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Avant d’accepter de partir avec lui, elle s’était posée tout un tas de questions et s’était demandée si c’était la bonne chose à faire. En revenant à Brisbane, il n’avait fallu que quelques jours pour que son nom apparaisse un peu partout dans la presse. Son nom de naissance et non celui d’emprunt qu’elle utilisait depuis sa venue ici et qu’elle s’était habituée à voir revenir parfois lorsque la biographie était évoquée. C’était une notoriété toute relative qu’elle avait vécue jusqu’alors mais depuis qu’on savait combien elle était proche des créateurs et surtout de leur fils aîné qui avait importé sa réussite sur les terres australiennes, tout avait changé. On la reconnaissait, on lui demandait de commenter les révélations qui avaient été faites et d’expliquer les raisons qui l’avaient poussées à changer de nom. Ses parents n’avaient pas tardé à lui téléphoner parce qu’à Londres aussi l’encre était en train de couler et c’était un tourbillon médiatique qui prenait bien plus d’ampleur qu’il n’aurait dû. Greta était sortie de sa chambre dans le t-shirt Ferrari qu’elle avait emprunté à Arthur pendant leur séjour au Japon et qu’elle avait discrètement ajouté à sa valise au moment de partir. Elle ne le quittait plus, ce parfum était devenu sa nouvelle drogue et dans l’intimité de son loft, personne ne pouvait la juger. Ou peut-être celui qui gisait dans le canapé avec un ensemble de survêtement qui était étrangement extrêmement chic, Carmine pouvant définitivement se permettre de tout porter. « Rappelle-moi quand tu t’es blessé ? » Cette question signifiait surtout C ça fait deux mois il faudrait penser à te bouger mais ce n’était évidemment pas un langage qu’elle pouvait tenir à son frère. La cadette était venue se blottir tout contre son frère avant de lancer un soupir bruyant, une complainte déstinée à Blake, à la presse et à la personne qui avait mis un tel bazar dans sa vie. Le chaos ne durerait qu’un temps, elle n’était pas importante, n’était que la fille de, la soeur de, pourtant, l’effet de la révélation était un scoop trop croustillant pour empêcher les journalistes d’affluer. « Tu es sorti pendant que j’étais pas là ? » Son regard était fixé sur le mur, l’idée n’était pas d’évoquer son escapade à Suzuka avec celui que Carmine aurait volontiers cloué au pilori. « Pour savoir si on va voir des photos de toi et ton plâtre dans la presse. » Cette fois-ci, ses yeux malicieux avaient croisé ceux du mannequin avant de sourire face à son front plissé de la voir le provoquer avec tant d’aplomb. « Tu sais histoire de distraire le public des photos de mes cernes et moi. » Le décalage horaire frappait encore et elle n'avait pas eu le temps de réellement trouver le sommeil depuis son retour.

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Carmine Sighbury avachi dans un canapé, voilà quelque chose qui aurait dû faire la une des journaux. Mais tout était bon pour faire couler de l’encre et Greta en subissait les conséquences, se réconfortant en sachant qu’elle pouvait encore profiter de la présence de son frère pendant quelques temps. Il abusait allègrement des privilèges de sa convalescence mais elle devait admettre qu’elle tombait plutôt bien - malgré les demandes incessantes de son aîné. « Tu sens l'homme. » « Tu exagères. » avait-elle dit sur le même ton, venant machinalement s’écarter du mannequin pour s’asseoir un peu plus loin, les bras croisés autour de ses genoux. Elle redevenait une enfant boudeuse et le regard de Carmine sur elle la ramenait tout droit bien des années auparavant, quand leurs soucis étaient bien différents, plus simples, moins pesants. Et son soucis principal à elle était de savoir si Carmine était resté dans le même état léthargique durant son absence, ou s’il avait osé s’afficher avec un bras handicapé. « Je suis allé au festival de Jazz. » Ses sourcils s’étaient levés, elle voyait là une opportunité parfaite de le sonder. « J’y suis allée aussi, avec Swann. Et toi, qui t’a accompagné ? » La cadette s’était redressée et arborait un sourire malicieux sur le visage, comme si elle venait de trouver la solution pour que Carmine se livre un peu plus. Depuis son retour, ils n’avaient pas encore réussi à trouver le temps de tisser ce lien qui s’était perdu depuis le départ de Greta, celui qui leur permettait de tout se dire.

« Tu comptes me parler de ce grand prix ou tu espères que je fasse comme si ça n'avait pas fait la une ? » Greta avait levé les yeux au ciel parce qu’encore une fois, il exagérait. Heureusement pour elle, et pour Arthur, l’article venant révéler au public sa vraie identité avait sagement attendu son retour pour sortir et cela lui avait évité de se créer plus de problèmes. C’était du moins ce qu’elle croyait avant que Carmine ne mette le doigt pile là où elle avait soigneusement évité qu’il ne le mette pendant des jours.  « Dis plutôt que tu as vu mon instagram. » Arthur avait publié en indiquant qu’il était avec elle à Suzuka et elle savait que ce simple arobase devant son nom allait créer bien des discussions avec son entourage. Plutôt que de raconter le grand prix, le voyage, comme l’aurait fait n’importe quelle personne qui n’avait rien à se reprocher, Greta s’était braquée.  « Je suis une grande fille, Carmine. Les gens changent. » Elle ne souhaitait pas s’épancher sur le sujet qui crispait son grand frère parce qu’il y avait fort à parier qu’il ne l’écouterait pas. C’était regrettable, Greta avait toujours pu compter sur lui mais elle avait le sentiment qu’ils ne réussiraient jamais à comprendre sur ce point précis et elle pouvait le comprendre : il avait été le premier à devoir essuyer ses larmes. La pente qu’elle avait choisi de descendre était extrêmement glissante mais la situation était assez compliquée pour qu’elle accepte que quiconque ne vienne y ajouter son point de vue. Pas maintenant. Pas tout de suite. Pas alors que les souvenirs du Japon étaient tout ce qui lui permettait de faire face au raz de marée médiatique qui ne faisait absolument aucun sens.  « Ça va se calmer, je sais, mais j’ai fait tellement d’efforts pour éviter ça… Je suis venue ici pour publier sans avoir l’impression de réussir parce que je suis une Sighbury et je n’aurais jamais plus l’occasion de le faire. » La biographie, même si elle en était fière, ne comptait pas. Greta avait baissé la tête et poussé un long soupir parce que dire tout haut ce qu’impliquait la révélation de son identité faisait naître un noeud dans sa gorge qu’elle réussissait difficilement à contrôler.  « On peut rester enfermés ici pour toujours ? » Et refaire des cabanes comme celles qu’ils fabriquaient avec des draps dans leurs chambres d’enfant.

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Voir son aîné s’épanouir à Londres ne cessait de faire apparaître un sourire sur son visage, et ce même après l’avoir supporté durant sa convalescence un tantinet trop longue à son goût. C’était un constat doux-amer parce que s’il réussissait à accomplir à peu près tout ce qu’il désirait en Australie, cela montrait à Greta à quel point ses parents pouvaient parfois être toxiques, étouffant leurs enfants qui se devaient de ne pas trop s’écarter du moule. Et cela montrait aussi encore une fois à Greta combien il était aisé pour Carmine de transformer tout ce qu’il touchait en or, et si elle savait qu’elle ne devait pas être envieuse face à son grand frère, l’exercice était difficile. « Personne, je suis allé écouter Hurtwave en session acoustique. » Elle avait tenté de lui soutirer quelques informations importantes mais le mannequin restait secret. Si elle regrettait de le voir un peu plus mystérieux, elle rongeait son frein, consciente que c’était un nouveau départ pour lui également et qu’il pouvait le vivre comme bon lui semblait. Et maintenant qu’elle revenait de ce week-end improvisé avec Arthur, c’était plutôt à lui de poser des questions. « Les romans de gare que tu lis en cachette te rendent crédule. » Elle avait soupiré, refusant de démarrer une nouvelle dispute avec lui parce qu’il n’appréciait pas ses relations. C’était son rôle, cela l’avait toujours été. Il savait déjà tout, il avait vu sa sœur s’extasier devant son petit-ami imparfait au début de leur relation et lui partageait déjà ses inquiétudes. Puis il avait toléré, en constatant combien elle était heureuse à ses côtés et voyant les années passer et sa sœur se projeter. Carmine avait aussi été aux premières loges, le premier qu’elle avait appelé en larmes en rentrant dans un appartement désespérément vide, l’ensemble des affaires d’Arthur ayant disparu. Alors elle encaissait la violence de ses mots même si elle était habituée à une douceur chez lui, parce qu’elle aurait sûrement réagi de la même façon si les rôles étaient inversés.  « Il est réapparu dans ma vie parce qu’on a un ami commun ici. Je n’allais pas démarrer une guerre que j’aurais perdue, Carmine. » avait-elle commencé, tentant tant bien que mal de minimiser l’ampleur de ce retour dans sa vie.  « Ce n’est pas parce qu’on se revoit que ça signifie quoi que ce soit, on est amis, rien de plus. » Greta faisait tourner la bague qu’elle portait au pouce dans un geste nerveux, ce sentiment venant également s’illustrer dans sa jambe qui battait la cadence. Elle était naïve de penser que l’aîné ne réaliserait pas combien elle croyait peu à ses propres mensonges, et pourtant, elle aurait voulu être sincère pour s’assurer de ne pas souffrir.  « Tu n’as jamais laissé de seconde chance à personne, toi ? » avait-elle demandé sans jugement, toujours encline à recevoir des conseils de ce frère qu’elle adorait et respectait. Elle pensait notamment à ses parents, à qui il ne semblait ne tenir rigueur de rien.

« Les impressions sont ce qu'elles sont, sweetheart. » Et en un instant il était redevenu lui-même, ce grand frère protecteur dont elle avait toujours eu besoin. Elle s’était laissée retomber sur son épaule alors que son étreinte rassurante accompagnait ses mots. « Ne laisse pas ce syndrome de l'imposteur te convaincre que tu ne mérites pas ou que tu n'y arriveras pas. » Elle écoutait, elle savait qu’il avait raison, ces mots avaient été prononcés par plusieurs personnes de son entourage mais Greta était têtue et elle savait que le doute persisterait toujours. « Ton talent n'est plus à prouver. Tu n'as pas besoin d'anonymat car ta valeur est reconnue pour la qualité de tes écris, pas pour ton nom. » « Je pourrais jamais en être sûre, maintenant. » avait-elle rétorqué et le soupir de Carmine avait été une réponse suffisante. Il savait réconforter, il utilisait son éloquence au meilleur des profits mais si l’interlocuteur restait hermétique à ses conseils, elle savait aussi combien il lui était possible de se braquer. « Pourquoi refuser le tremplin que t'offre la renommée de la famille ? Papa n'est pas là pour te faire de l'ombre. » Ce n’était pas volontaire, pourtant, il était évident que s’appeler Sighbury et être membre d’une famille aussi reconnue participait à créer un réel intérêt autour d’elle. « Le jugement d'autrui ne devrait pas dévaloriser l'estime que tu as de toi-même. » « J’ai jamais eu autant d’égo que vous, moi. Tu crois que j’ai été adoptée ? » avait-elle tenté dans un rire pour détendre l’atmosphère et sans le voir, elle imaginait déjà Carmine froncer les sourcils en appuyant sur sa confiance en lui et en insinuant ne pas être sa vraie sœur. « Il y aura toujours des jaloux ou des journalistes payés pour te critiquer et sous-entendre que tu n'es pas aussi extraordinaire que ça ... C'est le business. » Elle n’était pas convaincue que la jalousie soit à l’origine de tout ce remue-ménage tout comme elle n’avait aucune idée de la personne derrière tout ça. Elle ne serait jamais connue comme le loup blanc, elle ne serait jamais dans cette spirale qu’était la notoriété et que Carmine partageait avec ses parents, ce n’était que passager, mais cela soulevait tout un tas de questions. « Tu sais que ça n’a jamais été facile pour moi de vous voir tout réussir pendant que je réussissais difficilement à boucler un roman. Ça comptait pour moi, d’en publier un second sous couvert d’anonymat, je voulais me prouver à moi-même que j’étais quelqu’un, pas juste une Sighbury. » avait-elle expliqué, cherchant à son tour à trouver les bons mots pour ne pas froisser son frère attaché à ses origines. « Je suis fière d’eux, fière de toi, mais j’aurais aimé être fière de moi aussi. » Son premier livre était son bébé, la joie de ce succès ayant été ombragée par sa rupture et la biographie était le second mais n’était pas ce qu’elle avait imaginé. « Tu n’imagines pas le nombre de messages que je reçois maintenant qu’on a réalisé que t’étais mon frère… si le cœur t’en dit, il y a du potentiel… » Des femmes, des hommes, qui rêvaient d’approcher le mannequin et dont le profil aurait largement pu plaire à Carmine. Et l’envoyer en rendez-vous permettait aussi à Greta de pouvoir profiter de ses dimanches comme elle le souhaitait : avec Arthur.

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Les mots prononcés par Carmine auraient dû avoir un impact un peu plus important parce que son grand frère avait toujours su lui parler, la raisonner et la comprendre. Pourtant, le sujet Arthur s'était imposé en balayant tout le reste sur son passage, comme si plus rien ne comptait réellement et qu’il était maintenant impossible pour l’écrivaine d’accepter les remarques. Même pas celles de son frère, à qui elle avait retourné une simple question qui avait réussi à le détourner un temps de son monologue, à couper court à une discussion qu’elle n’avait pas envie d’avoir. Parce qu’elle ne savait pas où elle-même où elle se situait et parce que les événements s’étaient enchaînés depuis son retour la laissant bien incapable de s’exprimer sur des sentiments qu’elle ne maîtrisait pas elle-même. Il était trop tôt pour en parler et le timing était, de toute façon, extrêmement mal choisi. Greta était la proie des médias, tout comme son frère de qui ils mourraient d’envie de photographier la blessure. Le duo faisait peine à voir. Elle avait tenté une plaisanterie, mais en réponse, n’avait reçu que le silence d’un Carmine auquel elle avait dû exprimer un peu plus son point de vue concernant la situation. Il avait écouté, à l’image d’un psychologue, et c’était une habitude qui la renvoyait directement à Londres lorsqu’elle s’asseyait sur le fauteuil de sa chambre pour lui raconter chaque détail de sa vie. S’il savait trouver les mots justes, Carmine était aussi parfois simplement l’oreille attentive et retrouver ce sentiment-là lui avait fait du bien au point d’esquisser un sourire qui contrastait avec la moue contrariée qu’elle portait depuis son retour du Japon.

« Es-tu en train d'essayer de me caser, Greta ? » Il saurait déchiffrer le sourire qu’elle lui avait lancé, elle en était convaincue. C’était le même qui revenait souvent et qui signalait combien la cadette avait à cœur de se mêler de choses qui ne la concernaient pas forcément et aujourd’hui, elle s’en accordait encore plus facilement le privilège puisque Carmine n’avait pas hésité à mentionner le nom d’Arthur. « Ne t’en fais pas, je ne me permettrai pas de donner ton numéro à n’importe quelle groupie.. » avait-elle commencé dans un rire. « Mais si le coeur t’en disait, je te laisse juste entrevoir les possibilités. » Son sourcil s’était arqué et elle s’était redressée pour finalement quitter le sofa qui commençait dangereusement à prendre la forme du corps de son grand frère. « Mais après tout, tu apprécies peut-être le célibat. » Greta avait haussé les épaules, continuant d’afficher ce même sourire qui laissait à penser qu’elle savait pertinemment que quelque chose se tramait sans réussir à mettre les mots exacts dessus. Elle lui laissait une porte ouverte, une énième possibilité de se confier pour parer à ses provocations mais rien n’y faisait, l’aîné restait mutique et devant sa témérité, elle avait enfilé sa veste avant de venir planter un baiser sur sa joue. « Je sors prendre l’air et faire quelques courses, je reviens… Bouge pas, hin ? » Son rire avait une nouvelle fois brisé le silence du loft et elle avait ignoré les yeux sombres de Carmine qui s’étaient posés sur elle pour avoir osé critiquer le mannequin et la torpeur dans laquelle il était plongé depuis son petit accident.