Ils vont mourir. Le matin suivant, les premiers clients du musée les trouveront, comme deux egg-roll crevés au milieu du couloir, première victime de cet envoûtement satanique qui vient de s’abattre sur la ville. Ils feront peut-être le grand titre des journaux ! Ce serait aussi honteux qu’honorable, de finir sa vie et d’inspirer la plume de toutes les sangsues à potins. Joseph sera connu, Cesar aussi, et la fin tragique de ces deux idiots alimentera les discussions pendant deux ou trois semaines, jusqu’à ce que l’effet de nouveauté finisse de faire effet. Entre eux, il y en a un qui semble avoir un meilleur instinct de survie même s’il est celui qui s’est pris un coup de patte sur la tête. Ce devrait être lui qui se met en position latérale de sécurité, hélas, il a la tâche de ramener Joseph sur Terre tandis qu’une guerre de sortilèges se passe dans sa boîte crânienne, opposant ses émotions et sa logique. De penser à son téléphone, ça l’aide à se remettre dans ses chaussures, et aussi de réfléchir à où il l’a mis. “Parce que manger des space brownies c’est autorisé dans le règlement peut-être ?” Haussant les épaules, il grimace. « Ça fait tellement longtemps qu’on le fait que c’est autorisé maintenant. » Ça lui fait du bien de parler – même si c’est pour dire des conneries. Son rythme cardiaque ralentit et un sort de Failamalle est envoyé dans son cerveau pour que celui-ci range ses idées. Il visualise le téléphone public dans l’autre salle, où y’a des avions, des soldats et des répliques de pistolets de guerre sur les murs. Cesar approuve, et le voilà à faire le décompte pour qu’ils s’élancent avec cette nouvelle mission en tête. Tellement tendu, il sursaute quand Cesar se fracasse contre la porte, pensant que quelque chose de l’autre côté l’a fait sursauter. Mais il est seulement con, et il a oublié comment lire le mot « tirer ». Joseph aurait ri à gorge déployée s’il n’était pas tétanisé par l’éventualité de se faire bouffer par un lion zombie au faciès complètement déformé par le travail du taxidermiste.

Les voilà à déambuler dans le couloir toujours plongé dans le noir. La lampe torche de Joseph est rivée vers l’avant, et tous les yeux avancent à pas de loups jusqu’à la salle thématique guerre. À l’intérieur, il se permet d’allumer la lumière et, la première chose qu’il constate, c’est la disparition de toutes les statues de cire. Les soldats, les femmes, les enfants aussi, mais, surtout, Hitler. « Eum… » Joseph se fige, les mains moites, le souffle court. « Qui gagne entre une statue de cire armé d’un flingue en plastique et un lion en peluche ? » Cesar comprendra ce qu’il sous-entend. Le téléphone est juste là, de l’autre côté de la pièce, mais il semble inaccessible tant la tension est étouffante. Que quelqu’un chasse les démons dans cette pièce avec un peu d’encens et des cristaux magiques.

« Ça fait tellement longtemps qu’on le fait que c’est autorisé maintenant. » C’est vrai que les space brownies, cookies ou autre variante est devenu un grand classique de nos repas, un rendez-vous hebdomadaire même si on devait quantifier tout ça. “Alors le téléphone c’est autorisé aussi.” J’ai juste été trop bête de partir en le laissant sur la table, mais en même temps je n’aurais pas pu prévoir qu’on serait face à des lions alors qu’il ne se passe jamais rien ici. Nous sortons -après une tentative désastreuse- du placard à balai et à notre grand soulagement la voie est libre. Je mets un doigt sur la bouche pour dire à Joseph d’être discret, au même moment je manque de déraper et de m’écrouler contre un vase exposé tout près de nous. On repassera pour la discrétion. Pourtant même si on doit avoir l’air de deux éléphants dans un magasin de porcelaine les lions ne nous traquent pas. Nous pouvons donc atteindre sans encombre la salle sur la seconde guerre mondiale où le téléphone se trouve. Joseph allume la lumière et là : catastrophe. « Eum… » Mais où est-ce qu’elles sont toutes passées ? « Qui gagne entre une statue de cire armé d’un flingue en plastique et un lion en peluche ? » Je commence sérieusement à baliser. Les lions c’était déjà une angoisse mais le fait de savoir que potentiellement l’entièreté du musée s’est réveillée c’est un cauchemar total. “Sûrement pas nous.” Je jette un regard autour de nous mais la salle est déserte, personne à l’horizon, nous devons donc agir vite. “On verra ça après, on doit téléphoner avant que quelque chose ne se pointe.” Je me dirige vers le téléphone avant de rapidement constater quelque chose : une feuille de papier scotchée dessus. J’y lis “hors service” et là je dois devenir tout blanc, on n’a donc plus un seul espoir. “Joseph, le téléphone est en panne.” Et là j’ai un flash et je me revois il y a quelques mois quand un client nous a signalé qu’il était en panne. Je m’étais dit que je verrai plus tard pour le faire réparer. Sauf que je n’y ai jamais repensé. On est dans une galère pas possible et c’est en partie ma faute. Des pas se font entendre dans le couloir, des bruits de bottes militaires pour être exact. “Planque toi, vite !” Et c’est ainsi que débute la pire partie de cache cache qui n’ait jamais existé sur Terre. Je plonge sous une banquette en espérant que les statuts de cire ne me fassent pas la peau et en espérant que Joseph soit chanceux aussi.

Gérer deux lions, c’est une chose faisable. Il paraît qu’il suffit que d’avoir un fouet et de le brandir devant les yeux du félin pour qu’il reparte, penaud, la queue entre les jambes. Une arme à feu, seule, ça ne fait pas grand-chose non plus. Il n’y a pas pire menace pour les humains que les humains. Cesar et Joseph étaient presque en sécurité avant qu’ils ne réalisent que le plus vil dictateur de l’histoire cavalait librement dans le musée. Dieu sait ce qu’il est en train de faire, d’ailleurs. Avec un peu de chance, il est en train de se fasciner devant les ordinateurs dans la salle de contrôle parce qu’il s’agit d’une technologie qui lui est complètement inconnue. Il doit faire bouger le curseur dans l’écran et penser que c’est de la magie noire, tout simplement. Dans tous les cas, Joseph est certain que, si cet homme mauvais tombe sur eux, ils se feront bousiller. Sauf si la sculpture en cire n’a pas hérité de la personnalité du personnage qu’elle représente. Mais les lions ont bien grogné après eux, non ?  “Sûrement pas nous.” Dans tous les cas, ils seront deux contre 20. La salle de la guerre était bien peuplée, avec tous les soldats de chaque pays représenté en plusieurs exemplaires. Cesar préfère zapper cette information pour se concentrer sur l’essentiel : le téléphone. Qui s’avère être en panne. Oh, pouvoir de télékinésie, pourquoi n’existes-tu pas dans les moments où nous avons le plus besoin de toi ? « Comment ça, en panne ?! C’était pas ton job d’informer le réparateur il y a de ça plusieurs mois ? » Qu’il s’exclame un peu trop fort, avant de plaquer ses mains sur ses lèvres pour se muter. Il a fait trop de bruit. Et, maintenant, ils ont attiré l’attention de quelque chose (ou quelqu’un) qui se rapproche dans le couloir. Joseph réagit à l’ordre de Cesar comme s’il était un petit chien et il se planque derrière une colonne en granite au milieu de la salle. L’autre a choisi une cachette bien plus judicieuse. Blâmons encore la bouillie de potion magique qui a remplacé le cerveau de Joseph dans sa boîte crânienne.

Des soldats. Ils rient ensemble en se racontant des histoires, on dirait. Ils parlent… Pas anglais… Espagnol ? Non, français ! Jetant un coup d’œil à Cesar, dont il voit le reflet de l’œil sous la banquette, il mime avec ses lèvres : « Les français étaient des alliés non ?! » Il aura le mérite de connaître cette information, lui qui n’a pourtant aucune culture générale et qui préfère regarder Harry-Potter et Hocus Pocus que des documentaires.

Il y a des fois où je me dis que suis vraiment stupide, comment est-ce que j’ai pu oublier d’appeler le réparateur du téléphone ? Je suis vraiment pas fiable et ma procrastination me perdra. J’espère intérieurement que Joseph ne percutera pas que c’était mon job et que j’ai merdé dans cette histoire. Mais c’est raté. « Comment ça, en panne ?! C’était pas ton job d’informer le réparateur il y a de ça plusieurs mois ? » Il crie et je lui fais les gros yeux avant de lui dire sans un bruit “ferme là”, en espérant qu’il sache lire sur les lèvres. Non mais il est stupide ou quoi ? Il veut attirer les soldats peut-être ? Enfin je ne peux pas non plus lui rejeter toute la faute dessus, pour le coup j’ai merdé le premier avec le téléphone en panne. En parlant des soldats, ces derniers se dirigent justement vers nous. On est foutus là, les carottes sont cuites. Par réflexe j’essaie de faire fonctionner les deux neurones qui me restent et je lui ordonne de se planquer. Caché sous une banquette j’essaie de reprendre mon souffle mais je respire trop fort. Mon coeur bat de manière si intense que j’ai l’impression qu’ils peuvent l’entendre. Cependant des rires et des voix enjouées accompagnent les bruits de bottent. Je ne comprends pas un mot à ce qu’ils racontent. « Les français étaient des alliés non ?! » Je fronce les sourcils, c’est pas parce que je bosse dans un musée que je suis historien. “Etre ignorant je suis” Et je n’ai pas le cerveau en assez bon état pour me refaire les cours d’histoire dans la tête. “Avoir raison j’espère que tu as” C’est le principal, peut-être qu’en négociant on arrivera à s’allier avec eux pour combattre les lions. C’est une idée peut-être suicidaire, stupide très certainement mais on a pas trente six options de disponibles. Je me lève donc de ma cachette pour faire face à une dizaine de soldats ce qui est extrêmement intimidant et déroutant à la fois. Comment trouver les mots face à des statuts de cire françaises revenues à la vie ? “*Bonjour euh aide nous avoir besoin*.” Je cherche mes mots, les cours de français sont très loin derrière moi. “*Attaquer.. les lions vont.*”  En espérant qu’ils se débrouillent avec ça.

*à imaginer dans un français approximatif avec un gros accent australien

Win : les soldats comprennent par miracle Cesar et lui proposent de les aider pour combattre les autres créatures et les protéger
So close : les soldats ne comprennent qu’en partie, le dialogue est difficile et l’aide de Joseph sera précieuse
Fail : les soldats comprennent rien et pensent que Cesar est en train de les menacer, ça va vite tourner au vinaigre.