long story short
@Greta Moore (crédit gif/ssoveia)

C’était le genre de rituel qui ne pouvait découler que d’un traumatisme. C’était idiot et inutile, toutefois c’était une caution rassurante ; chaque fois qu’elle rentrait dans un endroit désormais, Evie prenait garde à être si proche de la sortie que ça pouvait donner la mauvaise impression — celle qu’elle n’avait qu’une hâte, et c’était de s’en aller. C’était foncièrement un peu le cas, ne se sentant en sécurité que chez elle, où sa porte était gardée par un membre du service de sécurité de sa mère, celle de l’immeuble surveillée par Avery qui faisait désormais partie intégrante de son quotidien. Je vais bien, merci, disait-elle sans ciller, un léger sourire aux lèvres. Sauf que la vérité, c’était que plus les jours passaient, plus elle se sentait oppressée par l’idée que ça ne pourrait pas aller en s’arrangeant.
Rhett hors-territoire australien, elle restait celle qui devait essuyer les questions sans se départir de son calme alors qu’elle n’avait qu’une envie, et c’était de leur conseiller, à tous et à toutes, d’aller se faire foutre — dans ces termes, elle n’avait pas plus poli que ça dans son vocabulaire pour faire entendre à tout ceux qui rodaient qu’elle avait besoin de temps, qu’il avait besoin de temps aussi, et que ce n’était sûrement pas en jouant avec leur besoin de prendre du recul qu’ils consentiraient à faire quelque chose de l’attention qu’on leur portait à intervalles réguliers. Elle avait reçu des propositions ; d’interviews, d’apparences télévisées, d’articles et elle ne savait trop quoi encore, mais elle restait suffisamment silencieuse et déterminée à ne rien donner à personne, que personne, justement, ne jugeait ça vraiment nécessaire de continuer à insister. Ils vont se lasser, c’est ce que lui répétait Celie en lui donnant l’impression d’y croire. Mais le fait était qu’Evelyn avait la sensation que ça la ravissait dans le fond, toutes ces histoires.

Avery était dans un coin reculé du café, à observer la table à laquelle Evie s’était installée en arrivant, prêt à agir si quiconque venait l’importuner pour des raisons aussi diverses que variées. Il méritait une augmentation, c’est ce qu’elle se disait chaque fois qu’elle le sentait à ses côtés, prêt à la défendre sans même réfléchir à si oui ou non c’était dans ses attributions. La tête maintenue par les paumes de ses mains, ses coudes profondément vissés au bord de la table, elle se demanda si venir ici était une bonne idée, si elle ne jouait pas avec la limite qu’elle s’imposait à propos de Rhett et de leur histoire. Mais Greta était une alliée, pas une ennemie, c’était quelque chose qu’elle avait essayé de garder à l’esprit lorsqu’elle avait accepté de la voir après qu’elles se soient vaguement écrits ces derniers jours. Et tout était si formel que ça gênait Evelyn qui avait l’habitude des conventions, mais les cartes avaient été redistribuées, et une phobie sociale encore partiellement dormante lui laissait seulement croire qu’elle n’y mettait pas assez de coeur, qu’elle se reposait sur ses acquis, qu’elle préférait sa zone de confort à la zone de conflit vers laquelle on l’avait poussée sans qu’elle ne puisse réellement l’anticiper, n’ayant jamais vraiment appris à se battre. Elle n’était pas comme ça, elle avait toujours été du genre à se relever rapidement, alors qu’elle soit devenue une petite chose percluse dans la masse des soucis qu’elle gérait à peine, ça lui donnait une image d’elle-même qu’elle refusait d’observer plus longtemps.
Elle eut un sursaut en sentant l’ombre de Greta se poser sur la table à laquelle elle était assise, à quelques mètres à peine de la porte qui projetait un faisceaux de lumière de fin d’après-midi. Une main ayant quittée son visage à cause du petit bond qu’elle fit et qui se posa sur le haut de sa poitrine pour retenir son coeur qui avait sauté en même temps, elle eut un très léger rire, semblable à un soupir de soulagement comme elle lui disait "Pardon, tu m’as fait peur." Pourtant, elle n’était pas bien imposante, la jeune femme — si ce n’était la prestance qu’elle avait, elles se valaient en terme de taille et de poids "Installe-toi. Je t'ai attendue pour commander quelque chose." Mais elles avaient vécu à Londres toutes les deux. L’une avait adopté ses coutumes, quand l’autre était née avec : en d’autres termes, elle n’avait pas besoin de savoir ce que la jeune femme commanderait à cette heure-ci de la journée — c’était l’heure du thé. Une autre caution réconfort qui évita à Evie de rentrer trop tôt dans le vif du sujet, encore qu’elle osa dire à la jeune femme qu’elle regarda s’installer, tirant doucement sur les manches fines du chemisier ajourée qu’elle portait "Je sais pas bien ce que je fais ici, mais je suis contente de te voir."

La surprise n’avait pas été aussi grande qu’elle n’aurait du l’être parce que la jeune femme s’était immiscée dans la vie de Rhett en passant par la petite porte, en ayant l’opportunité de presque sonder l’âme du garçon. Alors, elle savait, elle connaissait les déboires et les vices d’une personne qui n’était pas plus, pas moins que ça. Ce qui était venu l’étonner était plutôt cette empathie qui l’avait envahie plus que jamais, alors qu’elle s’était retrouvée bien malgré elle dans une descente aux enfers qu’elle n’aurait pas pu anticiper. Lui aussi ne s’attendait pas à cette réaction, pensant probablement que Greta lui claquerait la porte au nez, tirant un trait sur un projet qu’il lui avait confié sans aucune question mais elle avait préféré comprendre, tenter de soutenir cet homme brisé plutôt que de l’accabler.

Les femmes de sa vie étaient nombreuses, en passant par sa sœur Ethel dont l’évocation avait été très brève jusqu’à Mabel de qui Greta avait pris un malin plaisir à dresser un portrait négatif, elle qui fréquentait son frère d’un peu trop près. Bien sûr, la blonde prendrait soin de taire ce détail en évoquant son nouveau projet avec Carmine - se contentant de dire que, oui, Mabel figurait sur la liste des différentes personnes citées dans l’oeuvre. Pourtant, si des noms avaient été couchés sur papier, c’était bel et bien celui d’Evelyn qui avait le plus inspirée Greta. Le paradoxe était entier, elle qui ne croyait plus en l’amour, qui avait mis le point final à ses propres histoires presque en même temps que celui mis à son roman, se retrouvait à afficher un mince sourire en contant la relation naissante entre Evelyn et Rhett. Tout cela lui semblait pur, sincère et vrai, à peu près tous les adjectifs à côté desquels elle était passée. Et au fur et à mesure où il parlait d’elle, Greta faisait le lien avec sa propre vie, jusqu’à venir confirmer leurs points communs à travers une courte interview qu’Evelyn avait accepté d’accorder malgré la réticence de Rhett. Elle n’avait rien de ce que l’on pourrait s’imaginer d’elle à travers son parcours et sa carrière, Evelyn était chaleureuse et naturelle et le courant était tout de suite passé - raison qui avait poussé Greta à garder le contact et, surtout, à souhaiter la voir pour ne pas la laisser vivre cet événement seule. Elle n’était peut-être pas la mieux placée pour soutenir un couple à la dérive tant son statut de biographe ne lui amenait aucune légitimité mais elle avait agit sans réfléchir, sans autre intention que celle d’être utile. Peu sûre d’elle et de cette rencontre, Greta était arrivée timidement. "Pardon, tu m’as fait peur." Et la blonde ne s’était attendue ni à lui faire peur, ni à la voir rire. "Installe-toi. Je t'ai attendue pour commander quelque chose." Tirant la chaise et venant s’y installer, Greta avait hoché la tête en adressant un de ces sourires qui voulaient tout dire, qui montraient la sympathie et le soutien à la fois. "Je sais pas bien ce que je fais ici, mais je suis contente de te voir." « Tant mieux. Je voulais pas ajouter un soucis sur la pile… » Son regard était sincère même si la jeune femme peinait à trouver les mots. Son jugement avait été rapide et elle en était arrivée à la conclusion que rien de ce qu’elle ne dirait pourrait arranger les choses, ni même les empirer. Greta avait donc remis une mèche de ses cheveux derrière son oreille, hésitant un temps avant de poser sa main sur celle d’Evelyn qui cherchait désespérément à garder un air composé. « Comment tu te sens ? » avait-elle demandé parce que si elle était sûre d’une chose, c’était que lorsque tous les regards étaient tournés sur une personne célèbre, plus personne ne se souciait vraiment des états d’âme des proches. Les pousser à parler et à divulguer le petit détail qui permettrait de faire les gros titres, mais jamais prendre soin de s’assurer qu’ils géraient la situation. Alors, maladroitement peut-être, Greta était elle venue s’assurer que tout allait bien pour elle. « Je l’ai vu, rapidement. » Attrapant la tasse brûlante qui venait d’être servie, l’écrivaine se laissait le temps de demander conseil à la femme tourmentée qui lui faisait face.

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Le geste n’était pas agressif, il était même doux et bienveillant, et pourtant Evie avait tendance à prendre ce genre d’initiative comme une attaque. Aussi, la main que Greta voulut poser sur la sienne, elle la contra en récupérant la sienne, la glissant sous la table, et la posant sur ses propres genoux, avant même que leur peau ne rentre en contact. Elle ne s’en excusa pas, sautant sur la question qu’elle lui posa pour faire passer plus vite l’ange qui plana au-dessus d’elles "Je vais bien, merci." C’était la même rengaine, comme à chaque fois. Elle ne dérogerait pas au discours pré-mâché qu’elle avait vaguement mis sur pieds lorsqu’il avait été évident  à ses yeux qu’on lui poserait des questions pour savoir comment elle allait. C’était un mensonge facile à prononcer, que peu remettrait en doute parce qu’elle le savait, il ne s’agissait souvent que d’une entame qui permettait à tout un chacun de lancer une conversation. Elle ne remettait pas les intentions de Greta en doute, Evie, elle avait juste appris qu’il ne valait mieux rien attendre de ceux qui avaient le talent d’écriture ; vous vous retrouviez alors dépeint dans des ouvrages sans avoir donné votre accord, et elle n’avait jamais été très friande de l’appropriation — que ce soit du personnage qu’elle était, ou des événements qu’elle vivait et que, très souvent, on retournait contre elle. Elle avait longtemps été la protagoniste toute désignée d’une vie menée selon les codes inculqués par un clan qui pesait lourd sur sa perception de la vie, alors la prudence était de mise.

Si elle avait accepté de s’entretenir avec Greta durant le processus de l’écriture de la biographie de Rhett, c’était pour lui. Pour le rassurer sur l’idée qu’elle lui faisait confiance pour ne pas trafiquer la réalité, et pour se rassurer elle-même que les termes employés à son encontre ne soient pas une énième tentative de la part des médias de la faire passer pour quelqu’un d’autre — cette version fantasmée de l’orpheline ingrate par où le scandale arrivait. Elle avait été heureuse de rencontrer la jeune femme, de se trouver des points communs avec elle, et de la sentir bienveillante, que ce soit envers Rhett qu’envers elle-même. Encore une fois, les temps avaient changé depuis, et elle se méfiait un peu de tout ; mais l’idée que la jeune femme soit restée droite sur ses bottes lorsqu'il avait été question de continuer à travailler avec Rhett, ça lui mettait du baume au coeur. Ils avaient peu d’alliés, elle le savait, en avoir une de l’acabit de Greta, c’était quelque chose dont elle saurait se montrer digne, quand bien même elle n’était pas dans ses dispositions habituelles.
Elle restait très heureuse de la voir. Même si le mensonge quant à son état aurait valu qu’elle revoit sa copie, elle ne le fit pas et lui dit dans la continuité de la discussion qui s’installa entre elles "Je suppose qu’il a dû le faire, mais je te remercie de ne pas l’avoir laissé tomber." Elle opina du chef, sincère "C’est important pour lui, ce projet." Pour rétablir une certaine vérité. Il n’avait sans doute pas envisagé les choses de ce point de vue en se lançant dans l’écriture de ses mémoires, désormais ça paraissait évident que c’était nécessaire de profiter de l’occasion pour mettre au clair les rumeurs qui n’en finissaient plus d’être colportées sur Garrett Harffield. Elle n’avait pas voix au chapitre, Evelyn, elle n’était qu’une observatrice qui aurait vaguement son nom cité au milieu d’autres dans un volume de plusieurs centaines de pages, sauf qu’elle tenait suffisamment à Rhett pour l’encourager à voir ce livre comme quelque chose de salvateur — quand bien même il la détestait ces derniers temps, elle se placerait toujours de son côté.
"Comment ça va se passer alors ? La sortie, je veux dire, elle va se faire quand il sera de retour, ou tu te tiens prête à assumer la promotion seule jusque-là ?" Si ce n’était pas pour parler de ça, pourquoi l’avait-elle fait venir ? Elle ne répondrait pas aux questions qui la concernait personnellement, Evelyn n’avait pas le recul nécessaire pour considérer ça judicieux d’avouer qu’elle s’enfonçait dans un état duquel il était difficile de sortir. Mais elle pouvait se concentrer sur autre chose, proposer son aide quand elle, elle refusait qu’on lui en apporte, convaincue qu’elle s’en sortirait à un moment où un autre, seule ou non.

Encore une fois et presque aussi rapidement que lors de son entrevue avec Rhett, l’écrivaine s’était sentie de trop, avait réalisé qu’elle était loin d’être à sa place. Alors elle aurait dû se lever, partir et tourner les talons en se concentrant uniquement sur l’argent qui découlerait des ventes du livre. Mais elle avait plutôt choisi de pincer les lèvres et de laisser Evelyn mener l’entretien comme elle le souhaitait - si elle avait accepté de la rencontrer c’était qu’elle n’avait aucunement l’impression que la blonde franchissait des barrières érigées bien trop haut pour elle. Elle se rassurait, incapable de mettre le couple de côté alors qu’elle se rappelait des mots choisis lors du chapitre qui lui avait le plus tenu à cœur. "Je vais bien, merci." Le charisme d’Evelyn ne laissait aucun doute quant à son héritage et si elle avait fréquenté des personnes encore plus influentes qu’elle, Greta s’était soudain sentie extrêmement petite face à elle. Une femme intouchable dont le visage ne montrait aucune émotion, savant apprentissage pour se protéger du monde extérieur, l’héritière ne le savait que trop bien.

"Je suppose qu’il a dû le faire, mais je te remercie de ne pas l’avoir laissé tomber." Elle avait tenté de dissimuler son rictus alors qu’elle repensait à la façon dont Rhett avait dirigé la conversation, bien loin d’être venue la remercier, rejetant chacune de ses paroles qui n’étaient pas directement liées à l’acceptation du projet. Il était sous son toit et la manipulait comme un pantin pour obtenir le précieux sésame, la confirmation que le livre sortirait. Greta ne lui en tenait pas rigueur, ne connaissant que trop bien les conséquences des addictions, mais se trouvait désarçonnée devant cette nouvelle facette d’un homme qui lui semblait avant si posé, cordial. Si Greta avait toujours été légèrement différente du reste de sa famille et même si s’en éloigner l’avait rendue encore plus modeste, la jeune femme avait malgré tout une certaine confiance en elle qui coulait dans ses veines. Elle et son caractère affirmé n’étaient pas du genre à se laisser marcher sur les pieds et la jeune femme avait eu à faire à tout un tas de personne qu’elle avait recadré sans mal. Rhett Hartfield était pourtant apparu dans son loft quelques jours auparavant pour s’assurer qu’elle publierait et son ton moqueur et arrogant l’avait laissée sans voix. Parce qu’elle se disait qu’il n’était pas dans son état normal ou parce qu’elle comptait trop sur ce projet pour agir comme une gamine pourrie gâtée sur laquelle on aurait haussé le ton un peu trop haut. Le fait est que le territoire australien faisait également d’elle quelqu’un de différent et c’était pour le mieux, alors elle faisait face à Evelyn avec un timide sourire après qu’il lui ai bien fait comprendre qu’elle n’avait aucunement son mot à dire sur tout ce qu’il se passait. "C’est important pour lui, ce projet." « C’est important pour moi aussi. » avait-elle répondu avec la même pudeur dont faisait preuve son interlocutrice, évitant de commencer la conversation par d’inutiles plaintes sur le comportement de son petit-ami. "Comment ça va se passer alors ? La sortie, je veux dire, elle va se faire quand il sera de retour, ou tu te tiens prête à assumer la promotion seule jusque-là ?" Le mouvement de ses lèvres était venu indiquer combien la réponse à cette question était floue. Elle avait tenté de comprendre ce qu’il se passerait, comment il gérerait tout ça, mais il n’avait pas voulu donné de détails. Greta ne savait pas comment il reprendrait contact avec elle quand le moment serait venu, mais son aplomb et son audace dans un moment aussi difficile réussissaient à lui assurer que tout suivrait son cours. Elle l’espérait. « Il voulait que ça sorte en Janvier alors je ferai en sorte que ce soit le cas avec mon agent … On a pas évoqué la promotion, j’imagine que ce sera quand tout ira mieux ? » Quand il irait mieux. Son ton était interrogateur, tout comme le regard lancé à Evelyn puis de nouveau baissé sur cette tasse qui n’était qu’un prétexte pour justifier ce tête à tête. « Je t’avoue que c’est justement pour ça que je voulais te voir… Je suis un peu perdue, je ne sais pas si je prends la bonne décision. Si c’est judicieux de publier maintenant, je voudrais pas donner l’impression de surfer sur un scandale. » Ces questions, elle pouvait les poser à son agent mais celui-ci était si véreux que ses réponses n’auraient aucune résonance chez elle. Greta avait évoqué qu’elle suivrait le plan tracé par Rhett mais elle avait besoin de se rassurer parce que son seul point de vue ne lui suffisait pas à se convaincre que la décision était la bonne. « De vous manquer de respect. » Si la jeune femme ne parvenait pas à lire la sincérité dans les yeux brillants de Greta, alors celle-ci n’aurait plus aucun argument à avancer pour prouver sa bienveillance.

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L’importance du projet qui liait Greta et Rhett n’était pas à remettre en cause. Evie savait juger les personnes qu’elle avait en face d’elle avec un talent sans pareil, résultat d’heures d’observations silencieuses et de mises à l’écart qui l’avait rendue attentive aux signaux contradictoires et autres démonstrations tacites de la nature profonde des autres qu’elle savait donc plutôt bien juger, si ce n’était quelques erreurs de jugement pas assez nombreuses pour être dénotées. Greta, elle lui paraissait aussi sincère qu’elle était talentueuse. La biographie n’était normalement pas dans son champ de compétences, Evie le savait tout aussi bien qu’elle connaissait son oeuvre et qu’elle s’était demandé pourquoi au juste elle avait accepté de travailler avec Rhett sur ce projet alors qu’il lui faudrait écrire du point de vue quelqu’un qu’elle n’était pas vraiment. Elle s’était questionnée sur ses intentions bien sûr, mais encore une fois, sans donner son avis plus que nécessaire sur la question, et lorsqu’elles s’étaient rencontrées, elle avait cessé de chercher pourquoi écrire la biographie de Rhett semblait l’animer d’une inspiration soudaine. C’était comme ça, il ne fallait pas toujours chercher à comprendre pourquoi, et tandis que la délicatesse de la blonde s’était heurté à sa propre perplexité, Evie avait fini par la considérer comme une partenaire plutôt que comme une adversaire.
Encore aujourd’hui, c’était ce rôle qu’elle endossait. Ce n’était sans doute pas conscient de sa part, suffisamment professionnelle pour rester droite et efficace dans sa façon d’envisager les choses, mais elle restait le seul lien qui rattachait Evie à Rhett ces derniers temps, la majorité de ses proches étant devenus, eux, des ennemis selon la perception des choses du jeune homme qui se barricadait derrière une rancoeur justifiée à l’encontre de ceux qui voulaient qu’il se fasse soigner pour le meilleur. Elle en faisait partie sans en faire partie Evie, leurs griefs  récents se révélant encore plus personnels encore que la certitude qu’il gérerait pas son séjour en Suisse. Mais chaque chose en son temps, et bien qu’elle avoua à la jeune femme "J’ai pas tellement de nouvelles de lui ces derniers temps. On ne se parle pas régulièrement, et c’est Rhett, c’est toujours un peu difficile de savoir. Mais je crois qu’il essaye." quand cette dernière termina sa phrase par une question qui soulignait l’éventualité que Rhett aille mieux. Evie préféra se montrer honnête pour qu’elle ne s’attende pas à ce qu’elle lui fasse un rapport détaillé à propos de l’état de son collaborateur ; elle ne le ferait pas, déjà parce qu’il s’agissait de la vie de Rhett et pas de la sienne, mais surtout parce qu’elle ne pouvait compter que sur des suppositions pour chercher à la rassurer quant à la suite, à savoir la promotion du livre qui battrait son plein une fois que Rhett serait de nouveau de retour sur le sol australien.

Pinçant doucement les lèvres lorsque Greta en vint enfin à la raison de sa demande à la voir, Evie pencha la tête sur le côté "Tu serais pas la première à le faire si ça peut te faire sentir un peu mieux." Une tentative d’humour qui tomberait à plat pour sûr. Elle essayait aussi Evelyn, de retrouver un semblant de coeur à l’ouvrage, et parce qu’elle était touchée par la bienséance de Greta qu’elle reconnaissait comme un gage de bonne éducation, celle qu’elles avaient toutes les deux reçue, elle fût en réalité très touchée par sa démarche "Je ne sais pas si je suis la plus indiquée pour te donner mon avis sur le sujet, mais je vais le faire quand même." Elle le lui demandait finalement — du moins, si ce n’était son avis, au moins son aval, et c’était tellement délicat que, le temps d’un instant, Evelyn Pearson sembla revenir à elle "Tu ne nous manqueras pas de respect, Greta. Pas en moi, en tout cas. Vraiment, je considérerais pas que tu le fais si tu décides de sortir le livre à la période prévue. J’en ai essuyé d’autres des affronts, et t’as ma parole sur l'idée que ça, c’en sera pas un, au contraire." lui fit-elle, reprenant tout de suite après, décidée à être claire et limpide à propos de ce qu’elle ressentait, et par extension, même si elle pouvait très difficilement l’anticiper, sur ce que Rhett ressentait lui aussi "En revanche, Rhett le prendra comme tel si tu décides de ne pas le sortir." Alors, dans le fond, c’était elle qui voyait quel genre de risques elle était prête à prendre pour continuer d’entretenir des rapports cordiaux avec le jeune homme qui n’était pas sans savoir comment faire pour se montrer détestable et vindicatif lorsque la situation ne tournait pas à son avantage.

C’était une histoire d’amour encore toute jeune, Rhett et Evelyn n’ayant annoncé que très récemment la nature de leur relation à des journalistes déjà très enclins à en propager toutes les rumeurs imaginables. Ils avaient pris les devants mais cela ne voulait pas forcément dire qu’ils étaient sortis des prémices de cette histoire d’amour, alors peut-être que Greta était venue chercher de l’aide au mauvais endroit, un sentiment qui se renforçait au fur et à mesure de la fragilité évidente d’Evelyn. "J’ai pas tellement de nouvelles de lui ces derniers temps. On ne se parle pas régulièrement, et c’est Rhett, c’est toujours un peu difficile de savoir. Mais je crois qu’il essaye." C’est Rhett. Comme si son prénom était devenu un adjectif qui permettait à lui seul de justifier les comportements du garçon. Et c’était bel et bien le cas, au point où Greta avait acquiescé avec cette même lèvre tirée sur le côté, pas un sourire, mais presque, plutôt une moue compatissante et prudente. "Tu serais pas la première à le faire si ça peut te faire sentir un peu mieux." Le même rictus avait rapidement étiré ses lèvres avant qu’elle ne retrouve le regard d’Evelyn, tout aussi perdu que les siens. « Pas vraiment, non. » Les filles avançaient en eaux troubles et Greta se sentait soudain coupable de venir la questionner quand elle devait conjuguer avec l’absence de son petit ami ce qui était bien pire que d’attendre un signe pour lancer la publication et la promotion d’un livre. La discussion la faisait relativiser et donnait du fil à retordre à cette empathie qui ne l’avait plus quittée depuis sa rencontre avec Rhett, sans qu’elle ne sache jusqu’où tout cela la mènerait. Ici, dans ce café, face à Evelyn Pearson, deux proies presque trop facile pour les paparazzis - et si sa présence ici avec elle donnait aux journalistes l’idée de creuser un peu plus ? La blonde avait secoué la tête, se sentant ridicule d’ainsi se remettre sur le devant de la scène au moment le moins opportun.

"Je ne sais pas si je suis la plus indiquée pour te donner mon avis sur le sujet, mais je vais le faire quand même." Qui, sinon elle ? Qui Greta aurait-elle pu bien questionner sur le sujet ? Son entourage pouvait la conseiller mais Evelyn, elle, connaissait le personnage principal peut être un peu mieux que quiconque. "Tu ne nous manqueras pas de respect, Greta. Pas en moi, en tout cas. Vraiment, je considérerais pas que tu le fais si tu décides de sortir le livre à la période prévue. J’en ai essuyé d’autres des affronts, et t’as ma parole sur l'idée que ça, c’en sera pas un, au contraire." Ce charisme à tout épreuve était venu accompagner les exactes paroles que l’écrivaine avait souhaité entendre en passant la porte de l’établissement. Evelyn avait dû effectivement connaître bien d’autres raz-de-marée, faire face à une image ternie, bafouée et à des mots écrits noirs sur blancs dans les torchons par des personnes qui ne connaissaient pas le quart de sa personnalité. En un court instant, pourtant, Greta elle se faisait déjà le portrait d’une femme droite, composée et forcément intelligente pour agir avec une telle prudence face à ces événements. C’était probablement une seconde nature que de naviguer les tempêtes comme elle le faisait mais cela n’en était pas moins impressionnant à contempler et dans d’autres circonstances, ou si elle l’avait connue plus tôt, Greta lui aurait probablement demandé des conseils. "En revanche, Rhett le prendra comme tel si tu décides de ne pas le sortir." « T’as raison sur ce point, je pense que c’est la pire chose que je pourrais lui faire, à mon niveau. » C’était en tout cas une évidence et ce qu’il lui avait laissé paraître lors de sa visite. Il n’avait laissé aucune place pour l’empathie ou la discussion - ce qui était logique compte tenu de sa position de biographe - et était simplement venu s’assurer de l’avancée du projet. « J’avais juste du mal à concevoir que ce soit sa priorité… » Greta s’était stoppée net, parce qu’elle estimait que la priorité de Rhett aurait dû être d’aller mieux et de contenter ses proches mais surtout qu’une de ces priorités là se tenait devant elle et qu’elle se refusait à lui laisser un instant penser qu’elle était moins importante qu’une biographie. La blonde était souvent maladroite mais ce n’était pas le chemin qu’elle souhaitait prendre à ce moment-là. « Enfin, qu’il pense encore au livre alors qu’il vivait tout ça. Je sais pas si ça fait de lui un téméraire ou quelqu’un qui a une notion bien particulière des priorités. » L’écrivaine à son tour tentait une touche d’humour venant accompagner sa phrase d’un énième sourire. « Mais si je peux aider à mon niveau, je le ferais, c’est sûr, surtout maintenant que tu m’as rassurée sur le timing. » Elle lui avait lancé un regard pour la remercier parce que ce n’était finalement rien de plus qu’elle demandait en venant ici. « En parlant de timing, en y réfléchissant, je sais pas pourquoi je t’ai demandé ce rendez-vous… J’espère que tu ne m’en voudras pas d’avoir essayé de me rassurer. » De lui avoir volé son temps, d’être une nouvelle fois trop impliquée et de chercher à se rassurer de la pire manière qu’il soit.