« Cam’… » Peut-être que pour elle la vue de son moignon lui semble banale, mais Cameron ne compte pas changer d’idée, pas du tout à l’aise de montrer cette partie de lui qu’il n’accepte toujours pas et qui le rend si inconfortable. Heureusement pour lui, parce qu’il n’a aujourd’hui pas la force de se battre contre elle comme ils l’ont si souvent fait dans leur enfance, Zoya n’insiste pas et lui donne l’intimité dont il a besoin pour mettre sa prothèse et ensuite aller à la salle de bain. Lorsqu’il revient, il l’implore de ne rien dire à leurs parents qui ne feront que l’infantiliser davantage. « Ca restera entre nous, je te le promets » La tension dans ses épaules se relâche lorsqu’elle accepte de tenir sa langue alors qu’il était persuadé qu’elle ne raterait pas l’occasion de leur dire. Encore reste-t-il à espérer qu’elle tiendra sa promesse lorsque leurs parents reviendront et qu’ils lui demanderont comment la soirée s’est déroulée. Il la remercie d’un hochement de tête, incapable de prononcer le mot à voix haute. « Viens t’assoir que je te soigne » Il ne s’obstine pas, bien conscient qu’il ne gagnera pas contre elle et, de toute manière, il a intérêt à ce qu’il n’ait pas le visage plein de sang lorsque leurs parents rentreront ou il aura droit à un interrogatoire. Il prend donc place sur son lit et attend que sa sœur revienne de la salle de bain avec la trousse de premiers soins. « Tu t’es pas loupé » Il n’a pas de difficulté à le croire avec la douleur irradiante qu’il ressent au-dessus son œil. « Je ne voyais rien, les lumières étaient fermées… » se justifie-t-il en fermant les yeux pour ne pas recevoir de désinfectant dans les yeux. « Ca va piquer dans trois, deux… » Évidemment, Zoya n’attend pas d’avoir terminé son décompte pour désinfecter sa plaie et s’il ne voit pas son sourire narquois parce qu’il a les yeux fermés, il le devine sans aucune difficulté lorsqu’elle pose la compresse après deux. Surpris par la douleur causée par l’alcool, son bras part et il frappe Zoya du revers de la main en lâchant un gémissement de douleur. « AH FUCK. Mais t’avais pas dit un! » Il fusille la traître du regard comme bien des fois où ils se sont chamaillés dans le passé pour pas grand-chose. Cette fois-ci, toutefois, il ne compte pas la fixer en boudant jusqu’à ce que l’un d’eux craque en ne pouvant s’empêcher de sourire. « Bon ça va, c’est superficiel tu n’as pas besoin de points » Bonne nouvelle considérant qu’il déteste les hôpitaux depuis son accident, avec raisons. « Avoue, tu vas dire à papa et maman que je t’ai donné un coup de poing ou que je t’ai poussé dans les escaliers ? » Il n’a pas encore vraiment pensé à ce qu’il pourrait bien leur dire afin qu’ils ne s’inquiètent pas. Tant qu’il reste couché à leur arrivé, ça lui donne jusqu’à demain pour bien préparer son mensonge. « Je pense qu’ils risquent plus de me croire si je leur dis que tu m’as lancé le hochet de Chloe parce que je te saoulais. » répond-il avec l’esquisse d’un sourire en l’observant furtivement alors que leurs chamailleries lui font du bien. Il grimace ensuite pendant qu’elle nettoie son visage comme s’il était un enfant. « Arrête de bouger ! » Il grogne en levant les yeux au ciel. « Je vais t’appeler maman si tu continues. » Une maman beaucoup plus jeune et beaucoup plus chiante. « Parlant de parents… » Il laisse planer le mystère alors qu’il s’apprête à questionner Zoya sur un sujet qui ne lui fera certainement pas plaisir mais tous les moyens sont bons pour oublier le petit incident qu’il vient d’avoir, non? « Tu vas nous le dire c’est qui le père de Chloe ou? » Il comptait bien le savoir un jour ou l’autre.

« J’ai pas dit que j’allais décompter jusqu’à un… » Sans aucune surprise, Zoya joue sur les mots pour avoir le dernier mot. Quand ils s’y mettent, ça peut durer longtemps. « Tu devrais revoir tes mathématiques parce qu’en ordre décroissant, après deux, c’est un! Tu fais chier. » grogne-t-il en détournant la tête tout en fermant les yeux alors que la douleur se calme doucement. En attendant, il tente de trouver une raison logique pour expliquer la blessure qu’il s’est fait en tombant parce qu’il n’y a aucune chance que ses parents l’épargnent en réalisant qu’il est blessé. « C’est sûr qu’ils ne peineront pas à te croire pour la partie où tu diras que tu me saoulais » Parce que plus ça change, plus c’est pareil. Depuis qu’ils sont hauts comme trois pommes que Cameron et Zoya se chamaillent et ça n’a pas changé lorsqu’ils ont tous les deux atteint l’âge adulte, à l’exception qu’il y a moins de poupées décapitées et de petites voitures lancées par la fenêtre. Mais malgré tous les gros mots qu’ils peuvent parfois se cracher au visage et qui laissent sans doute croire qu’ils ne sont pas si proches l’un de l’autre, le cadet n’hésiterait jamais à défendre sa grande sœur si quelqu’un osait lui faire du mal et Deklan et Ezekiel seraient probablement de la partie eux aussi. « Parce que tout le monde sait bien à quel point je te fais chier. » Affectueusement, bien sûr, et la brune a tout ce qu’il faut pour être lourde à son tour, mais ça elle ne s’en vante pas. « D’ailleurs, tu devrais même dire que c’est Chloe qui t’a balancé le hochet » Le jeune homme fronce les sourcils en lançant un regard vers sa sœur qui est prête à mettre le blâme sur sa fille sans aucun scrupule. Jamais Cameron n’essaierait de mettre la faute sur sa nièce et, de toute façon, personne ne le croirait. Elle est bien trop adorable pour faire quelque chose comme ça, beaucoup plus adorable que sa mère d’ailleurs. « C’est pour ça que t’as eu un enfant en fait? Pour ne pas assumer tes conneries? » demande-t-il en lui adressant un sourire faux en espérant la faire réagir.

Dès lors qu’il a appris que sa sœur attendait un enfant que Cameron essaie de connaître l’identité du père de la petite. À sa connaissance, la brune ne fréquentait personne à l’époque. S’il a cru qu’elle ne connaissait peut-être pas l’identité du père, il a changé d’idée en voyant à quel point elle répondait avec véhémence lorsqu’il l’interrogeait à ce sujet. Encore aujourd’hui, il la questionne dans l’espoir qu’elle lui donnera un peu plus de détails que les fois précédentes, se demandant si c’est parce que quelque chose de grave s’est passé entre eux qu’elle refuse d’en parler. Même s’il ne le montre pas forcément, il s’inquiète un peu pour elle. « Qu’est-ce que ça peut bien te faire de connaitre son identité ?! » Sa réaction ne le surprend guère, à tel point qu’il ne bronche pas sans la quitter du regard. « C’est ma nièce. » répond-il en haussant une épaule. À vrai dire, il n’a peut-être pas vraiment de bonne raison puisqu’il s’agit de sa vie à elle et non de la sienne à lui, mais il déteste les mystères et celui-ci ne fait pas exception. « Ça ne sert à rien de le savoir, il ne fera jamais partie de la vie de Chloe. Ni de la mienne ! » Un léger soupir s’échappe des lèvres de Cameron tandis que Zoya se lève comme pour fuir la discussion. « Tu sais quoi ? Le type qui est le père de Chloe est un moins que rien ! Il serait incapable de s’occuper de Chloe parce que c’est un type qui finit dans un lit différent chaque soir, qui boit comme un trou et qui n’a aucun respect pour elle. Tu sais ce qu’il a dit le soir où j’ai tenté de le prévenir ? Que je cassais son mood avec mon truc » Ça le rassure un peu de savoir que sa sœur a essayé de prévenir le concerné, pas tellement la description qu’elle fait de celui cependant. « C’est suffisant ou tu veux que je continue ? » Il hausse les épaules une fois de plus en observant attentivement la photographe qui a repris place à côté de lui sur le lit. « Je ne sais pas, il y autre chose à dire sur le sujet? » Il sourit d’un air innocent, un sourire qui disparait aussitôt que sa sœur ouvre la bouche pour ajouter : « Je pense pas que tu seras crédible maintenant si tu comptes aller lui arracher les yeux » Il la pousse sur l’épaule d’une main en la dévisageant. « Fuck you! » Comment est-il suppose reprendre confiance en lui, à être à l’aise avec sa nouvelle condition si on lui remet toujours sous le nez avec des remarques péjoratives? « Pardon… » Malgré ses excuses, il boude, le regard fixé sur le mur dans la direction opposée de celle où se retrouve la jeune femme. « Pourquoi tu ne veux pas en parler tant que ça? C’est quoi… on le connait? » Il fronce les sourcils à la recherche d’autres raisons probables. « Il n’a pas été correct avec toi? » Pour quelle autre raison valable peut-elle vouloir garder le silence? « Parce que si on ne le connait pas, on ne saura pas plus c’est qui même si tu nous dis son nom… » Il tente de la convaincre même s’il sait qu’il cherchera le concerné sur les réseaux sociaux pour se faire une tête dès qu’elle aura mis les pieds hors de sa chambre.

Cameron n’a jamais été un premier de classe, au contraire, il passait en général ses cours avec la note de passage ou quelques pourcentages en plus. Si les professeurs retenaient son nom à l’époque, c’était surtout parce qu’il avait tendance à se faire remarquer pour de mauvaises raisons, à l’exception des quelques fois où il est monté sur scène lors des spectacles de fin d’année en musique. C’était bien le seul cours où il se présentait sans se poser de questions et il n’en avait jamais assez. Il n’était pas rare que ses amis et lui se retrouvent après l’école pour se pratiquer ou écrire des chansons ensemble. Les soirs où il ne travaillait pas au restaurant de leur père, Cameron passait en général sa soirée avec sa guitare sur les cuisses. « Merci pour le tips, débile ! Je ne savais pas que tu t’étais trouvé une nouvelle vocation de prof’ de maths ? » Il rit en haussant les sourcils. S’il devait un jour changer de domaine, ce ne serait certainement pas pour aller enseigner à des petits cons comme lui. Son plan B avait toujours été de s’ouvrir une boutique de jeux de société et peut-être même un café ludique où les gens pourraient venir jouer à des jeux tout en consommant de la nourriture et de la boisson. « C’est toi qui es débile si tu crois vraiment qu’un jour je retournerai passer mes journées sur les bancs d’école. » Autant comme étudiant que comme enseignant. « Je n’ai jamais aimé l’école, c’est bien la dernière chose que je ferais. » Il n’a pas la patience pour gérer une classe remplir d’adolescents qui ont tout sauf envie d’être là. Il n’a pas non plus envie de voir des étudiants comme lui qui s’amusent à faire souffrir d’autres étudiants pour le plaisir. Il n’est pas fier de ce qu’il a fait et préfère l’oublier comme il peut même si encore aujourd’hui il y a place à l’amélioration dans sa façon de traiter les autres. « I’m proud of you, lil’ brother, tu le reconnais enfin ! » Il hausse les sourcils en l’observant d’un air dubitatif. « Je ne l’ai jamais nié, au contraire, ça m’amuse de te faire chier. J’ai toujours fait exprès. » Et ce n'est pas aujourd’hui que les choses vont changer entre eux, il se fera toujours un plaisir de l’embêter, peu importe l’âge qu’il ont. « Can you say that again and i record it ? » Il se penche légèrement vers elle en plongeant son regard dans le sien. « Je te fais chier. » Il se redresse en fronçant les sourcils. « Tu peux bien m’enregistrer si tu veux, mais ce n’était déjà pas une surprise pour personne je te signale. » Ses parents le savent, tout comme leurs deux frères d’ailleurs et bien d’autres gens qui les côtoient depuis belle lurette.

S’il y a bien une chose que Cameron n’a pas compris, c’est pourquoi Zoya n’a jamais voulu leur dire qui est le père de Chloe. Le cadet a longtemps cru que le père était peut-être quelqu’un de leur entourage, mais il n’a jamais réussi à mettre le doigt sur l’identité de l’homme et le silence de son ainée ne fait que lui donner davantage envie de savoir la vérité. « Et donc ? » Son argument n’est pas pertinent et il le sait, mais il ne trouve rien de mieux à dire pour justifier son besoin de savoir l’identité du père de la petite. « Je veux juste son bien. » Jamais il ne forcerait Zoya à impliquer le père de Chloe dans la vie de cette dernière, surtout pas après la description qu’elle venait d’en faire, mais savoir qui était son père l’aiderait peut-être à comprendre les réactions de sa sœur, la difficulté qu’elle a à prendre sa place de mère auprès de la petite. Parce que même si elle s’en occupe, il voit bien qu’elle n’a pas la même étincelle que Willow lorsqu’elle regarde son enfant, que son côté maternel ne vient peut-être pas aussi naturellement que son ex. « Comme si, dès l’instant où je vais te dire son nom tu ne vas pas aller voir sa gueule sur les réseaux sociaux » Il pince ses lèvres d’un air innocent en haussant une épaule. Zoya le connait trop, mais il ne voit pas trop ce que ça peut bien faire qu’il sache de quoi il a l’air, surtout s’il n’est pas dans la vie de la petite. « Je vais au moins attendre que tu sois sortie de ma chambre, c’est bon? » Il bat des paupières avant de reprendre un air sérieux. « Freddy Mulligan » Il fronce les sourcils en réfléchissant. Le nom de ne lui dit strictement rien. « Aucune idée c’est qui. » Pourtant, il aurait pu le croiser dans des fêtes ces dernières années selon ce qu’elle avait dit de lui. « Tu n’auras pas de mal à le trouver celui-là… Ou peut-être même que tu connais déjà sa tête de con… C’est un acteur » Malgré ce qu’il a dit il y a peu, il ne peut s’empêcher de sortir son téléphone pour faire une recherche après ce qu’elle vient de lui dire. « Il ne me dit rien, mais c’est vrai qu’il a une tête de sale con. » Il prendrait toujours le côté de sa sœur, ou presque. « Ca n’a été qu’une histoire d’un soir lui et moi, on a travaillé sur le même tournage… En Italie. C’est pas le genre de type que tu vois prendre ses responsabilités de père à cœur, et je ne veux pas ça pour Chloe » Cameron n’a pas l’intention d’essayer de la faire changer d’avis, Zoya connait mieux que lui ce Freddy Mulligan, et si ça se trouve, il ne croirait pas Zoya lorsqu’elle irait lui annoncer. « Si je comprends bien, tu ne t’es pas rendue à lui dire, c’est ça? » Il ne la juge pas, il souhaite seulement confirmer ce que Freddy sait ou ne sait pas. « C’est toi qui le connais, tu es la mieux placée pour savoir ce qui est mieux pour Chloe ou pas. » Au moins ça le rassure de savoir que ce n’est pas quelqu’un qui a abusé d’elle. « Si tu penses que Chloe est mieux sans lui, ce sera ça. » Il reprend son téléphone quelques secondes pour regarder une fois de plus la photo de Freddy. « Par contre, je pensais vraiment que tu avais meilleurs goûts que ça… »

« Et heureusement pour ces gosses ! » Voilà un sujet sur lequel ils sont tous les deux d’accord, pour une fois, même si Cameron n’intimiderait aujourd’hui pas les enfants comme il le faisait à l’adolescence. Il a changé, il veut s’en convaincre, et il est conscient aussi que d’avoir un enfant à lui a beaucoup changé l’opinion qu’il avait de ceux-ci. « Et puis tu es le moins intelligent de nous tous. Un débile sur cette terre, c’est suffisant. Il ne faudrait pas que tu en formes des nouveaux » Il hausse les sourcils, pas du tout d’accord avec ce qu’elle vient de dire. « C’est gentil pour Hannah, à t’écouter parler elle n’a aucune chance pour l’avenir. » Il est vrai qu’il n’est peut-être pas le meilleur exemple pour elle actuellement, tandis qu’il passe peu de temps de qualité en compagnie de la gamine, mais son bien-être et sa sécurité demeurent au sein de ses priorités. Même si ce n’est pas lui qui s’occupe d’elle la majorité du temps, il sait que la petite ne manque de rien avec sa mère et ses parents à lui. « Et puis je ne dois pas être le plus abruti des quatre si on regarde mon compte en banque. » ajoute-t-il pour se défendre même si son talent et son travail acharné sont probablement davantage responsables de son talent que son intelligence. « Moi, au moins, je suis capable de voir quand une idée est pourrie. » Pas comme Zeke qui est toujours motivé et persuadé que sa nouvelle idée le rendra riche comme s’il était le premier à y penser. Insinue-t-il que son petit frère soit un abruti? Peut-être, affectueusement, et il affectionne particulièrement son cadet malgré ses idées farfelues. « Que t’es un emmerdeur né ? C’est vrai » Cameron lève les yeux au ciel en abdiquant, pour cette fois, même si sa sœur sait très bien que ce n’est pas ce qu’il voulait dire.

L’identité du père de Chloe vient de nouveau sur le sujet et, enfin, Zoya s’ouvre à son petit frère qui tente de lui tirer les vers du né depuis le début de toute cette histoire. Il se retient d’ailleurs de souligner que c’est elle qui a fait un enfant avec quelqu’un qu’elle ne connaissait pas pour se défendre, une fois de plus, de ne pas être le plus abruti. Il sait que le sujet est sensible et qu’il n’a pas intérêt à blaguer sur ce coup-ci. « Il n’en a pas que la tête » Les réponses de la brune ne laissent aucun doute : elle ne semble pas être en très bons termes avec le père de Chloe, ce qui ne risque en rien d’être évident si elle décide éventuellement de le laisser prendre sa place auprès de la petite. « Je ne le connais pas justement, Cam’. Mais j’en ai vu suffisamment ce soir de janvier où je suis allée jusqu’à rentrer dans une boite de nuit, enceinte jusqu’au cou, et qu’il ne s’est même pas souvenu de ma personne. Il a été odieux et je ne veux pas d’une personne comme lui pour Chloe. Elle ne mérite pas ça…» Il pince ses lèvres quelques instants. « Tu te souviendrais de lui si tu n'étais pas tombée enceinte? » La vie sexuelle de Zoya ne l’a jamais intéressé, il ne sait donc pas si elle est du genre à coucher à droite et à gauche comme le fait probablement le Freddy en question. Il ne défendra jamais le père de Chloe parce qu’il prendra toujours le côté de sa sœur, mais il comprend quand même un peu que l’autre homme ne se souvienne pas d’elle s’ils n’ont couché ensemble qu’une fois sans plus. Après tout, Cameron ne se souvenait pas de toutes les conquêtes qu’il avait eues pendant ces années de célibat alors qu’il apprenait à vivre avec sa notoriété. « Rien ne t’oblige à lui dire pour Chloe. Si son nom n’est pas sur son certificat de naissance et qu’il ne sait pas qu’elle existe, quel mal ça lui fait? » Aucun. Ce qu’on ne sait pas ne nous fait pas mal. « Il ne saura jamais pour sa fille ! » Il ne tente même pas de la convaincre même s’il n’aimerait pas se retrouver dans la situation de Freddy. Après tout, qu’est-ce qui lui dit qu’il n’a pas d’autres enfants à travers le monde? « C’est peut-être qu’un pauvre type, mais c’était quand même un bon coup » Il grimace en secouant les épaules de dégoût. « Je n’ai vraiment pas besoin de le savoir. » Il rit légèrement en lui rendant son coup d’épaule. « Et puis Chloe a hérité de son regard » Le genre de truc qui lui rappellera toujours le père de la petite. « Une chance qu’il avait de beaux yeux et qu’elle n’a pas hérité de sa tête de con. » Ça aurait pu être pire. « Mais je sais que j’ai déjà eu meilleur goût » Il hoche vivement la tête pour en ajouter une couche.

« Cam… » Le ton de voix de la brune ne lui inspire pas confiance et c’est avec un air suspicieux qu’il pose les yeux sur elle. Il se doute que la conversation tournera autour de lui, de son accident et de sa condition actuelle et il préfèrerait s’en passer. « Est-ce que… Sincèrement… comment tu vas… Vis-à-vis de… tout ça ? » Il détourne la tête, toute esquisse de sourire disparue de ses traits alors qu’il se referme comme une huitre. « Je n’ai pas envie de parler de ça. » se contente-t-il de répondre sèchement en s’étirant pour attraper sa canne. Il ne va pas bien depuis des mois et il aurait aimé que pour ce soir Zoya oublie un peu cet évènement alors qu’ils retrouvaient à peine leur complicité d’antan pour une rare fois. « Pourquoi il faut absolument toujours revenir à ça? On ne pouvait pas juste passer un bon moment? » Frustré, il se lève malgré son dos endolori et il sort lentement de sa chambre. « J’ai faim, je vais aller voir s’il y a des restants à réchauffer. » grommèle-t-il sans un regard derrière lui.