Quand tu as vu qu’un numéro inconnu t’appelait, tu n’y fais pas attention. Pour de vrai, tu n’avais vraiment pas les yeux sur ton téléphone qui est éternellement silencieux. Les bips, la petite musique, le vibreur, que des choses qui te parasitent quand tu es lancée dans un de tes projets créatifs. Tu as toute une garde robe à refaire depuis que vous avez perdu la maison de Jordan. Ça t'apprendra à laisser traîner tes affaires par terre. Cependant, tu n’es jamais trop désolée ni très triste de voir tes vêtements être bousillés par la vie. Les plus précieux sont étonnament bien rangés et surtout, c’est la vie. Et une excuse supplémentaire pour créer toujours plus et toujours mieux. Alors t’es avec ton dé et tes épingles, couteau et petit fer contre un tissu qui va devenir une belle robe pour ton partenaire en vue de la pride. T’y vas au culot car tu as fait des croquis mais t’as choisi toute seule comme une grande sans rien lui demander. Que ce soit au niveau de la coupe, de la forme ou des matières. Ca sera la surprise totale avec le risque qu’iel te demande de modifier mais tant pis, c’est le jeu, tu prends le risque.

C’est quand tu te décides à prendre une pause que tu embarques ton téléphone avec toi pour y voir un message vocal. D’un numéro inconnu. Tu fronces des sourcils en activant ta boîte vocale tout en te dirigeant vers la cuisine pour te faire un café. C’est le matin, après tout. Enfin, il est plus proche de midi que de six heures mais quand même. Et là, la surprise d’entendre la voix de… Caleb ? Les questions arrivent et tu te demandes ce qu’il te veut pour t’appeler au point de te laisser un message… Jusqu’à ce que tu comprennes que quelque chose est arrivé. A Heather. Tu bug avant de te rappeler qu’elle t’a dit qu’il était son meilleur ami. Est toujours. Ce n’est pas pour rien que lui est au courant et pas toi. Tu as Will dans tes contacts d’urgence. En priorité, tout en haut, car il est toujours dans le coin et que c’est ton meilleur ami qui ne t’a jamais quitté, tout simplement. Ton coeur donne l’impression de dégringoler dans ta poitrine. Heather a eu un accident. Y’a un sentiment de déjà vu complètement pourri. Tu te retiens sur le comptoir pour ne pas flancher.

Quelques heures plus tard et après avoir envoyé quelques messages à Heather pour t’assurer qu’elle est bien réveillée et en vie pour que tu puisses aller la tuer toi-même, te voilà en train d’arriver au parking de l’hôpital. Franchement, quelle merde. Tu restes un moment derrière le volant, le cœur battant ; t’as beau faire de l’humour, il n’empêche que tu flippes. Tu sors de ton van pour aller enfin à la rencontre d’Heather mais une forme familière sur le perron devant la double porte de l’établissement te fait avoir une petite dérive. L’univers veut vraiment que tu l’entendes aujourd’hui. Tu regardes autour de toi - pourquoi, personne ne sait - avant de t’approcher de lui, les bras croisés et le visage fermé. “Salut Caleb.” Tu réalises que tu ne lui as même pas fait de retour concernant son message. Rude. Même pour lui, tu veux bien l’admettre. “Merci de m’avoir prévenu.” Lui aussi doit avoir le sentiment de déjà vu de merde. Une période que ni l’un ni l’autre ne préfère repenser. Mais c’est quand même bien là. Vous ne pouvez rien y faire.

@caleb anderson

« Hey. » Si quelques mois avant, quelqu’un aurait dit à Birdie qu’elle se retrouverait à respirer le même air que Caleb sans avoir envie de l’étrangler sur place, elle n’y aurait pas cru. Si on lui avait rajouter qu’en plus, elle aurait en sentiment de reconnaissance envers lui, là, elle aurait carrément éclaté de rire en balayant cette prédiction de la main. Impossible n’est pourtant pas Cadburry et il est clair que c’est exactement ce qui est en train de se faire sentir en ce moment même. Au milieu de tous les autres ressentis plus négatifs encore car leur présence à l’hôpital n’est pas anodine du tout. Birdie sait à quoi Caleb doit penser car elle pense la même chose. Est-ce que le sujet va être évoqué ou pas ? Ça reste à voir. L’accident d’Heather est déjà bien assez frais et dramatique comme ça, même si l’anglaise est bien vivante dans son lit.

« Ne me remercie pas, c’est normal. » Birdie n’est pas forcément de cet avis. “La normalité n’est pas la même pour tout le monde.” Elle pense à Diana qui n’a envoyé à aucun moment de messages, que ce soit d’une façon ou d’une autre. Qu’importe si elle n’a pas son numéro, elle aurait pu se débrouiller si elle l’avait voulu. Mais venant de Diana, évidemment que la vipère s’est tut. « On dirait bien que l’univers veut absolument qu’on se croise cette année. » L’oiseau hausse brièvement les sourcils. “Je préférais la rencontre surprise à Bayside que ça.” Ses épaules sont toujours autant affaissées avant qu’elle ne pointe sa cigarette du menton. “T’en as une ? J’ai oublié mon paquet dans la voiture.” Même si elle en a fini une il y a dix minutes, voir Caleb avec lui donne envie. Une dépendance qui ressort naturellement pendant les moments de stress chez la jeune femme. “Je me rappelais pas que tu fumais.” Ça ne va pas avec le personnage il faut dire mais qu’importe ; elle est bien placée pour savoir qu’il ne faut pas se fier aux apparences. “Elle va bien ?” Une micro pause avant qu’elle ne précise. “Heather.” Certes, elle a eu un échange de sms avec elle mais physiquement, elle ignore dans quelle condition physique son amie se trouve actuellement. Quitte à être prévenue plus tard, Birdie préfère avoir un temps de préparation psychologique à ce qui l’attend - elle espère n’entendre qu’un poignet cassé.

« Oh ça fait…treize ou quatorze ans que je fume. Mais je fumais moins à l’époque. » A l’époque. Comme une période donnée et définie que Caleb ne précise pas mais que Birdie comprend très bien. Elle sait très bien de quelle époque il parle. Celle-là même où ils se voyaient et se fréquentaient parce que Victoria avait été là et qu’elle avait illuminé tout son monde par sa simple présence. Autant que Birdie a du mal à croire avoir été amie avec quelqu’un comme Caleb, autant elle trouve toujours cela incensé qu’il soit proche d’Heather. L’univers est parfois fourbe et il a décrété que les mettre sur le trajet de l’autre était une bonne idée. Est-ce que c’est un signe ? Une façon de demander à Birdie de déposer les armes et de passer à autre chose ? Oh, jamais elle ne pourra oublier Victoria. Jamais son cœur se remettra de la perte de la belle française, restant ainsi figée dans le temps dans un espace idéalisé que Bird affectionne particulièrement. Oui, elle idôlatre Victoria plus qu’elle n’a jamais idôlatré personne et elle a conscience que c’est sûrement dû au fait que son amie est partie trop vite, trop tôt. Elles auraient dû continuer à vivre d’autres aventures mais le destin avait d’autres projets, qu’importe si ça blesse autant de personnes dans le processus. Alors cette époque-là, ça ravive des souvenirs. “Tu m’étonnes… Vic me faisait la guerre. Elle aimait pas l’odeur.” Elle se rappelle très bien. Birdie prenait toujours soin de fumer sur le balcon quand elle était chez eux. Mais à l’extérieur, elle faisait ce qu’elle voulait. Au grand drame de Victoria.

Des années après, voilà que l’ironie souhaite qu’ils se retrouvent en fumant une clope. Birdie tire sur la sienne que Caleb lui a tendu, en profitant pour prendre la température sur l’état de votre amie commune - encore une. Pas une française, cette fois, mais pas loin. « Pas trop mal. Quelques côtes cassées, enfin elle n’a rien de grave. Je pense qu’elle a eu de la chance dans son malheur. » Les yeux dans le vague, Birdie a presque un vertige. Mais tout va bien. Heather va bien, il n’y a rien eu de grave. Elle peut râler, geindre, courir jusqu’au premier starbuck qu’elle croisera. « Tu ne me demandes pas comment Heather et moi on se connait ? » La Cadburn revient dans la réalité du monde en levant ses prunelles claires sur Caleb. “Je le sais déjà, Heather m’a dit.” Elle gratte son cou tout en tirant une latte. “On est passées devant ton resto une fois et je lui ai demandé. Je savais pas avant ce moment que vous vous connaissiez.” Le monde est petit et bizarrement foutu parfois. “J’étais loin de penser que vous pourriez être amis. Au delà de vos caractères bien sûr.” C’est juste l’ironie de l’univers qui la bute.

« Caleb, chéri, si tu veux pouvoir m’embrasser ce soir il va falloir que tu lâches cette cigarette. » Caleb n’a pas le charme ni l’accent parfait de Victoria mais il s’en rapproche beaucoup. T’as un bref sourire amusé - incroyable, un vrai miracle ça aussi - alors que tu reconnais bien des propos que la française a sûrement dû dire à son fiancé à l’époque. “Malheureusement, ça nous aura pas servi de leçon.” Tu soulignes en relevant brièvement ton mégot que tu portes à tes lèvres. Tu brûles ton capital santé, tu en as conscience, mais tu n’es pas non plus considérée comme une grosse fumeuse. Tu peux t’en passer pendant plusieurs jours sans en ressentir le manque, exactement comme l’herbe. Tu es une fumeuse occassionnelle et tu savais que si tu fumais en présence de Victoria, tu allais en entendre parler pendant longtemps. Mais cela ne vous a pas empêché de continuer malgré tout.

Il faut dire qu’aujourd’hui est une journée particulièrement stressante vu ce qu’il s’est passé. Malgré le fait qu’Heather n’ait pas trop de séquelles de ce qu’a pu t’avoir dit Caleb, ça sonne toujours de façon puissante d’apprendre qu’un proche a eu un accident de voiture. D’autant que tu as déjà perdu trop de proches dans les mêmes circonstances. Deux, c’est déjà énorme. « Bizarrement j’ai toujours eu tendance à bien m’entendre avec des personnes qui ne me ressemblent pas du tout. » Tu mords ta lèvre avant de tirer une taffe, le regard fuyant vers le paysage rural qui se dresse devant vous. Tu as bien compris le sous entendu, il faudrait être stupide pour ne pas l’entendre. « Et toi, tu l’as connu comment ? » T’as un petit sourire en te rappelant de la situation cocasse de la rencontre. “Par hasard, dans les studios ABC. Elle filmait pour une série ou un film, je sais plus trop, et je suis tombée sur la salle des costumes. Là où elle devait aller aussi pour se changer pour une autre scène.” Tu n’étais pas vraiment dans la salle des costumes par hasard, non, tu voulais voir de près à quoi les tenues ressemblaient. Vu ton attrait pour la couture et la création, ça n’a rien de surprenant. “Le feeling a bien matché et voilà.” Tu vas lui épargner les détails dont Caleb n’a pas besoin - mais dont il peut se douter s’il connaît aussi bien que ça sa meilleure amie et un peu ta propre personne.

Autant dire que cette rencontre reste aussi choquante que surprenante. Non, le plus choquant est surtout le calme apparent que t’as l’air d’avoir en sa présence. Il fut une époque où tu lui en aurais mis dix dans la tronche. C’est bien pour ça que tu t’es épargnée la sale étape de l’enterrement. Tu n’as jamais pu te rendre aux enterrements de tes proches, Victoria inclus. Tu l’as aussi épargné à Caleb ; ce dernier s’en serait pris dans les dents encore plus avec toi dans la foule. Après tout, tu ne doutes pas que la famille de la française a dû réserver un accueil plutôt froid au brun. Donc dans le fond, tu as fait preuve d’altruisme. Et d’auto-préservation. Tu n’avais pas envie de t’emballer à un moment aussi important et dévastateur. Tu comptais sur le karma pour se venger.

« En tout cas Diana n’y est pas donc tu devrais être tranquille. » Ah. Tes iris vont de droite à gauche et vice versa plusieurs fois d’affilés alors qu’un bref sourire se forme. Epatant, non ? “Bon à savoir.” T’en conclus qu’Heather a informé Caleb de ton désamour avec la rouquine. Peu qu’il savait que cette dernière allait quand même rencontrer ton chemin dans la journée quoiqu’il arrive. “Les nouvelles fusent vite.” Que t’ajoute en croisant les bras, sans critique mais en simple constat.

T’étais sur le point de rentrer dans l’hôpital et donc de laisser Caleb mais - « La dernière fois en faisant des cartons je suis retombé sur des albums de Victoria. Il y a quelques photos de vous deux, si ça t’intéresse je pourrais les passer à Heather pour qu’elle te les donne. » Tu le regardes avec surprise, les paupières qui l’observent en s’abaissant plusieurs fois d’affilés tel Bambi face au chasseur. “Oh, euh… Bien sûr, ouais, ça m’intéresse.” Tu ne dis jamais non pour des souvenirs de tes proches. Encore moins avec Victoria. Tu as une boite à chaussures déjà bien remplie mais ça ne te dérange pas de la remplir un peu plus. “Merci.” Que t’ajoute avec un petit hochement de tête. Puis tu regardes la porte d’entrée. “Bon, je vais y aller. Autant en profiter que… Diana ne soit pas encore là.” Prononcer son prénom t’arrache la figure, oui oui. “Merci encore de m’avoir prévenu.” Tu lui fais un bref petit sourire poli avant d’entrer dans l’hôpital. Enfin, avant - “Elle est quelle chambre ?” Un détail.