C’est une étrange sensation. Être et ne pas être en même temps. Des rêves qui s’apparentent à des films muets, ou des livres écrits en braille, un langage que Joseph n’a jamais appris. Mais, juste avant de sortir de ce coma artificiel dans lequel il est plongé depuis plusieurs décennies, il a l’impression que sa vision revient, son touché, son ouïe aussi, et il jurerait voir une figure à la longue barbe blanche et au chapeau pointu passer devant lui, lui donner un coup de baguette magique sur le nez pour mieux se retourner et s’éloigner. Il est étourdi. Il regarde son châle bleu poudre duquel coule des centaines de particules lumineuses, comme des étoiles venues d’une autre planète mais réduites ici sous la forme d’une poudre ensorcelée. Prisonnières d’un univers tellement plus petit que la galaxie sur laquelle elles régnaient jadis, condamnée à suivre ce sorcier aux rides creusées et à la magie antique, qui l’accompagnent sûrement dans ses conceptions de potions aussi. Quelle étrange vision. Joseph ne pensait pas que la dernière chose qui resterait plaqué dans ses souvenirs serait cette silhouette burlesque, mais quand il ouvre enfin les yeux, il a l’impression d’entendre un rire rauque, puis plus rien ; jusqu’à ce qu’il se redresse dans son cocon en plastique et qu’il fait face à l’hologramme d’une femme qui lui explique calmement ce qui est en train de se produire.

Il s’est réveillé. Le voyage est donc sûrement terminé. L’ingénieur ne prend même pas la peine d’écouter le message en entier qu’il l’éteint d’une pression sur un bouton. Il connait ce discours : il est celui qui a programmé cet hologramme. C’était son travail sur le vaisseau. Il était le cerveau derrière cette invention ; le sorcier qui avait mis en place ce système rassurant qui ne le rassurait pas aujourd’hui.  

Récupérant l’usage de ses jambes peu à peu, il pose ses pieds contre le plancher froid de la salle. Ce n’est pas immédiatement qu’il réalise que quelque chose cloche. C’est seulement quand il reprend conscience de l’existence des autres passagers qui, eux, ne sont pas sortis de leur cocon. Ils dorment encore paisiblement, leur visage calme enveloppé d’un brouillard derrière la vitre de leur capsule. Joseph déglutit. Il se sent terriblement lourd, comme s’il se faisait écraser par un sortilège de magie noir. La panique creuse un trou dans son ventre mais il refuse de se laisser emporter par l’irraisonnable. Il finit par se relever non sans manquer de tomber à la renverse plusieurs fois puis il tente, d’une voix portante : « Allô ? » Son regard balaie la salle où tout le monde dort paisiblement, envoutés par un sortilège d’endormissement. S'agirait-il d'une ignoble cuistrerie mise en place par un imbécile ?      

Joseph sursaute lorsqu’une voix, venue de nulle part, l’extirpe de son inquiétante solitude. Vif, il se tourne vers l’étranger pour lui faire face tandis qu’il lui explique ce qu’il se passe. Il reste tout à fait alerte lorsque ses explications se développent tel un tapis sous ses pieds, et il finit par lâcher un long soupir quand il conclu en lui proposant quelque chose à boire. Il passe sa main dans sa barbe qui n’a pas cessé de pousser durant son sommeil, mais à une vitesse plus ralentie. Il ne ressemble pas encore à ce magicien qui hantait son tout dernier rêve. Ses cheveux aussi méritaient une petite coupe. « Je veux bien un verre d’eau. » Il finit par demander, cessant d’examiner Asher de la tête au pied, même si ce personnage ne paraît pas de bon augure comme le chat noir de Sabrina.

Venant poser ses fesses sur le bord de sa capsule, il se frotte le visage avec fatigue. Quelques minutes plus tard, l’autre réveillé lui rapporte son verre d’eau et il en avale le contenu d’une traite, comme si ce sommeil prolongé l’avait asséché comme le sorcier Silas dans The Vampire Diaries*. « C’est le seul problème technique que tu as pu constater ? » Joseph finit par demander, la voix basse est remplie d’inquiétude. Il fait semblant que tout va bien mais, au fond, il a bien vu qu’il restait plusieurs dizaines d’année avant que le vaisseau n’atteigne sa destination à l’autre bout de l’espace. Il ne faisait pas partie de l’équipe qui a configuré le sommeil artificiel de tous les passagers. Il ne nageait pas dans ces eaux-là, même s’il est surement mieux informé que celui qui s’est réveillé il y a six mois de ça. « Rien d’autre qui t’a paru étrange, maléfique ou occulte dans le vaisseau ? » Qu’il tente ensuite avec une pointe d’humour non assumée.  


* (sorry pour la ref de merde, j’assume).    

Je n’avais pas encore eu le temps de me remettre les idées au clair. Au-dessus de ma tête planait un immense nuage formé par des points d’interrogation, et je me demandais comment j’allais pouvoir étaler les questions une par une pour leur chacune leur attribuer une réponse. J’étais un génie ; je me pensais capable de relier A et B pour trouver une solution, mais mes capacités cérébrales étaient encore affaiblies par ce sommeil artificiel duquel je venais de m’extirper. Je n’avais pas l’impression de contrôler encore tous mes membres ; je me sentais esclave d’une force occulte qui pourrait m’utiliser à ses fins ; pourtant, je restais bien assis sur ma capsule, pensif, en attendant que le premier réveillé ne vienne me porter mon verre d’eau tant désiré.

Quand le garçon était revenu, je lui avais remercié pour la boisson que j’avais avalé doucement mais dans son entièreté. J’avais terriblement soif mais je savais que ce ne serait pas idéal de remplir mon estomac trop rapidement. Il n’avait pas été utilisé depuis des années. Le corps humain n’était pas encore adapté à ce genre de condition. Nous n’étions que des animaux comme tous les autres, sans pouvoirs, sans magie, sans dons spécial. Comme toutes les autres espèces, nous cherchions à survivre au sein de cette adelphité. La Terre ayant été démolie, aujourd’hui nous nous rendions ailleurs pour obtenir une deuxième chance. Le problème ? Asher et moi n’allions certainement pas voir cette deuxième chance de nos propres yeux si nous n’arrivions pas à nous replonger dans le sommeil. Je devais retrouver mon calme. « Vous pensez que ça puisse être de cet ordre là ? » Gloussant, j’avais secoué ma tête de droite à gauche. J’avais voulu faire une plaisanterie pour me calmer, moi, mais aussi pour le calmer lui. Je n’aurais pas dû tenter de faire des blagues aussi tôt, mais il s’agissait de mon mécanisme de défense contre la peur. « Non, je ne pense pas que des passagers ici ont des pouvoirs magiques. » J’avais répondu en me redressant pour m’approcher du panneau de contrôle de la grande salle des capsules. « C’était une blague, Asher. » J’avais ensuite précisé. « Je crois en la science, pas en les créatures surnaturelles capable de lire dans les pensées ou de faire bouger des objets à distance. »

Je m’étais mis à fouiner dans les données de la machine. Effectivement, elle m’annonçait que deux capsules avaient été mises hors d’état. Celle d’Asher, dans la salle B, indiquait un défaut technique. La mienne, dans la salle A, me laissait penser autre chose. Je m’étais mis à observer Asher du coin de l’œil, sceptique. « Hum… Tu es certain de ce que tu me racontes ? Que ma capsule s’est éteinte toute seule ? » Je ne voulais pas le confronter mais une petite voix au fond de mon crâne, probablement celle du sorcier à la longue barbe que j’avais vu dans mes rêves, me disait de m’inquiéter.

Quelque chose close dans cette équation. Certaines variables sont manquantes. Joseph a du mal à croire que sa capsule ait pu se déconnecter sans raison. Quand il a rapidement observé les données de la machine, il a constaté que le bouton d’arrêt a été enclenché. Ce doit être un rat qui a appuyé dessus en se promenant dans le mauvais coin.

Ou alors, ce rat, c’est le garçon qui se dresse devant lui, les allures innocentes, les cils battants, tandis qu’il observe à ton tour les chiffres qui s’enlignent dans l’écran sans en comprendre le sens. Il commence à douter grandement de ses propos, au rongeur mesquin. Ses pupilles se mettent à partir dans tous les sens, deux grosses boules noires qui s’agitent, et il jurerait même entendre des couinements aigus s’échapper de sa cage thoracique à chaque fois qu’il gonfle ses poumons. Son rythme cardiaque s’est accéléré, d’ailleurs, aussi rapide que celui d’un rat désormais, et Joseph l’observe avec perplexité tandis qu’il tente de s’expliquer. Qu’il est mignon, l’animal, à chercher des excuses alors que la vérité se lit dans son front velu et gris. Asher tente de le faire détourner de cette piste qu’il a flairée mais c’est trop tard ; dans son comportement d’animal des égouts, il transpire la culpabilité.

« Tu fais une fixation sur les forces surnaturelles magiques. Tu devrais aller te reposer. Tu pourras regarder tout ça plus tard. » Lâchant un gloussement condescendant, il croise ses bras sur sa poitrine. Certes, il n’a pas encore les idées toutes claires, mais il ne croit pas pouvoir faire erreur dans un cas où une machine lui dicte les données qu’elle a récoltées. La machine a été arrêtée par un doigt, pas par une panne de secteur ou une miette de pain. « C’est toi qui fait une fixation. Je t’ai dit que c’était une blague. » Il n’a cependant pas envie de se jeter à sa gorge. Il pourrait peut-être trouver un moyen de les rendormir ; il est scientifique, après tout. Il connait les rouages, saurait peut-être lire le manuel d’emploi pour les capsules malgré tous les termes compliqués qui ponctuent le texte.

« Sois honnête avec moi, s’il-te-plait. » Et, pour qu’il admette, il ment : « J’aurais sûrement fait la même chose si je m’étais retrouvé seul dans cette situation. »

Il ne peut le croire. Le mécanicien ne peut être manipulé comme ça. Il a un niveau d’intelligence bien trop élevé pour ça. Il a été engagé pour cette aventure parce qu’il connait bien le métier, et il ne pourra être berné par un type comme celui-là, qui tente de lui mentir avec zéro gêne, zéro honte. Il le regarde avec l’œil noir. Le codage de la machine lui dit un truc, et le garçon prétend être un imbécile. Pourtant, le mécanicien capte tout. Il a été réveillé par ce jeune homme, et maintenant il a envie de lui tirer la vérité du nez. Désormais, Joseph ne peut plus le prendre au sérieux, et s’il le laisse encore s’enfoncer, il laisse son visage afficher une moue déconcertée. « Je ne sais pas de quoi tu parles. » S’il joue l’idiot plus longtemps, il se fera jeter de la navette. Ça lui plairait bien, de se transformer en statue de pierre dans la galaxie glaciale ? Pas un magicien ne connait un sort assez puissant pour le ramener à la vie. Ce serait la dernière erreur qu’il a commise.

Mais, au fond de lui, une petite voix répète sans cesse une chose à Joseph : aurait-il fait la même chose, si les rôles étaient inversés ? Il n’aurait pas pu supporter cette solitude, il serait viré fou, aurait possiblement concocté une potion magique mortelle pour mettre fin à ses jours et faire cesser ce supplice. Alors il décide de se calmer, de ravaler sa colère et de se concentrer sur le futur et ce qui pourrait être fait pour les sortir de cette impasse. « Peut-être. » Il répond quand l’autre demande s’il pourrait réparer les capsules. « Mais je ne les ai pas fabriquées. Ce ne sont pas mes machines, moi je m’occupe de tout ce qui est visuel. Les hologrammes, dans le vaisseau, ce sont les miennes. » Il se frotte le visage en soupirant. « Je suis l’un des seuls mécaniciens dans cette salle qui n’a jamais posé un œil sur les plans des capsules. » Il le lorgne d’un regard sombre puis s’atèle à entrer ses identifiants dans l’ordinateur principal de la grande salle, cherchant à trouver l’accès à la machinerie. N’appréciant pas le silence qui réside, il décide de le combler : « Qu’est-ce que tu as fait, pendant ces 6 mois ? Combien de fois as-tu regardé les huit films Harry Potter ? » Il a dû en avoir, du temps à gaspiller pour ne pas virer fou.  

Tu nieras en bloc jusqu’au moment de ta mort, tu n’en as rien à faire. S’il faut un duel tel Voldemort et Harry Potter lors de la bataille finale, et bien soit. Tu iras jusque là. Tu n’as qu’une seule issue de toute manière dans ce vaisseau, c’est mourir. S’il ne répare pas ta capsule, tu meurs, c’est bien simple. Tu ne t’en fais pas pour lui, il va sûrement se réparer sa propre capsule après t’avoir tué. Il a les capacités, des capacités qu’il ne partagera peut être pas avec toi. Peut être que tu devrais réellement réveiller un des médium qui dort profondément à bord du navire pour utiliser quelques pouvoirs magiques contre Joseph. Il doit forcément exister un sortilège de persuasion ou quelque chose comme ça. Tu crois en tout à présent, tu es désespéré sur la suite de ta vie qui semble tous les jours plus courte.

Tu ne sais pas ce qu’il se passe, un miracle ? Mais Joseph n’est pas en train de te casser la gueule encore. Il doit être trop à bout de forces pour ça en fait. Est-ce qu’une force supérieur, occulte ou non, serait déjà venu à ton aide Asher ? Ca serait pas mal ça. « Peut-être. » Un infime espoir renaît en toi. Une de ces sensations comme quand tout le monde se rend compte que Harry Potter n’est pas vraiment mort alors qu’il est transporté dans les bras de Hagrid. « Mais je ne les ai pas fabriquées. Ce ne sont pas mes machines, moi je m’occupe de tout ce qui est visuel. Les hologrammes, dans le vaisseau, ce sont les miennes. » Tu hoches la tête, appréciant les explications même si tu comprends au passage que tu n’as pas totalement pioché sur le cheval gagnant. Mais il a des capacités Joseph, il a du potentiel, comme tous ces enfants nés de parents moldus mais qui sont des sorciers en sommeil jusqu’à leurs 11 ans où tout est révélé. Tu veux que Joseph se révèle lui aussi. Tu seras son plus grand supporter. Tu seras plus impressionnant que tous les élèves dans les tribunes de Quidditch pour soutenir leur équipe. Tu joues ta vie toi contrairement à eux. Ta vie que tu avais sécurisé parfaitement en venant à bord de ce vaisseau direction une nouvelle vie sur une nouvelle planète. Mais tout a foiré. Un peu comme quand Voldemort était sûr de pouvoir tuer un bébé et qu’il en est ressorti quasiment mort. La surprise du chef et la pire de toutes. « Je suis l’un des seuls mécaniciens dans cette salle qui n’a jamais posé un œil sur les plans des capsules. » L’espoir est toujours là et pour être honnête vaut mieux qu’elle y reste sinon tu vas vriller dans un futur proche.

« Qu’est-ce que tu as fait, pendant ces 6 mois ? Combien de fois as-tu regardé les huit films Harry Potter ? » Tu ouvres de grands yeux à cette question. « Comment tu as deviné que c’est ceux que j’ai le plus regardé ? » Est-ce qu’il a des pouvoirs magique et qu’il est en train de lire dans tes pensées ? « Mon cerveau fait des comparaisons avec le monde magique de Harry Potter à tous les instants pratiquement. » Tu clignes plusieurs fois des yeux. « Mais hem… C’est pas là la question. Désolé. J’aime beaucoup ces films et la salle de cinéma est confortable. Agréable. Un des rares endroits qui m’aide à ne pas devenir fou comme Gilderoy Lockhart… » Ce sorcier devenu absolument sénile. « Ou les parents de Neville Londubat… » Qui se sont fait torturer magiquement pendant trop longtemps. Tu soupires doucement alors que tu dis ça le plus naturellement du monde. « Ma vie a disparu à cause d’un bug informatique du vaisseau. » Tu es totalement abattu. « J’ai payé des millions pour avoir une place à bord sans savoir que ce serait mon allé simple vers une mort certaine. » Nouveau soupire.