“C’est ici pour le cliché de l’anglaise qui me propose du thé ?” Rhett demande, toquant à la porte de l’appartement, lui qui n’a toujours pas compris à quoi pourrait servir une sonnette. Son sourire même s’entend dans sa voix. La tempête du retour à Coolangatta est passée, et avec elle l’annonce officiellement-officieuse de sa relation avec Evie. Elle a appelé ses parents, il a écouté à un mètre de là, soucieux. Et finalement, personne n’est mort - pour le moment encore, parce qu’il n’a pas encore passé le cap du repas de famille sans être empoisonné. Quelques médias leurs reprochent le lieu où les photos ont été prises, d’autres soulignent le fait qu’il semble évident qu’ils n’allaient pas s’en tenir à quelques baisers dans la salle des trophées de Kai Pearson. Ils n’ont pas tort, mais ce ne sont pas des mots que Rhett peut avouer, raison pour laquelle il se contente de garder le silence, lui le commentateur sportif que personne n’ose questionner à l’écran. Il a eu le droit à quelques blagues, mais jamais rien de plus - et il ne risque pas de s’en plaindre. “Tu sais qu’on habite dans la même rue ? Si ton thé est bon, je risque de venir t’en voler régulièrement.” Il n’aime pas vraiment le thé en réalité, il n’en comprend pas l’intérêt et ce n’est pas une décennie passée en Angleterre qui a su changer son avis sur le sujet. Ou c’est peut-être parce qu’il s’est un peu trop fait au thé de là-bas que celui d’Australie lui semble fade, allez savoir.

Ses deux pieds parfaitement parallèles au seuil de la porte, il range ses mains dans son dos, véritable enfant sage à qui on pourrait donner le bon Dieu sans confession, surtout alors qu’il souligne encore un peu plus son sourire lorsque la silhouette de Greta se dessine face à lui. “J’étais pas certain que tu continuerais sur ta première idée. Mais je suis content que l’idée te plaise toujours.” Parce qu’après tout, cela n’arrive pas tous les jours de se faire aborder par un inconnu assez vaniteux pour demander à ce qu’on écrive sur sa vie. Mais apparemment, cela ne semble pas l’avoir effrayée, juste assez décontenancée peut-être pour qu’elle ait eu besoin de temps pour y réfléchir. Cela n’est en rien un problème, bien sûr, surtout pas alors qu’elle en est finalement venue à la seule et unique réponse que Rhett avait envie d’entendre: c’est d’accord.

Les dés étaient lancés et tout s’était joué sur son propre terrain. Un gala de charité où elle avait été contrainte d’aller et où il avait suffit d’une rencontre pour que sa venue ici ne lui semble plus être totalement vaine. Beaucoup de choses s’étaient passées depuis l’événement, que ce soit du côté de Greta ou celui de Rhett. Mais surtout celui de Rhett. L’auteure, elle, avait surtout passé son temps à se renseigner sur l’art et la manière d’écrire une biographie, un peu sur le rugby et beaucoup, beaucoup sur lui. Difficile de s’imaginer que quelques rendez-vous suffisent à venir à bout de toutes les anecdotes d’un homme de bientôt quarante ans, surtout si celui-ci trainait derrière lui une carrière de rugbyman et quelques casseroles. Puis il y avait eu la presse, celle sur internet qui était la seule que lisait réellement Greta pour s’assurer que ses parents ou son frère n’avaient rien fait de réprimendable. Elle ne cherchait alors plus d’informations sur Rhett mais il était apparu bien malgré elle sur son écran, en compagnie d’une très jolie femme. Leur prochaine rencontre s’annonçait croustillante et Greta avait légèrement ri en repensant à cet SMS envoyé à Maze. Malgré cette découverte, le recevoir avait nécéssité un léger temps de préparation parce qu’il n’était pas n’importe qui. D’abord, il était quelqu’un de connu publiquement mais surtout, il était celui qui venait lui apporter sur un plateau la possibilité de briller à nouveau à son tour. Alors Greta avait préparé le thé hors de prix que lui avait envoyé ses parents dans un de leurs nombreux colis et avait enfilé une tenue décontractée mais plus présentable que ses tenues habituelles pour traîner à la maison. Rhett était ponctuel et c’était plutôt positif puisqu’elle-même était prête bien avant l’heure du rendez-vous et tentait de combler comme elle le pouvait les minutes la séparant d’un rendez-vous qu’elle appréhendait sûrement à tort. “C’est ici pour le cliché de l’anglaise qui me propose du thé ?” Il était évident que ce garçon était habitué à être le centre de l’attention et sa notoriété lui avait apporté une assurance dont il profitait allégrement pour se sortir de toutes les situations. Greta venait du même milieu mais sa confiance en elle s’égrainait au fur et à mesure de ses années de stagnation. “Tu sais qu’on habite dans la même rue ? Si ton thé est bon, je risque de venir t’en voler régulièrement.” En se dirigeant vers la porte, elle avait baissé la tête pour rire. « Je plaide coupable, un cliché à moi toute seule. Mais je t’en prie, rentre quand même ! » Poli et courtois, le Rhett Hartfield qu’elle rencontrait pour la seconde fois semblait bien loin de l’image qu’on avait pu essayer de tirer de lui. Greta avait choisi de le juger avec ce qu’il dégageait et ce qu’il lui confierait plutôt qu’avec ce que l’on trouvait sur internet. “J’étais pas certain que tu continuerais sur ta première idée. Mais je suis content que l’idée te plaise toujours.” Greta lui avait répondu par un sourire enthousiaste. Lui indiquant de la suivre, elle l’avait emmené dans la salle à manger puis était allée leur servir le fameux thé dans la cuisine ouverte. « L’idée me plait de plus en plus en y pensant. Je vais juste devoir rajouter un chapitre sur ta kleptomanie parce que mon thé est sans nul doute le meilleur que tu goûteras de ta vie. Sans exagérer. Assieds-toi si tu veux. » L’idée était de prendre le temps de déguster une boisson chaude et de sympathiser avant d’entrer dans le vif du sujet et surtout d’éviter de déblatérer tout un tas de phrases décousues comme elle avait pu le faire lors du gala. « J’imagine que tu as trouvé facilement alors si on est dans la même rue. C’est plutôt une bonne chose, on devrait être amenés à se voir régulièrement. »  En combien de temps un rugbyman et une fille de pouvaient-ils boucler un projet aussi conséquent ? Ils le découvriraient ensemble.

Réglé comme une horloge, l’australien répond présent devant la porte de l’appartement de Greta, partagé entre appréhension et excitation tant il ne sait finalement pas à quoi s’attendre pour ce rendez-vous. Ses doutes cachés un sourire enfantin, le voilà qui répond présent à l’appel, sur le pas de sa porte, encore incapable de statuer ce dont il sera capable de lui parler ou non et, avec cela, la réussite de la sortie de ce livre - il ne pense déjà qu’à ça, il faut l’avouer. « Je plaide coupable, un cliché à moi toute seule. Mais je t’en prie, rentre quand même ! » Il esquisse un rire poli, ne voulant après tout pas se plaindre de l’attitude cliché de l’anglaise: un thé, ça lui convient parfaitement. Elle n’a pas insisté sur la raison pour laquelle il ne veut pas boire d’alcool et elle ne lui en tient donc rigueur de rien, comportement qu’il apprécie. Ainsi, c’est d’un pas enjoué qu’il passe le pas de la porte, le tout pour mieux la suivre dans l’appartement.

« L’idée me plait de plus en plus en y pensant. Je vais juste devoir rajouter un chapitre sur ta kleptomanie parce que mon thé est sans nul doute le meilleur que tu goûteras de ta vie. Sans exagérer. Assieds-toi si tu veux. » - “Rien que ça ? Fais gaffe, je m’y connais en la matière maintenant, j’ai un avis d’expert sur le sujet.” Non, bien sûr que non. Quelques années à vivre en Angleterre ne peut pas suffire à transformer le premier venu en pseudo-expert en la matière, surtout sans ne jamais boire dudit liquide ou presque. Peu importe, ce qui l’amuse c’est de le statuer autant que de bâcler lui-même sa ligne de défense en laissant échapper un rire juste ensuite et se trahissant tout aussi rapidement. « J’imagine que tu as trouvé facilement alors si on est dans la même rue. C’est plutôt une bonne chose, on devrait être amenés à se voir régulièrement. » A cela, il rigole avec un peu moins d’aisance, sans que cela soit la perspective de la compagnie de Greta qui le dérange déjà. Non, simplement, il n’a aucune idée de ce dont les choses seront faites et à quel point il devra lui parler de tout pour le bien de ce projet, ayant pourtant si peu l’habitude de se délier la langue. “Je vais être cuisiné par ma belle-mère demain, j’espère que tu m’en veux pas si j’essayer d’imaginer son visage sur le tien pour m’entraîner.” Subtilement (ou presque), c’est sa façon à lui de souligner le fait qu’il est bien conscient que sa vie privée a été affichée sur les réseaux, autant que d’ajouter l’idée que les choses sont bel et bien officielles avec Evie, au point de rencontrer la matriarche de la famille.

Après de trop nombreux bavardages, Rhett accepte enfin de se poser sur un fauteuil et de se taire, attendant ainsi poliment qu’elle lui serve ce fameux thé dont elle vante déjà les mérites. “J’imagine que t’as commencé à faire quelques recherches, pas vrai ?” Tout comme il imagine qu’elle n’a pas interrogé ses anciens coéquipiers mais bien tous les sites internet de pages à sensation, celles qui le classent parmi les présentateurs les plus sexy du pays et d’autres parmi les destins brisés d’espoirs de médailles olympiques. Entre autres. Oh, maintenant il existe tous ceux au sujet d’Evie, bien sûr, et Dieu sait que les histoires d’amour passionnent la foule. “Je peux te dire ce qui est vrai ou faux, si tu veux avoir une base.” Plus tard, seulement plus tard il pourra aborder les sujets plus difficiles et plus profonds.

Difficile de savoir si son avis sur le rugbyman aurait été similaire en le rencontrant dans d’autres circonstances. Lors d’un gala, tous vêtus de tenues hors de prix et de sourires de façade, tout le monde paraissait forcément étrangement aimable. Le fait que la discussion n’ait été que brève et suivie d’une proposition professionnelle alimentait également l’avis positif de Greta à l’encontre de Rhett. Aujourd’hui pourtant, les masques allaient tomber et laisser place à une vérité, peu importe si elle était bonne ou non à entendre. Alors qu’il était entré dans son loft, Greta se rassurait de savoir qu’il pouvait lui aussi envahir son intimité avant de se livrer à elle - les mettant sur une sorte de pied d’égalité. Bien sûr, son intimité à elle avait été lissée au préalable et son loft rangé pour apparaître aussi impressionnant que ceux des magazines de décoration ou des photos Instagram. Rhett n’était pas obligé de savoir que sa biographe était une gosse de riche bordélique avec une tendance un peu trop forte à terminer une bouteille de vin à elle seule à une fréquence trop élevée pour que cela soit raisonnable.

“Je vais être cuisiné par ma belle-mère demain, j’espère que tu m’en veux pas si j’essayer d’imaginer son visage sur le tien pour m’entraîner.” Rhett devait probablement tenter avec un peu d’humour de dissimuler la spirale dans laquelle il avait été entraîné. Greta ne connaissait que trop bien la pression que représentait la presse, si l’on pouvait qualifier de journalistes les auteurs de certains torchons utilisant les faits comme bon leur semblait, du moment que cela se vendait. Un sourire compatissant était venu se dessiner sur son visage et son regard avait croisé celui du sujet de sa biographie, comme pour lui indiquer qu’elle comprenait un peu la situation dans laquelle il se trouvait - du moins les problèmes avec les médias, pas avec la belle-maman. « Pas sûre que ça t’aide à parler plus librement et mon jeu d’actrice est médiocre, mais on peut essayer » avait-elle finalement répondu en riant et haussant les sourcils. Finalement, Rhett continuait à être sympathique et plutôt drôle, ne restait qu’à savoir si son humour n’était qu’une façade visant à cacher une certaine appréhension. “J’imagine que t’as commencé à faire quelques recherches, pas vrai ?” Elle avait acquiescé avec un sourire malicieux, confirmant en savoir déjà pas mal sur lui. Le thé, dont elle resterait l’experte, avait été servi puis le sujet s’était dirigé vers ce qui était réellement à l’origine de la venue d’un rugbyman en ces lieux. En temps normal, Greta l’aurait servi dans le salon pour se nicher dans un de ses fauteuils préférés mais pas cette fois alors que sa carrière prenait un nouvel élan.  “Je peux te dire ce qui est vrai ou faux, si tu veux avoir une base.” Prenant sa tasse bouillante entre ses mains comme pour se réchauffer, elle s’était installée en face de Rhett sur une des chaises hautes disposées autour de la table qui trônait entre la cuisine et le salon. « J'ai été obligée de parcourir la presse, oui, et tu vas effectivement devoir m’aider à recouper ce qui est vrai ou faux. M’expliquer pourquoi, les liens de cause à effet qui manquent forcément dans les journaux ou les sites internet. Et puis c’est important que j’entende ta version du récit de ton enfance, ta carrière de rugbyman, d’entraîneur… Il allait devoir parler et devait en être conscient, le travail devait se faire en totale collaboration. Pour se donner un air encore plus professionnel, alors qu’elle doutait encore de son titre d’écrivaine après une seule publication et que la biographie était un tout nouvel exercice, Greta avait préparé un carnet pour prendre des notes. « Après je vais bosser dans l’ordre chronologique mais à toi de voir. On peut commencer par parler du présent, j’ai l’impression que t’as pas mal de choses à dire sur ça… » Impossible d’éviter le sujet brûlant, impossible de prendre des pincettes. Parce que le sujet était partout, parce que Rhett et Evelyn étaient partout, parce que l’honnêteté était la clé pour que le livre soit un succès. Réalisant que leur conversation prenait la tournure d’un interrogatoire ou d’une séance chez le psy, Greta s’était voulue un peu moins professionnelle et un peu plus empathique. « Désolée si je suis directe mais, est-ce que tu te sens d’évoquer tout ça ou est-ce que t’as encore des choses à mettre au clair avant ? On peut stopper la biographie avant… avant tout ça. » avait-elle terminé en faisant de petits cercles avec les mains pour signaler qu’elle parlait de la mini tornade avec Evelyn Pearson dont elle n’avait pas prévu de devoir parler initialement.

Maladroitement, Rhett propose un jeu fait de vrai et de faux, dans lequel il est l’unique point central de la discussion, ce qui n’est bien sûr en rien pour le déranger. Après tout, l’objectif est sincère: Greta doit rattraper des années d’exposition médiatique, de petits et de gros scandales, de petites et de grosses rumeurs. Elle doit savoir ce qui s’avère être vrai et faux pour envisager la suite, l’écriture, un peu plus clairement, et Rhett lui doit la vérité, ne serait-ce parce que c’est lui qui lui a proposé ce projet fou. La jeune femme lui tient un discours rigoureux, clair et affirmé face auquel il hoche la tête, ses propres mains à son tour posées autour de la tasse brûlante. Il ne fait jamais aussi froid en Australie qu’il en est à Londres, mais ce simple geste est devenu une manie, ne lui fasse regretter le soleil brûlant de l’hiver à l’extérieur. Lorsqu’elle sort son petit carnet et son stylo, Rhett esquisse un rire maigre et parfaitement nerveux: tout ressemble tellement à ce qu’il s’était imaginé de la scène que cela lui semble être louche.

« Après je vais bosser dans l’ordre chronologique mais à toi de voir. On peut commencer par parler du présent, j’ai l’impression que t’as pas mal de choses à dire sur ça… » Le sujet de l’éléphant dans la pièce, bien sûr. Rhett est le premier à avoir crevé l’abcès en avouant à la jeune femme qu’il s’apprête à rencontrer sa belle-mère, lui faisant non seulement comprendre que les choses sont vraies, mais aussi qu’elles ne sont pas un tabou. « Désolée si je suis directe mais, est-ce que tu te sens d’évoquer tout ça ou est-ce que t’as encore des choses à mettre au clair avant ? On peut stopper la biographie avant… avant tout ça. » L’empathie de Greta le touche sincèrement, au point où il affiche un sourire se voulant à son tour rassurant. “On peut y aller, ne t’en fais pas. On a beaucoup de choses à dire.” Ne serait-ce au sujet d’Evelyn. S’ils écrivaient un article, Greta aurait une avance incommensurable sur les autres journaux, le genre qui aurait terriblement fait vendre. Fort heureusement, ou pas, ce n’est pas le cas: le livre ne sortira pas avant des mois et d’ici là, il n’a aucun doute quant au fait que tout le monde sera au courant de sa relation. “Ca serait plus simple si je commençais par avouer que tout est vrai au sujet d’Evie, pas vrai ?” Son regard s’est baissé un instant contre son thé, il le redresse en sa direction en y ajoutant un sourire entendu. Evie est bien plus son prénom qu’un surnom, aujourd’hui, mais il n’a pas de doutes: Greta saura très bien reconnaître la personne dont il parle. “On s’est rencontrés il y a presque un an et finalement personne n’a voulu presser les choses.” Il ne parlera pas de l’accident qui a été celui d’Evelyn, conscient que la biographie doit mettre en avant ses secrets et non ceux de ses proches, ce qui serait profondément injuste. “Je n’avais pas été en couple avec quelqu’un depuis quelques années, je crois que mes techniques de drague étaient un peu rouillées aussi, faut bien l’avouer.” Et à nouveau, entre amusement et une honte toute relative, il rigole, noyant ses lèvres dans le thé l’instant d’après. “J’ai envie de te renvoyer les questions à chaque fois, comme dans une discussion normale.” Il confesse finalement, incapable de retenir un sourire amusé. Être le centre de l’attention ne le dérange pas, mais une part de lui aurait sans doute apprécié l’idée d’en connaître un peu à son sujet aussi ; quand bien même rien ne l’y oblige. “Mabel Griffiths. C’est elle, mon ex. Un gros morceau. Maintenant, c’est à moi de te demander si t’es prête à avoir des mots… difficiles sur certaines personnes ?” Et par certaines personnes, il sous-entend bien sûr d’autres personnalités publiques. En d’autres termes, de possibles problèmes. Parce que Mabel, il en a des choses à dire à son sujet, et très peu que la jeune femme pourrait apprécier.

Greta devait bien avouer que l’échange était agréable et que l’exercice semblait moins inquiétant alors qu’il lui dévoilait déjà tant, le nombre d’anecdotes serait probablement déjà important à la fin de ce premier échange et c’était le livre qui prendrait forme petit à petit, au fur et à mesure de leurs discussions. L’assurance qui commençait peu à peu à la gagner lui faisait un bien fou et le fait de se concentrer entièrement sur Rhett lui permettait d’oublier pour un temps son propre quotidien. Le sourire qui s’était affiché sur le visage de Greta alors qu’il venait d’avouer que les rumeurs de son couple avec Evelyn étaient vraies était similaire à celui d’une adolescente qui voyait les deux personnages de sa série préférée se mettre enfin ensemble. “Je n’avais pas été en couple avec quelqu’un depuis quelques années, je crois que mes techniques de drague étaient un peu rouillées aussi, faut bien l’avouer.” L’entendre conter combien il avait été difficile pour lui de reprendre le chemin des sentiments pour finalement se retrouver là, en face d’elle, à prononcer le surnom Evie avec les yeux brillants lui redonnait espoir. Difficile pourtant de ne pas réaliser que la tournure de la discussion l’amenait inévitablement à repenser à la même personne, une prise de conscience qui lui avait fait discrètement secouer la tête. Alors elle écoutait, attentivement, mais sans intervenir, préférant s'éloigner d'un sujet sensible pour elle actuellement, préférant le laisser parler à son gré pour débuter leur collaboration. “J’ai envie de te renvoyer les questions à chaque fois, comme dans une discussion normale.” Ironiquement, il était venu regretter que la conversation soit à sens unique mais cela valait mieux, surtout en ce moment, difficile pour elle de se confier sur Lucas à quelqu’un qui n’était encore qu’une connaissance. Malgré tout, la sincérité de Rhett lui avait fait afficher un énième sourire. « Si tu veux, on peut tenter de s’organiser des sorties un peu moins solennelles que celle-ci, ou on pourra avoir de vraies discussions. Mais je t’assure que je dois être bien moins intéressante que toi… » Sa vie avait pourtant commencé au milieu des podiums, dans le luxe et la grandeur, mais celle qu’elle était aujourd’hui n’avait rien d'intéressant à dire. Pas pour quelqu’un comme lui, profitant d’une toute nouvelle relation, alors que Greta de son côté ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle avait tué dans l’oeuf l’éventuelle idylle qu’elle aurait pu avoir.

La discussion était fluide et le sportif la menait, comme s' il ne s’agissait pas de sa première biographie. Greta appréciait le voir prendre des initiatives et donc lui faciliter le travail. “Mabel Griffiths. C’est elle, mon ex. Un gros morceau. Maintenant, c’est à moi de te demander si t’es prête à avoir des mots… difficiles sur certaines personnes ?”  Les choses allaient cependant très vite et elle regrettait peut-être de n’avoir qu’un simple stylo pour prendre des notes, un ordinateur ayant été bien plus pratique. « Mabel Griffiths… La chanteuse ? » avait-elle demandé pour que le hochement de tête de Rhett vienne lui confirmer qu’elle comprenait bien de qui il s’agissait. « J’ai vu deux trois trucs à son sujet, mais je ne la connais pas, et je ne suis pas une fan non plus donc tu peux y aller. J'espère juste que mon frère ne la connaît pas non plus, ça, c'est probable. » Le but était professionnel, les conséquences de tout cela seraient vues après. Carmine était certes mannequin, et elle espérait que Rhett avait eu vent de ses origines grâce à Conrad pour pouvoir comprendre ce qu'elle venait de dire. Le sujet n'était de toute façon pas les Sighbury, pour une fois. Greta n’était pas du genre à fouiner dans le monde des people, bien trop occupée à fuir elle-même la presse et se fondre dans le monde des anonymes. Difficile de ne pas connaître Mabel en vivant en Australie depuis quatre ans alors l’idée d’entendre les détails croustillants la concernant devenait soudainement amusante. Elle ne cherchait pas à connaître la vie des célébrités, mais si les informations lui tombaient toutes chaudes dans le bec, la blonde n’allait pas se priver pour écouter attentivement.  « Je t’écoute, je pense qu’avoir le récit complet de ta relation précédente donnera encore plus de relief à l’actuelle. » Ou peut-être que l’écouter raconter une relation ratée en sachant qu’il semblait aujourd’hui accepter de retomber amoureux l’aiderait, elle, à comprendre ce qu’elle souhaitait réellement et à prendre les bonnes décisions et ne pas passer à côté de quelque chose de beau. « Je sens que je ne vais pas avoir beaucoup de boulot, tu as l’air de savoir parfaitement ce que tu veux raconter ! » Et tant pis pour l’ordre chronologique, si son unique travail était de rédiger et rassembler correctement les pièces du puzzle, à ce moment précis, Greta était ravie qu’il ait choisi de débuter par les love story et de pouvoir se plonger dans le récit de la vie d’une autre personne qu’elle-même.

« Si tu veux, on peut tenter de s’organiser des sorties un peu moins solennelles que celle-ci, ou on pourra avoir de vraies discussions. Mais je t’assure que je dois être bien moins intéressante que toi… » - “Honnêtement, ouais. Enfin, je veux dire, pour les sorties moins solennelles, pas sur le fait que ta vie puisse être moins intéressante.” Il précise et se reprend à la vitesse de l’éclaire, ne voulant pas laisser un tel quiproquo s’installer entre eux, encore moins qu’elle puisse penser qu’il se croit supérieur ou Dieu sait quoi encore. Le fait que Ruben ait cette image de lui est déjà bien suffisant, surtout alors qu’il appuie simplement son idée de parler dans un autre contexte, la prochaine fois. Dans un parc, un café, n’importe où. Une salle d’arcade ? Ce serait amusant et détonnant, il a l’âme d’un enfant et sans doute qu’elle aussi, au fond, comme tous les adultes. Peu importe. “Je pense que tu aurais beaucoup de choses intéressantes à dire et que tu t’en rends simplement pas compte.” Rhett reprend quelques secondes plus tard avec un sourire assuré, ne disant pas cela pour lui faire plaisir mais bien parce qu’il le pense. Lui, il a simplement l’assurance d’un homme qu’on a toujours mis devant le flash des projecteurs en vantant le talent ; le reste n’en sont que les conséquences.

C’est pourtant avec un sourire bien moins assuré, pour ne pas dire l’absence de sourire, qu’il aborde avec elle le sujet de Mabel, aussi douce que difficile idylle dont il garde bon nombre de regrets. « Mabel Griffiths… La chanteuse ? » La mannequin, l’actrice, le fantasme des adolescents: celle-là même, oui. Il hoche la tête, se demandant encore parfois comment elle a un jour pu tomber amoureuse de lui alors qu’ils étaient pourtant si différents et qu’ils le sont aujourd’hui encore. Et le problème est là, justement: il ne sait pas si elle l’a un jour aimé en dehors des interviews où elle devait assurer la véracité et l’étendue de ses sentiments pour le rugbyman et multiple champion. « J’ai vu deux trois trucs à son sujet, mais je ne la connais pas, et je ne suis pas une fan non plus donc tu peux y aller. J'espère juste que mon frère ne la connaît pas non plus, ça, c'est probable. » Pour être honnête, il se moque un peu de l’avis de son frère sur le sujet Mabel, tant que cela n’est pas difficile pour Greta que d’écrire au sujet de la chanteuse - mannequin, influenceuse, actrice -. C’est elle qui subira sans doute les conséquences de ces mots encrés, juste après Rhett bien sûr, et la dernière chose qu’il souhaite est que ce livre lui cause du tort. Pourtant, c’est le scandale qui fait vendre, elle doit le savoir autant que lui et ainsi en venir à la même conclusion: le jeu en vaut la chandelle. « Je t’écoute, je pense qu’avoir le récit complet de ta relation précédente donnera encore plus de relief à l’actuelle. » Alors, il raconte. Le faste de Londres, la vie à mille à l’heure, les championnats de son côté, les podiums du sien, les voyages incessants partout dans le monde, le peu de temps accordé à leur couple. Les interviews qu’on leur demandait ensemble ; les sponsors qui exigeaient des photos avec Mabel et des interactions sur les réseaux sociaux. Mabel, tout court, avec qui les disputes étaient incessantes, même sur des sujets sans importance. Mabel, qu’il aimait sincèrement malgré son tempérament de feu, mais qui ne l’a sûrement jamais aimé en retour, en témoigne leur ultime dispute ayant causé leur rupture: elle n’en voulait qu’à sa réputation, plus ancrée que celle de la mannequin à l’époque. C’est lui qui lui a apporté une part de ses projecteurs et qui a contribué au rayonnement qui est aujourd’hui le sien, même si tout n’est pas dû à Rhett et qu’elle a beaucoup travaillé pour. Mais tout de même. Elle s’est servie de lui, et pour un romantique dans son genre, cela a été une détonation plus que difficile à accepter. Peu de temps après survenait son accident et son retour forcé au pays, de toute façon.

Rhett souffle, sans doute un peu dépassé par le récit autant que ses émotions. Il veut en parler une bonne fois pour toutes, et la biographie lui permet d’en parler une seule fois à Greta pour qu’ensuite elle permette à des milliers de personnes de le lire. « Je sens que je ne vais pas avoir beaucoup de boulot, tu as l’air de savoir parfaitement ce que tu veux raconter ! » Il esquisse un rire amusé, cela lui permet de décompresser au passage. “T’as déjà fait ça ? Recueillir autant d’informations par ici par là, je veux dire ?” Mabel méritera un chapitre à elle seule, pour sûr, mais il a beaucoup de choses à dire qu’elle devra trouver comment agencer, et pour ça il lui souhaite bon courage: lui n’a aucune idée de comment s’y prendre. “J’aimerais dédier ce livre à Jackson.” Il y pense soudainement, le souffle un peu plus bas. “C’est mon frère. C’était. Il est… enfin, t’as compris. Mort. “C’est un sujet sensible, pour toi ? Tout ce thème là ? Je suis pas obligé de tout te dire, je me doute que ça doit pas être facile.” Il pourrait sans doute écrire quelques mots lui-même si jamais Greta ne veut pas écrire sur la mort d’un proche, il n’aurait aucun mal à comprendre. Quatre ans plus tard, tout en étant un adulte, il a toujours du mal à aborder le sujet.

Alors qu’elle l’aurait imaginé inaccessible et surtout prétentieux comme pourrait l’être quelqu’un qui a été au sommet et qui continue à surfer sur son ancienne gloire, Rhett était sympathique et avenant. Le monde qu’elle avait laissé derrière elle n’était peut être pas si mauvais, après tout. Peut-être n'était-elle tombée que sur les mauvaises personnes. “Honnêtement, ouais. Enfin, je veux dire, pour les sorties moins solennelles, pas sur le fait que ta vie puisse être moins intéressante.” Rhett prenait grand soin de ne pas la brusquer et même si cela était probablement dû au fait que la sortie de ce livre ne tenait qu’à elle, elle appréciait ce comportement. Elle avait chassé son inquiétude par un léger rire, Greta était loin d’être aussi susceptible. Et puis, en y réfléchissant bien, s’il l’avait choisi grâce à Conrad, elle n’était probablement pas là seule écrivaine qui aurait accepté alors peut-être que sa gentillesse n’était pas intéressée et elle se laissait croire qu’une amitié était envisageable, allant jusqu’à lui proposer de se voir autrement. Cela servirait également à l’ouvrage elle en était sûre mais elle ne refusait pas l’entrée de nouvelles personnes dans sa vie, se sentant toujours nouvelle à Brisbane. “Je pense que tu aurais beaucoup de choses intéressantes à dire et que tu t’en rends simplement pas compte.” « Ouais, t’as sûrement raison, le problème, c’est que ça tournerait uniquement autour de ma famille. Et encore une fois, je serai dans leur ombre… » La cadette des Sighbury n’était pas là pour se confier mais il fallait bien répondre à Rhett qui semblait encore essayer de rattraper ses paroles maladroites - selon lui. « Qui sait, si le job me plaît j'enchainerais peut-être avec mon autobiographie… » avait-elle conclu pour s’éloigner du sujet houleux qu’était sa famille et pour redonner à Rhett l’opportunité de se détendre. Il ne l’avait pas vexée et il allait devoir se livrer, mieux valait le garder dans des conditions optimales.

Et la voilà, au milieu de son salon avec une personnalité publique, à boire du thé en  l’écoutant se confier sur son histoire d’amour passée. Greta prenait des notes mais l’exercice était compliqué, il fallait enregistrer les informations nécessaires au livre en se retenant de l’écouter se confier comme s’il était un ami. L’empathie naturelle de Greta ne devait pas prendre le dessus. Difficile de ne pas réagir ou commenter alors qu’il raconte comment il a été utilisé et que la carapace tombe, le moment que redoutait probablement le plus la toute nouvelle biographe. Alors c’est avec ses yeux qu’elle essayait de compatir et avec quelques sourires ici et là. “T’as déjà fait ça ? Recueillir autant d’informations par ici par là, je veux dire ?” Comme elle l’avait mentionné après son récit, il était intéressant de le voir prendre en main la chronologie du livre et après tout c’était normal puisqu’il en était le protagoniste : elle n’avait simplement pas encore tout le savoir nécessaire pour l’anticiper. « Je vais choisir d’être tout à fait honnête même si je risque peut être de perdre l’opportunité mais… non. Sauf si tu considères qu’espionner ses crush d’adolescente comme une expérience valable… » Le visage d’Alfie était rapidement apparu dans son esprit après qu’elle ait prononcé cette phrase qui n’avait pour but que de détendre l’atmosphère après ces confidences. “J’aimerais dédier ce livre à Jackson.” Greta s’était légèrement penchée vers lui. “C’est mon frère. C’était. Il est… enfin, t’as compris. Oh. “C’est un sujet sensible, pour toi ? Tout ce thème là ? Je suis pas obligé de tout te dire, je me doute que ça doit pas être facile.” Cette partie de sa vie lui avait échappé et ce qu’elle avait pu trouver dans la presse ne le mentionnait pas et heureusement. « C’est pour toi, que ça va être le plus difficile, je pense. » C'était faux car Greta ferait directement le lien avec son frère à elle et que combattre les larmes qui menaçaient déjà serait un challenge auquel elle n’était pas sûre de vouloir faire face. « Je serai très fière de participer à un livre qui aura cette signification. » Le sourire de Greta était encore une fois compatissant et l’écouter la faisait l’apprécier, il était loin d’être aussi lisse que ce qu’il pouvait vouloir faire croire lorsqu’il était sous les projecteurs mais il était vrai.

L’idée d’un livre sur Greta est amusante, il trouve. Après tout, elle pourrait finalement écrire sur elle-même, après s’être fait la main sur un autre: au moins, elle n’aurait pas de mauvaise surprise quant au contenu et tout dépendrait uniquement de sa propre personne, de son bon vouloir aussi. « Ouais, t’as sûrement raison, le problème, c’est que ça tournerait uniquement autour de ma famille. Et encore une fois, je serai dans leur ombre… » - “Le but d’un livre, c’est justement de raconter ce dont on a envie.” Il avance, un sourire rassurant. Qu’elle parle du Pape pour remplacer sa famille, si elle veut, cela reste possible. « Qui sait, si le job me plaît j'enchainerais peut-être avec mon autobiographie… » - “T’économiserais sur le budget thé.” Il lui offre donc ces quelques mots en guise d’issue de secours, bien conscient qu’elle ne souhaite pas davantage parler du sujet.

Après le bref aparté sur le possible espionnage de crush d’adolescente, Rhett sourit de nouveau, cette fois-ci un peu plus tendrement. Son crush d’adolescence à lui a été sa petite amie pendant de longues années, faisant de lui le plus heureux des mondes, même s’il mentirait s’il disait après pris ce fameux cours sur l’histoire de l’art pour autre chose que Jenna. Tout le monde le savait, de toute façon. Rapidement pourtant, le sujet devient un peu plus sérieux alors que le prénom de Jackson, et son souvenir, s’immisce entre eux. « C’est pour toi, que ça va être le plus difficile, je pense. » Rhett ne dément pas ces propos, toujours aussi piètre menteur: parler de son aîné est toujours difficile, même après autant d’années écoulées. « Je serai très fière de participer à un livre qui aura cette signification. » Il replonge son regard dans le sien, avant de finalement trouver force et courage d’esquisser un sourire. Ce livre, il aimerait que Jackson puisse l’avoir lu. Tout du moins, il aimerait qu’il en soit fier lui aussi, là où il se trouve. “C’est ce que je me dis pour beaucoup de choses dans ma vie, en réalité. Que j’espère que Jackson est fier de moi.” Il a toujours été le meilleur d’entre eux, jeu auquel même Ruben ne pourrait pas rivaliser, en usant de tous ses plus beaux sourires et années académiques, même de ses vies sauvées. “Il est mort dans un accident de voiture il y a presque trois ans. Quelques semaines avant mon overdose, en réalité. Ça a été une période difficile pour tout le monde.” Il se laisse retomber au fond du dossier, lève les yeux en direction du plafond pour avoir quelque chose à observer qui ne soit pas le regard de la jeune femme. “Je crois qu’il nous faudra un peu plus de cinq minutes pour parler du noeud du problème.” Il glousse finalement d’un ton amusé, quand bien même ces propos sont sérieux: il compte enfin avouer que son overdose n’avait rien d’accidentelle mais pour ça, il a besoin d’un peu plus de temps. Il refuse de l’avouer à qui que ce soit depuis trois ans, même ses plus proches amis, alors il doit travailler sur sa personne. En attendant, il a bien d’autres anecdotes à raconter autour de ses cadets, de ses années de sportif, de ses voyages dans le monde entier, des coupes ramenées par les Saracens, de son caractère difficile qui a amené un parfait inconnu à l’inscrire au club de rugby, un jour. Les problèmes et le plus difficile pourront venir plus tard, ils ont bien le temps pour ça. Une fois que tout aura été rendu public, il n’y aura aucun retour en arrière possible.