Le court échange qu’elle avait eu avec Marley au pub l’avait soulagée, lui permettant de retrouver un semblant de normalité durant quelques instants. Pourtant, son amie était débordée, servant les alcools les plus forts à des pères de famille effondrés qui ne comprenaient plus comment protéger leurs femmes et leurs enfants. Ils étaient désemparés et beaucoup sombraient déjà et ce chaos était de plus en plus difficile à observer. Les deux jeunes femmes s’étaient données rendez-vous et Greta avait hésité durant quelques temps avant de se décider à rejoindre Marley à la tour d’observation - peut-être n’avait-elle pas réalisé l’enjeu derrière ce banal rendez-vous. Il fallait braver la nuit, il fallait ignorer les cris des loups qui émanaient de la forêt lointaine et marcher la tête basse pour éviter tous les dangers. C’était inconscient, pourtant, l’idée de se cloîtrer chez elle ne lui plaisait pas plus : s’ils étaient condamnés alors à quoi bon ? « En haut Moore. » Greta avait levé les yeux pour voir une Marley déjà au sommet de la tour et la blonde avait ressenti une pointe de culpabilité, la laisser seule aurait pu la mener vers une mort certaine. Mais Marley ne semblait pas effrayée, pas autant qu’elle. « Quoi ? Je m'ennuyais en t'attendant. » Son détachement était difficile à comprendre, mais Greta tentait de s’en inspirer, se convaincant que les créatures de la nuit ne réussiraient pas à grimper jusque là. « Toute cette histoire me terrorise et je me demande si tu m’as donné rendez-vous ici pour me tuer. » Son rire franc avait résonné dans l’observatoire puis s’était échoué un peu plus bas dans l’obscurité qui régnait dehors.  « Pourquoi cet endroit, Lynch ? » Elle l’avait contourné pour prendre connaissance des feuilles posées négligemment sur la table qu’elle était en train de consulter et avait levé des yeux aussi inquiets que curieux sur elle.  « J’aimerais trouver un sens à tout ça, j’aimerais que le canon indique treize heures et que tout rentre dans l’ordre… tu crois que la personne qui a dessiné ça y est pour quelque chose ? » La véritable question aurait été de savoir quand cette personne avait quitté les lieux et s’assurer qu’elle n’y était pas encore en train de rôder pour s’assurer que personne ne la découvre. Greta ne réussissait pas à avoir des pensées positives et à se convaincre que ces écrits n’étaient pas liés à l’événement. Lune et soleil, des indices bien trop flagrants pour n’être qu’anecdotiques et puisque les événements prenaient une tournure si sombre, la jeune femme ne songeait pas un instant à ce que la personne qui les avait laissés là ait pu tenter de trouver une solution. C’était trop anticipé, la nuit n’avait perduré que depuis quelques heures seulement.

Il était le comte que tout le monde craignait mais il n’était normalement qu’une légende. Relaté dans un roman épistolaire, l’histoire de ce personnage sanguinolent qui terrorisait la Transylvanie avait joué un rôle clé sur ce que l’on savait aujourd’hui des vampires. La capacité à se changer en chauve-souris, à se fondre parfaitement parmi les humains grâce à une apparence soignée. L’histoire de ce pauvre humain que ce comte avait livré à des femmes qui le vidraient de son sang pour l’empêcher de s’enfuir donnait des frissons à Greta. Il avait fait confiance à cet homme pour faire affaires et s’était retrouvé confronté à des forces surnaturelles, maléfiques dont il n’avait pu se défaire le menant jusqu’à une mort sadique. Cette histoire en tête, la blonde avançait sans se fier à personne. « Ne dis pas de bêtises. Si j'avais voulu te tuer, je l'aurais fait au bar. Glisser du poison dans un verre et bien moins fatigant que de grimper jusqu'ici. » « Je savais que tu étais une sorcière.... » avait-elle continué sur le ton de la plaisanterie. Une façon détournée de donner un coup de balai à ses craintes et ses doutes. Elles avaient ri mais l’instant avait été bref, si l’humour leur permettait de ne pas céder à la panique, il ne devait pas représenter un risque qu’elles se retrouvent face à des crocs acérés - vampiresques ou bestiaux. « Je sais pas... Le ciel n'a de cesse de s'assombrir. Je me suis dit que la tour météorologique c'était peut-être pas si bête... » Elle avait hoché la tête. « Parfois quand je me sens perdue, je regarde les étoiles. » avait-elle lancé sans que cette phrase n’ait un quelconque but. « J'en sais rien, ça me rend dingue. » Elle s’était plantée à ses côtés et les deux femmes partageaient ce même sentiment d’impuissance. « Viens m'aider » Greta s’était exécutée, mais la malle restait désespérément fermée même avec leurs deux forces réunies. « A qui ça sert toute cette histoire ? Lesquels de ces monstres profitent davantage de la situation ? A mon avis, un suceur de sang est derrière tout ça. » La blonde avait croisé les bras, son regard toujours porté vers le ciel étoilé qui était le seul point positif de la nuit qui ne cessait plus. « Les vampires deviennent poussière le jour venu, ils auraient tout intérêt à ce que la nuit perdure. » avait-elle confirmé. « Les loups-garous quant à eux.... Ils sont humains comme nous le jour. » Cela les éliminait de l’équation - quel intérêt auraient-ils à rester loups ? « Penses-tu que les sorcières puissent en vouloir aux chasseurs au point de vouloir les décimer ? » Les entourer de menaces incessantes afin qu’ils soient tous tués, l’idée la faisait frissonner mais était probable. Tout le monde était coupable et le resterait jusqu’à ce que le canon à leurs côtés ne vienne à nouveau annoncer treize heures.

Elles auraient pu se sentir en sécurité perchées là au sommet de l’observatoire, pourtant, les menaces étaient beaucoup trop grandes pour qu’un tel sentiment puisse exister. « Ouai mais là ils peuvent se servir et se nourrir en toute tranquillité. » Greta avait secoué la tête, tentant de retrouver le cours de ses pensées mais elle n’en savait rien, elle ne faisait qu'émettre des suppositions qui l’empêchaient de céder à la panique. « Ce serait quand même tordu... Tu crois qu'ils seraient capables de faire ça juste pour se débarrasser des chasseurs ? Toutes ces morts... » « Je ne sais pas, Marley. Je vois tous ces gens qui n’ont pour unique désir que de décimer l’ensemble de ces créatures mais c’est impossible, pour moi, il faut simplement empêcher qu’elles ne puissent survivre. » Le résultat était le même mais il leur évitait l’obligation de combattre, de se retrouver lacérés par les griffes des loups ou vidés de leur sang. Les gens avaient conscience du danger mais ils continuaient pourtant à s’acharner, partant au combat contre des forces obscures qu’ils ne pouvaient maîtriser. Greta s’assurait chaque jour d’être un peu plus réfléchie que cela, et elle refusait de voir son amie se comporter comme tous ces humains qui étaient persuadés d’avoir le dessus sur les créatures de la nuit. Les chasseurs pouvaient lutter, mais eux devaient rester en retrait de ce combat. « Bon, on fait quoi ? » Marley s’était avachie sur le sol et sa nonchalance permettait à Greta de retrouver le sourire. Elle s’était assise en tailleur à côté d’elle. « On peut rester ici et attendre la mort, ou on peut tenter de percer le mystère pour espérer un jour revoir le soleil. »  Elle était optimiste, Greta, mais si elle perdait ce sentiment alors elle se savait condamnée. C’était une opportunité pour elle de ne plus se contenter de passer le balai dans la boutique de ses parents et d’y nourrir le chat - elle pouvait enfin être utile, vraiment utile.  « On peut faire l’inventaire de ce qu’on a, déjà. » Et elle avait sorti de sa poche son crucifix, ses cristaux, son amonit et… des clous rouillés qu’elle avait posés un peu plus loin en riant.  « Le crucifix nous servira contre les vampires, nous pouvons faire un répulsif à loup-garous avec cette fleur. Je ne sais pas quoi faire des cristaux, par contre. Juste de quoi nous maintenir en vie pendant qu’on essaie de résoudre cette énigme… » Il fallait trouver le coupable, car il était sûr qu’il y’en avait un.

Avec Marley, Greta trouvait un peu de gaieté dans un monde ou le simple fait de rire ou même d’arborer un sourire au coin des lèvres semblait être un crime. Pourquoi aurait-on envie d’être heureux alors que la nuit avait pris le dessus et que les créatures assoiffées de sang se délectaient de la situation ? Alors la blonde appréciait ce moment, perchée en haut de la tour de l’observatoire avec son amie.  « Parce que pour toi il y a une différence entre les tuer et les empêcher de survivre ? La finalité est la même. » Greta avait poussé un soupire, jouant avec les poils du balai sur le sol. « C’est pas ce que j’ai voulu dire, Marley. Je voulais dire que plutôt que de tenter de les tuer à mains nues, il fallait trouver une solution pour les décimer totalement. Lever la malédiction, si tu préfères. » avait-elle expliqué, un léger rire accompagnant celui de Marley alors que ces deux-là avaient des difficultés à ses comprendre. Alors quand celle-ci lui avait demandé ce qu’elle voulait faire, Greta avait évoqué les deux options qu’elle pensait être les seules qui s’offraient à elle. « Je préfère la deuxième option ». C’était évident, la détermination était l’un des traits de caractère qui avait toujours plu à Greta chez elle, Marley ne reculait jamais et même si sa situation sérieuse semblait soudain secrètement souligner son sarcasme, elle restait pleine d’assurance. Comme pour l’encourager, Greta lui avait montré les objets qu’elle possédait et qui pouvaient devenir des armes. Et à nouveau, elles avaient échangé un rire à la vision de vieux clous rouillés que Greta avait récupéré - au cas où.  « Et ça, tu peux me dire à quoi ça va nous servir ? » Son sourcil s’était arqué alors qu’elle jouait avec les clous au creux de la paume de sa main. « Je sais pas, dans la panique, j’ai tout pris… » Et elle devait avouer qu’elle se sentait un peu ridicule, il fallait l’admettre. A son tour, Marley avait montré son attirail et peut-être qu’à elles deux elles réussiraient à trouver de quoi se protéger, ou mieux, lever le mal qui les rongeait. « Un miroir pour que tu puisses t'assurer d'être toujours aussi jolie et au passage pour s'assurer qu'on n'est pas en présence d'un vampire. De l'ail si on a un petit creux ou si le miroir nous a montré qu'on était dans la merde... Ma montre pour qu'on puisse surveiller treize heures n'importe quand et... Du sel. » Le visage qu’affichait Greta indiquait toute sa perplexité. Elle regardait par la fenêtre et, là-bas, la lueur lunaire luisait longtemps les laissant lassées. « On peut s'en servir pour faire une salade avec l'ail et tes fleurs... Ou ça peut peut-être nous aider avec tes cristaux. » « Le pieux et l’ail nous protégera des vampires.… Les cristaux et le sel nous permettront d’absorber les énérgies négatives, en attendant de chercher un quelconque sort contre l’éclipse dans… » Son index avait pointé un énorme grimoire ancien avec un chat déssiné dessus. « Ce grimoire. » Elle s’était levée d’un bon pour commencer à le feuilleter, toussotant légèrement de remuer autant de poussières. « Tu as entendu parler de la volonté des sorcières de faire revivre les morts ? Cette incantation peut les en empêcher. » Greta partageait ce qu’elle avait appris, suivant du doigt les mots d’une incantation qu’elle appréhendait de prononcer de peur que cela ne se retourne contre elles.

La vue était magnifique, les étoiles brillaient et cela donnait l’impression d’une nuit normale, à la différence près que celle-ci avait lieu à dix-sept heures. Elle n’avait de cesse de regarder sa montre, peut-être parce qu’elle craignait de voir que le temps s’arrête, comme si cela signifierait la fin du monde. Son cerveau fourmillait d’idées contraires et elle bataillait sans cesse pour rester ancrée dans la réalité. Marley s’était mise à lire à voix haute : « À l'aurore du renouveau solaire, l'obscurité s'évaporera. » Son sourcil s'était arqué à l’image de celui de son amie. « De la fusion élémentaire, surgira la métamorphose, porteuse de l'avenir. » Elle n’en pouvait plus des messages cryptiques. « Les ombres scellées demeurent dans leur silence. » Marley là fixait dans les yeux mais n’avait dû y voir que du vide parce qu’elle avait poursuivi. « Les liens puissants se nouent, mais dévoilent un destin obscur. » Greta avait compris une phrase sur deux, et le soupir qui avait suivi la fin des incantations qu’avait lues Marley venait souligner son agacement. « Ce don des sorciers de parler en enigmes… ça donne plus de pouvoir à leur incantations ?! » Elle s’agaçait alors qu’elle avait elle-même des amis sorciers mais eux n’étaient pas de ceux qui souhaitaient raviver les morts, plutôt de ceux qui faisaient bouillir des ingrédients dans leurs chaudrons et restaient inoffensifs. Du moins elle l’espérait, l’idée de voir un Swann, une Lena ou une Siham s’adonner à des rites un peu glauques ne l’enchantait pas. Surtout pas pour cette dernière avec qui elle s’était un peu plus rapprochée de la fin du mystère et qui lui avait donné de précieuses informations sur les sorcières. « La métamorphose peut désigner aussi bien les vampires que les loups… » Alors ça ne les avançait pas vraiment, ce grimoire semblait donner des vérités qui s’appliquaient à tous. « Les liens puissants et obscurs qui se nouent… Sorciere et chasseurs ? Je dois parler à Arthur. » Elle avait appris des choses sur les sorcières par leurs collègues, elle devait en faire de même pour les chasseurs mais elle restait encore sur la défensive, déçue par les rumeurs qu’elle avait pu entendre au sujet de la guilde. « Je sais pas Marley… » avait-elle dit en reportant son attention sur les objets présents dans la pièce, son index effleurant la tranche des livres de la bibliothèque. Pour voir clair indiquait une fiole que Greta s’était empressée d’avaler sans réellement réfléchir…

Depuis que le grimoire avait été ouvert, Greta se sentait comme oppressée par une certaine force occulte, comme si une entité s’était échappée du livre. Marley avait récité la formule et si Greta tentait au mieux de rester concentrée, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir observée. « Toujours obligés d'en faire des caisses. » Les sorciers avaient effectivement tendance à se sentir tout puissant avec leurs pouvoirs, se permettant de donner des défis extrêmement compliqués aux humains, comme celui de déchiffrer leur grimoire égaré, par exemple. Greta essayait de déchiffrer les paroles de Marley, les unes après les autres, et il semblait que la formule puisse être utile sur les vampires mais aussi les loups. « Ca nous fait une belle jambe tiens. » Greta avait explosé de rire. « A moins que le sortilège soit efficace pour les deux types de monstre » C’était bien là l’essentiel de ce qu’elle venait de dire.  « Y’a quelqu’un ? » avait-elle demandé en sentant une main se poser sur son épaule puis avait secoué la tête, reportant son attention sur Marley. « Mais Greta... C'est pas dans le grimoire ça... Je voulais juste te montrer que c'était facile d'inventer des paroles énigmatiques. » Oh.  « Ca sonnait bien, je pensais que tu venais d’indiquer que les sorciers et les chasseurs allaient s’associer pour faire le mal, ou je ne sais quoi. » Greta avait posé la main sur son front qu’elle trouvait de plus en plus chaud.

« Mais t'es complètement cinglée ! » Peut-être, mais le liquide était d’une jolie couleur et l’étiquette apposée dessus l’avait intriguée. « Mais enfin mais qui êtes-vous ? » avait-elle répondu à la figure devant elle et elle avait croisé les bras sur sa poitrine parce qu’elle n’était plus à une créature près. « Recrache ! RECRACHE GRETA ! » C’était trop tard, elle avait englouti le contenu sans se poser de question.  « Oui forcément qu’elle a peur, je viens d’avaler cette fiole… Ah mais c’est pour ça que je vous vois ! » avait-elle continué sans se soucier de la façon dont Marley s’impatientait à côté d’elle.  « Vous avez de l’humour, chez les spectres. » avait-elle répondu en ricanant à l’annonce de l’indication “pour voir clair” sur la fiole. Mais qu’allait-elle apprendre exactement. « Sortir d’ici au plus vite ? Le seul danger que je vois ici c’est vous, si je puis me permettre. » Parce que discuter avec un fantôme constituait déjà un étrangeté en soi.  « COURS MARLEY » avait-elle hurlé en se précipitant en bas de la tour, le fantôme étant venu lui indiquer qu’un vampire sous la forme d’une chauve-souris était en train d’approcher.