(juin 2009)
Le temps avait passé. Depuis le moment où Ginny était partie, les larmes sur les joues d’Ezra avait coulé. Il avait maudit la situation - plus d’une fois, chez lui, dans le noir. Il n’avait su les contrôler correctement, juste partiellement. Et depuis qu’il avait compris que la situation ne s’arrangerait pas réellement, il s’en voulait. Ce n’étaient pas les actions qu’il aurait souhaité mener, mais il se devait d’agir en conséquences - il n’avait gère le choix, après tout. Ginny était partie, et tout son monde s’était écroulé. Ginny était partie, et ses repères s’étaient retrouvés dérangés. Cependant, il avait décidé de ne pas se laisser aller. Son comportement ces derniers temps avait laissé prouver le contraire, mais il était destiné à aller contre ce dernier. Alors, après sa dernière rencontre avec Auden, il avait décidé de faire mieux. D’être meilleur. Même s’il avait juré qu’il n’y avait rien à faire, Ezra avait décidé de s’occuper du rétroviseur de Auden. C’était peu, c’était petit - mais c’était déjà ça. Il avait dit qu’il n’y ferait rien, mais le voilà en train de faire en sorte que la voiture d’Auden revienne sur la route, ni vu, ni connu. Il avait dit qu’il y ferait rien, mais pourtant le voilà entrain de faire en sorte que la voiture du jeune homme soit en forme. Elle pouvait désormais rouler comme convenu, même si ce n’était pas ce qu’il voulait. Volonté venue d’ailleurs, Ezra se pointa quelques jours plus tard chez Auden. Il n’était sûr de sa démarche, mais il était là aujourd’hui. A présenter le véhicule neuf au jeune homme, à montrer ce dont il était capable. Il vint sonner à la porte, hésitant, balançant sur ses jambes d’avant en arrière. Etait-il en train de faire la bonne chose ? Etait-il en train d’opter pour la bonne solution ?

Spoiler:

Il m'avait filé cinquante euros. En 2005 il m’avait filé cinquante euros pour me peindre nue, un type un peu étrange Auden Williams, et j’avais filé m’acheter de la drogue. Parce qu’il n’y avait que ça qui comptait à l’époque et aujourd’hui, j’avais pensé à lui alors qu’il me restait de la drogue à écouler. J'avais écumé les boîtes de nuit de la ville, traîné dans le quartiers les plus mal famé de Brisbane, et j’étais là, au pied du mur, prête à vendre un peu de ma fierté à nouveau.

Il me reste trois grammes. Trois grammes à vendre et je ne sais pourquoi j’ai pensé au peintre. Parce que je n’ai pas envie de décevoir Mitchell, pas envie de décevoir le reste du gang, alors tant pis. La dernière fois que je l’avais vu c’était en 2005, il m’avait peinte pour une poignée de dollars, et je suis déjà surprise de me souvenir de l’endroit où il réside. Pourtant me voilà, au pied de son immeuble, répétant mon discours. Tu te souviens de moi ? Je suis gamine, la fille du tableau, et j’ai besoin de son aide. Il n’est pas généreux, il est même misanthrope, mais tant pis, je tente le tout pour le tout. J’ai les jambes qui tremblent, l’impression de redevenir cette petite junkie de 18 ans, mais je suis là, en face de son immeuble, et par chance un type s’y engouffre et je me glisse à sa suite. J’avais pris l’ascenseur, jusqu’à quel étage déjà ? Le dixième, le onzième peut-être, alors je monte à pied, je les essaye tous. Et j’y suis. Le voilà. Auden Williams dans toute sa splendeur. Je m’approche de la porte, mais je m’arrête. Il y a déjà quelqu’un. Il n’est pas seul. Je suis prise de tremblement, un instant de doute, et mon regard croise celui du type. « Je suis désolée… Je me suis trompée d’étage... » Pourquoi ai-je fait ça ? Suis-je réellement désespérée à ce point ? Je prends mes jambes à mon cou, je fuis l’appartement du peintre, je fuis l’inconnu qui stationne devant comme une âme en peine, je descend en bas de l’immeuble et finalement, je me plie en deux et rends mon déjeuner sur le trottoir.

Il est temps que j’arrête la drogue, que j’arrête ces conneries.

JE VOUS AIME :

Il observe les courbes de son corps si masculin alors qu’il empoigne fermement ses outils. Sans s’en rendre compte, Raphael se mord la lèvre inférieure en fixant langoureusement le mécanicien qui semble s’attarder au rétroviseur d’une bagnole visiblement en état douteux. Qu’est-ce que le jeu homme rêverait de le voir torse nu à cet instant-même. Il imagine la sueur sur son torse, cette sueur qui roule sur sa peau luisant et qui atterri sur le sol du garage. Ses cheveux collés sur son front, il rêve d’y glisser les doigts et de les humer par la suite – parce qu’ils doivent sentir le sel à force de recueillir la sueur d’un tel homme. Pendant un moment, Raphael s’approche de l’homme en action, penche la tête sur le côté et s’humecte les lèvres, le cœur battant la chamade dans la poitrine. Le grand brun aux yeux incroyables sort son outil qui permet de souder des trucs (flemme de chercher le nom de ce truc sur google) et s’empresse de recoller le rétroviseur au côté de la bagnole et cette dernière est à nouveau comme neuve. Huuuuum. Qu’il est beau, lui et sa voiture. Il a envie de s’approcher davantage pour tâter ses muscles sous sa chemise mais il sent que c’est interdit – parce que c’est assez bizarre de venir tâter un inconnu. Alors il garde ses distances mais ne s’empêche pas d’admirer la scène, la salive coulant métaphoriquement sur son menton imberbe. Malheureusement, l’observation ne dure pas éternellement et le mécanicien range habillement ses outils dans son coffre et se glisse derrière le volant, faisant démarrer le moteur de la voiture réparée. Un nuage de poussière s’élève sur la route et tous les deux, le Dieu grec et son engin à quatre roues, disparaissent au coin de la rue, laissant un pauvre Raphael dans sa solitude des plus désolantes.

Bip. Bip. Bip.
Activation système S.A.N.S.A quatre roues motrices.
Diagnostic du système en cours : rétroviseur abimé.
Cause(s) envisagée(s) :
1. Propriétaire présentant un peu de sang dans son alcool et comportement inadéquat (enfermement en secteur psychiatrie conseillé).
2. Propriétaire hurlant « LE RÊTROVISEUR EST EN TRAIN DE BAISER MA JAMBE ». Probable poussée d’hormones nécessitant d’être comblé par objet immédiat. Cf. Voiture à proximité.

Option deux sélectionnée.
Système de guérison envisagé : usage de coton-tige stimulant.
Système de guérison choisi : court séjour en cure de désintoxication pour moteurs.
Parrain responsable : Ezra Bee Scott Beauregard.
Évaluation du touché d’Ezra Beauregard : délicatesse à améliorer. Filtrage des archives met en évidence « raison pour laquelle les femmes ne restent pas ».

Mission accomplie.
S.A.N.S.A. heureuse. S.A.N.S.A. garantit paix dans le monde. Tant qu'huile dans le moteur.

Peu ont été à mes côtés lors des moments difficiles de ma vie et ils se comptent sur les doigts d’une main, ces espèces d’imbéciles. Ezra est définitivement l’un d’eux puisqu’il a été présent au moment du départ de Ginny pour un autre continent, même si la scène s’est passée plus ou moins contre son gré. Okay, c’était davantage moins que plus, mais cela ne reste qu’un infime détail de l’histoire et personne n’a réellement à le connaître. Autant dire que tout le monde s’en fout, en fait, et que j’ai finalement cassé volontairement ma voiture pour rien puisqu’il n’a pas réellement écouté aucun des mots que j’ai pu lui dire.

Pourtant il est là, aujourd’hui, cet espèce d’imbécile de la race des pires imbéciles de la Terre. Il a un sourire fier, ou en tout cas au moins un rictus. Ou quelque chose. Je ne sais pas. Il est juste là, là. Cela ne fait aucun sens puisque la dernière fois que nous nous sommes rencontrés il a plus ou moins juré sur sa vie de mettre fin à la mienne - quelle poésie. Il faut croire que les plans ont été revus à la baisse, il n’a ni hache ni fusil ni même couteau entre les mains et si jamais il se trimballe avec un quelconque poisson j’ai bien trop évité les tentatives de meurtres de Saül pour me faire avoir par lui.

Alors tout va bien. Normalement, tout vas bien. Je n’ai plus autant envie de le tuer qu’avant et je lui ouvre même la porte de l’appartement sans un mot, déjà agacé du remue ménage ambiant dans le couloir. Comme si mon immeuble était une sorte de poulailler, une chose à exhiber dans les foires ou même un lieu de tous les fantasmes - quoique ça, vraiment, ça peut se négocier. ”T’es presque aussi reluisant que ma voiture.” Ca sonne comme une bonne entrée en matière pour des débats existentiels à propos de la création de l’univers. Au moins. Je l’ai vu ramener ma voiture en bas de l’immeuble, je l’ai vu la garer et j’en ai vu un baver dessus, aussi - sur la voiture ou sur Ezra, ça, ça n’est pas mon problème. Pour le moment seul l’un des deux me fait face.

Trop de temps a passé depuis la dernière visite de Saül à son frère. La dernière carte postale - la rose avec des paillettes dessus - n'avait probablement pas plu à Auden, car l'aîné n'avait jamais perçu aucun retour de l'artiste. Il était peut-être temps que Saül renoue avec son frère, à l'aube de son départ pour de nouvelles contrées obscures peuplées de caribous. La nouvelle menaçait de provoquer chez Auden une habituelle indifférence, mais le grand frère ne se privait jamais d'une petite visite surprise, surtout pas quand cela pouvait ennuyer le peintre. C'est donc dans une voiture louée - et franchement en dessous de ses standards - que l'italien se gare à l'adresse indiquée par son téléphone. Elise le tuerait de le savoir ici dans ce contexte, mais l'homme d'affaires n'en a cure. Pour prouver sa bonne foi à Auden, il a amené un splendide bouquet de fleurs. Evidemment, il a au préalable regardé la signification et le message que renvoyaient les différentes plantes, dans un soucis du détail - mais surtout parce qu'il s'était ennuyé à mourir en attendant qu'on daigne lui confier une voiture de location. Pour Auden, c'est donc acanthe, pour l'amour de l'art - ne riez pas, c'est ce qu'ils racontent sur internet - aristoloche pour la tyrannie - c'est vraiment un adjectif qui définit une fleur - bardane - car les fleurs sont piquantes et parce qu'elles étaient définies non pas par un adjectif, mais par la phrase "vous m'importunez". Le tout forme un bouquet violacé, plutôt hideux mais qui jure surtout avec le costume bleu nuit que porte l'italien.

Saül croit l'endroit classieux, mais voilà qu'il croise le chemin d'une gamine vomissant tripes et boyaux sur le trottoir. Le nez pincé, il détourne la jeune femme du passage après avoir calé son horrible bouquet sous son bras et l'invite à dégobiller dans le caniveau plutôt que sur le pallier de l'immeuble. « Les gens ont de drôles de manières, dans ce quartier. », qu'il marmonne, dégoûté au possible mais perspicace. Saül a le sentiment qu'il est en train de perdre son temps et réalise soudain que se pointer éhontément chez son frère, bouquet de haine à la main, est probablement un peu fort de café. Lorsque la gamine a terminé de rendre tout le contenu de son estomac, l'italien se détourne et remonte en voiture, son bouquet moche jeté sur le siège passager.

Coucou c'est moi je repars.

(juin 2009)
La mauvaise idée était surement là, présente, jusque sous ses yeux, et pourtant il vint appuyer davantage sur l’accélérateur de la voiture. Ezra se trouvait idiot de s’être dit qu’un rétroviseur réparé pourrait peut-être venir alléger les tensions, mettre un peu de baume au coeur des deux côtés, alléger la situation. C’était totalement idiot, et pourtant le voilà qu’il rangeait la voiture sur le bas-côté de la chaussée. Une inspiration, une deuxième, et il entrait dans l’immeuble. Il monta les marches quatre par quatre jusqu’à la porte de chez Auden. Il connaissait les lieux, il y avait mis les pieds peu de temps auparavant. Les circonstances avaient été légèrement différentes, l’autre jour, mais il ne s’attarda pas sur les points négatifs qui pourraient lui faire faire demi-tour. Il s’apprêtait à venir frapper sur le bois de la porte, lorsqu’une jeune femme atterrit dans son champ de vision. Elle se stoppa dans sa montrée des marches. Ezra tourna son regard, les sourcils froncés, vers elle. « Je suis désolée… Je me suis trompée d’étage... » Il vint en premier lieu hausser un sourcil, et lorsque la demoiselle vint faire carrément demi-tour, il leva les yeux au ciel. Il ne se savait pas aussi impressionnant. Soupirant, il vint cette fois-ci asséner trois coups secs, francs, sur la porte de chez Auden. Il n’avait aucune idée de s’il pouvait se trouver ici à cette heure là, mais il s’en voudrait plus tard de ne pas aller au bout de son idée. Il était la seule personne qu’il connaissait - ou la seule qu’il connaissait à portée de main - qui pouvait attester des dernières années. Lui prouver qu’il était pas fou et qu’il n’avait rien inventé. Une autre silhouette vint passer derrière lui, montant une nouvelle fois les escaliers, mais Ezra n’eut pas le temps de porter son regard sur elle car déjà, la porte s’ouvrait pour laisser place à la silhouette d’Auden. Leurs regards vinrent se croiser, peut-être un instant de trop. Ezra était censé être celui qui parle en premier, c’était lui qui se pointait sans prévenir après tout. Mais pourtant, il se trouvait incapable de pipier mot. Voir le visage d’Auden, pouvoir l’avoir devant lui de nouveau, provoquait une réaction étrange en son sein. Une partie, grande partie, de lui avait finalement toujours envie de lui refaire le portrait. « T’es presque aussi reluisant que ma voiture. » Oh, bien sûr qu’il vint lever les yeux au ciel comme s’il souhaitait décrocher les étoiles. C’était justement pour ce type de réaction qu’Ezra avait envie de le frapper presque aussitôt qu’il le voyait. A chaque fois, à coup sûr. Ou tout du moins depuis qu’il était venu pour lui pointer les erreurs qu’il avait fait et la situation dans laquelle il se trouvait ces dernières semaines. Ca suffisait amplement. Soupirant, Ezra vint bousculer quelque peu Auden pour entrer dans son appartement. Il ne savait toujours pas exactement pourquoi il se sentait comme obligé de venir ici aujourd’hui, mais il était hors de question qu’il reste sur le palier. De plus, si Auden disait ça, c’était qu’il avait vu sur la rue depuis son appartement. Ezra s’en alla directement à la fenêtre von la voiture en question - et il trouva non loin de cette dernière la demoiselle qui s’était soi-disant trompé de porte en train de vomir ses tripes sur le trottoir. Un autre jeune homme se tenait à ses côtés, un bouquet peu reluisant à la main, l’aidant à se sentir mieux. Il secoua la tête, reporta son attention sur Auden. « Ta voiture est loin d’être reluisante, tu sais ça. » Il vint croiser ses bras sur son torse, haussant les épaules au passage. « J’ai réparé ton rétro, tu sais, celui qui s’est cassé par accident. »

Spoiler:

Mes sentiments à propos d’Ezra sont plus que contradictoires mais une chose est sûre : j’ai envie de le tuer dans tous les scénarios que je créé un à un dans mon esprit. Il a une tête d’imbécile et de premier de la classe, il est bien trop heureux et bien trop fier pour que je puisse avoir réellement ne penser que du bien sur lui. Dans d’autres circonstances j’aurais pu l’apprécier sans problème mais il faut croire que cela aurait été trop simple et surtout tout sauf nous. Un sourire fend mon visage au moment où il lève les yeux au ciel (presque aussi théâtralement que j’aurais pu le faire, d’ailleurs) et c’est bien là que réside la dynamique de notre duo bancal et clairement perfectible.

S’il ne dit rien, ce sont mes grognements qui comblent le vide alors qu’il s’invite de lui même chez moi et me pousse par la même occasion. Oui vas y Ezra, fais comme chez toi, tu le sais bien. « Ta voiture est loin d’être reluisante, tu sais ça. » Je fais la moue. Si la voiture n’est pas très reluisante alors lui est presque pas très reluisant, ce qui est toujours un peu moins glorieux à chaque minute qui passe. C’est lui qui le dit, pas moi. Oh, s’il savait ce que j’en pense, moi, on n’en serait certainement pas là à garder autant de distance de sécurité entre nous. « J’ai réparé ton rétro, tu sais, celui qui s’est cassé par accident. » A mon tour de lever les yeux au ciel en soufflant alors que je gomme la distance entre nous et pose mon épaule contre le même mur, un pas à peine devant lui. “Tu sais que c’est ta gueule que j’ai envie de casser par accident, Ezra ?” J’aurais pu me faire menaçant, j’aurais pu être dur, j’aurais pu le frapper sans même prévenir à l’avance. J’aurais pu faire beaucoup de choses mais tout ce qu’il faut retenir de tout cela c’est que je reste face à lui, un sourire au coin des lèvres, bras croisés. L’effet de miroir est presque parfait et il serait bien difficile que de jouer au jeu des sept différence entre nous. Mon souffle s’est même calqué naturellement sur le sien. Conneries. “T’avais pas besoin de rentrer pour me dire que t’as réparé le rétro.” Je me redresse, fais un pas de plus et me retrouve finalement à côté de lui, épaule contre épaule, notre souffle de merde qui fait de la buée de merde contre la fenêtre. Mon doigt se pose sur la vitre comme si tout n’était pas déjà assez sale et je lui pointe ma (sa ?) voiture en contrebas, comme s’il ne l’avait pas déjà vue. “Là, tu vois. Juste là. On le voit d'ici.” Pour la première fois de notre vie, je sens son souffle sur ma peau sans que ce ne soit lié à aucune bagarre et c’est déstabilisant au possible.

(juin 2009)
La provocation n’était même plus à cacher. Ezra savait qu’Auden verrait clair dans son jeu de toutes façons, qu’importe les efforts qu’il pourrait déployer pour ne pas se faire remarquer. Cependant, s’il voulait être en accord dans son comportement, dans ses gestes, il ne serait pas venu ici aujourd’hui s’il ne voulait pas être découvert - et sa provocation avec. C’était la seule chose qui semblait amusante, ces derniers temps. Il avait imaginé la tête que ferait Auden lorsqu’il viendrait se pointer avec sa voiture, plusieurs semaines et quelques mois après qu’Ezra se soit barré avec sans préavis. Après aussi, bien sûr, qu’il ait promis de ne jamais - ô grand jamais - réparer son rétroviseur. Et pourtant, c’était chez le même Auden qu’il se tenait aujourd’hui. « Tu sais que c’est ta gueule que j’ai envie de casser par accident, Ezra ? » Le principal intéressé allait finir par décrocher les étoiles à force de lever les yeux au ciel. Il était ridicule, Auden. Il lui apportait sa voiture réparée alors qu’il avait mis toute sa bonne humeur à la réduire en plusieurs morceaux, et il voulait quand même lui refaire le portrait. Au moins, pour un soi-disant artiste, c’était cohérent. « Cause toujours, Williams. » Parce-que la dernière fois, ça avait déjà été le cas. Il avait parlé, causé, explicité des faits qui n’étaient jamais arrivés. Il avait pourtant eu plus d’une occasion de trébucher sur son visage, le poing levé. Ezra attendait encore qu’il mette ses menaces à exécution. A le voir qui, finalement, se rapprochait de lui, il avait peut-être parlé trop vite. Peut-être qu’Auden réussirait à avoir de la suite dans les idées pour une fois dans sa vie. « T’avais pas besoin de rentrer pour me dire que t’as réparé le rétro. » Il fallait avouer que ce n’était pas tout à fait faux. Ezra ne savait pas si on pouvait appeler ça de la suite dans les idées, mais au moins il avait su analyser la situation à peu près correctement. Beauregard n’avait pas besoin, effectivement, d’entrer dans l’appartement, d’aller jusqu’à monter chez Auden, pour lui signaler qu’il lui avait réparé le rétroviseur. Il aurait pu se contenter de lui envoyer les clefs de la voiture par courrier, et l’autre abruti aurait du se déplacer pour venir la chercher. Mais ça aurait aussi voulu dire qu’ils se seraient de nouveau retrouvés nez à nez au garage - ça ne faisait pas bon mélange, et Ezra tenait un minimum à son travail. « Je sais, merci. » Mais l’excuse, la raison - où étaient-elles, après tout ? Il savait qu’il n’avait besoin de mettre un pied jusqu’à dans l’appartement de Auden pour lui annoncer la fabuleuse nouvelle, et pourtant ils se tenaient tous les deux les bras croisés sur leur torse respectif, à se regarder en chiens de faïence. Pendant encore un instant, peut-être deux, leurs pupilles s’accrochèrent, tentant de percer le mystère de la situation. Pendant un moment supplémentaire, cette conversation silencieuse se passant en parallèle de celle évoquée à haute voix se déroula, avant qu’Auden ne vienne se rapprocher d’Ezra. Là, juste là. Leurs épaules qui se frôlèrent, le regard de l’autre idiot qui s’en va au delà de la vitre, vers la voiture en contre-bas. « Là, tu vois. Juste là. On le voit d’ici. » Oh, il savait où se trouvait la voiture, Ezra. Ce n’était pas pour autant que son regard avait suivi le mouvement, initié à la fois par le doigt d’Auden, appuyé par ses yeux. Ezra était davantage concentré sur le fait que pour la première fois, leurs visages se trouvaient si proches alors qu’aucun des deux n’avait le poing levé. L’effort était présent, étrange équilibre. « Je suis pas aveugle. » S’il l’avait été, il aurait peut-être pas remarqué la mâchoire d’Auden qui se contractait lorsqu’il dictait ses mots. Fermant un instant ses yeux, il n’eut accès qu’au parfum de l’autre jeune homme - quelques pointes d’un été indien. Déglutissant, il vint se nouveau donner accès à ses pupilles, inspirant un bol d’air. Tout semblait tremblant, tout semblait changeant. Même la lueur du jour se modifiait au fil des minutes qui s’écoulaient. « Mais j’aurais pas pu compter sur toi pour venir la chercher. » Pour venir provoquer une seconde rencontre - quoi ? Il vint cligner plus d’une centaine de fois en dix secondes des cils, avant de venir prendre un pas de recul. Léger, petit, présent tout de même. Tout semblait confus. Il ne savait même plus la raison primaire de sa présence ici, et pourtant ses jambes ne sauraient faire demi-tour. Ezra détourna le regard, vint déplier ses bras et ranger ses mains bien au fond de ses poches de jean. Il tourna sa langue trois, quatre - sept fois dans sa bouche. Il allait franchir une ligne qu’il n’aurait cru, et il se maudissait d’avance de le faire. Mais c’était ce qui semblait être la suite logique, le fil conducteur de leur histoire. « C’est pas comme ça que t’aurais eu de ses nouvelles, et moi non plus. » De la voiture ? De Ginny ? On parlait de qui déjà ?

Spoiler:

« Je suis pas aveugle. » Si. Il est le con le plus aveugle qui soit et il n’en a même pas conscience. Il se pense omniscient mais le fait est qu’il n’est même pas capable d’observer ce qu’il se passe sous ses yeux. Ses pupilles fonctionnent, ses iris bleutés sont en mouvement. Certes. Mais cela s’arrête là. Il pense voir, il pense comprendre et il est bien loin de la vérité. « Mais j’aurais pas pu compter sur toi pour venir la chercher. » Ma tête se déporte vers lui alors que je me fais curieux des mots qu’il vient de prononcer, mots que j’oublie pourtant bien rapidement alors que la priorité devient soudainement de découvrir toutes les nuances de bleu et de gris que je peux apercevoir en ses yeux. Je pourrais peindre une toile avec la palette qu’il me propose là, je pourrais en faire une scène de vie joyeuse et guillerette et quand bien même je déteste ça du plus profond de mon âme, je suis certain d’être incapable de détester ce tableau-ci. Aussi hypothétique soit-il.

J’expire longuement dès lors qu’il fait un pas de plus et même si cela ressemble à de la déception ce n’en est pas pour autant. Être déçu de quoi, au juste ? De ne plus avoir sa gueule de merde à quelques centimètres à peine de mon visage ? De ne plus pouvoir placer un uppercut aussi rapidement et aisément à la base de son menton, là où ses veines offraient une nouvelle teinte de couleurs ? De ne plus pouvoir détailler les traits ciselés de son visage et rêver de les recouvrir, tous autant qu’ils sont, de son propre sang ou du mien peu importe on ne fait plus la fine bouche dès lors que ce sont nos poings qui commencent à parler. Je ne suis pas déçu, non. Ce n’est pas ça. Il n’y a tout simplement aucun mot à poser sur la situation ou sur nous ; ou l’absence de ‘nous’ puisqu’Ezra n’est rien pour moi si ce n’est celui qui avait jusque là refusé de réparer mon fichu rétroviseur. J’avais fait des efforts pour trouver une raison valable de le voir.
Pour Ginny.
De le voir, pour Ginny.

Mais soit. S’il ne fait pas un pas en avant alors moi non plus et je viens me poster dos à la vitre et face à lui. Ses bras sont désormais le long de son corps, les miens restent à jamais croisés. « C’est pas comme ça que t’aurais eu de ses nouvelles, et moi non plus. » Je n’aime pas ne pas tout contrôler ou être incapable de prévoir ce qu’il va se passer alors autant dire que je déteste la situation dans laquelle nous sommes en ce moment. L’air est électrique et la tension palpable, son visage se colore de rose et d’orangé à mesure que le soleil entame sa descente dans le ciel. Des nouvelles teintes que j’ajoute au tableau hypothétique qui n’existera jamais, parce que l’idée est stupide, parce qu’Ezra ne mérite pas que je m’attarde autant sur sa personne. Je grimace d’incompréhension, rage qu’on ne m’ait toujours pas accordé le ton de télépathie que je demande pourtant à chaque Noël-anniversaire. “T’es parti le premier. J’avais pas le droit de demander des nouvelles.” On ne sait plus de quoi on parle ni même de quoi, je lui rejette la faute dessus par simple habitude d’ego brisé. J’ai fait un pas vers lui, il en a fait deux en arrière et dès lors il était impensable pour moi de retenter l’expérience. Ce n’est qu’aujourd’hui que les compteurs se remettent à zéro mais il devra me prouver qu’il a changé, depuis la dernière fois. Il ne s’agit plus que de lui et moi maintenant, la donne a changée. “Pourquoi est ce que t’es vraiment venu ici, Ezra ?” C’est ça, la seule question qui importe désormais. On fait table rase du passé, on oublie, on recommence. Et on le fait bien, et je ne le lâche pas des yeux non plus. "T'as déjà utilisé l'excuse de la voiture." Trop tard, il lui faudra soit se renouveler soit dire la vérité.

(juin 2009)
A l’image des gestes d’Ezra, Auden vint se reculer pour se poser contre le mur, la fenêtre, ce qui était assez large pour soutenir l’égo qu’il trimballait partout avec lui. Leurs regards qui se croisèrent plus d’une fois, et le jeune homme se demandait si la porte d’entrée n’était pas mal fermée pour qu’il puisse ressentir autant de frissons dans le dos ? L’air devait s’y engouffrer plus qu’à l’accoutumé, devait venir lui hérisser le poil contre son gré. La liste des autres raisons qui s’affichaient pourtant sous les yeux d’Ezra fut balayé d’un geste simple de la main - mentalement, il ne voulait pas donner de raison supplémentaire à Auden de le trouver idiot et problématique. « T’es parti le premier. J’avais pas le droit de demander des nouvelles. » Les sourcils d’Ezra qui vinrent se froncer, former une ligne presque continue sur son visage. Il était le premier à être parti, parce-que c’était le comportement logique et adéquate à adopter lors de leur dernière rencontre. Les mots d’Auden lui avaient tourner la tête, perdre son sang-froid et le sens de la réalité, s’en laissant aller à des dimensions diverses et variées où l’incident n’était pas arrivé. Il était parti le premier parce-que son coeur était mille fois plus meurtri après qu’ils aient discuté qu’avant, parce-que tout ce qu’on venait lui mettre sous le nez le ramenait à une époque où la vie était bien plus douce que celle qu’il menait désormais. Et les nouvelles, les nouvelles - il ne devait pas les demander, mais les apporter, normalement. « Je comptais quand même sur toi. » Les mots qui s’échappèrent de ses lèvres, qui étaient passés outre les radars du Beauregard. Il comptait sur lui, comme un enfant innocent. Il n’aurait jamais du compter que sur lui-même, mais son coeur n’était plus apte à simplement faire confiance à ce qu’il percevait. Il avait compté sur un abruti qui s’en fichait comme de la grande guerre des émeus, de sa gueule. Ezra était tombé dedans - à cause de ce battement de cils, là ? Allez savoir - et il se mordait les doigts et la langue, toutes les parties qu’il pouvait attraper, d’avoir agi si naïvement. « Pourquoi est ce que t’es vraiment venu ici, Ezra ? » Un soupire, un brin amusé, qui vint se faire percevoir. Ses pupilles qui vinrent accrocher celles d’Auden, un instant de trop, celui qui permettait de faire sauter son coeur à l’élastique. Il savait pas ce qu’il venait faire là, il n’en savait foutrement rien. La seule chose dont il était certain, c’était qu’à un instant, il se retenait de faire un pas de plus en direction de l’épave que représentait la voiture d’Auden - que représentait Auden tout court était également une réponse acceptée - et que l’instant presque immédiat à la suite, il fonçait à toute allure vers son domicile. « T'as déjà utilisé l'excuse de la voiture. » Il n’avait aucun fichu indice de sa présence ici, pas de ceux qu’il admettait, parce-qu’il se sentait comme avancer dans un brouillard sans fin. « Pour la voiture, vraiment. Excuse déjà utilisée si tu veux, je m’en fous. » Alors, il s’osa à un soupire supplémentaire, à des regards jetés en coin et surtout ailleurs qu’en sa direction, avant de venir mâcher les mots d’après. « Et pour te voir aussi, quoi. Te déposer la voiture surtout. » Il fallait tendre l’oreille, décortiquer les moindres sons, comprendre le subtile dans l’évident. Il vint tousser un peu, se racler la gorge, regardant Auden comme s’il était le responsable de la dernière phrase prononcée. « Pour te voir et que tu me donnes des nouvelles, tu sais. Celles que tu m’avais promis. » Ezra vint croiser les bras sur son torse, hausser un sourcil, marquer l’innocence un brin trop fort dans sa voix.

Spoiler:

« Je comptais quand même sur toi. » Et moi sur toi. On peut jouer à ce jeu longtemps et se renvoyer la faute pour tous les maux du monde pendant une éternité que cela n’y changera rien. Le silence radio a perduré pendant des mois, que ce soit d’un côté ou de l’autre et ça personne ne pourra jamais rien n’y changer. Personne n’a fait de pas en avant et il est stupide Ezra, il est le plus stupide d’entre tous d’avoir cru en moi alors qu’il sait très bien que c’est une erreur à ne pas commettre. Même moi je ne crois pas en moi, pas même pour prendre des nouvelles alors qu’une part de moi, une infime part, en crève d’envie. “Moi aussi.” Moi aussi je comptais sur moi, moi aussi je comptais sur toi - peu importe l’explication qu’il en retiendra, elle sera la bonne.

Quand il sourit j’en fais de même sans avoir un seul instant à y réfléchir. Effet de mimétisme, effet miroir, allez savoir. Je le préfère voir sourire plutôt que de ravaler ses émotions comme il le faisait l’instant d’avant et la seule explication à cela est que s’il ravale ses émotions alors il n’explosera pas de rage et j’aurai une raison de moins de le frapper. Même si en réalité je n’attends pas qu’il explose le premier pour frapper. Même si en réalité, là, il ne contenait pas de la rage. Même si en réalité, je suis le seul à rager de m’être transformé en statue de chair et de sang pourtant incapable de se mouvoir ou de parler. « Et pour te voir aussi, quoi. Te déposer la voiture surtout. » Je reprends son soupir, il bute sur les mots et finalement aucun de nous n’avance. Si jamais je devais m’énerver d’une chose alors ce serait bien ça. Je vois ce qu’il se passe dans son regard autant que lui le mien et pourtant on continue de parler de cette stupide voiture (aussi stupide qu’Ezra) comme si c’était ça le centre toute notre attention. Pourtant je lui fais dos, à la voiture, et c’est bien vers lui que mon regard se pose depuis de longues secondes déjà.

Je ne note pas même le contraste entre mon dos brûlant et la vitre glacée de l’hiver australe alors qu’il est en ce moment même le cadet de mes soucis. Mon corps entier brûle, la faute au chauffage monté à fond, la faute à la chaleur qui remonte dans les étages. La faute au reste du monde, oui. « Pour te voir et que tu me donnes des nouvelles, tu sais. Celles que tu m’avais promis. » Je râle de manière sonore cette fois ci, mon regard vacille un instant ailleurs en même temps que mes bras se décroisent. J’annihile la distance entre nous grâce à un pas puis à un autre, mes yeux à l’exacte même hauteur des siens. Son souffle ne me dérange plus autant qu’avant et il en est de même pour son regard. Pourtant lui tout entier continue de me faire enrager pour un rien, à toujours tourner autour des choses alors que ma question était pourtant simple. Un rictus de colère se loge un instant sur mon visage alors que je retrousse les lèvres et passe une main autour de son cou, le forçant alors à relever la tête. Pouce et index ressentent le pouls accéléré de son coeur, ma paume contracte sa trachée sans pitié.
Je ne sers plus autant qu’avant, pourtant. Mes doigts restent plantés dans sa peau sans que je ne fasse rien de plus. Ils glissent même à un instant, un seul, avant de de nouveau s’immobiliser lorsque mes yeux quittent cette scène pour observer de nouveau la palette de ses iris. Stupide Ezra. Ma main finit par se dérober, elle se pose sur son torse que je pousse de rage avec la force d’une gamine de cinq ans, c’est à peine si son équilibre en est altéré.

“Je m’en moque, de la voiture.” Il a un parfum que je ne lui connais pas, je peux encore l’analyser car même si je l’ai poussé en arrière il n’a pour autant pas titubé et je n’ai pas reculé non plus. Retour au point de départ.“ Je m’en moque, des autres.” Peu importe qui, ils sont tous dans le même papier. “Et surtout, surtout, je m’en moque de toi sombre connard.” Un index accusateur se pose de nouveau sur son torse et dans le même élan, mes lèvres sur les siennes.

Spoiler:

(juin 2009)
« Moi aussi. » Il n’aurait jamais la certitude de savoir si Auden, à ce moment là, lui avait avoué qu’il avait compté sur Ezra autant que ce dernier avait compté sur lui. Ou si, simplement, son égo ne pouvait être évité, diminué, mis dans une boite le temps d’un échange. Il y avait fort à parier qu’Auden parlait de lui-même, tout seul, et qu’il avait compté sur lui-même plutôt que sur le Beauregard. Ca n’aurait rien d’étonnant, de détonnant, c’était le genre de comportement qu’on se devait d’attendre de la part de quelqu’un de sa trempe. Ce fut en tout cas sur cette réponse là qu’il décida de s’arrêter, cette journée là, Ezra. Déçu, bien sûr, de ne pas être celui sur lequel il aurait pu compter, alors qu’il savait remplir cette fonction à merveille. Et même, il lui avait promis, à demi-mots, presque dans un soupire silencieux, lors de leur dernière rencontre. Ils baignaient dans les mêmes eaux, et si elles tournaient troubles, il serait là sur la rive pour l’aider à s’en réchapper. L’espoir se lisait toujours dans ses prunelles, cependant. Même s’il ne comptait plus réellement sur le soutien de Williams, même s’il avait l’impression que c’était peine perdue et qu’ils ne naviguaient plus dans la même direction, il s’y accrochait. Parce-qu’il était venu là avant tout pour le voir lui, aussi fou que cela pouvait sonner. Il ne comprenait pas réellement par quelle puissance il était poussé, quelle force le contraignait à se tenir presque droit en cette soirée, à lancer ces mots là, à oser lui tenir, en quelques sortes, tête. Une bouteille jetée à la mer aurait plus de chance d’avoir une destination précise. Il était venu le voir et pourtant il s’en éloignait, faisait un pas dans le sens inverse, campait sur ses positions. Auden ne valait pas qu’il s’entête dans une idée aussi vaine que celle où ils étaient dans le même combat. Ils n’avaient rien en commun, dans cette histoire. Leurs coeurs ne partageaient pas la même douleur - alors pourquoi celui d’Ezra fut remué d’un courant paralysant lorsqu’un râle vint s’échapper d’entre les lèvres d’Auden ? L’électricité parcourant son palpitant n’était plus là uniquement pour le permettre de rester en vie, quelque-chose de plus s’y était inconsciemment installée. Auden vint faire un pas vers lui - un souffle de coupé -, réduisant à néant la moindre chance de s’enfuir à la suite en effectuant le deuxième en sa direction. Comme une proie prise au piège de son prédateur, comme l’agneau tombé entre les griffes du lion. Si les mots avaient été seules armes jusque là, c’était trop que compter sur les neurones de Auden pour ne pas agir autrement que, finalement, avec les gestes. Il n’était pas apte à se contenter des mots, Ezra aurait du s’en douter depuis belle lurette. Il ne faudrait pas non plus de trop lui en demander. Ses doigts vinrent se serrer autour de sa gorge, de son cou, et l’air lui manquait quelque peu désormais. Pas assez pour que la panique soit la seule chose à laquelle céder, mais assez pour qu’il doive se concentrer pour ne pas parvenir à ce stade. Auden à portée de main, littéralement, leurs yeux qui s’entrechoquaient. Et là, il aurait pu le réduire à néant, l’idiot. Il aurait pu tout réduire à néant, avec simplement, littéralement, un claquement de doigts. Le souffle d’Ezra aurait pu disparaitre sous son emprise, ils auraient tous les deux pu dire adieu à cet équilibre à peine perceptible qui régnait autour d’eux. Auden aurait pu faire en sorte d’éliminer le problème de toutes suites imaginables, et pourtant Ezra respirait toujours. Sa main devenant moins oppressante, ses doigts glissant le long de la gorge du blonde, alors que ce dernier pouvait de nouveau accéder à l’air pure. Il n’avait cependant jamais autant eu de mal à revenir à une fréquence normale qu’à ce moment précis. Comme si ce qui se trouvait à portée de main, à portée de regard, suffisait à tout bousiller. A quel moment il s’était laissé autant faire et il avait glissé dans ce monde alternatif où Auden avait réussi à se hisser sur ce piédestal ? Tel un coup d’état mené contre sa propre existence, Ezra n’était plus maitre de la moindre parcelle de temps. Les doigts d’Auden forts, délicats, presque tendres, qui s’accrochait à son tee-shirt. « Je m’en moque, de la voiture. » La bile était dure à avaler, compliquée à analyser. Etait-ce son coeur qui détonnait autant avec le calme oppressant qui les entourait ? Etait-ce normal de voir autant de lumière émaner d’un être qui était censé l’absorber plutôt que la produire ? Ses jambes le tenaient encore par miracle, à ce stade là. « Elle est pas importante dans l’histoire. » Il peinait à les prononcer, ces mots là, Ezra. Parce-qu’il s’avouait vaincu à peine ils avaient passé ses lèvres. Il préférait baisser la garder, se laisser emporter dans la danse, plutôt que de nager à contre courant. La suite il la connaissait, l’appréhendait. « Je m’en moque, des autres. » « Depuis quand t’en avais quelque-chose à foutre, de toutes façons ? » Question rhétorique, réponse évidente. Il n’en avait jamais foutrement rien eu à faire, des autres, de n’importe qui. Seul lui et son égo d’une importance surdimensionnée étaient les éléments à remarquer dans cette histoire. Et la malice dans le coin de son oeil, aussi. Et l’espièglerie dans le coin de ses lèvres - était-ce un semblant de sourire, ou bien l’imaginait-il presque désormais les yeux fermés ? Presque instinctivement, la main d’Ezra s’était à son tour levée, venant se poser sur l’avant-bras du jeune homme, là où ses muscles ne cessaient de se tendre sous l’effet de l’adrénaline, qu’il supposait. Là où la force de l’homme dont les yeux ne cessaient de l’hypnotiser résidait. « Et surtout, surtout, je m’en moque de toi sombre connard. » « Connard toi même… » Les quelques mots qui purent sortir, en vitesse, tel un soupire final, avant que les lèvres d’Auden vinrent se poser sur les siennes. Electrisantes. Puissantes. Avides de revanche, il pouvait le sentir. Tout comme il pouvait sentir son souffle chaud, et l’hésitation qui quittait son esprit la seconde juste après celle où leurs peaux s’étaient unifiées. Le frisson qui parcourait l’échine à la vitesse de la lumière, et ses lèvres qui virent enfin, enfin, lui rendre son baiser. Parce-que laisser al garde haute n’était plus nécessaire. Les autres n’en valaient pas la peine, il l’avait dit lui-même, Auden. Les doigts d’Ezra qui agrippèrent son col autant de rage que d’envie, de colère que de désir. « Sombre merde. » Qui s’échappa d’entre ses lèvres entre deux respirations, entre deux inspirations, entre deux instants d’abandon. Auden. C’était Auden, Ezra. L’autre abruti, l’idiot de première. Celui qui valait moins que rien et qui ne désirait même pas recevoir la monnaie de sa pièce en échange. Celui après qui le trouble s’immisçait, laissant des traces indélébiles - et surtout débiles. Les lèvres qui se déchiraient et les dents qui s’entrechoquaient. C’était Auden, Ezra, s’il te plait - il aurait pu l’entendre prononcer ces paroles là, si seulement son esprit pouvait s’arrêter sur autre chose que le souffle du Williams qui se mêlait parfaitement au sien. C’est Auden sur qui il se ruait bien plus que la décente lui aurait jamais autorisé. Alors, il se recula. Rapidement. Se raccrochant à cette dernière pensée, celle qui restait censée dans toute cette histoire. C’est Auden et surtout, t’es Ezra qui se plante encore une fois. Le front du jeune homme vint se poser là, sur le sien, alors que ses joues perlaient - de larmes ou de sueur, il n’avait le temps de déterminer quelle était la source juste. « Même pour en avoir rien à foutre de moi, on peut pas compter sur toi. » Ca plutôt que d’assumer les quelques secondes qui venaient de s’écouler. Ca plutôt que de se dire qu’il venait de donner son premier baiser, depuis qu’elle était partie, à quelqu’un de son espèce. Et pourtant, ses doigts s’accrochaient à lui, comme un naufragé à sa bouée de sauvetage. Parce-qu’il aurait beau lui sortir tous les mots, toutes les insultes - mêmes celles les moins justifiées -, qu’il ne pourrait échapper à la réalité. Celle où Auden semblait être sa dernière bouffée d’oxygène. « Lâche moi. » Qu’il disait, alors que son emprise se resserrait, alors que ses yeux ne sauraient se détacher. « Lâche moi ou tu vas le regretter. » Ou rien du tout, parce-qu’il n’était plus apte à grand chose présentement, Ezra, si ce n’était à se laisser aller à des frasques qu’il n’aurait imaginé, même dans ses rêves les plus fous. « T’aimes ça ruiner les autres, en fait. » Et la colère qui se déversait inlassablement, parce-qu’elle était toujours plus facile à ressentir, à exprimer, à assumer, plutôt que tout le reste.

Spoiler:

« Connard toi même… » Oui. Absolument. Je ne peux pas le nier et je ne le ferai pas. Mais c’est pas ça, le sujet.Ce n’est ni ça ni la voiture, ni ça ni quoi que ce soit d’autre que mes lèvres qui découvrent les siennes pour la première fois après tant d’années à l’observer de loin, tant d’années à le voir près de tout le monde mais toujours éloigné de ma personne. C’était pour notre bien, sûrement, puisqu’on aurait sitôt fait de se battre si jamais nous n’étions pas cachés par les murs de mon appartement. Même là, pourtant, on continue de lutter. Il lutte et j’en fais tout autant, accrochant mes dents à ses lèvres, rageant de ne pas pouvoir sentir un peu plus longtemps son souffle sur mon philtrum.

De rage, j’aurais lutté à mon tour pour que personne ne m’attrape par le col comme il le fait en ce moment mais cela ne me pousse qu’à me rapprocher un peu plus de lui, baiser interdit que je n'appellerai jamais ainsi. Il nous a déjà perdu, pourtant, le mal est fait. Le mal que je recommencerai à l’infini si jamais il n’était pas aussi lâche, si jamais il ne grognait pas autant entre une insulte et une autre comme s’il me faisait réellement peur. « Sombre merde. » Ferme la Ezra, ferme ta gueule, apprends à choisir tes moments, apprends à reconnaître que celui-ci n’en est pas un. Cela ne nous empêchera jamais de nous insulter ni de nous battre, on peut tout faire en même temps si cela t’aide à te sentir mieux. Moi, par contre, c’est là que je me sens bien. Sentais, jusqu’à ce que ses lèvres se dérobent l’instant d’après, me laissant avec le goût amer de l’inachevé, devant finalement me contenter de son front brûlant contre le mien qui l’est tout autant. Il a ses doigts serrés autour de mon col ; les miens autour du sien. Même là on ne peut s’empêcher de se haïr, quoi qu’il se dise, quoi qu’il se passe.

« Même pour en avoir rien à foutre de moi, on peut pas compter sur toi. » Il parle trop, il parle beaucoup trop ce sombre connard. Je n’en ai jamais rien eu à foutre de lui, pas même quand il était à surveiller quand il tournait autour d’elle, encore moins quand il était d’autant plus à surveiller quand il était avec elle et surtout pas aujourd’hui, maintenant qu’elle est sortie de l’équation et qu’il ne reste plus que les deux sombres idiots qu’on personnifie à merveille. « Lâche moi. » Mes doigts se resserrent, les phalanges blanchies par l’effort de la poigne que jamais je ne relâcherai, encore moins maintenant qu’il vient de m’en donner l’ordre. Mon front se plisse alors que je rage sans même savoir pourquoi, ses lèvres proches des miennes et pourtant inaccessibles, son souffle se perdant contre ma clavicule sans que je n’ai le droit d’en assumer la chair de poule qu’il me procure. « Lâche moi ou tu vas le regretter. » J’aurais dû en rigoler, j’aurais dû afficher un sourire satisfait pour lui faire croire qu’il venait de me faire peur alors que la vérité est toute autre. Je n’en ai pourtant pas la force pour le moment, l’esprit ailleurs, mes yeux fermés. Il peut se venger, il peut me pousser, il peut me retenir à son tour autant de temps qu’il le désirera que je ne lutterai pas. Pas pour ça, pas comme ça. Pas alors qu’il n’a jamais été aussi proche de moi, aussi longtemps.« T’aimes ça ruiner les autres, en fait. » Va pas là, Ezra. “Tu voudrais pas connaître la vérité.” Il est ambiant depuis le premier jour et autant je déteste tous ces films à l’eau de rose que Robin-Hope adorait regarder en boucle, autant j’en ai rapidement compris qu’on peut un peu trop nous associer au héros de l’histoire qui préfère lutter et se battre contre celui pour qui son coeur bat plutôt que de l’admettre. C’est stupide et c’est erroné. Ce ne sont que des histoires pour adolescentes, ce n’est que pour faire plaisir au public.

Il n’y a pas de public, pourtant. Il n’y en aura jamais non plus, tellement je garderai ce secret jusque dans ma tombe et dans mon autre vie tout autant. Seuls mes doigts existent bel et bien, reprenant place sur son tee shirt froissé rendu brûlant de mon étreinte forcée. “Si tu me dis que c’est pas ce que tu veux, je te laisse partir.” Il ne le dira pas. Il le pense peut être, il se voile peut être la face, mais il ne le dira pas. Le baiser n’aurait pas duré s’il le pensait, il ne se serait pas contenté de retenir mon tee shirt s’il le pensait. S’il le pensait, on n’en serait pas là, front contre front, deux adversaires en pleine bagarre qui auraient finalement décidé de faire une pouce.

Pouce, j’ai un point de côté, attends.

Le seul point de côté que j’ai, c’est lui. Il est ma seule faiblesse, éphémère ou durable je ne sais pas.
Éphémère je préfère,
durable que mon coeur demande.
Rien du tout, que répond la voix d’Ezra en fond.
Toujours là pour casser l’ambiance, lui.

“Sois pas plus con que tu ne l’es déjà. Lutte pas.” Je n’en parlerai pas et lui non plus. Ce sera notre secret. Une fois seulement et une seule, cela n’engage jamais à rien. Nous ne sommes rien l’un pour l’autre, de toute façon. Ma main finit par relâcher son col pour remonter plus haut à la base de sa nuque puis l’arrière de son crâne, maintenant que ce sont ses cheveux que je tourmente. Il peut s’en aller s’il le désire. Je ne le retiendrai pas. J’ai même reculé mon front du sien simplement pour l’observer prendre sa décision ; un centimètre à peine semble être devenu une distance raisonnable désormais. Dis moi que ce n’est pas ce que tu veux.

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