Le décor et les protagonistes étaient les mêmes, seules les tenues différaient des autres événements du même type. Des couleurs qui s’adaptaient aux saisons et des formes toujours plus improbables, une façon de tenter de marquer les esprits et de s’assurer une place bien évidente dans les médias. C’était la raison qui avait poussé Greta à jouer la sobriété pour se fondre dans la masse mais un détail non négligeable l’empêchait de réellement passer inaperçue. Elle était venue accompagnée d’Arthur, et certaines personnes présentes ce soir savaient ce que cela impliquait. Ils étaient bien plus à l’abri qu’à Londres, et pourtant, bien des similitudes les confortaient dans le choix de s’être présentés ensemble et de retrouver la même mécanique qu’ils utilisaient en Angleterre. Le fait qu’il ait accepté de l’accompagner à ce défilé où seraient présentées plusieurs pièces de la nouvelle collection de ses parents lui avait encore une fois prouvé qu’elle pouvait compter sur lui. Plus cela se démontrait, plus l’étonnement de Greta était grand, mais elle était déterminée à vivre au jour le jour et à se poser le moins de questions possible. L’écrivaine n’avait de toute façon pas le temps pour se préoccuper de ses problèmes quand elle devait enchaîner les discussions avec des gens qu’elle ne connaissait pas mais qui, eux, semblaient connaître toute sa vie sur le bout des doigts. Comme si la biographie qu’elle avait écrite n’était pas celle d’un ancien rugbyman mais la sienne. Les médias avaient fait du bon travail, et elle laisserait le karma en faire autant avec Sergio et Blake.

Le temps avait semblé long jusqu’à ce qu’enfin, la collection soit mise en lumière. Le sourire de Greta s’était fait un peu plus grand - et donc faux - alors qu’elle voyait les vêtements de ses parents s’exporter. Cela n’avait plus d’importance, son anonymat était tombé et si le bruit n’avait duré que quelques semaines, il serait tout de même maintenant impossible pour Greta d’écrire sans cette ombre sur elle. Après avoir répondu à quelques questions sur ce qui venait d’être présenté et s’être assuré qu’Arthur avait trouvé une place qui ne nécéssitait plus qu’elle soit là, la blonde s’était autorisée une pause. Elle savait mieux que personne où aller pour fuir ce genre d’endroit et, si nécessaire, Arthur saurait parfaitement où la trouver. « Désolée, la place est prise. » Emery se tenait là, et la coïncidence l’avait amusé même si elle avait déjà aperçu la blonde tenter de se faire un nom. Elles s’étaient évitées, mais elles se retrouvaient là. Greta avait haussé les épaules, ce n’était pas un argument qui suffirait à la faire disparaître. « Ca te dérange pas, d’habitude ? » avait-elle lancé en avançant doucement jusqu’au rebord du toit, s’y appuyant pour prendre le temps d’observer le monde autour d’elles. La grandeur de Brisbane rendait tous ces problèmes extrêmement futiles et Greta avait probablement traversé trop de choses les unes après les autres pour encore s’enfoncer dans des drames inutiles. « Je suis pas sûre de celle-là. » avait-elle ajouté, comme si sa tentative d’humour n’était que cela et non pas une énième pique ramenant Emery face à ses erreurs. Elles en avaient fait toutes les deux, elles en feraient encore, et l’idée de briser une amitié la contrariait, surtout lorsqu’elle s’affichait au bras du deuxième fautif de l’histoire. « T’es partie parce que t’as entendu le nom Sighbury ou parce que t’as réussi à obtenir assez de contacts ? » Greta l’avait vue partir, et peut-être que ses pas l’avaient guidée ici pour tenter de recoller les morceaux. La cigarette d’Emery semblait tentante et Greta s’était servie, sans demander. Elle n’était pas la seule à avoir besoin de décompresser.

Sa vie avait pris un tournant diamétralement différent de tout ce qu’elle avait connu à Brisbane et il était ironique de penser qu’elle avait finalement simplement retrouvée celle qu’elle menait avant à Londres. La fin de l’anonymat n’était pas si terrible, parce qu’aussi loin de ses parents, Greta ne pouvait plus réellement vivre dans leur ombre et choisissait ses apparitions comme elle l’entendait. La révélation de sa filiation avait intéressé un temps, la sortie du film avait ravivé quelque peu les ragots puis tout était retombé. Aussi vite que les choses l’avaient dépassée. Alors elle reprenait le contrôle de tout cela, tout en essayant de chasser cette petite voix dans son esprit qui lui indiquait encore et encore qu’il était maintenant trop tard pour continuer à espérer ce qu’elle était venue chercher : la reconnaissance de son travail, pas de son nom de famille. Elle l’avait touchée du doigt, la biographie étant publiée sous Moore et son anonymat ayant duré quelques temps encore après les premières ventes spectaculaires. Mais Greta était une éternelle insatisfaite et la prise de conscience l’obligeait à tenter de se remettre en question. De laisser une chance à l’imprévu, même si celui-ci prenait la forme d’un anglais en costume dont le charisme dissimulait aisément ses imperfections.

« Je suis partie parce que cette population m’exaspère et les mêmes noms qui reviennent encore et toujours me donnent des envies de meurtre. » Greta n’avait pu retenir un rire, ce monde auquel elle désirait tant appartenir lui faisait horreur et la blonde se demandait si elle aussi, ne serait pas une éternelle insatisfaite. « Et toi, pourquoi t’es montée ici ? Tu devrais être comme un poisson dans l’eau, pourtant. » Si leur dernière discussion avait été extrêmement difficile à encaisser, Emery la surprenait encore en tenant de pareils propos et Greta avait tourné la tête vers elle, arquant un sourcil. « C’est ironique hein ? Tu fuis l’attention que je demande si désespérément. C’est un monde bien fait. » Oh. Il avait donc suffi d’une dispute pour qu’elle ne réussisse plus à déceler l’ironie dans le ton de sa voix. « J’ai cru un instant que t’étais sérieuse et tu m’avais jamais autant vexée, tu sais ? Peut-être que je suis montée parce que j’ai mal aux zygomatiques ou peut-être que j’avais besoin de te parler. » Greta avait haussé les épaules, son regard plongeant dans la ville baignée dans la pénombre en contrebas. « Tu me reparles, alors ? » Un long soupir s’était échappé de ses lèvres. La situation était plus compliquée que cela, elles étaient toutes les deux adultes et pouvaient comprendre que l’amitié n’était jamais une science exacte. Greta connaissait le côté volcanique d’Emery, tout comme elle connaissait la personnalité compliquée d’Arthur et il lui semblait peu judicieux de pardonner à l’un et non à l’autre. « Quel genre de femme je serai si je continuais à te blâmer alors que je m’affiche au bras du second coupable ? » avait-elle commencé, comme si sa décision ne relevait pas d’un choix personnel mais des règles de la société. « J’ai pas envie de perdre une amie au moment où tout va un peu mieux pour moi. C’est peut-être égoïste, mais c’est vrai. » L’écrivaine avait besoin de prendre tout le positif qu’elle pouvait trouver et tenter de s’éloigner de tous les drames. « J’ai dit des mots que je regrette mais j’arriverai jamais à comprendre que t’aies eu cette idée pour prouver ton point, ça m’a déçue. » Difficile pour elle de s’excuser face à celle qui avait pris du bon temps avec Arthur simplement pour lui prouver qu’il était quelqu’un de mauvais. Elle ne le connaissait pas et elle s’était abaissée au même niveau que tous ceux qui jugeaient sans cesse, comme si Greta n’était pas assez grande pour assumer ses erreurs elle-même. Emery l’avait blessée, alors qu’elle avait toujours tout fait pour la protéger et ce malgré les mensonges et l’attitude intéressée de la blonde. « Faut croire que je tiens à toi, bitch. » Le constat était là, et elle avait attrapé la bouteille de champagne pour en boire quelques gorgées pour effacer la tension du moment. Son rapport à l’alcool était bien meilleur, pourtant, elle continuait à l’utiliser comme une manière de décompresser dès que tout devenait un peu compliqué.

Difficile d’échapper à son passé, Greta en avait bien conscience maintenant qu’elle était face à l’apparente solidité tenace de ses propres racines. Elle ne les avait pas reniées, décidée à y revenir de temps à autre parce que ses parents, aussi étouffants avaient-ils pu être, n’avaient pas grand chose à se reprocher. Ils étaient un cliché à eux seuls, et la blonde aussi, à la différence près qu’elle en était consciente. « En réalité, je comprends pas ce que tu fais ici tout court. Et du coup, les zygomatiques ou la discussion ? » L’endroit ne lui appartenait pas mais Emery avait toujours été le genre de personne à laisser quiconque se sentir minuscule à ses côtés, une attitude qui n’avait que peu d’effet sur Greta. Pourtant, ce soir, si elle ne l’avait pas anticipé avant de venir, son objectif était clair et elle irait dans le sens que la blonde lui indiquerait. « Du networking, comme disent papa et maman. » Comme si les Sigubury avaient encore besoin d’élargir leur carnet d’adresse et de prouver quoique ce soit au reste du monde quand leur bulle londonienne leur avait toujours parfaitement convenu. Et il fallait dire que les avoir écoutés avait du bon, comme ces retrouvailles inattendues. « Je vais partir du principe que c’est une question rhétorique. » Greta avait pincé les lèvres et incliné la tête, elle venait effectivement simplement d’annoncer à quel point il serait illogique de continuer à renier une amitié avec Emery qui n’avait jamais connu de pause contrairement à sa relation avec Arthur. « Je suis contente pour toi. » Greta avait levé les yeux au ciel, acceptant difficilement de voir son ancienne amie rester aussi fermée face aux propos qu’elle était en train de tenir. Greta se remettait en question, mais son égo rechignait bien souvent à se confondre en excuses et elle ne tiendrait probablement pas ce genre de propos à plusieurs reprises. « C’était tordu. J’admets. » Comme si elle avait pu lire ses pensées, Emery avait enfin fait un pas en avant. Greta ne demandait finalement pas grand chose de plus à cet instant précis et plutôt que de continuer à laisser parler sa propre fierté, elle avait dit les choses comme elles étaient. Malgré tout, Emery était de ces amies que l’on refusait de perdre pour une erreur de parcours. « Oh je sais. » Le coup de coude qu’elle lui avait lancé avait été un réflexe mais leurs rires étaient encore timides. « Si le sujet était pas venu… je t’aurais sans doute rien dit. J’assumais pas trop l’idée foireuse. Et si on doit être dans la franchise, je pense que tu fais une connerie, et si ça merde entre vous, t’auras droit à un ‘je te l’avait dit’. » L’héritière avait soupiré, il était évident que si leur amitié pouvait être sauvegardée, cela n’enlèverait rien à l’avis d’Emery sur le sujet d’Arthur. « Je suis déçue que tu te contentes de penser comme tous les autres, c’est choisir la facilité et être mainstream et ça te correspond pas. » Son haussement d’épaule était venu clôturer son point. « J’suis peut-être pathétique mais je sais reconnaître quand c’est pas mes affaires. » Greta s’était retenue de lui indiquer à quel point cette affirmation sonnait faux après ses agissements en buvant une autre gorgée de champagne. Et durant le geste, elle avait réalisé qu’Emery ne faisait qu’utiliser les mots qui avaient été les siens. « T’es pas pathétique, tu sais bien qu’on balance des trucs qu’on regrette à la seconde quand on est énervés. Et je l’étais, vraiment. » Parce que si elle était incapable de le comprendre, Arthur représentait malgré tout une immense partie de sa vie et si elle était à l’aise avec ses nombreuses conquêtes, savoir qu’Emery comptait maintenant parmi elles était extrêmement douloureux. « Fais juste attention à toi. » Ces mots résonnaient différemment, maintenant qu’ils étaient prononcés dans un cadre un peu plus sain et que Greta savait, au fond d’elle, à quel point le conseil était justifié. « Tu me dois une bouteille de champagne. » « J’aime même pas ça, j’en ai juste tellement bu que j’ai fini par m’habituer au goût. » avait-elle lancé nonchalamment, reprenant immédiatement ses habitudes de gosse de riche ingrate qu’elle imitait à la perfection et qui était leur façon d’être préférée à toutes les deux. « Et je vais parler pour toi si t’assumes pas de le faire : si t’as autant de craintes quant à ma relation avec Arthur c’est qu’au final toi aussi tu m’adores. » Et parce que la grande sœur qu’elle avait toujours tenté d’être pour elle ne savait pas être autre chose qu’insupportable, elle avait passé un bras autour des épaules d’Emery pour la serrer fort, très fort, sa cigarette à seulement quelques centimètres de son visage. Et avec ce geste, elle avait compris qu’elle avait pris la meilleure décision en renouant le contact.