Plus d’une semaine que tu es sortie des griffes d’Alistair. Tu es cloîtrée dans la maison d’Aurora, ta soeur aînée, depuis autant de temps. Il faut dire que sa maison est parfaite ; elle a une vue magnifique sur la mer, elle est chaleureuse, accueillante, familiale, ça sent bon la familiarité et c’est sécure. Surtout parce que tu vérifies mille fois dans la journée et surtout la nuit que ce soit le cas. Les cachets pour dormir que t’as donné la psychiatre ne font pas encore pleinement effet mais quand tu en as parlé avec ta psy, elle t’a dit que ça pouvait prendre du temps. Qu’il fallait être patient et respecter le traitement pour que ce soit efficace. Même si tu étais très réticente à l’idée de te faire aider de cette façon-là, tu n’as pas envie de continuer à vivre de cette façon-là. Avec cette peur qui grommelle et grossit de plus en plus en toi.

Alors pour contrer ce sentiment de faiblesse qui persiste, tu t’es mise à la boxe. Juste avec un sac et des gants, planté dans le jardin d’Aurora. Tu fais du mieux que tu peux avoir une cheville dans le plâtre mais ça te fait du bien. Même la psy a approuvé. Tu n’arrives pas à te poser pour dessiner ou créer. Ta machine à coudre te regarde de loin avec un sentiment d’abandon flagrant. Tu ne l’as pas touché depuis deux semaines et c’est tout simplement parce que la créativité ne vient pas. Ton cerveau n’est pas en paix ni a eu assez de repos pour ça. Alors que l’activité physique ne demande pas d’activité cérébrale.

Jordan doit s’absenter dans l'après-midi alors t’as demandé à Louis s’il voulait venir te voir. Tu n’as pas envie d’être seule, ce n’est pas acquis d’avoir ton fiancé si loin de toi et t’as besoin d’une présence pour te distraire. Et surtout, ça ne peut pas te faire de mal de voir un peu de monde. Surtout quand ça concerne la famille. Tu fais un rangement frénétique hors du commun juste avant que ton cousin n’arrive en demandant à Jordan d’attendre qu’il arrive avant de te laisser. T’en as vraiment la boule au ventre d’avance.

Alors quand Louis arrive, Jordan prend la poudre d’escampette cinq minutes après. “Je suis contente que t’es pu venir.” Tu dis à ton cousin alors que vous êtes sur la balancelle placée juste en face de la vue de l’océan. Tes mains jouent entre elles, signe d’une certaine nervosité. “Tu veux quelque chose à boire ? J’ai complètement oublié de te demander, vraiment, je…” Tu passes ta main sur ton visage alors que l’autre va chercher une de tes béquilles. “J’ai un peu la tête partout et nulle part à la fois.” Tu te justifies, honteusement. Tu n’aimes tellement pas être comme ça. Manquer d’assurance, manquer de confiance, manquer d’absolument tout.

@louis dalton

« C’est normal » La normalité est devenue une notion abstraite dans l’esprit de Birdie. Il n’y a plus rien de normal après ce qu’elle a vécu. Elle remet tout en question, elle s’inquiète du moindre mouvement de branche d’arbre, elle a l’impression que le vent lui murmure des avertissements. Elle a fait des crises aussi étranges que perturbantes, subit une amnésie traumatique saupoudré d’un mutisme lui clouant le bec car elle est incapable de retranscrire à voix haute ce qu’elle a vécu. Ça paraît tellement absurde, anormal. « Non, t’inquiètes. » Le bras avec sa béquille retombe mollement, comme si c’était l’excuse parfaite qu’elle attendait pour relâcher son corps las sur la balancelle. Ce nouveau point de chute où elle ne se sent pas trop en apnée ni étouffé. « T’excuses pas, on serait plusieurs à être paumés après ce que t’as vécu. » Paumé, un bien faible mot pour tenter de comprendre ce qu’il se passe dans sa tête.

Mais s’il y a bien quelqu’un qui peut la comprendre, dans une mesure différente mais tout aussi traumatisante, c’est bien Louis. L’oiseau peut mieux appréhender cette amnésie dont il souffre et elle en vient à se demander comment il fait pour ne pas paniquer, ne pas criser, ne pas s’affoler. Elle l’a vécu pendant vingt quatre heures, son cerveau ayant fait une pause temporelle lui faisant tout oublier pour la préserver, elle a encore ce sentiment d’angoisse qui la prend à la perspective que ça se reproduise. « Tu veux qu’on reste là à se balancer en regardant la mer ? » Les mains de la jeune femme se torturent alors que son regard reste planté sur ladite mer en face d’eux. “Je…” je sais pas, c’est sa réponse automatique car elle n’en sait vraiment rien. Elle laisse les autres, particulièrement Jordan, la guider partout sans sourciller. Comme si tout son corps se relâchait et refusait de prendre des initiatives après quatre jours particulièrement intenses et éprouvants. « Ou j’peux te raconter la journée d’hier à la boutique. » Elle tourne la tête vers lui. « J’ai rien de prévu de tout l’aprèm, alors on fait ce que tu veux. » Son coeur se serre et elle sent ses yeux la piquer. “C’est gentil d’aider Lila pour la boutique.” Qu’elle commence à dire avec une voix qui s’enroue, signe annonciateur de l’émotion qui la prend. Elle est sensible et elle pleure pour tout et rien à la fois en ce moment. “Je suis désolée que tu ai à subir ça toi aussi, je-” Inévitablement, des larmes se mettent à couler et elle vient les effacer de ses joues rapidement même si c’est trop tard. “Je veux bien savoir comment ça se passe, ouais.” Qu’elle formule en reprenant sa contemplation de l’horizon tout en tentant de ravaler l’eau de ses prunelles. “Tu peux aussi me raconter ta vie en ce moment.” Tout ne sera qu’une bonne distraction à prendre, tant que ça lui permet de s’échapper de ses pensées et de ses batailles internes.