Début décembre 2023

Il y a quelques jours, la tempête annoncée par les météorologues a en effet frappé Brisbane de plein fouet. La brunette a eu la chance d’être épargnée, son immeuble en plein centre-ville n’ayant subi aucun dégât. Sans doute que l’éloignement des côtes et la proximité des autres gratte-ciels, remparts face au vent, ont permis d’éviter toute atteinte à ses biens. D’autres habitants de la capitale du Queensland n’ont cependant pas eu cette chance. Certains ont vu leur maison partiellement ou entièrement détruite, et vont mettre des mois à se relever de cette catastrophe naturelle. Les Walkers se sont donc réunis et ont décidé, en tant que famille aisée de Brisbane, investie dans de nombreuses causes, de donner de l’argent à un fonds créé pour l’occasion, pour aider les familles à se reloger ou à reconstruire leur logement. Pour autant, l’effort financier ne semblait pas assez fort pour l’aîné des Walker qui a entrainé sa petite sœur pour un investissement humain. Et c’est ainsi que, en ce début de soirée, Elijah marche d’un pas déterminé vers un grand gymnase qui accueille des personnes sans domicile et qui sert des repas. Lexie, bien moins enthousiaste à l’idée de devoir mettre la main à la pâte et amplement satisfaite par son don financier, traîne des pieds, un bon mètre derrière son frère. Lui tenant la porte d’entrée dans le gymnase, un sourire flottant sur son visage, Elijah lui rappelle à quel point ça va être gratifiant d’aider son prochain. Forçant un sourire qui laisse ressortir tout son mépris pour cette situation, Lexie finit par entrer dans le bâtiment. Elle est sur le point de rétorquer à son aîné qu’elle sait très bien qu’il essaie de l’occuper, une fois de plus, pour ne pas qu’elle pense à la cocaïne, quand elle s’arrête net face au nombre de personnes qui squattent les lieux. Sur la gauche, elle devine derrière des tables chargées de victuailles les cuisines. En face d’elle, des planches sur tréteaux font office de tables et, entourées de bancs, elles accueillent une centaine de personnes venues dîner. Et sur la droite, occupant plus de la moitié de l’espace, des lits de camps serrés les uns aux autres s’entassent dans la salle. Choquée par le nombre de personnes dans le besoin, incapable de gérer sa propre souffrance en plus de celle d’autrui, Lexie recule d’un pas vers la sortie, heurtant le torse ferme de son frère. Son regard affolé se plonge dans les mêmes yeux azurs que les siens et elle secoue la tête.

« Je peux pas faire ça. »

Ce serait cependant mal connaître Elijah que de penser qu’il la laisserait partir et abandonnerait son idée. D’un ton apaisant, il rassure sa petite sœur, trouve les mots pour la convaincre de rester et, quelques minutes plus tard, un organisateur les conduit vers le stand de distribution des repas. Plusieurs bénévoles sont déjà présents, et tandis qu’on oriente Elijah vers la table des desserts, Lexie est accompagnée près d’un homme qui sert de la soupe. On tend à la brunette une paire de gants et on lui explique qu’elle va devoir poser sur chaque plateau une boule de pain, et une seule, afin que chacun puisse avoir à manger. Enfilant les gants en plastique, elle hoche la tête : ça ne semble pas compliqué. Prenant place à côté de l’homme qui sert la soupe, prête à déposer le pain à côté du bol fumant, elle salue le bénévole.

« Bonjour. »

Elle est simplement polie, car ils vont passer du temps côte à côte, si elle a bien compris l’acharnement d’Elijah à faire les choses à fond, mais n’est clairement pas venue pour se faire des amis. Elle se fiche royalement de cet homme jusqu’à ce qu’il tourne la tête et qu’elle reconnaisse Cody, le propriétaire de la salle de boxe dans laquelle elle s’entraine. Laissant échapper un soupire qu’elle n’arrive pas à réprimer et un « hé merde » qu’elle espère suffisamment discret pour qu’il ne l’ait pas entendu, elle détourne le regard et se concentre sur sa tâche. Se forçant à afficher un sourire poli sur son visage, elle commence à déposer les petits pains sur les plateaux quand l’organisateur revient la voir, lui tendant un tablier. Examinant le bout de tissu troué, loin d’être de la première jeunesse, réel affront à la mode, Lexie ne peut réprimer sa mine de dégoût. Pourtant, l’organisateur insiste, et la brunette finit par passer l’immondice autour de son cou et le nouer dans son dos.

« Putain de journée de merde … »

Alors que la tempête est passée, Cody ne peut être que rassuré que les dégâts aient été contrôlés le concernant ; il avait pris les devants et protégé au maximum la salle de boxe ainsi que la maison et l’aide d’Adèle avait été très précieuse. Rassuré et chanceux qu’il ne soit rien arrivé de trop important, il n’en a pas fallu plus à Cody pour se décider à aller prêter main forte à ceux dans le besoin. ça n’est pas une première pour le Shephard mais il n’irait pas jusqu’à dire qu’il en a fait une habitude, ça lui arrive d’aider quand il le peut mais il est déjà tellement pris par son travail à la salle de boxe qu’il ne le fait pas autant qu’il le devrait - ou le souhaiterait en tout cas. Il aurait bien proposé à Adèle de l’accompagner mais il se doute que le refuge lui prend déjà pas mal de temps, aussi, il se décide à y aller seul et se retrouve bien vite attablé à la soupe afin d’offrir le repas aux plus démunis, ainsi qu’une petite parole qui pourrait venir leur réchauffer le coeur. Il a le coeur sur la main Cody et aider son prochain n’est pas quelque chose de difficile pour lui, bien au contraire, c’est tout naturel qu’il échange quelques mots réconfortants en tendant une assiette et bien vite, un petit attroupement se forme autour de la table ; quelques échanges, quelques blagues et l’atmosphère en devient tout de suite plus agréable malgré les difficultés que ces personnes se doivent d’assumer au quotidien. Ce n’est pas grand chose bien sûr, mais Cody est heureux de pouvoir aider quelques secondes de leurs journées, même s’il sait que ça ne sera jamais pleinement suffisant.

Alors qu’une vieille dame à la mine triste et renfrognée passe chercher son assiette, Cody ne peut s’empêcher de lui lancer quelques mots gentils comme il le fait pour chaque personne qui a eu la chance de passer devant lui. « Cette robe vous va à ravir ! Et ce chapeau, ça ne vous dérange pas de faire de l’ombre aux autres ? » Il n’est pas peu fier de réussir à lui décrocher un rire et des yeux un peu plus pétillants alors qu’elle lui montre fièrement sa robe comme une mannequin qui poserait en fin de runway. Posant sa cuillère, il applaudit, et la voilà qui repart avec un sourire, mission accomplie. Pas le temps de se concentrer sur la prochaine personne qu’il entend une voix à ses côtés alors que la place se trouvait jusque là complètement vide. « Bonjour. » Eternel sourire au visage, il se tourne pour accueillir la nouvelle arrivée et se stoppe net en reconnaissant la personne. Il s’agit de Lexie, la jeune femme qu’il a rencontrée à sa salle de boxe, pas dans les meilleures circonstances il faut l’avouer. Ce visage ne passe pas inaperçu et Cody ne peut que s’en souvenir. « Tiens tiens, bonjour ! » qu’il s’exclame avant de servir un petit compliment en plus de l’assiette à une nouvelle personne. Son sourire finit finalement par lui échapper quand il entend les mots de la jeune femme - elle a beau tenté de les dissumuler, ils sont côte à côte. « Je suis si horrible que ça ? » qu’il ose demander dans sa barbe, pas sûr de poser la question directement à la jeune femme, et pas sûr non plus de vouloir une réponse.

En silence, il continue de servir quelques personnes, apportant néanmoins une parole à leur encontre comme il a l’habitude de le faire depuis le début du service ; hors de question qu’il change simplement car la jeune femme à ses côtés ne semble pas vouloir le voir. Mais c’est plus fort que Cody, il ne peut s’empêcher de vouloir engager la conversation, il est comme ça ; trop bon trop con peut-être. « ça a été pour vous la tempête, vous n’avez pas eu trop de dégâts ? » qu’il demande alors, s’inquiétant des répercussions d’Olga.

@Lexie Walker

Lexie n’est pas à sa place, ici, dans ce gymnase rempli de personnes dans le besoin. Elle n’a qu’une seule envie, c’est de prendre ses jambes à son cou et de rentrer chez elle, bien à l’abris dans son appartement luxueux. Elle n’a pas le cœur sur la main, et n’est pas armée pour affronter la détresse autrui. Elle a déjà du mal à gérer ses propres émotions, et ce depuis toujours, sans devoir en plus faire face aux regards tristes des personnes qui font la queue pour obtenir à manger ou un lit pour la nuit. Mais Elijah est obstiné et borné et, bien trop vite, Lexie se retrouve derrière une table à laquelle un bénévole sert de la soupe à une file de gens affamés.

« Tiens tiens, bonjour ! »

L’homme l’a visiblement reconnu, lui aussi, alors que Lexie le resitue facilement : c’est Cody, le propriétaire de la salle de boxe dans laquelle elle s’entraine, celui qui a mis dehors l’un des dealers habituels de la brunette. La proximité de quelqu’un qu’elle connait l’agace : elle n’a pas envie d’être vue ici, dans cette tenue, à aider les plus démunis. Ce n’est pas elle, pas du tout. Alors elle laisse échapper un juron entre ses dents et, même si elle a parlé à voix basse, Cody semble l’avoir entendu.

« Je suis si horrible que ça ? »

Lui aussi chuchote presque, mais leur proximité empêche visiblement que toute parole reste étrangère aux oreilles de l’autre. Lexie laisse échapper un soupire en secouant la tête.

« Ce n’est pas vous, c’est … »

… compliqué. Compliqué à expliquer, quand ce n’est pas tout à fait clair dans sa tête. Tout l’insupporte ici : le bénévolat, sa tenue horrible, la présence d’une tête connue …

« … c’est pas moi, ça ! »

Elle montre d’un geste sa tenue, alors que ses mains passent de haut en bas du tablier tâché et troué.

« J’suis pas quelqu’un d’altruiste ou de généreux. J’ai donné de l’argent, beaucoup d’argent, ça devrait suffire ! J’peux pas … j’peux pas regarder ces gens et voir la détresse dans leurs yeux. »

Elle parle toujours à voix basse, ne souhaitant évidemment pas que les personnes dans le besoin, venues chercher à manger et un toit, l’entendent. Elle n’était pas particulièrement une jeune femme charitable, et pourtant, elle n’hésitait pas à donner à de nombreuses causes, faisant profiter les autres de sa fortune colossale. Elle avait été éduquée ainsi, avait appris à faire des donations lors des nombreux galas de charité auxquels sa famille avait toujours été invitée. Elle sortait le chéquier aisément. Mais il était largement plus facile d’inscrire un montant sur un chèque ou de faire un virement que de donner de sa personne.

« Et puis, j’suis pas non plus une demoiselle en détresse qu’on sauve d’un mec un peu trop collant ! »

Elle précise, au passage, ne pas être de ces jeunes femmes qui ont besoin d’être secourues et qui recherchent à tout prix le prince charmant. Finalement, Cody devait avoir une vision d’elle très erronée : demoiselle en détresse ? sportive ? altruiste ? Elle ne se reconnaissait dans aucun de ces mots, et doutait qu’il puisse s’être fait d’elle une image fidèle à la réalité.
Lexie laisse le silence s’installer entre eux, se contentant de poser en silence une boule de pain sur chaque plateau, évitant soigneusement le regard des gens, alors que Cody, lui, a un petit mot réconfortant pour chacun. Elle ne peut que noter leurs différences : lui est généreux, ouvert, sympathique, des adjectifs qui ne peuvent s’appliquer à Lexie.

« Ca a été pour vous la tempête, vous n’avez pas eu trop de dégâts ? »

Elle secoue la tête, relevant exceptionnellement son regard bleuté pour observer le jeune homme.

« Rien du tout, j’habite dans un immeuble au centre-ville. Et vous ? »

Elle est polie, a été bien élevée par des tonnes de nounous et de précepteurs qui lui ont appris les bonnes manières. Alors, même si elle n’a que faire de la réponse, elle interroge Cody, par pure politesse. Leur conversation est cependant interrompue par l’irruption d’un Elijah joyeux qui rit à gorge déployée. Affublé d’une charlotte ridicule sur la tête, il est dévisagé par une Lexie bouche bée, au bord de la syncope.

« Lily ? T’as oublié ça ! C’est o-bli-ga-toire pour ceux qui servent à manger ! »

Reculant d’un pas, elle se heurte dans Cody et cherche une autre échappatoire, en vain. Elijah fond sur elle et lui enfile la charlotte, alors que le responsable des bénévoles vient confirmer la règle et tend un filet ridicule au Shephard.

« Je vais te tuer. »

Lexie menace entre ses dents, lançant des regards noirs à son frère, qui repart hilare non sans l’avoir prise en photo avec son smartphone.

Il a toujours été gentil, ça fait partie des qualités qu’il a pu récupérer de ses chers parents et qui font de lui l’homme qu’il est aujourd’hui : altruiste, le cœur sur la main et toujours souriant. Il n’imagine pas se confronter à un mur et pourtant, dès les premiers mots, la jeune femme lui lance un regard qui pourrait donner envie de se renfrogner et de bouder pour le reste de la journée ; s’il avait une dizaine d’années de moins, c’est certainement ce qu’il ferait. Mais lui n’est pas comme ça - ou peut-être plus ? -, les souvenirs de leur première rencontre sont ancrés en lui et il se doute par ce simple moment que la vie de la jeune femme n’est pas simple ; alors forcément, il veut apporter un peu de chaleur et ne pas participer à lui rendre la journée plus difficile. Il reste souriant et agréable, il tente au mieux de briser un peu la carapace qui semble bien dure. « Ce n’est pas vous, c’est … » Pas de surprise, c’est souvent comme ça. Il laisse planer un silence pour lui laisser la place de s’exprimer. « … c’est pas moi, ça ! » Il suit le geste : elle montre sa tenue notamment, et il faut avouer que le tablier dénote grandement avec le style général de la jeune femme. Il évite pour le moment de le lui faire remarquer car il sent bien que les mots ne s’arrêtent pas là. « J’suis pas quelqu’un d’altruiste ou de généreux. J’ai donné de l’argent, beaucoup d’argent, ça devrait suffire ! J’peux pas … j’peux pas regarder ces gens et voir la détresse dans leurs yeux. » Cody ne peut s’empêcher de regarder tout autour d’eux, en effet la détresse est visible sur les visages de tous ces gens ; on ne vient pas en ces lieux si on en a pas vraiment besoin, et beaucoup des gens dans le besoin ne viennent de toute façon pas demander de l’aide. C’est sûrement pour ça que Cody maintient un grand sourire et une phrase réconfortante, même s’il ne peut pas comprendre ce que les gens traversent, il peut essayer de l’imaginer et il veut tout mettre en oeuvre pour leur apporter un peu de baume au coeur, il peut au moins faire ça. « Et puis, j’suis pas non plus une demoiselle en détresse qu’on sauve d’un mec un peu trop collant ! » Ah tiens, le problème avec lui vient s’installer dans la conversation et Cody comprend tout de suite ce qu’il a bien pu faire de mal. Le silence s’installe quelques secondes entre eux, secondes durant lesquelles Cody ne cesse d’effectuer la tâche pour laquelle il se trouve ici aujourd’hui. Après un temps de réflexion, il lui répond enfin. « Pourquoi vous êtes là alors ? » Sa voix ne contient ni jugement ni reproche, une simple question logique. Pourquoi s’inflige-t-elle tout ce qu’elle déteste ? « Je ne vous ai pas imaginée comme une demoiselle en détresse. » qu’il explique alors d’une voix toujours basse pour éviter que leur conversation ne soit entendue de toutes les oreilles présentes autour d’eux. « Homme, femme, enfant, adulte. J’ai monté ce club pour que les gens s’y sentent en sécurité, pour que ça soit un cocon. Je ne supporte pas l’idée que quoique ce soit puisse arriver à un ou une de mes adhérents. » Il est sincère, et sûrement que si la personne à sa place avait été un collègue à lui de son gabarit, il aurait fait la même chose, qu’elle veuille bien le croire ou non - mais il espère tout de même qu’elle comprenne qu’il est sincère, aujourd’hui et dans sa démarche. « Mais je suis désolé si j’ai agi de façon déplacée. » Forcément, il ne peut que s’excuser de ses agissements si ceux-ci ont eu un reflètement négatif. Ce n’était évidemment pas son intention.

Refusant que la conversation ne se termine ainsi de façon plutôt négative, il utilise comme prétexte la tempête récente pour poser une question à Lexie. La réponse ne se fait pas attendre et correspond à l’image qu’il avait pu se faire de la jeune femme. « Rien du tout, j’habite dans un immeuble au centre-ville. Et vous ? » Même s’il aimerait faire une petite touche d’humour en lui demandant vous voulez savoir si j’ai eu des dégâts ou où j’habite, il réalise bien que ce n’est ni le lieu, ni le moment et peut-être même pas la bonne personne sur qui tenter son humour douteux. Aussi, il préfère jouer la carte la plus simple. « Trois fois rien. J’avais fermé et sécurisé le club, rien n’a bougé pour vos entraînements. » Une chance, et Cody ne peut que remercier intérieurement sa soeur d’être venue l’aider sans qu’il n’ait à demander quoique ce soit : il peut compter sur elle même s’il n’en a pas toujours été certain.

Leur conversation est interrompue par un jeune homme dont le rire vient s’échouer dans toute la pièce ; Cody ne peut s’empêcher d’en sourire alors qu’il observe la scène se dérouler sous ses yeux. Bien vite, la jeune femme se retrouve coincée et propulsée vers Cody qui passe machinalement un bras autour d’elle pour la sécuriser - il ne manquerait plus qu’elle en vienne à tomber à la renverse. En quelques secondes, Lexie se retrouve avec un filet sur la tête et Cody se doit de faire de même - ce qu’il fait sans broncher mais tout de même affichant un petit sourire devant la réaction de la jeune femme ; elle semble bien moins coopérative que lui, bien qu’il s’agit-là de quelque chose dont il aurait pu se douter de par leurs quelques échanges.

Quand le jeune homme file à nouveau entre les tables et que Lexie se replace à ses côtés, Cody ne peut empêcher les mots qui sortent de sa bouche. « Vous êtes quand même très jolie. » Il regrette les mots dès qu’ils passent la barrière de ses lèvres, pour tout un tas de raison : il ne devrait pas penser ça de quelqu’un d’autre que de celle qui fait battre son coeur après l’avoir piétiné ; il ne devrait pas penser et encore moins dire ces mots d’une personne qui vient régulièrement dans sa salle ; elle va sûrement mal le prendre, elle n’a besoin de personne pour la secourir et sûrement pas d’un garçon stupide pour lui dire qu’elle est jolie, elle le sait. Tout un tas de raisons très valables qui font que sa prochaine question ne se fait pas attendre, il faut sauver la face. « C’est votre copain ? » Il n’ose dire fiancé ou mari puisqu’il n’a pas observé de bague à son doigt, et voilà que le rouge lui monte à nouveau aux joues car comment diable a–t-il pu remarquer une telle chose ?! Evidemment, ses pensées resteront à l’état de pensée et il reprend bien vite la tâche qui lui a été confiée, charlotte bien en place sur sa tête désormais et marmonnant un dernier. « Désolé, ça ne me regarde pas. » Avant de s’interdire intérieurement de recommencer ses indélicatesses.

Lexie n’est pas à l’aise, à faire du bénévolat et à donner de sa personne. Elle ne se reconnait pas, et la présence de Cody ne l’aide pas. Elle imagine rapidement ce qu’il doit penser d’elle : une jeune femme en détresse, qui a besoin d’être sauvée, et qui est suffisamment altruiste pour faire du bénévolat le week-end. Et ça, ce n’est pas du tout elle. Elle n’est pas non plus du genre à s’épancher, à révéler ce qui la tourmente. Lexie arbore depuis de nombreuses années une épaisse carapace, un mur qu’elle a érigé pour se protéger face aux épreuves de la vie. Il faut en règle générale un certain temps pour que son interlocuteur gagne sa confiance et qu’elle arrive à s’ouvrir. Pourtant, pour une raison qui lui échappe, elle fait un effort avec Cody, et s’explique sur son inconfort. Sans doute s’est-elle confiée parce qu’elle avait eu l’impression de l’avoir blessé, par son juron lâché pas suffisamment discrètement et son air renfrogné de petite fille boudeuse, qui a envie d’être partout sauf ici. Sans doute n’a-t-elle pas voulu lui faire de la peine, alors qu’il semble si gentil et généreux, lui, et qu’il ne mérite pas qu’elle lui aboie dessus. Ce n’est pas parce qu’elle-même n’est pas sympathique ou altruiste que le boxeur doit changer : le monde a besoin de gens comme lui. Alors, à son grand étonnement, elle entend les mots franchir ses lèvres pour justifier sa mauvaise humeur et son inconfort. Pendant un instant, Cody ne dit rien, et Lexie se demande si, finalement, elle l’a quand même vexé. Ce ne serait en réalité pas surprenant : après tout, elle n’a pas été très agréable, et elle n'est pas la personne avec qui l’on aurait envie d’être en binôme pour faire du bénévolat. Pourtant, il finit par questionner.

« Pourquoi vous êtes là alors ? »

D’une petite voix boudeuse, lançant un regard noir vers son frère, elle répond.

« On m’a forcé. »

C’est évident : d’elle-même, elle ne serait jamais venue.

« Je ne vous ai pas imaginée comme une demoiselle en détresse. Homme, femme, enfant, adulte. J’ai monté ce club pour que les gens s’y sentent en sécurité, pour que ça soit un cocon. Je ne supporte pas l’idée que quoique ce soit puisse arriver à un ou une de mes adhérents. »

La brunette se tourne vers Cody pendant qu’il parle, plongeant son regard bleuté dans le sien, comme pour tenter de lire en lui. Elle essaie de savoir s’il est sincère, et il semble en effet ne pas être un beau parleur ou un menteur.

« Mais je suis désolé si j’ai agi de façon déplacée. »

A ces mots, Lexie fronce les sourcils, et répond spontanément.

« Quoi ? Non ! »

Ces deux mots sont prononcés plus forts que leur conversation qui se déroulait jusqu’à présent à voix basse, et quelques personnes venues chercher de la soupe et du pain dévisage la brunette, qui rougit légèrement en baissant les yeux. Elle a été perturbée par les paroles de Cody, et a l’impression de s’être mal exprimée, ou d’avoir été mal compris. A aucun moment elle n’avait voulu lui reprocher son intervention, qui avait été un soulagement pour elle. Seule l’image qu’elle renvoyait la dérangeait.

« Ce n’est pas ça. Je vous remercie d’être intervenu, j’ai vraiment eu … »

… peur, elle avait eu peur. Peur qu’il l’agresse, un petit peu. Mais surtout peur qu’en insistant, il réussisse à la faire flancher. Lexie n’était pas clean depuis très longtemps, et sa sobriété était encore plus que fragile. Si son dealer avait continué à lui parler, à évoquer de bons moments, à raviver de bons souvenirs, des instants qui s’étaient déroulés sous l’emprise de la cocaïne, peut-être aurait-elle craqué.

« Vous avez bien fait, vraiment, alors merci. C’est juste que … je ne veux pas que vous pensiez que ça m’arrive souvent. Je ne suis ni une jeune femme à sauver, ni une personne altruiste et généreuse. »

Ou peut-être que c’était elle qui n’était pas honnête avec elle-même ou qui ne se connaissait pas si bien que cela. Après tout, elle avait toujours donné de l’argent : mais était-ce faire preuve de générosité quand on en avait plus qu’il n’en fallait ? Et n’était-elle pas une demoiselle à sauver, quand elle se noyait depuis plus de quinze ans dans le chagrin, le deuil, l’abandon, et la cocaïne ? Ces pensées ne l’effleuraient pas, et Cody poursuivit la conversation sur les éventuels dégâts de la tempête. Ca, Lexie savait faire, entretenir des conversations banales, sans réel enjeu. Elle avait été élevée pour briller lors de galas, pour feindre l’intérêt et relancer la discussion. Et leur échange aurait donc pu se poursuivre si Elijah n'avait pas débarqué avec son rire qui remplissait tout l’espace et une charlotte horrible à la main. Souhaitant éviter d’être affublée de cette horreur, la jeune femme avait tenté de reculer pour finalement heurter Cody, qui l’avait retenu pour éviter qu’elle ne tombe. Immédiatement, à ce contact non désiré, Lexie s’était figée, et son regard affolé s’était un instant tourné vers le boxeur avant de revenir vers son frère, qui présentait une menace bien plus certaine. La brunette détestait être touchée par des personnes en qui elle n’avait pas entièrement confiance. Elle pouvait elle-même se montrer tactile pour séduire, mais le réel contact était réservé à une poignée de gens. Elijah lui-même avait dû attendre plusieurs mois après son retour des Etats-Unis pour que Lexie ne se raidisse pas à son contact. Pour l’instant, la menace imminente était son frère aîné, qui avait fini par lui mettre le filet sur la tête, alors que Cody, lui, s’exécutait évidemment de bonne grâce. Lorsqu’Elijah s’éloigna, le pas léger, et avec une preuve du look de la brunette, celle-ci le menaça ouvertement, avant de recommencer à poser des petits pains sur des plateaux, son regard bleuté lançant des éclairs aux boules de pain innocentes.

« Vous êtes quand même très jolie. »

A ces mots, Lexie avait relevé les yeux vers Cody et rougit légèrement. Sa mauvaise humeur semblait quelque peu se dissiper alors qu’un petit sourire illumina son visage.

« C’est votre copain ? »

Fronçant les sourcils, la brunette dévisagea le boxeur et s’interrogea sur cette question, qui semblait sortir de nulle part. Cody cherchait-il à faire la conversation ou bien serait-il intéressé par elle ? La deuxième solution lui plairait bien plus que la première. La Walker observait le jeune homme d’un nouvel œil, prêtant attention à son physique : il était beau gosse, sans aucun doute. S’ils s’étaient rencontrés en boîte de nuit ou en bar, il y a à peine un an, elle l’aurait sans doute immédiatement remarqué, et aurait tout fait pour le ramener chez elle. Et si la vie de la jeune femme avait énormément changé depuis l’année dernière, elle n’était pas pour autant devenue nonne, et les nuits torrides lui faisaient encore terriblement envies.

« Désolé, ça ne me regarde pas. »

Il ne semblait pas très à l’aise, et Lexie s’amusait de son inconfort. Secouant la tête, elle répondit.

« Elijah est mon frère, le plus grand. Puis il y a Channing, qui a un an et demi de moins, et enfin moi. Et vous ? »

Elle hésita un instant avant d’ajouter.

« Des frères et sœurs ? Une copine ? »

Elle espérait qu’il était célibataire, évidemment, car elle aimait s’amuser, et que rentrer avec le boxeur lui permettrait de tromper la solitude pour cette nuit. Mais qu’il soit en couple ne la dérangeait pas, s’il acceptait tout de même de rester avec elle. Si elle était particulièrement jalouse, cela ne concernait pas les aventures d’un soir.