A bord, les rumeurs allaient bon train, mais seule Greta semblait capable de faire éclater la vérité parce que la personne en qui elle comptait le plus faisait partie du commandement. La seconde était Ambrose et ils s’étaient croisés au réfectoire ce jour-là. Si tout le monde semblait insouciant comme c’était le cas chaque jour sur le vaisseau, elle pouvait repérer le sourire en coin d’Ambrose à des kilomètres, il semblait ravi de son choix, Greta ferait tout pour l’en dissuader. « Tu peux pas te porter volontaire, Rose. C’est une mission suicide et tu le sais très bien. » Greta était renseignée et pour cause, sa mère était le cerveau de l’opération. Elle possédait des détails que son ami n’avait pas, elle avait entendu sa mère en discuter lorsqu’elle la pensait endormie et tout était clair. La Terre n’était plus viable depuis tant d’années que personne n’avait aucune certitude que les adolescents qui y seraient envoyés reviendraient vivants. « Je peux pas t’en dire plus mais fais-moi confiance, je t’en prie. » La blonde aurait voulu que la sincérité qui se lisait dans ses yeux soit assez convaincante pour Ambrose qui était probablement trop téméraire pour refuser l’opportunité de redescendre. Ils étaient nés dans l’espace, ils n’avaient connu que ça et leurs livres d’Histoires leur apprenaient combien la planète Terre regorgeait autrefois de merveilles. Des monuments célèbres et vertigineux mais aussi et surtout, plus simplement, de l’herbe, des arbres, des forêts et des rivières. Des fruits juteux et sucrés qui avaient poussé au soleil, ailleurs que dans des serres hautement sécurisées comme c’était le cas sur le vaisseau. C’était là la clé du problème, les ressources s’amenuisaient à bord et plus les commandants cherchaient à cacher la vérité, plus la curiosité de Greta était attisée. Envoyer les adolescents sur terre signifiait les mener droit au suicide, ils n’avaient pas les armes pour lutter contre ce qu’était devenue la planète. Et éliminer les détracteurs du projet en les jetant hors du vaisseau n’était pas une solution non plus.

« Tu peux pas te porter volontaire, Rose. C’est une mission suicide et tu le sais très bien. »
« Watch me. »

Non seulement il peut se porter volontaire mais, surtout, il le fera. Il est têtu et cela ne sert à rien de tenter de le raisonner, parce que ça continue de lui passer au-dessus de la tête. « Je peux pas t’en dire plus mais fais-moi confiance, je t’en prie. » Il hésite un moment avant de lui répondre parce que Greta lui semble plus sincère que jamais mais, surtout, elle semble être particulièrement inquiète pour lui. Ambrose ouvre la bouche pour mieux la refermer et réfléchir davantage à ses mots. Quelques secondes plus tard, il ose enfin amorcer une réponse. « Viens avec moi. » Il a déjà pris sa décision: il veut voir la Terre, coûte que coûte. Peu importe les risques, peu importe les dangers, peu importe s’ils ne recevront plus aucune aide d’aucune sorte à partir du moment où ils auront quitté le vaisseau. Il sait qu’il peut faire face à l’imprévu et là n’est pas le problème ni la question.

La seule chose qui pourrait lui manquer une fois sur Terre, c’est elle. Seulement elle, et pas même le moindre autre habitant du vaisseau sur lequel il est né et a grandi toute sa vie durant. « Tu seras libre, pour la première fois de ta vie. » Les grands espaces, les animaux. Loin des contraintes de la société spatiale, loin de ses parents. Elle aura une seconde chance unique de recommencer sa vie à zéro à vingt ans: elle sait ce qu’elle doit faire, elle connaît aussi les erreurs à éviter. « On aura une maison, on fera pousser nos plantes qu’on mangera. On mangera de vrais légumes, tu imagines ? » Il n’y aura plus rien qui aura grandi sous serre, et les animaux eux-mêmes seront véritables et non plus génétiquement modifiés. Ils pourront même avoir un chien, ils seront autorisés à ça. Ils sentiront l’effet des saisons, ils s’abriteront des pluies, ils découvriront un monde sans limites. « Pense à toutes les histoires qu’on a entendues. »

« Watch me. » Dans d’autres circonstances, Greta aurait ri devant l’aplomb de son ami et se serait même autorisée à lui adresser un petit coup sur l’épaule. Ils se comportaient comme ça depuis l’enfance, et si les années passaient, ils avaient toujours gardé leurs habitudes. Sur le vaisseau, les visages étaient toujours les mêmes et si tout le monde se connaissait, cela n’empêchait pas certaines affinités de se faire ressentir plus que d’autres. Cette fois-ci, Ambrose ne voulait pas prendre conscience de ce qu’il était sur le point d’entreprendre, aveuglé par les promesses qui lui avaient été faites en amont par un commandement peu scrupuleux. Ils ne pouvaient pas être jugés, ils tentaient simplement de sacrifier le peu pour sauver le plus. « Viens avec moi. » Dans un mouvement long, Greta avait reposé sa fourchette, n’ayant de toute façon plus aucune envie de manger une seule pomme de terre supplémentaire. Le repas ne changeait jamais, l’oxygène à bord était limité et la serre artificielle rendait restreint le choix de produits à cultiver. « T’es complètement fou. » Il avait été surpris plusieurs fois en train de flâner dans des endroits qui étaient hors limite et encore plus de fois en train d’utiliser l’une des combinaisons réservées aux mécaniciens pour aller flotter en dans l’immensité de l’espace. Cette fois-ci, l’erreur serait encore plus importante car elle serait irrémédiable.

« Tu seras libre, pour la première fois de ta vie. » Les yeux azur de Greta fixaient les siens et ce même air contrarié ne quittait pas son visage. Il avait raison, elle le savait, ils n’étaient que des animaux en cage au sein du vaisseau. « On aura une maison, on fera pousser nos plantes qu’on mangera. On mangera de vrais légumes, tu imagines ? » « Tu penses vraiment réussir à t’entendre avec les autres ? On devra s’entendre avec eux, survivre à une dizaine. » Sans réellement s’en rendre compte, elle avait utilisé on, parce qu’il lui était envisageable de ne pas partir avec lui si elle ne réussissait pas à le dissuader. « Pense à toutes les histoires qu’on a entendues. » Elle avait levé les yeux au ciel. « Justement. Ce ne sont que ça, des histoires. On a aucune certitude qu’on trouvera tout ce que tu as cité en bas… » Sa main était venue se poser sur son front pour soutenir une tête alourdie par tout un tas de pensées. « J’ai entendu ma mère, il n’y a que très peu de chance que la Terre soit viable. C’est un test, ils n’hésiteront pas à nous sacrifier, le vaisseau manque d’oxygène et… et ils ont dû choisir comment réduire le nombre de passagers. » Et en dévoilant le plan du commandement, Greta était de toute façon condamnée et la meilleure chose à faire était de s’infiltrer sur la mission à laquelle sa mère lui avait formellement interdit de participer. Evidemment.

« T’es complètement fou. »
« Oui: viens avec moi. »

Il est complètement fou et il l’assume à sa manière, mais il veut surtout que Greta l’accompagne sur Terre, non parce qu’il a peur de la solitude mais bien parce qu’il pense que cela représente la meilleure opportunité possible pour elle. Pour eux, pour tout le monde. Ils paveront la voie d’un retour sur Terre, ils seront les premiers à y poser le pied depuis bien longtemps. « Tu penses vraiment réussir à t’entendre avec les autres ? On devra s’entendre avec eux, survivre à une dizaine. » Il balance sa tête de droite à gauche, incapable d’accepter l’idée que son arrivée sur Terre et se pérennité puissent reposer sur d’autres personnes. Peu importe s’il ne s’entend pas avec eux, il ne fera pas d’efforts non plus tant il les méprise. « On vivra dans un coin reculé. Le projet n’impose pas une vie communautaire. » Et de toute façon ils sont des repris de justice, alors qui pourrait s’attendre à ce qu’ils obéissent aux ordres donnés par une autorité qu’ils ont toujours eu à coeur de défier ? Ils feront ce qu’ils veulent une fois de retour sur Terre. Ils seront qui ils veulent, aussi, surtout.

« Justement. Ce ne sont que ça, des histoires. On a aucune certitude qu’on trouvera tout ce que tu as cité en bas… » Il marque un mouvement de recul, ne reconnaissant pas Greta dans ce genre de réaction. Tous les gamins rêvent de la Terre, pourquoi en serait-elle effrayée ? L’explosion est survenue il y a longtemps, elle est totalement hors de danger désormais. C’est certain. « J’ai entendu ma mère, il n’y a que très peu de chance que la Terre soit viable. C’est un test, ils n’hésiteront pas à nous sacrifier, le vaisseau manque d’oxygène et… et ils ont dû choisir comment réduire le nombre de passagers. » Ambrose accuse les annonces en relevant le menton, décidant par la même occasion de ne rien montrer de son trouble, ni même de la tristesse avec laquelle ce dernier vient. Il veut croire que cette histoire est un nouveau départ, pas une tombe creusée dans la taule d’un nouveau vaisseau spatial aux allures d’utopie. « Tu penses que je vais mourir ? T’es venue me faire tes adieux ? » Il demande doucement, sans qu’il n’y ait dans ces mots de la colère. A dire vrai, il ne sait pas comment réagir face à ces informations.

« Oui: viens avec moi. » Et plus il insistait, plus elle baissait la garde, il était son seul allié, ils avaient grandi ensemble, elle n’avait aucune envie que leurs chemins se séparent. « On vivra dans un coin reculé. Le projet n’impose pas une vie communautaire. » avait-il répondu à sa dernière tentative d’argument. Ambrose rejetait tout en bloc parce que sa décision était prise et qu’il n’avait que faire des autres. C’était son propre destin qui lui importait et son manque d’empathie rendait ses supplications pour la voir partir avec lui encore plus touchantes.

« Tu penses que je vais mourir ? T’es venue me faire tes adieux ? » Elle n’avait pas anticipé la façon dont ses yeux s’étaient emplis de larmes et elle les avait essuyé d’un geste vif, consciente de combien Rose pouvait détester ce genre de comportement. C’était plus fort qu’elle, elle avait conscience qu’ils étaient à un tournant de leur vie et le dilemme était conséquent. Greta savait l’incertitude menaçante concernant la Terre et sa capacité à les accueillir mais elle savait aussi toute la détermination d’Ambrose qui, une fois qu’il avait décidé quelque chose, ne revenait jamais en arrière. Elle pouvait le perdre et mourir à petit feu sur un vaisseau où il n’était pas présent ou elle pouvait partir avec lui et prendre un pari. Mourir mais mourir libre, ou réussir une vie nouvelle où ils profiteraient de tout ce que cette planète avait à offrir. A bien y réfléchir, dans tous les cas de figure, ils étaient condamnés alors elle préférait prendre son destin en main. « C’est d’accord. » avait-elle annoncé en frappant ses deux mains sur la table faisant sursauter ses voisins et elle avait éclaté de rire. Elle n’avait pas le coeur à la joie mais c’était un réflexe alors qu’elle savait combien elle devait être discrète.  « C’est toi qui a raison… D’une manière ou d’une autre, on va mourir. Rester ici prolongerait l’agonie, te suivre me permettra de mourir à tes côtés dans le pire des cas, de connaître tout ce que tu as cité dans le meilleur. » Elle n’avait pas réellement retrouvé son optimisme, elle préférait simplement fuir l’hypocrisie du vaisseau et une hiérarchie qu’elle ne supportait plus. Elle avait pris conscience que s’ils ne savaient rien sur la Terre, ils savaient que l’oxygène et les vivres viendraient à manquer sur le vaisseau et, dans tous les cas, ils étaient condamnés.  « Il faut que tu me rendes un service. Il faut que tu détournes l’attention des gardes au moment de l’embarquement, je me glisserai discrètement dans le vaisseau avec les autres. » Greta n’avait pas le droit de suivre les autres, elle devrait réussir à s’échapper de sa chambre qui serait surveillée puis à rejoindre Ambrose dans le vaisseau en direction de la Terre. Tout ça pour atteindre un rêve qu’elle n’était pas sûre de savoir possible.

Il voulait qu’elle vienne avec lui, il le voulait sincèrement, mais à partir du moment où elle a évoqué l’idée qu’ils n’avaient finalement que peu de chances de survie, il n’en était plus si sûr. Il veut qu’elle vive plus que tout ; il veut qu’elle vive avant même qu’elle le fasse à ses côtés sur Terre. L’espace ne pourra jamais les rendre pleinement heureux mais Greta s’y est fait sa place. Elle a ses habitudes, et tout n’est pas si pire. « C’est d’accord. » Ambrose devrait être joyeux mais il ne sait plus quoi penser désormais. Vient-il de lui faire changer d’avis pour l’envoyer à la mort ? Quel genre d’ami est-il s’il fait ça ? « C’est toi qui a raison… D’une manière ou d’une autre, on va mourir. Rester ici prolongerait l’agonie, te suivre me permettra de mourir à tes côtés dans le pire des cas, de connaître tout ce que tu as cité dans le meilleur. » - « T’es sûre de toi ? Je veux pas… Je préfère que tu vives, tu sais. » Il finit à peine ses phrases et peine à argumenter. Il ne veut pas qu’elle perde la vie à cause de lui: elle pourra toujours faire partie des expéditions suivantes, quand tout sera plus organisé, quand tout sera plus sûr aussi.

« Il faut que tu me rendes un service. Il faut que tu détournes l’attention des gardes au moment de l’embarquement, je me glisserai discrètement dans le vaisseau avec les autres. » Elle ne pensait pas venir avec lui il y a quelques secondes encore et maintenant elle arrive avec un plan, et c’est ce qu’il aime chez Greta. Le sourire du brun s’étire, il devient immense et sincèrement heureux. Ils vont faire cette aventure ensemble, et ils vont vivre heureux ensemble. « C’est noté. » Il saura sans mal détourner l’attention des gardes. Tout le monde sera sur les nerfs, il sait très bien à quoi ressemble quelqu’un à cran. « Fais toi un sac d’affaires avec des vêtements pour couper le vent et la pluie. » Autant de choses qu’ils n’ont pas à bord du vaisseau, dans un monde artificiel où ils doivent toujours penser à leur survie avant leur environnement. « On se retrouve quinze minutes avant le décollage, ok ? » S’ils restent ensemble toute la journée, ils seront observés avec soin, et ce n’est pas ce qu’ils veulent, surtout pas aujourd’hui. Maintenant, le plan est en place.

Si leur avis sur la question et sur la mission changeaient autant, c’était parce qu’il s’agissait là d’une décision qui impacterait totalement leur destin. Ils ne pouvaient pas prendre tout cela à la légère, leurs vie étaient en jeu. « T’es sûre de toi ? Je veux pas… Je préfère que tu vives, tu sais. » Bien sûr qu’elle n’était pas sûre, ses réticences se basant sur des faits et sur des points qu’elle avait entendu se répéter lors des réunions de sa mère. Greta avait toujours su trouver les endroits stratégiques du vaisseau qui lui permettaient d’écouter sans jamais être surprise et si l’espionnage était parfois amusant, c’était bien plus souvent tragique. Elle voyait le commandement prendre des décisions sur le sort des passagers de la station, condamnant à mort des innocents en toute impunité parce que la menace de la perte d’oxygène terrifiait tout le monde. En repensant à ces malheureux, Greta était décidée pour de bon à tenter de trouver une vie meilleure, un endroit où elle pourrait établir ses propres règles et rendre justice à tous ceux qui avaient perdu la vie dans l’attente d’un monde meilleur. « C’est noté. » La détermination dans ses yeux l’avait fait sourire, comme s' ils n’étaient pas en train de se préparer à une mission qui pourrait leur coûter leur vie. « Fais toi un sac d’affaires avec des vêtements pour couper le vent et la pluie. » Elle l’écoutait en songeant à la sensation que pourrait lui procurer la pluie coulant sur son visage. Le soleil qui réchaufferait sa peau. Ou encore tout simplement la sensation de ses pieds nus foulant l’herbe fraîche… Des notions qu’ils avaient lu dans les livres mais qu’ils n’avaient pu que s’imaginer. « On se retrouve quinze minutes avant le décollage, ok ? » Elle avait hoché la tête pour confirmer et s’était levée de table, discrètement. Ils ne devaient pas éveiller les soupçons, surtout pas ceux de sa mère dont elle sentait les yeux braqués sur elle à chacun de ses mouvements. Elle connaissait mieux que personne son côté rebelle et n’avait jamais été ravie de la voir traîner avec un Ambrose ayant déjà passé de longues périodes en cellule, les adolescents étant exclus de la peine de mort.