We're just swimming around in our glasses and talking out of our asses

Isaac & Elora

J’ai hâte que cette soirée se termine. Je ne suis pas du genre à me plaindre, mais ce soir, je commence vraiment a en avoir marre. Je suis fatiguée et rien ne va comme je le voudrais. J’ai cassé un verre dès le début de mon service, j’ai enchaîné sur une heure passé enfermer dans les toilettes pour femme du bar afin de tenter de déboucher l’une des cuvettes et pour couronner le tout, je me tape le client le plus lourd qui soit. Au départ, il s’est contenté de me glisser quelques phrases de dragues, rien de bien méchant. Lorsque j’ai commencé à travailler dans ce bar, je n’avais que dix-neuf ans et je dois avouer qu’au départ, j’avais toujours un peu peur des hommes qui tentait de me séduire. Les années ont passé et désormais, je ne fais plus vraiment attention à tout cela. On a toujours le droit à quelques remarques surtout lorsque je suis de service avec Itziar. Deux petites blondes cela attire forcément le regard. Parfois certains compliments sont accueilli avec plaisir, car ils sont faits de manière polie et presque à la façon de certains gentlemen. Pourtant, ce soir, les remarques de cet homme commencent à me chauffer. Visiblement, il a très envie de me mettre dans son lit et il ne cache pas à me le faire savoir. Je sais que je ne dois pas lui répondre. Malheureusement, si je commence à entrer dans son jeu, il va croire que je m’intéresse à lui. Je rentre seule après mon service, je n’ai pas de voiture, et même si je ne vis pas très loin, je n’ai pas envie que cet homme me suive. Je pourrais demander à Itziar de me raccompagner, mais malgré tout cela ne me rassure pas spécialement. Néanmoins, je dois continuer ma soirée et tente, du mieux que je peux, de ne pas prêter attention à cet homme.

Les minutes défilent à toute vitesse, il ne reste que deux heures avant que le bar ne ferme ses portes. Le dragueur est toujours présent et de plus en plus imbibé. Je me surprends à zieuter la porte tout en priant pour qu’Aidan débarque. Il est venu hier soir et il y a peu de chance pour qu’il vienne aujourd’hui, mais j’aimerais réellement le voir arriver. J’hésite presque à lui envoyer un message lorsque je finis par apercevoir une tête familière. Isaac débarque avec son plus beau sourire. Il a l’air déjà un peu perché et cela me fait rire quelque peu. Il vient s’installer au bar bien entendu et nous salue bruyamment. « Salut Isy ! T’as l’air en forme toi, tu nous fais la tournée des bars et tu commences même pas par chez nous ? » Je fais semblant d’être vexé, mais bien entendu, il ne s’agit que d’une plaisanterie. Isaac est un client habitué certes, mais il est surtout l’un de mes meilleurs amis. Je ne sais pas ce que je ferais sans lui des fois. Il est un peu comme un grand frère pour moi et après la frayeur qu’il nous a fait en début d’année, je me suis beaucoup rapproché de lui dernièrement. On a tous les deux des emplois du temps bien chargé, mais on trouve toujours un moment pour se voir. Puis Isaac vient souvent nous rendre visite au bar puisqu’il est également ami avec Itziar. Même s’il semble déjà quelque peu alcoolisé, je lui serre un verre et reste près de lui pour continuer mon travail. Mon boulet semble le remarque et commence à s’en offusquer. « Bah alors ma jolie, tu veux pas revenir par-là ? Laisse moi mater ton petit cul… » Je me retiens pour ne pas lui jeter le contenu du verre. Je commence à ne plus supporter ces remarques. Je ne suis pas un putain bout de viande à la fin. Mon regard croise celui d’Isaac et je vois bien qu’il a tout entendu. « Il est comme ça depuis le début de la soirée, je me retiens de lui foutre ma main dans la gueule. » dis-je à mon ami faiblement pour que l’homme ne m’entende pas. Je m’éloigne quelque peu lorsqu’un client vient passer sa commande au comptoir. Je ne mets que quelques minutes pour réaliser les quelques boissons et pourtant lorsque je porte de nouveau mon attention sur Isaac, se dernier n’est plus sur son tabouret, mais près de mon boulet. Je traverse la salle a pas rapide en entendant le ton montée entre les deux hommes. « Isy laisse tomber. » Je ne veux pas qu’il se batte pour moi, cela n’en vaut vraiment pas la peine. De toute manière, cet homme est bien trop alcoolisé et la sécurité va finir par se charger de lui. Cependant, l’ivrogne ne lâche pas l’affaire et tout tourne au désastre en quelques secondes.

People marching to the drums, everybody's having fun to the sound of love. Ugly is the world we're on I'm stunned to find a place I belong.

A partir du moment où j'avais emménagé à Brisbane, j'avais découvert les bienfaits ainsi que les méfaits de l'alcool. En tant que jeune étudiant ne subissant plus le poids du regard des stricts adultes ayant formé mon entourage, je m'étais évertué à chercher diverses expériences de vie que l'on m'aurait proscrit durant mon adolescence avec raison. Je n'avais jamais eu de problème d'alcool néanmoins, ni été le genre de jeune homme à boire de manière inconsidérée. J'avais procédé avec prudence, tâtant mes limites, veillant à ne jamais perdre le contrôle de moi-même, bien que forcément, j'étais également faillible et quelques soirées de cette période de mon histoire demeuraient effacées ou très floues.

Il n'était pas rare ainsi de me voir au bar à prendre une bière. Avec les collègues de St Vincent's, nous nous rendions souvent au petit pub du coin pour décompresser, un verre à la main, une fléchette dans l'autre. En revanche, l'année dernière, mes habitudes s'étaient envenimées. En plus des soirées sociales avec mes amis, j'avais découvert un bar à Fortitude Valley. J'y avais rencontré Itziar, Joshua puis découvert qu'Elora travaillait en ce lieu. Cependant, je n'avais pas recherché un nouveau emplacement de distraction par plaisir d'expérimenter et noter les différents bars rythmant la vie nocturne de Brisbane. Non, je savais pertinemment qu'en cette localisation, je ne croiserais ni ami proche, ni collègue. J'étais en quelque sorte un anonyme - sauf aux yeux de la Dawson et de quelques clients passagers - et dans une période où je cherchais purement à me mettre des mines et noyer mes chagrins, c'était parfait. Plus d'une fois Itziar avait dû me confisquer ma carte bleue et j'entendais encore Joshua d'ici proclamer que la route ne serait jamais assez large pour moi, vu comment je titubais. Je buvais bien plus que de raison jusqu'à disparaître.

J'étais revenu quelques semaines plus tard, après avoir fait le tour du quartier à trois reprises, n'osant pas pousser les portes du pub. Deux motifs inhibaient mon courage : le premier, la manière dont j'avais attenté à mes jours, le deuxième, le fait que ce bar de Fortitude Valley avait composé le théâtre de ma déchéance, ce refuge où je m'autorisais à aller mal et boire sans relâche. Lorsque je me résolus à y remettre les pieds, je n'étais plus dans l'optique de m'enivrer toutefois et reçus un accueil de la part de la barmaid espagnole si convivial et amical que j'avais inscrit dans mes habitudes un passage par semaine.
Depuis, j'avais repris mon titre de client régulier, dont la carte bleue pouvait même rester dans la poche arrière de mon jean sans la désapprobation d'Itziar.

Toutefois, il fallait avouer que depuis quelques semaines, j'étais retombé dans le travers de boire un peu trop. C'était devenu plus fort que moi, je désirais, il m'était nécessaire, de commander des verres jusqu'à m'en rendre malade, jusqu'à perdre la notion du temps, du réel parfois même. J'avais suivi Sage dans une boîte de nuit et avais consommé des cachets qui s'était révélés être de l'ecstasy sans même savoir à quoi je soumettais mon corps. J'étais incapable d'expliquer pourquoi j'agissais ainsi, ou plutôt, je ne souhaitais aucunement réfléchir à ce point car il allait à l'encontre de l'objectif même de me mettre dans un tel état second : fuir.
Oublier mes fautes, chasser mes démons, sombrer de fatigue parce que m'endormir paisiblement n'était plus dans mes cordes. Ce soir, le programme était le même.

« Salut Isy ! T’as l’air en forme toi, tu nous fais la tournée des bars et tu commences même pas par chez nous ? » Je souris doucement, répondant à Elora : « Je garde le meilleur pour la fin ! » Je passais une main dans mes cheveux en bataille. Dans le bar précédent, une fille n'arrêtait pas de complimenter mon cuir chevelu en passant ses doigts dedans. Ses agissements m'avaient rendu de plus en plus mal à l'aise et encore maintenant, j'avais l'impression d'avoir des traces d'elle sur ma tête. « Ça va ce soir ? » je demande à la native des États-Unis qui me sert un verre sans même que je n'ai à lui décrire ce que je souhaitais boire. L'avantage d'être un client régulier prévisible. En réponse à mon interrogation, je percevais un homme probablement plus vieux que moi s'adresser de manière très irrespectueuse à la Dawson. Il avait beau être installé aux tables plus loin, malgré l'ambiance du bar, j'avais très bien entendu ses propos déplacés dont la répréhension se lisait aisément sur mes traits. Il n'était pas le premier homme qui faisait des avances aux barmaids et ne serait certainement pas le dernier. Néanmoins, je jugeais déplorable de traiter les femmes comme des objets et être persistants alors qu'elles ne semblent aucunement intéressées. Je m'étais déjà interposé à quelques reprises entre une amie et des consommateurs trop gourmands qu'elle rejetait en vain. C'était triste à dire, mais ce genre d'individus acceptent généralement mieux la négation lorsque déclarée par un homme et non la femme principalement intéressée. Je tenais également à ne pas me mêler de ce qui me regardait pas. Mes amies menaient leur vie comme elles l'entendaient, elles flirtaient avec des hommes parfois bien plus âgés qu'elles et je n'étais personne pour juger leurs choix. La seule chose qui m'importait demeurait leur consentement. Ici, de toute évidence, Elora n'était pas charmée par les dires grossiers du casanova de dernière classe. Elle m'indiquait discrètement le caractère récalcitrant de ce dernier et son envie de le gifler. « Tu devrais peut-être, » commentais-je avec un sourire compatissant, bien que je savais pertinemment qu'Elora risquait son poste si elle devenait agressive avec un client. « T'es toute seule au bar ce soir ? » questionnais-je en balayant mon environnement du regard, à la recherche de Joshua ou d'Itziar. Un client l'interpelle et je la laisse le servir, me tournant cependant vers l'homme un peu trop focalisé sur mon amie. Je l'observe fixer goulûment les mouvements de la Dawson tout en décrivant très graphiquement ce qu'il comptait bien lui faire cette nuit. C'en était trop pour moi, je réduisais la distance nous séparant et informais, d'un ton ferme mais nullement agressif : « Elle est pas intéressée, mate. Si tu veux une fille pour la nuit, va plutôt en face. » Il lève ses yeux injectés de sang sur mon minois, ses lèvres tremblent, imbibées d'alcool, son regard crie son énervement à ce que je vienne, manifestement culotté, lui conseiller un changement de comportement. « Quoi ? C'est ta chérie ?! Tu sais ce que je lui ferai, moi, à ta poupée ? » Il se lève non sans difficultés de son siège, enchaîne les gestes salaces agrémentés de termes vicieux. « C'est beau de rêver. Tu crois qu'elle irait avec un soûlard comme toi ?! Elle fait pas dans la charité. » Le ton monte entre nous et rapidement, Elora apparaît à mes côtés. « Isy laisse tomber. » Mes pupilles passent de mon interlocutrice à son gougeât boulet qui s'avance dangereusement vers elle. Je perçois la Dawson émettre un mouvement de recul et pose ma main sur le torse de l'homme, l'empêchant d'atteindre la blonde. L'ivrogne milite contre ma poigne qu'il a de toute évidence sous-estimée. Entre son ivresse et mon caractère athlétique, je ne peinais aucunement à le tenir à distance. Je ne voulais pas devenir davantage physique avec lui, ne souhaitant pas démarrer une bagarre. Le but premier était de l'empêcher d'approcher Elora et d'apaiser ses ardeurs déplacées. Une veine palpitait dangereusement dans son cou si bien que j'articulais, catégorique : « Chill, mate. » Ressentant moins de pression contre mon bras, je l'ôtais, estimant que l'homme provocateur se calmerait et irait s'asseoir pour terminer sa boisson. Il demeura un instant en suspens puis se retourna, s'orientant vers sa table comme je l'augurais. Je me détournais pour reprendre ma place au bar mais une agitation derrière moi me fit reposer mon attention sur la scène se déroulant dans mon dos. Courroucé, emporté par cette rage alcoolisée déraisonnable, j'eus tout juste le temps de faire blocage avec mon avant-bras pour m'épargner son verre dans la figure. Je sentais les débris de verre s'enfoncer dans ma chaire et retenais un juron, répondant aussitôt en repoussant l'homme contre le mur. Je n'étais ni colérique ni bagarreur mais je ne tolérais pas cette forme de violence et ne comptais pas recevoir des attaques de cette manière. Plutôt que de lui asséner des coups de poing, j'essayais de le maîtriser. La lutte finit sur le sol, mes facultés de joueur de football australien entretenues depuis des décennies étant véritablement bénéfiques. Un groupe de clients nous encerclait, certains empêchant la rixe de prendre encore plus d'ampleur. Je finis par me relever sous l'impulsion d'un client habituel que je connaissais et le videur emmena l'ivrogne qui hurlait et se débattait à plein poumons à l'extérieur du bâtiment. J'ignorais si j'allais aussi être convié à rentrer à mon domicile, vu que je n'étais pas complètement blanc dans cette altercation. Un ami me fit remarquer que mon nez saignait, l'adrénaline ayant complètement anesthésié ce fait temporairement et je lui fis signe de la tête pour le remercier de cette information avant de me diriger vers les toilettes du bar. Si le videur voulait me sortir, il me trouverait bien. En attendant, j’œuvrerai à stopper le saignement.

We're just swimming around in our glasses and talking out of our asses

Isaac & Elora

La soirée est juste horrible. Habituellement, j’arrive à gérer les gars un peu lourd qui cherche à me draguer éhontément, mais ce soir, je crois que je n’ai tout simplement pas la patience. Ce mec mériterait de gagner la médaille du pire dragueur. Comment veut-il m’attirer dans son lit avec de tels propos ? Quel genre de filles accepterait qu’on lui parle de la sorte honnêtement ? C’est vraiment n’importe quoi. Du coin de l’œil, je surveille le gars de la sécurité qui est planter à la porte, je sais que si jamais les choses dégénère, je n’ai qu’à crier un grand coup pour qu’il vienne s’occuper de ce client. En attendant, je continue mon travail. Je ne peux pas m’arrêter simplement parce qu’un connard à décider de faire le beau. Heureusement, c’est quelques minutes plus tard qu’Isaac passe les portes du bar. Il a l’air bien éméché et cela ne m’étonne pas tellement, vu l’heure, il a dû faire le tour des bars du coin avant d’atterrir d’ici. Il me le confirme d’ailleurs assez rapidement, ce qui me fait quelque peu sourire. Il s’est bien calmer Isy depuis sa tentative de suicide, mais parfois, il replonge un peu. Comment lui en vouloir ? Personne ne sait vraiment ce qui se passe dans sa petite tête lorsqu’il se retrouve seul et dieu sait à quel point parfois, nous pouvons avoir des idées noires. Au moins, il est venu ici. C’est ce qui me rassure dans le fond. Il a beau aller boire ailleurs, Itziar, Joshua et moi savons parfaitement qu’il va finir sa nuit ici et qu’il nous restera plus qu’à gérer le reste. C’est ce qu’on se dit en tout cas, ce qui nous rassure quelque peu. Je lui en ai énormément voulu lorsqu’il a attenté à ses jours, je suis même entrer dans une colère noire lorsque je suis allé le voir à l’hôpital. Je venais de perdre ma maman et lui, il avait failli m’abandonner également. Le chagrin et la peur avaient pris le dessus. On a eu le temps d’en discuter tous les deux. J’ai compris son geste même si je ne lui ai jamais réellement avoué tout cela. J’espère juste que cela ne se reproduira jamais. Je ne sais pas ce que deviendrait ma vie si je perdais encore quelqu’un. Le jeune brun me tire de mes pensées en me questionnant un peu. « Oh ça peut aller. Quelques clients chiant ce soir. » dis-je en soupirant quelque peu. « Et toi alors ? Ca fait un petit moment que je ne t’avais pas vu. » Je lui tends son verre et continue à travailler en même temps.Je ne sais pas ce que deviendrait ma vie si je perdais encore quelqu’un. Il attend toujours patiemment que l’on revienne vers lui pour reprendre ses histoires ou tout simplement l’échange que nous avions.

Mon gars lourd est revenu à la charge et il ne me faudra pas longtemps pour comprendre qu’Isaac a remarquer son comportement. Je tente de garder mon calme, mais je commence vraiment à perdre patience. Je ne supporte pas ce genre de comportement, ce manque de respect. « Oui je suis toute seule, Joshua est rentrer, il ne se sentait pas très bien. Tu la louper de peu. » Ca ne me dérange pas de finir la soirée seule, on se rend souvent service entre collègues, mais ce soir, j’aurais aimé ne pas rester seule. Je vois qu’Isaac commence à s’énerver et lui demande de lâcher l’affaire. Le bar va très bientôt fermer, cet homme va se retrouver sur le trottoir et il ira embêter quelqu’un d’autre. Je n’ai pas le temps de comprendre quoique ce soit que le fameux ivrogne s’approche dangereusement de moi. Il a une lueur presque folle dans le regard et je dois dire que cela m’effraye. J’amorce un mouvement de recul et immédiatement Isaac s’interpose entre nous. Il ne faudra que quelques secondes pour que la situation dégénère quelque peu. Tout d’abord, l’homme, un peu refroidi par les remontrances d’Isaac s’éloigne, mais il revient en force pour pousser violemment mon ami. Une lutte au corps-à-corps s’en suit sans que je n’aie le temps de dire quoique ce soit. Des clients habitués qui connaisse plutôt bien Isaac vienne se mêler à la bataille et tente d’éloigner l’ivrogne. Je fais rapidement de grand signe au videur pour qu’il puisse gérer. « Isaac laisse tomber… » C’est tout ce que j’arrive à articuler. Je n’aime pas les conflits, encore moins les conflits physiques. Isy se retrouve avec le nez en sang et sans que je n’ai le temps de l’intercepter il s’enfuit dans les toilettes tandis que Mark, le videur, emmène le fauteur de troubles à l’extérieur. L’homme qui m’importunait finis par voler sur le trottoir et Mark reviens vers moi. « On va fermer le bar, je suis toute seule et puis je dois aller voir Isaac là. » « Je m’en occupe ma belle. » Tout de suite, il se tourne et demande aux derniers clients de bien vouloir quitter les lieux. J’encaisse le dernier groupe et je vais rapidement aux toilettes ou Isaac est toujours. « Isy ? » dis-je en poussant la porte doucement. Il est appuyé contre le lavabo en train de s’éponger le nez. « Ca saigne beaucoup ? » Je m’approche de lui et prends le papier toilette de ses mains. Je lui fais signe de s’asseoir sur le comptoir du lavabo et vais chercher du nouveau papier. Je le mouille quelque peu et viens faire un point de compression contre la narine de mon ami. « Je suis vraiment désolée… » Je n’aime pas savoir qu’il s’est pris un coup à cause de moi, juste parce qu’il voulait un peu me protéger. De ma main libre, je caresse sa joue, afin de m’assurer qu’il n’a aucun bleu ou bosse de ce côté-là. Rien a signalé. « J’ai fait fermer le bar. Je vais nettoyer vite fait et puis on va aller chez moi, d’accord ? » Il a pas mal bu et je n’ai pas vraiment envie de le voir rentrer seul chez lui. J’ai mon week-end de libre alors je vais voler un peu mon brun favori pour me tenir compagnie. « Tiens continue à faire pression ça devrait s’arrêter rapidement. »     [/color]

People marching to the drums, everybody's having fun to the sound of love. Ugly is the world we're on I'm stunned to find a place I belong.

A mon entrée dans le lieu convivial, je m'étais machinalement orienté vers l'un des tabourets que j'occupais le plus souvent. Je n'avais jamais vraiment été de ceux qui s'installent aux tables ou aux banquettes, j'aimais beaucoup trop le contact permis lorsqu'on était directement installé au bar. J'y jouissais d'une vision sur la majorité des clients et lorsque je m'ennuyais, je m'amusais à suivre des yeux le mouvement des employés préparant les diverses boissons ou m'évertuais à décrypter certaines bouteilles mystiques qui ne semblaient jamais quitter les étagères. J'échangeais avec Elora entre ses clients et apprenais rapidement que sa clientèle n'était pas des plus sages ce soir. Lorsqu'elle me fit remarquer que cela faisait un petit moment que nous ne nous étions pas vus, je hochais les épaules, d'abord incertain. Comment avais-je occupé mes derniers jours ? Deux jours plus tôt, Nicolas m'avait embarqué dans une mission humanitaire tumultueuse que je traduisais aujourd'hui comme une volonté de sa part à me secouer davantage vers ma reprise d'activité. J'avais aussi repris des entraînements sportifs en compagnie de Maze, ce qui était à la fois distrayant et relevait du challenge. En somme, j'estimais que je reprenais peu à peu contrôle sur ma vie et mes émotions, que je parvenais de plus en plus à chasser mes idées noires et appréhender ce nouveau chapitre de mon histoire que j'avais eu beaucoup de misère à accepter en premier lieu. Certes, ce revif n'était ni inné, ni permanent, mais je me disais aller dans le bon sens, ou du moins, me situer sur la voie que mes proches souhaitaient me voir emprunter. « C'est pour ça que je suis là. Je viens remédier à la situation ! » répondis-je ainsi à la barmaid, conscient qu'une conversation détaillée n'était pas adaptée vu la quantité de clients dans la salle. De plus, j'étais peu enclin à m'épancher sur ma vie privée dans un endroit public. Je questionnais ensuite la Dawson sur Joshua et cette première me confirmait mon constat : elle gérait seule le bar pour cette dernière partie de la soirée.

Puis, la scène s'envenima. Malgré ma patience, il me devenait promptement impossible de cautionner les propos puis les gestes de l'ivrogne qui fantasmait goulûment sur Elora. L'échange se métamorphosa vivement en altercation et au bout de quelques secondes, des habitués des lieux s'interposèrent pour stopper la bagarre. Mark conduisit fermement l'élément perturbateur vers l'extérieur et je m'orientais sous les conseils d'un ami vers les toilettes du bar pour stopper la banale hémorragie issus de mon nez.

Un goût âcre, mélange de sang et d'alcool, emplissait ma bouche. J'attrapais du papier et m'appliquais à nettoyer le sang sur mon visage et stopper la complainte de quelques vaisseaux sanguins. Une dizaine de minutes plus tard, je perçus la voix de mon amie qui s'invitait dans la petite pièce pour me prêter main forte. « Ça saigne beaucoup ? » Je lui offrais un sourire rassurant avant de prendre un nouveau papier propre, hochant la tête par la négative. « Ça va. C'est juste que quand t'y penses, l'être humain est mal fait. » Je fis face à l'américaine qui saisit le papier de ma main et m'indiquait de m'asseoir sur le comptoir du lavabo. Je m'exécutais tout en continuant : « Les lèvres et le nez c'est juste les meilleurs endroits pour te faire saigner pour rien. Et il faut qu'ils soient situés piles sur ton visage. A la merci des mauvais coups. » Elora avait pris un peu plus de papier afin d'humidifier le tout et effectuer une pression pour conclure définitivement le saignement. « C'est toi l'infirmière ce soir ? » ne pus-je m'empêcher de plaisanter, banalisant totalement la situation mais reconnaissant silencieusement que ses gestes étaient plus plus précis que les miens, ces derniers étant inhibés par ma consommation d'alcool. Le coup m'avait assez bien remis les idées en place mais n'avait aucunement changé mon alcoolémie. Lorsqu'Elora m'offrit des excuses, je fronçais les sourcils, à la fois interrogateur et désapprobateur. « Arrête, c'est pas ta faute. » Je sentis sa main inspecter ma joue à la recherche d'autres blessures. « Et puis, j'ai pas été sympa. J'aurais peut-être pas dû le traiter de soûlard. » Je plissais les yeux, malicieux. « Il y a que la vérité qui blesse ? » Je prenais le relais sur le point de pression tandis que mon interlocutrice se distançait, me signifiant qu'elle allait gérer la fermeture du bar et proposant que l'on continue notre discussion en terre moins hostile. J'acquiesçais et obéissais. Lorsque j'eus effacé toute trace de sang de mon visage et de mes doigts, je rejoignais Elora. J'ignorais si l'alcool me jouait des tours ou les lumières des toilettes faisaient cet effet, mais il me semblait déjà possible de percevoir l'impact de l'homme grossier sur mon visage, augurant un bel ecchymose prochainement. Non pas que ça me chagrinait mais je ne désirais pas que la jeune femme se sente davantage mal pour une altercation dont elle était nullement responsable. « Je vais pas te faire perdre de l'argent ? » m'inquiétais-je alors qu'elle terminait de compter sa caisse. Comme Itziar et Joshua, Elora ne roulait pas forcément sur l'or et je m'en voudrais d'être la cause d'un salaire moins élevé à la fin du mois et par conséquent de difficultés budgétaires. « Sinon je vais te rembourser, » planifiais-je avec détermination, prêt à compenser les éventuels clients qu'elle n'avait pu servir en fermant le bar plus tôt que prévu. Je détaillais les traits tirés de la Dawson, m'inquiétant : « Ça va ? » Je marquais une pause. Mark avait apparemment donné un bon coup de main en sortant les derniers cadavres de bouteilles et relevant les chaises sur les tables. « Je peux faire quelque chose pour t'aider ? »

We're just swimming around in our glasses and talking out of our asses

Isaac & Elora

Autant dire, que je n’avais pas prévu une telle fin de soirée. Du moment ou Joshua à décider de rentrer chez lui, tout est parti en live. D’abord, il a fallu que je gère les clients seule et c’est toujours le problème quand on retrouve seul, bizarrement tout le monde a envie d’un verre à ce moment-là. Forcément, sinon ce n'est pas drôle pour la pauvre barmaid. Je ne me plains pas, après tout, j’adore l’ambiance qui règne ici. Je viens toujours bosser avec le sourire quoiqu’il arrive. Pourtant, ce soir, les choses sont bien différentes. Je suis seule et un client plutôt lourd à décider de me faire du rentre-dedans.Je suis seule et un client plutôt lourd à décider de me faire du rentre-dedans. Je n’ai jamais été du genre à gueuler sur les clients et ce n’est pas ce soir que je vais commencer même si l’envie me démange de plus en plus. Je tente de faire mon boulot du mieux que je peux et je suis plus que soulagée lorsque Isaac finis par passer la porte du bar. Mon sauveur. Je suis vraiment contente de le voir, il sauve un peu ma soirée. Comme à son habitude, il vient s’asseoir sur un des tabourets du comptoir et je me sens déjà un peu mieux. Au moins, je sais qu’il va garder un œil sur moi. Je continue donc mon travail un peu plus sereine, jusqu’à ce que la situation s’envenime bien trop rapidement. L’homme qui me draguait, vient lourdement s’adresser à moi et bien entendu Isaac ne laisse pas faire les choses. Je pensais qu’il allait simplement le remettre à sa place, mais jamais je n’aurais imaginé que l’homme en question vienne lui décrocher un coup-de-poing dans la mâchoire puis dans le nez. J’ai toujours détesté les conflits et encore plus les conflits physiques. La moitié du bar se mêle à cette bagarre et tout va bien trop vite à mon goût. Il ne faudra que quelques secondes pour que l’agent de sécurité, Mark, jette l’alcoolique dehors et Isaac disparaît dans les toilettes. Autant dire que la soirée touche à sa fin et que tout le monde prends gentiment ses affaires pour rentrer chez soi. Le bar aurait dû rester ouvert encore une heure, mais je suis épuisée et Mark est d’accord avec moi pour que l’on abaisse la grille. J’expliquerais tout cela au patron plus tard.

Je finis par rejoindre mon ami dans les toilettes afin de m’assurer que tout va bien pour lui. Je n’aime pas la vue du sang, mais je ne vais pas le laisser tout seul alors qu’il s’est pris un coup de poing en voulant me protéger. Lorsque je lui demande s’il va bien, Isy me fait tout un discours la composition du visage humain et cela me fait lever les yeux au ciel. « Bon, visiblement, t’as toutes tes neurones. » dis-je en riant quelque peu. C’est délicatement que je tente de stopper le saignement qui s’écoule de sa narine. Ce n’est pas important, mais il a un peu d’alcool dans le sang et je ne voudrais pas qu’il commence à se sentir mal. « Je m’en veux un peu que tu sois amoché. » lui dis-je tout en continuant a nettoyer son nez. Comme le dit Isy, il n’y a que la vérité qui fâche. « Je crois que c’est quand tu lui as dit qu’il avait aucune chance avec moi surtout. Ca blessé son égo. » Je ris quelque peu et donne un dernier morceau de sopalin à Isaac pour qu’il puisse terminer de s’occuper de son nez tandis que je vais m’occuper de la fermeture du bar.

Heureusement, la soirée a été tout de même assez calme et le bar n’est pas vraiment sale. Je peux faire rapide et donc finir ma soirée avec Isaac, ne voulant pas le laisser seul. Je laisse Mark s’occuper dans la salle tandis que je finis de nettoyer certains des verres. On verra pour la suite demain, ne travaillant pas au cabinet, j’aurais le temps de venir avant l’ouverture pour tout terminer. Je sursaute presque lorsque Isaac s’adresse à moi ne l’ayant pas vu sortir des toilettes. « Non t’en fais pas, on allait fermer dans une heure de toute façon. » dis-je en lui souriant tendrement. Il est vraiment adorable, mais je n’ai vraiment pas besoin de son argent. Il a l’air d’avoir un peu redescendu de son euphorie et je retrouver le Isy que je connais bien, pourtant il à l’air claqué. « Oui ça va Isy, j’ai juste envie de partir, la soirée a été un peu horrible. » J’ai hâte de rentrer dans mon petit appart et de ne plus penser au bar pour une fois. C’est bien pour cela que je me dépêche de nettoyer et ranger les verres. « Tu peux juste regarder s’il reste des verres dans la salle. Je vais juste lancer une machine et après, on s’en va. » De mon côté, je me dirige vers la caisse afin de faire le compte. Je peux partir en laissant quelques trucs traîner, mais je ne peux pas laisser la caisse comme cela. J’en profite d’ailleurs pour envoyer un SMS à mon patron afin qu’il soit au courant de la situation. Il me faudra quelques minutes pour venir à bout de mon compte et lorsque je récupère mon portable, je me rends compte que mon boss m’as déjà répondu, me faisant savoir de laisser les choses telle quelle et de prendre mon week-end. J’ai vraiment un patron en or. Isy revient vers moi avec deux verres que je récupère pour les mettre dans la machine. Je lance cette dernière et récupère mon sac à main et mes clés. « Prêt Isy ? On y va ? » Je vais embrasser la joue de Mark et le remercie encore une fois pour la soirée et on sort tous du bar. Je sens un poids se soulever de mes épaules après cette soirée plus que mouvementée. J’ai vraiment hâte de retrouver mon petit chez moi. Je ferme la grille du bar et ferme tout cela a clé avant de me retourner vers mon ami. Sans réfléchir, je glisse ma main dans celle d’Isaac en souriant quelque peu. « On va chez moi du coup ? J’ai mon week-end, donc on n'aura pas à se lever tôt, demain. » lui dis-je tout en souriant quelque peu. « J’ai hâte de me caler et surtout de me changer. » Ce jean me serre beaucoup trop et j’ai bien envie d’enfiler mon vieux jogging, de me faire une tasse de thé pour discuter avec mon ami. « Ça te dit hein ? Sinon je te ramène chez toi. »    

People marching to the drums, everybody's having fun to the sound of love. Ugly is the world we're on I'm stunned to find a place I belong.

Les doigts malhabiles, la dextérité inhibée par l'alcool et les retombées de l'altercation récente, je m'appliquais à effacer le sang tachant ma peau tout en stoppant l'origine de son écoulement. Bien vite, Elora venait m'apporter son aide et rassurant, je lui exposais le fait que j'allais bien tout en fournissant un avis rapide sur la composition superficielle du visage humain. Le commentaire de mon interlocutrice me fit sourire et je minimisais les circonstances allègrement. Je connaissais assez bien la jeune femme pour deviner qu'une partie de son être se jugeait responsable de mes blessures. Néanmoins, je lui assurais dès qu'elle concrétisait mes augures qu'elle était nullement à blâmer. Ces coups avaient été portés par un homme provoquant auquel j'avais répondu sans scrupule. Je prenais une mine faussement inquiète tandis qu'elle concluait s'en vouloir tout de même un peu que je sois amoché. « Mais je reste pas trop moche, rassure-moi ? » J'étais bien loin d'être le genre d'homme qui se souciait du l'avis d'Autrui sur son physique et n'avais rien du Casanova populaire. En règle générale - soit hormis ces derniers mois qui avaient été singuliers - , je prenais soin de moi et l'attention que je portais à mon apparence s'arrêtait là. J'offrais un dernier sourire à la Dawson qui me rappelait ma réplique à l'élément perturbateur de cette soirée. Il était vrai que je n'avais pas été tendre dans mes paroles, cependant, le comportement de l'enivré m'avait vivement insupporté.  « La vérité qui blesse. Je pense pas que c'était ton genre de mec, si ? » Je saisis le morceau de papier que me tendait mon amie et le pressais contre ma narine, déterminé à stopper ce saignement. Je m'adossais au mur quelques minutes, calmant le rythme de ma respiration et m'échappant dans mes pensées. Une silhouette passant devant la porte des toilettes me ramena à la réalité et je débarrassais la pièce étroite des différents papiers souillés. Je me lavais les mains et savonnais mon avant-bras qui avait reçu le verre du soûlard, question de nettoyer un maximum la plaie. Puis, je rinçais le lavabo et m'orientais vers Elora.

L'observant compter sa caisse, je m'inquiétais que la fermeture du bar prématurée encourt une perte d'argent et de surcroît une diminution sur le salaire de mon interlocutrice. Je me proposais pour pallier financièrement cette éventualité et hochais la tête, compréhensif, lorsque la barmaid m'expliqua que ces circonstances particulières ne devraient pas soulever davantage de problèmes et désirer uniquement rentrer chez elle. Je la questionnais sur comment je pouvais l'aider à accélérer les obligations pré-fermeture afin qu'elle exauce son souhait le plus rapidement possible et me dirigeais vers la salle lorsqu'elle me demandait de vérifier s'il n'y avait pas d'autres verres qu'elle aurait oublié de débarrasser. Je revenais avec deux contenants qu'elle disposait dans la machine du bar, avant de récupérer ses effets personnels. Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvons devant la grille verrouillée du bar, la brise hivernale caressant nos visages.

La main de la jeune femme glisse dans la mienne et je l'entends me proposer son domicile comme lieu de destination, argumentant qu'elle n'avait pas d'obligations ce week-end et qu'elle avait hâte de se poser au calme. Je ne pouvais qu'approuver, vu les quelques bribes de la soirée dont elle m'avait fait part et celles dont j'avais été témoin. Je ris doucement alors qu'elle sollicita mon avis, suggérant néanmoins de me conduire chez moi si jamais je préférais passer sur son invitation. « Je t'ai toujours raccompagnée jusqu'à chez toi quand on sortait du bar ensemble, ce n'est pas ce soir que ça va changer. Moche ou pas. » En effet, je n'avais jamais vraiment su accepter voir une des barmaids rentrer chez elle seule en pleine nuit. Certes, j'étais conscient qu'elles savaient très bien se défendre mais j'étais bien plus serein de les voir pénétrer leur demeure de mes propres yeux. Qui plus est, j'aimais beaucoup marcher et me rendre devant l'immeuble où résidait Elora se trouvait plus ou moins sur ma route pour rentrer à Toowong de toute façon. « Et puis ton plan me plaît bien, » complétais-je avec un sourire. Je sentais mon nez devenir de plus en plus sensible et appréciais l'effet du vent frais sur le coup. « Ta coloc' est là ce soir ? » demandais-je par pure curiosité ainsi que pour déterminer s'il m'était nécessaire d'être discret à notre future entrée dans l'appartement. « Question de savoir s'il y a quelqu'un à ne pas réveiller. Quoi qu'il doit pas être si tard que ça. » Je palpais mes poches de ma main libre, m'assurant que je n'avais pas perdu d'affaires lors de ma bagarre récente. Heureusement, mon porte-feuille, mes clefs et mon téléphone portable reposaient encore sagement dans mes poches. « Tu as des projets pour ce week-end du coup vu que tu ne bosses pas ? »

We're just swimming around in our glasses and talking out of our asses

Isaac & Elora

Isaac a beau avoir pris un coup dans le visage, cela n’a pas écorché son sens de l’humour. Je vois bien qu’il est tout de même bien imbiber. Je n’aime pas penser comme cela, mais j’ai l’habitude de le voir dans un tel état. Cela faisait juste un moment qu’il n’était pas venu comme cela. Il va tout de même falloir que l’on discute quelque peu tous les deux et c’est bien pour cela que je compte le ramener à la maison avec moi. En attendant, je ne peux m’empêcher de rire lorsqu’il se soucie de son physique. Il a le sens des priorités ce petit. « Tu es toujours aussi beau, t’en fais pas mon Isy. » Je souris et viens embrasser sa joue. Il a beau avoir un peu bu, Isaac restera toujours le même avec moi, je crois. Il est hyper protecteur et c’est bien pour cela qu’il a réagi face aux propos de cet homme. Je sais qu’il n’est pas du genre à se battre, mais je ne peux pas lui en vouloir d’avoir réagi. Après tout, il a bien raison, cet homme était bien loin de mon style. Puis comment pouvait-il croire que j’allais finir ma soirée avec lui avec ce genre de propos ? Il devra très sérieusement revoir sa technique de drague. « Non il était pas du tout mon genre, tu as bien raison. » dis-je en souriant quelque peu. Effectivement, il n’y a que la vérité qui blesse, mais des fois il faut bien la rappeler à certaines personnes.

Laissant mon ami finir de se nettoyer le visage, je retourne dans la salle du bar afin de pouvoir tout fermer au plus vite. Je n’ai vraiment plus envie de bosser, je veux juste rentrer chez moi et me reposer en compagnie d’Isaac. Je crois que je n’ai jamais plié la fin de soirée aussi rapidement. On aurait dû rester ouvert encore une heure, mais vu la tournure des évènements et le fait que je sois seule, il valait mieux fermer les portes du bar. Mark me donne un coup de main, et même Isaac s’y met. Il ne faudra donc qu’une dizaine de minutes pour que l’on se retrouve enfin dehors et que je puisse fermer la grille.

Je passe la bretelle de mon sac sur mon épaule et attrape la main du beau brun prête a rentrer chez moi en sa compagnie. Sa petite remarque me fait sourire, il est vrai que dès qu’Isaac vient au bar, il reste jusqu’à la fermeture et nous ramène chez nous que ce soit Itziar ou moi. Pour cela, il est juste parfait. On ne peut pas faire plus attentionner que lui. « Mais arrêtes-tu n'es pas moche. » Je serre quelque peu sa main dans la mienne. « Toujours un beau gosse mon Isy. » En même temps, il faudrait être bien difficile pour ne pas trouver un certain charme au brun. Je ne l’ai jamais regardé autrement qu’avec amitié, mais il ne faudrait pas être aveugle, pour ne pas remarquer son charme malgré tout. Ne prolongeant pas le sujet sur son physique, je lui propose un petit programme pour la soirée. « Parfait ! On sera tout seul, Mia est parti pour le week-end. » C’est bien pour cela que je comptais faire la larve tout le week-end chez moi, personne pour me juger et me dire de me bouger un peu. « Je comptais faire la larve, regarder des trucs sur Netflix et me goinfrer. » dis-je en riant quelque peu. Il y a plus glamour comme programme, j’en ai bien conscience, mais je bosse constamment et cela va faire deux mois que je n’ai pas eus la chance de pouvoir faire un week-end complet chez moi. Il est vrai que je pourrais en profiter pour sortir un peu, faire quelque chose qui sort de l’ordinaire, mais je n’en ai pas spécialement envie. J’ai juste envie d’être tranquille chez moi. « Tu es le bienvenu pour faire la larve avec moi si tu veux. » Après tout avoir un peu de compagnie ne me ferait pas de mal, mais je ne forcerai pas Isaac à rester avec moi, il doit avoir mieux à faire en plus.

Il ne nous faudra qu’une dizaine de minutes pour arriver devant mon immeuble. On monte rapidement et nous voilà dans mon appartement. Je lâche un long soupire en posant mon sac et en enlevant mes chaussures. « Fait comme chez toi. » dis-je à Isaac tandis que je range ma paire de basket dans le petit meuble de l’entrée. Je jette un coup d’œil à ma montre et me rends compte qu’il est déjà bien tard, pourtant, une petite faim me tiraille le ventre. « Ca te dit qu’on commande un truc ? J’ai faim, mais j’ai la flemme de cuisiner ! » Je n’ai jamais été très doué en cuisine et lorsque je rentre aussi tard, il est vrai que je n’ai pas du tout le courage de commencer à travailler sur un plat. « Ou tu veux aller te coucher peut-être ? » ajoutais-je malgré tout, pensant au fait qu’il est probablement en train de décuver et qu’il doit être quelque peu fatigué.     

People marching to the drums, everybody's having fun to the sound of love. Ugly is the world we're on I'm stunned to find a place I belong.

Je retenais très aisément le commentaire d'Elora comme quoi j'avais été « amoché » par l'ivrogne vulgaire qui n'avait cessé de faire des allusions et des commentaires déplacés sur mon amie ; et en jouais allègrement. Je ne regrettais aucunement mon geste pour le moment, bien que demain serait sans doute différent. Je sentais déjà ma chaire enfler au niveau de l'impact et quoi qu'il arrive, je n'étais pas un homme qui prenait plaisir ou satisfaction à frapper quiconque. J'étais plus dans la diplomatie que dans la violence, même si mon interlocuteur composait un réel fléau. Je souris lorsque la barmaid confirma mon constat que cet homme n'était pas dans ces goûts. J'étais vraiment très tolérant et ouvert d'esprit mais si la Dawson m'avait avoué être charmée par cette brute, j'aurais sans doute eu très peur pour elle. J'étais convaincu qu'il ne l'aurait nullement respectée. De plus, c'était toujours agréable de s'entendre dire perspicace lorsqu'on a absorbé une large quantité d'alcool.

Je terminais de nettoyer mon visage et mes mains puis rejoignais Elora dans la salle du bar. A trois, nous nous évertuions à faire toutes les tâches nécessaires pour la fermeture du lieu et une fois la grille recouvrant les locaux, j'emboîtais le pas de la jeune femme vers son domicile. Je taquinais de nouveau la blonde sur mon physique et la sentais serrer ma main, appuyant son commentaire comme quoi je n'étais pas laid. Elle m'apprenait que sa colocataire, Mia, était partie pour le week-end ce qui nous laissait l'appartement à tous les deux. C'était très bien, comme ça, je n'aurais pas à songer incessamment à ne pas réveiller la jeune femme ou entendre Elora me demander de baisser le ton. Alcoolisé, on oublie vite ce genre de détail tel que le volume. Je ris avec mon interlocutrice quand elle m'annonçait son plan pour le week-end qui s’apparentait à du Netflix and chill si on reprenait la célèbre expression. « Tu es le bienvenu pour faire la larve avec moi si tu veux. » « C'est gentil, » répondis-je sincèrement. Même si cela faisait plusieurs mois que Chloe m'avait quitté, j'avais toujours du mal à vivre seul chez moi. Chaque pièce me rappelait sans cesse mon ex fiancée et la suite d'événements qui m'avait conduit à attenter à mes jours. Parfois, les souvenirs, les cauchemars et les émotions étaient trop fortes pour que je reste plus longtemps à mon domicile que je fuyais lamentablement vers un bar. Je n'avais pas encore vraiment pris le réflexe d'appeler un ami dans ces moments difficiles, persuadé que je les dérangerais ou que je pouvais gérer seul. Cette dernière option étant, de toute évidence, erronée. J'ignorais encore si j'accepterais l'invitation prolongée d'Elora mais une partie de moi appréciait énormément l'éventualité de ne pas être esseulé continuellement pendant une partie du week-end.

Nous rentrâmes dans le domicile de l'américaine que j'imitais non sans difficultés pour ranger mes chaussures dans l'entrée. Je crus perdre l'équilibre à au moins deux reprises mais j'y parvins, ce qui en soit suscitait en moi une certaine fierté. J'entendais la jeune adulte me proposer de commander de la nourriture avant de soupçonner que j'ai simplement envie de dormir pour décuver tout l'alcool que j'avais englouti depuis le début de la soirée. « Non non, je préfère passer le reste de la soirée avec toi en suivant ton programme. » Dormir, je pourrais le faire plus tard, même si j'en avais cruellement besoin rien qu'en prenant en compte l'état actuel dans lequel je me trouvais et le fait que j'enchaînais les nuits blanches depuis des mois. « Tu veux commander quoi ? Tu me laisses payer du coup, vu que tu offres le toit et le canapé ? » Je n'étais pas quelqu'un qui roulait sur l'or mais dès que l'occasion se présentait, j'aimais payer des verres ou de la nourriture. Et comme je le démontrais bien, Elora aussi apportait certains services de distraction et de confort. « Je peux me prendre un verre d'eau ? » demandais-je, les yeux déjà rivés sur un verre qui séchait dans un présentoir. Lorsque mon amie acquiesça, je me servais la boisson que je bus rapidement. J'avais la gorge sèche et l'impression que ma tête allait exploser, mais j'avais aussi connu pire comme circonstances. Ce n'était pas alarmant ni handicapant en soit. « Et en fait, ça se passe bien à ton autre boulot ? Tes clients sont plus civilisés ? Est-ce qu'il y en a un qui est aussi sympa que moi ? » J'étais à la fois sincèrement attentif au fait que la situation d'Elora en qualité d'assistante dans un cabinet d'avocat soit plus aisée que celle au bar, mais j'aimais aussi jouer de l'humour pour dédramatiser quelconque situation l'entourant. J'utilisais beaucoup de sarcasme et d'ironie quand je parlais de moi, ayant très peu d'estime de ma personne.

We're just swimming around in our glasses and talking out of our asses

Isaac & Elora

Netflix and chill. C’est comme cela que je prévois de passer le reste de mon week-end et visiblement cela va commencer en compagnie de mon ami. Je crois que je ne pouvais pas rêver mieux pour terminer cette soirée qui fut haute en couleur. On se serait bien passer de la bagarre, notamment Isaac, mais je vais tout faire pour que l’on puisse penser à autre chose. C’est donc avec cet objectif en tête que l’on se dirige tous les deux vers mon appartement. Il fait encore assez frais dehors et cela se remarque à nos pas quelque peu pressés d’arriver à destination. Le silence se fait majoritairement dans le silence. Isy probablement en train de décuver tandis que je ne cesse de penser au moment où je vais enfin pouvoir m’affaler dans mon canapé après cette très longue journée. Une fois arriver dans mon petit chez moi, je laisse mon ami se débarrasser de ses chaussures tout en gardant un œil sur lui remarquant bien que son équilibre est quelque peu incertain. Pour autant, je le laisse se débrouiller seul. Très rapidement, je lui propose que l’on se commande un petit quelque chose à manger, étant légèrement affamée. Je laisse tout de même le choix au beau brun d’aller se coucher directement, ce qu’il refuse pratiquement tout de suite. Ces cernes matchent les miennes, mais je crois que nous avons tous les deux besoins d’un peu de compagnie. On ira se coucher plus tard, ce n’est pas un souci. Au pire des cas, on s’endormira ensemble sur le canapé. Il s’agit d’une option fort probable. « Je peux payer ne t’en fais pas. » lui dis-je tout en me dirigeant vers la cuisine pour ouvrir mon tiroir empli de petit prospectus de restaurant faisant de la livraison à domicile. Vu l’heure avancer, nos options vont être assez réduites. « Pizza ça te conviendrait ? Simple, mais efficace ! » Et surtout pas cher. Je sais parfaitement qu’Isaac, tout comme moi, ne roule pas sur l’or alors autant rester dans la simplicité. Et puis honnêtement, il n’y a rien de meilleure qu’une pizza pleine de fromage et de graisse à manger devant la télé ou en discutant avec un ami. Isaac me demande l’autorisation de se servir un verre d’eau et cela me fait rire quelque peu. « Bien sûr que tu peux ! Fait comme chez toi Isy, vraiment. » Je le laisse aller se servir, lui laissant de la place dans ma minuscule cuisine. « Installe-toi, je vais juste me changer rapidement. » J’ai besoin de retirer mon jean qui me serre quelque peu et enlever ce tee-shirt un peu trop imprégné de bière à mon goût. Je m’éclipse cinq minutes dans ma chambre afin d’enfiler mon bas de jogging favori et un vieux sweat-shirt appartenant à mon meilleur ami et qui est probablement trois fois trop grand pour moi. Ma tenue favorite pour rester à la maison. Habituellement, je m’habille comme cela uniquement lorsque je suis seule chez-moi, mais je crois qu’Isaac ne va pas s’en formaliser. Je l’entends me parler et retourne au salon pour le trouver installer sur le canapé. Il ne me faudra que quelques secondes pour le rejoindre. « Oui ça se passe très bien, je dois dire que ça me plaît plutôt bien ! » Plus les semaines passent, plus je me surprends à réellement aimer ce que je fais au cabinet Grimes & Hartman. « Je n’ai pas trop affaire aux clients, mais mes collègues sont très civilisés oui. Et tu sais très bien que personne ne t’arrive à la cheville mon Isy. » ajoutais-je en souriant avant de venir déposer un léger baiser sur sa joue. En me rapprochant de lui, je sens quelques élans d’alcool sur ses vêtements ce qui me fait froncer le nez. Je me recule quelque peu afin d’observer le visage de mon ami d’un peu plus près. Je n’avais pas réellement pris le temps de le regarder depuis son arrivée au bar et c’est seulement maintenant que je remarque ses traits tirés. Il est fatigué, épuisé même et je dois dire que cela m’inquiète quelque peu. « Mais toi Isy… Tout va bien en ce moment ? » Je connais le passé d’Isaac. Je sais qu’il a déjà attenté à sa vie. Il veille sur moi depuis années et j’ai le sentiment que c’est à mon tour de faire attention à lui. Un juste retour d’ascenseur. Doucement, ma main vient se poser sur son genou. « Tu sais que si tu as besoin de parler, je suis là hein ?! » Un léger sourire se dessine alors sur mes lèvres comme pour le rassurer. « Et tu es plus que le bienvenu pour rester ici ce week-end, ça me ferait du bien à moi aussi, je crois. » insistais-je de nouveau, ne voulant pas vraiment laisser Isaac seul.       

People marching to the drums, everybody's having fun to the sound of love. Ugly is the world we're on I'm stunned to find a place I belong.

Nous voilà arrivés à destination, ce dont je n'étais sincèrement aucunement fâché. En toute honnêteté, si Elora ne m'avait pas convié chez elle, j'aurais probablement directement emprunté le chemin de mon propre domicile pour m'y reposer, une fois l’avoir raccompagnée à son appartement. Le délicat cocktail d'alcool, de fatigue et de violence avait savamment raison de moi : j'étais davantage concentré pour garder pied à la réalité et tenter de calmer ma migraine que songer à ce que je fuyais d'ordinaire en m'enivrant. Je me postais à côté de mon amie qui dégainait sa collection de prospectus à la recherche de notre prochain repas, que je proposais de payer étant donné qu'elle offrait le toit et les divertissements cinématographiques. Je l'entendais me répliquer qu'elle pouvait payer puis suggérer une pizza, ce que j'approuvais d’un hochement de tête : « Pizza c'est parfait. Et je proposais de payer pour me sentir moins coupable que le bar ait fermé plus tôt. » Néanmoins, nous n'allions pas non plus débuter un débat sur qui sortirait le porte-monnaie pour le repas de la soirée. De plus, nous disposions toujours de nouvelles occasions d'offrir un verre ou un en-cas à l'autre, étant donné que je croisais régulièrement Elora au bar et à la fin de son service. J'enchaînais ainsi en lui demandant la permission de me servir un verre d'eau, ce qui fit bien rire la jeune femme. Elle m'invita à faire comme chez moi, un sourire amusé au bord de nos lèvres respectives, et j'attrapais un verre que je remplissais alors qu'elle m'annonçait partir se changer. « Ça marche, merci. »

Je terminais mon verre d'eau tout en balayant la pièce commune du regard et optais pour m'en servir un deuxième, persuadé que l'eau ne me ferait que du bien vu ma consommation antérieure et l'altercation récente. Je lavais ensuite le contenant que je reposais dans l'égouttoir et m'installais dans le fauteuil pour être rejoint quelques minutes plus tard par la Dawson que je questionnais sur son deuxième travail, celui qui s'apparentait davantage à sa vocation et correspondait à ses ambitions. Un sourire réjouit apparut sur mon visage alors qu'elle m'informait en toute franchise que son rôle d'assistante dans un cabinet d'avocat se déroulait sans embûches et lui plaisait plutôt bien. « C'est super ça ! Je suis content pour toi. » Je ris doucement lorsqu'elle me confirmait que ses clients étaient civilisés bien que ne m'arrivaient pas à la cheville. « Me voilà soulagé. Je ne suis pas encore détrôné. » La blonde appuya ses propos en déposant un baiser sur ma joue et après quelques secondes de silence, elle orienta la conversation sur ma personne. « Mais toi Isy… Tout va bien en ce moment ? » Mes traits s'assombrirent progressivement et je sentais Elora poser sa main sur mon genou, gage d'amitié et de soutien. « Tu sais que si tu as besoin de parler, je suis là hein ?! » Je le savais pertinemment, cependant, souvent par honte, je préférais bêtement conserver mes maux plutôt que de les exposer. Ça ne m'avait jamais rien apporté, si ce n'est des problèmes qui s'enveniment fatalement, et même si j'avais bien plus conscience depuis ma tentative de suicide que j'étais entouré de personnes prêtes à m'épauler et à qui je devais savoir demander de l'aide, cette démarche ne m'était pas encore acquise. Heureusement, j'avais des amis comme Elora qui me rappelaient régulièrement être à mon écoute. « Et tu es plus que le bienvenu pour rester ici ce week-end, ça me ferait du bien à moi aussi, je crois. » Je tournais un regard à la fois surpris et plein d'espoir vers mon interlocutrice, incertain de comment ma présence pouvait lui être bénéfique. Toutefois, je n'allais pas m'en plaindre et je pouvais facilement assimiler le fait que souvent, on a juste besoin de la présence de quelqu'un pour aller mieux ou aller bien. « C'est vraiment gentil, Elora. T'es une vraie amie. Merci de l’invitation. » Je reposais mon regard sur l'écran de télévision éteint, me mordant distraitement la lèvre inférieure. Mon rythme cardiaque s'accélérait alors que je confiais, l'alcool aidant à délier ma langue : « J'ai un peu l'impression de devenir fou. J'arrive pas à me sortir mon ex de ma tête. Du moins j'y arrive pas sobre. » Ce qui expliquait ma fâcheuse habitude de faire la tournée des bars dès que l'occasion se présentait. Je reconnaissais que mon jeu était dangereux, qu'un jour il risquait de m'arrivait de gros soucis dus à ce mode de vie. « Je peux rien faire, vraiment. J'y pense en permanence : à elle, à nous, à ce qui s'est passé, ce qui aurait pu se passer... Je fais la liste infernale de tout ce que j'aurais pu faire pour éviter la rupture. Je retrace l'histoire sans cesse en m'imaginant comment ça aurait pu être différent si rien qu'un détail changeait. » Je me pinçais les lèvres, marquant une pause. « Et je sais que c'est stupide et que ça sert à rien. Que ça changera rien. Et ça m'agace d'être comme ça à cause d'une fille, parfois j'ai l'impression d'être un ado en peine de cœur ou de devoir me justifier de pas être un ado en peine de cœur. » Je passais une main dans mes cheveux, désemparé. Le départ de mon ex fiancée, Chloe, relevait bien plus d'un chagrin d'amour. Il composait tous les sacrifices que j'avais fait au nom de notre relation, cette maison que j'avais achetée pour que nous puissions y fonder une famille - et qui maintenant me la rappelait perpétuellement -, tous ces projets et ces rêves qui s'étaient vu annihilés alors qu'à mes yeux, ils définissaient ma vie, lui procuraient un but. « Parfois j'aimerais bien, juste faire un truc sans penser à toute cette histoire. Mais c'est comme un choc, je peux rien faire sans que mon cerveau se ressasse tout. Je peux pas me concentrer sur quelque chose plus de deux minutes sans être noyé de nouveau dans les souvenirs ou le conditionnel de ce qui aurait pu se passer autrement. » Je passais une main distraite sur mon œil enflé, concluant, rejetant les éventuelles circonstances où Elora passerait une mauvaise fin de soirée à m'écouter me plaindre inutilement. « Enfin, c'est stupide, je sais. »

We're just swimming around in our glasses and talking out of our asses

Isaac & Elora

« Ne te tracasse pas Isy, je suis contente de rentrer tôt et il était temps qu’on ferme. » La soirée avait été plutôt longue et après cette altercation, je n’aurais plus eu la tête à travailler de toute manière. Il valait mieux que l’on ferme le bar plutôt que de risquer un nouveau dérapage. Je sais parfaitement que mon patron ne m’en voudra pas d’avoir fermé une plus tôt, il comprendra la situation. Je suis également plus rassurée d’avoir ramené Isaac avec moi. S’il avait préféré rester seul, je l’aurais simplement accompagné jusqu’à chez lui. Il est encore quelque peu en état d’ébriété, mais je vois bien que quelque chose ne va pas. C’est souvent le cas lorsqu’il finit par venir nous voir au bar. On en parle pas souvent, mais on connaît un peu tous son histoire et indirectement, on garde tout un œil sur lui lorsqu’il vient nous voir après avoir fait le tour des bars de la ville. Alors ce soir, on va finir par se faire une petite bouffe tous les deux et je compte bien le convaincre de rester avec moi jusqu’à demain. Je nous commande donc une pizza dans un petit restaurant du coin avant d’aller me changer pour être plus confortable. Je suis ravie de voir qu’Isaac, c’est installer lorsque je reviens dans le salon et rapidement la conversation démarre entre nous. C’est une chose que j’apprécie en compagnie de l’infirmier, il est toujours très simple de discuter. Cela nous vient sans se forcer et bien sûr toujours avec humour. « Ce serait quand même sacrément dur de te détrôner, tu sais. » lui dis-je en riant quelque peu. On en rit, mais je le pense vraiment. Sans le vouloir Isaac a pris une place importante dans ma vie depuis ce jour, il y a six ans, ou je suis arrivé couverte de bleu aux urgences. Petit à petit, il a fait sa place dans ma vie et je ne compte pas le remplacer de sitôt. D’ailleurs, je compte bien prendre soin de lui désormais. Il l’a fait depuis des années et il est temps que je lui rende la pareille. Encore une fois, je lui fais savoir qu’il peut rester aussi longtemps qu’il le veut, que je serais même ravie qu’il passe le week-end avec moi. Je connais plutôt bien Isaac désormais et je vois bien qu’il a du mal à croire que je puisse vouloir le kidnapper pour un week-end, mais je préfère ne pas insister. Il a beaucoup bu ce soir et il n’a pas forcément les idées claires. Néanmoins, je compte profiter un peu de son état d’ébriété pour le faire parler un peu. Je n’en suis pas forcément fière, mais si cela peut l’aider ne serait-ce qu’un tout petit peu. Une main posée sur son genou, je lui souris quelque peu, ne le forçant à rien. Pourtant, il semblerait qu’Isaac morde à l’hameçon et doucement, il commence à me parler. Je me doutais que cela était relié à son ex. Je ne connais pas l’histoire en profondeur, mais j’en sais assez pour savoir à quel point, il a souffert. Isaac en parle souvent lorsqu’il a trop bu alors à force, j’ai commencé à connecter les points ensemble. À de rares occasions il en parle sans forcément avoir un verre à la main, mais je ne pensais pas que cela le faisait encore tellement souffrir. C’est douloureusement que je l’écoute se confier à moi. Doucement, mon pouce dessine des petits cercles sur sa cuisse comme pour le rassurer, lui montrer que je suis là pour lui. Je reste un peu sans voix face à son aveu. Que lui dire ? Je ne peux que comprendre son besoin de tout ressasser, de se demander ce qu’aurait pu être les choses s’il avait agis différemment. Je ne cesse de faire la même chose depuis l’accident de maman. Et si je lui avais proposé de déjeuner avec moi ? Et si elle avait pris une route différente ? Et si je l’avais appelé deux minutes avant pour lui demander quelque chose ? Et si, et si, et si… On se laisse rapidement prendre à ce genre de jeu et c’est souvent ce qui fait le plus mal. Malgré tout, je veux qu’il s’enlève quelque chose de la tête tout de suite : « Ce n’est pas stupide Isy. C’est même normal, enfin, je pense… » lui dis-je en souriant quelque peu comme pour le rassurer. « Mais tu as raison, ressassé tout cela ne changera rien, malheureusement. » Je ne souhaite pas l’enfoncer loin de là, mais il est vrai que malheureusement ressasser les évènements du passé ne changera rien. Ce qui est fait est fait. Il a besoin de se reconstruire désormais même si cela risque de lui prendre beaucoup de temps. Je voudrais tellement pouvoir lui ôter tout sa peine, lui proposer une solution, mais j’en suis incapable. Tout ce que je peux faire, c’est me montrer présente pour lui, du mieux que je peux. « Je vais pas te raconter de bullshit Isaac, je pense qu’il n’y a pas de solution miracle. Il faut que tu fasses sortir tout cela, que tu ne le ressasses pas seul dans ton coin. » Une nouvelle fois, je lui souris quelque peu, ma main toujours posée sur sa cuisse. « Sache qu’avec moi, tu n’as pas à te justifier, je comprends vraiment enfin… Du mieux que je peux. » dis-je doucement. « Rien de tout cela n’est stupide. Elle faisait partie intégrante de ta vie, tu l’aimais et elle t’a trahie. Il n’y a pas de solution miracle, ça prend du temps, mais si tu as besoin d’en parler moi, je suis là pour t’écouter. Si tu as besoin de crier, de frapper quelque chose ou même de pleurer un bon coup, tu peux venir me voir. » Doucement, je me rapproche de lui pour venir embrasser sa joue tendrement. « Tu sais… Je passe mon temps à me demander ce que j’aurais pu faire pour éviter l’accident de maman… » En aucun cas, je ne cherche pas à détourner la conversation sur moi, mais j’aimerais lui prouver qu’il n’est pas le seul à se faire tout un tas de scénario en tête. « Mais je me suis rendu compte que ça ne changeait rien et que ça ne me ramènera jamais ma maman. » Je soupire quelque peu essayant de ne pas laisser les larmes me monter aux yeux comme c’est très souvent le cas lorsque j’évoque le décès de ma mère. Pourtant, ce n’est pas le moment de pleurer, je dois être présente pour Isaac. « Je ne veux te forcer à rien, mais on pourrait trouver des manières pour te faire évacuer tout cela une bonne fois pour toutes. »         

Dernière édition par Elora Dawson le Jeu 6 Déc 2018 - 0:31, édité 1 fois

People marching to the drums, everybody's having fun to the sound of love. Ugly is the world we're on I'm stunned to find a place I belong.

Une fois le repas déterminé et la commande passée, Elora m'avait invité à m'installer pendant qu'elle allait revêtir des vêtements plus confortables que ceux qu'elle mettait pour son service au bar. Je prenais ainsi place sur son canapé après m'être servi un verre d'eau et quelques minutes plus tard, la jeune femme s'assit à mes côtés. Je la questionnais sur son deuxième travail, celui qui s'apparentait davantage à sa vocation. J'étais rassuré et heureux de l'entendre me déclarer que son rôle d'assistante d'une avocate lui plaisait et que ses collègues et supérieurs étaient sympathiques, bien qu'aucun ne me surpassait jusqu'ici. Je soulignais ce dernier fait avec humour et ris légèrement lorsque la Dawson ajouta qu'il serait difficile de me "détrôner". « On ne sait jamais, je ne me repose pas sur mes acquis, » indiquais-je sur un ton léger et plaisantin. Puis, je remerciais sincèrement l'américaine de naissance pour son offre que je passe le week-end en sa compagnie. Je m'étais toujours naturellement entendu avec Elora, l'amitié était innée entre nous deux et je ne me souvenais pas avoir eu le moindre différend avec elle. Bien sûr, nous n'étions pas à l'abri des désaccords mais nous respections toujours les sentiments et l'opinion de l'autre, ce qui constituait sans doute la clef de notre affection.

Le conversation emprunta une tournure plus sérieuse quand je consentis à confier une partie de mes états d'âmes à mon interlocutrice. J'avais toujours eu un tempérament secret et privé. Il était rare que je parle de ce que je jugeais personnel et même à ma meilleure amie et confidente Noa, je ne disais pas tout. Comme si je n'assumais pas d'aller mal ou n'arrivais pas à décrire certaines émotions que je ressentais. Mais difficilement, je tentais d'expliquer à Elora que j'étais incapable de me sortir mon ex fiancée de la tête, si bien que j'avais le sentiment d'en devenir fou. Elle occupait mes songes et vivre à mon domicile aidait nullement. A chaque angle de chaque pièce, il me semblait la voir. Je pouvais imaginer des scènes où elle était protagoniste, ressasser des souvenirs la concernant incessamment. Et bien sûr, je ne contrôlais pas mon cœur d'être rivé vers elle. Il m'était devenu impossible de regarder la télévision, faire du sport, lire un livre, ou même manger sans qu'elle ne s'immisce dans mon esprit. Ce chagrin frisait l'obsession et vraiment, je n'osais en parler à personne, de peur que l'on me prenne pour un déjanté. Est-ce que les personnes souffrant d'une peine de cœur agissait ainsi ? Est-ce que leur ancien être aimé habitait perpétuellement leurs pensées ? Ou n'était-ce qu'une spécificité que je subissais ? J'étais rassuré qu'Elora estime ce comportement normal et appuie ma vision sur le fait que malheureusement, se remémorer ses peines révolues ne changeait rien au futur. Au jeu du conditionnel, on ne gagnait jamais.

« Je vais pas te raconter de bullshit Isaac, je pense qu’il n’y a pas de solution miracle. Il faut que tu fasses sortir tout cela, que tu ne le ressasses pas seul dans ton coin. » Je posais mon regard sur le profil de la jeune femme, attentif. Sa main demeurait sur ma jambe, gage d'amitié et de soutien. Elle m'assurait assimiler ce que je lui confiais et surtout, le fait que je n'avais pas à me justifier, ce qui représentait une véritable libération. Combien de fois avais-je eu la sensation de devoir des comptes à mes proches ? De devoir me forcer à raconter des éléments dont je ne voulais pas discuter parce que mon interlocuteur méritait de savoir ? Je me plaçais naturellement en personne redevable et le fait que quelqu'un me certifie ne pas attendre d'aveux ardus de ma part me soulageait indéniablement.

J'écoutais par la suite la barmaid développer son avis comme quoi mes émotions étaient légitimes du fait que mon ex fiancée, Chloe, avait fait partie intégrante de ma vie pendant plusieurs années pour me trahir en bout de ligne. Elle suggérait des méthodes pour « faire sortir tout cela » comme elle me l'avait évoqué précédemment et tristement, si je savais que des individus pouvaient excommunier leurs maux en hurlant, frappant ou pleurant, je ne désirais pas faire quoi que ce soit de tout cela. Par ailleurs, cette volonté de n'estimer aucun salut dans ces comportements me désolait. Encore une fois, j'avais l'impression d'être différent des autres et de ne pas répondre de la même manière à la peine. « Le problème, c'est que j'ai rien envie de tout ça, » avouais-je ainsi timidement à mon interlocutrice, une partie de mon être me jugeant de mauvaise foi malgré moi, avant qu'elle ne reprenne la parole pour m'expliciter à quel point elle comprenait ce que je ressentais. En effet, la mère d'Elora avait cruellement et brutalement perdu la vie récemment et un douloureux pincement au cœur s'imposa en moi alors que la jeune femme me décrivait sa propre route vers son deuil. La Dawson avait beaucoup de sagesse dans ses propos et façons de voir la vie, même si je percevais aisément son accablement. Tandis qu'elle soupirait, je passais un de mes bras derrière ses épaules pour l'enlacer doucement. J'étais incapable de trouver les mots justes pour consoler Elora, si jamais ils n'en existaient. Cependant, il était certain que je serai toujours là pour elle en toute situation, que ce soit pour l'écouter ou l'aider à franchir un obstacle, et j'avais œuvré pour le lui démontrer dès que j'en avais eu l'occasion. L'un de mes souhaits était que mon interlocutrice soit heureuse et épanouie dans sa vie, même s'il y aurait toujours ce vide laissé par sa mère. « Tu sais que t'es l'une des filles les plus fortes que je connaisse ? Être fort ça ne signifie pas ne jamais craquer néanmoins, c'est savoir toujours se relever. Et toi, t'as toujours su te relever. » Elle rejoignait cette catégorie de personnes dont la vie n'avait pas fait de cadeau et que même si elle s'était sentie dévastée et impuissante, elle était toujours parvenue à reprendre sa route et se battre pour son futur.

« Je ne veux te forcer à rien, mais on pourrait trouver des manières pour te faire évacuer tout cela une bonne fois pour toutes. » Un rictus apparut sur mes lèvres. Même si je considérais cette idée très judicieuse, je craignais que l'on ne cherche en vain. Probablement qu'une partie de moi-même avait tout bonnement perdu espoir ou simplement n'avait jamais accepté le fait que Chloe ne revienne jamais et que notre amour ainsi que notre histoire étaient définitivement terminés. « Le truc c'est que je crois que j'assume pas, tu sais. Et j'ai honte. » L'embarras de souffrir ainsi et de ne pas se remettre de ce que beaucoup considéraient comme un simple chagrin d'amour. Qui fait une dépression parce que sa fiancée le quitte ? Il y a des couples qui rompent après des décennies passées ensemble et jamais ils ne semblent si abattus lorsque leur chemin se divisent. Je savais qu'il y avait beaucoup d'autres facteurs qui m'avaient conduit à me sentir ainsi : le fait que beaucoup de personnes de ma vie dont j'étais proche avaient disparu brutalement, le fait que la personne que j'aimais éperdument avait su me mentir et me trahir pendant des mois, le fait que j'avais bâti tout mon futur vers une voie qui, finalement, s'était retrouvée brusquement barrée. Malgré tout, si je comparais mon désarroi, il me semblait moindre à celui d'Elora qui avait dramatiquement perdu sa mère. Je me sentais égoïste de me plaindre de Chloe quand il n'avait pas été question d'accident fatal dans ma relation. « J'ai toujours espoir qu'elle revienne, » avouais-je à demi-mot, l'alcool déliant fortement ma langue. Je savais que si le destin plaçait Chloe sur la même route que la mienne, beaucoup de mes proches désapprouverait le retour de la jeune femme. Néanmoins, malgré tous les maux que j'avais subi par notre rupture, je ne cessais de l'aimer. Et ainsi, pour chasser du mieux possible tous ces sentiments de honte, de tristesse, de désespoir et de colère, ces souvenirs de moments qui ne se répéteraient plus jamais, j'avais recours à l'alcool.

We're just swimming around in our glasses and talking out of our asses

Isaac & Elora

Sans que je n’aie le temps de comprendre le pourquoi du comment, le sujet de la conversation devient bien plus sérieux. Je connais Isaac depuis plusieurs années désormais et je ne l’ai vu se confier qu’à de très rares occasions. C’est bien pour cela que toute mon attention se tourne vers lui lorsqu’il commence à parler de ce qu’il ressent dernièrement et surtout lorsqu’il évoque son ex petite-amie. Chloé est véritablement un sujet tabou pour le jeune infirmier. Elle l’a réellement trahie et l’as complètement détruit. Je ne connais pas l’histoire de A à Z, mais j’en sais suffisamment pour savoir à quel point Isaac a pu souffrir à cause d’elle et combien il souffre encore. Je me doute que c’est probablement pour cela qu’il a fait la tournée des bars ce soir. Afin d’anesthésier ses pensées. C’est loin d’être la meilleure des solutions, mais comment lui reprocher ? On sait à quel point, il est facile de tout oublier pendant quelques heures grâce à la liqueur. Je ne suis pas là pour le juger bien au contraire et je fais d’ailleurs mon mieux pour le mettre à l’aise. Je suis assez surprise de le voir se confier de cette manière. D’un seul coup, il n’y a plus vraiment de barrière. Clairement, ce soir, l’alcool l’aide à se défaire d’un poids. Ne voulant pas l’interrompre, je le laisse parler librement, l’écoutant avec une attention sans faille. Il est souvent compliqué de trouver les mots pour apaiser ce genre de maux. Comment dire que je le comprends alors que je ne suis jamais passée par là ? Je n’ai jamais eu de peine de cœur, jamais eu de véritable relation amoureuse non plus. Alors je tente de me mettre à sa place, mais j’ai cette distance avec le sujet. Cependant, il est certain que je ne vais pas le laisser seul alors qu’il vient de m’avouer tout cela. Je prends le temps de réfléchir à ce que je vais lui dire et c’est avec une certaine tendresse que je tente de le rassurer, de lui donner de la légitimité dans ses sentiments. Je pense qu’il a besoin de tout cela, que quelqu’un l’écoute et cherche à le comprendre. Isaac semble résigner et cela me brise le cœur. Il ne sait plus comment s’en sortir et je me sens pratiquement impuissante face à lui. Comment lui dire que seul le temps pourra l’aider ? Il a baissé les bras et ne trouve pas de solution pour sortir la tête de l’eau. Ne sachant quoi dire, je me contente de serre ma main contre sa cuisse. Preuve que je suis présente pour lui malgré mon manque d’expression fasse à sa détresse. Je n’aime pas me retrouver sans voix, alors je tente de lui faire comprendre qu’il n’a pas à culpabiliser et que dans le fond certaines étapes de la vie nous force à passer par là. Je ne veux pas tout ramener à moi, mais je tente de le rassurer comme je le peux et ce qu’il me dit me touche réellement. Je reste quelque peu contre lui tandis que sa main se balade doucement dans mon dos. « Toi aussi, tu arriveras à te relever Isy. » dis-je doucement avant de me relever pour venir embrasser sa joue doucement. « Pour le moment, tu penses que c’est impossible, mais tu y arriveras. J’en suis persuadée. » Au fond, c’est tout ce qui compte : l’accompagner dans sa reconstruction.

Au fur et à mesure de notre conversation, je comprends que mon ami n’arrive pas à se faire à l’idée que Chloé ne reviendra pas dans sa vie. Je n’ose pas imaginer à quel point cela doit être dur. Après des mois, j’ai aussi souvent la sensation que maman va revenir à la maison, sans prévenir. Je commence à accepter la vérité petit à petit, mais cela va et viens par vague. Quelque peu perdue dans mes pensées, je sursaute presque lorsque Isaac m’avoue avoir honte de cette situation. Jamais je n’aurais imaginé qu’il en était à penser cela de lui. Foutue société qui fait croire que les hommes ne devraient pas être affectés par une rupture. Qui nous répète en boucle qu’il y a plus grave dans la vie ? Nous sommes tous affecter par des évènements qui ont leur propre gravité dans notre quotidien. Isaac a été bouleversé par sa rupture et en aucun cas, il ne devrait avoir honte de ne pas réussir à se relever. « Eh Isy… » dis-je doucement tout en me tournant vers lui afin de plonger mon regard dans le sien. À nouveau, je prends sa main dans la mienne. « En aucun cas, tu ne devrais avoir honte de quoique ce soit. C’est légitime d’être affecté, de penser qu’il n’y a pas de solutions, de se sentir submerger. Personne ne devrait te faire croire le contraire. » Soudainement, je me dis que je n’ai pas été assez présente pour lui et que cela va devoir changer. Il a besoin d’aide et de soutien. « Cela t’a affecté d’une manière que personne ne pourra jamais comprendre et ceux qui te dise que tu n’as aucune légitimité à être triste et dépassé par cela sont de véritable abrutit ! » On se compare toujours aux autres et de plus en plus dans notre société actuelle malheureusement. « Tu as le droit d’être perdu Isy, c’est même normal. Tu ne devrais pas penser le contraire. » ajoutais-je tout en lui souriant quelque peu. Une nouvelle fois, je lui propose de l’aider à extérioriser tout ce qu’il garde au plus profond de lui et le couperet tombe. Il aimerait qu’elle revienne ou tout du moins, il garde l’espoir. Tant qu’il pensera comme cela, il ne pourra jamais passer à autre chose malheureusement. « Je comprends Isy. » Je comprends parce que cet espoir m’a tenu en vie pendant des mois. Pourtant, je ne parlerais pas de moi. À l’instant présent seul mon ami compte. Pendant quelques minutes, je ne dis plus rien, mes pensées s’enchaînant à 100 à l’heure tout d’un coup. « Et si… » Je m’arrête une seconde et relève la tête vers lui. « Bon clairement crier tout ça c’est pas pour toi et je peux comprendre, mais… Et si… Tu écrivais un peu ? Tu vas peut-être trouver ça idiot, mais j’ai souvent lu qu’écrire tout ce que l’on ressent sur un bout de papier avant de le brûler pouvait aider à se libérer en quelque sorte. » Dis comme cela, je trouverais presque cela stupide également, mais j’aimerais réellement trouver une solution pour le brun. « On pourrait le faire ensemble ou tu peux essayer tout seul si tu préfères. » Je vois le regard qu’il me lance et rit un peu. « Ou pas. » Je ne veux pas qu’il croie que j’insiste et qu’il a forcément besoin d’être aidé, de se soigner ou quoi. « Excuse-moi… Je me mêle probablement de ce qui me regarde pas, mais je suis comme ça. J’aimerais réellement t’aider, tu sais. Tu as tellement fait pour moi et… Tu mérites de te libérer de tout cela et d’être heureux Isy. »         

People marching to the drums, everybody's having fun to the sound of love. Ugly is the world we're on I'm stunned to find a place I belong.

Installé sur le canapé de l'appartement d'Elora, le cœur à vif, le regard tantôt vide, sa présence pour me rappeler à la réalité et m'épargner un échouage dans mes songes bafoués, c'est timidement que je continuais de me confier comme jamais je n'avais osé réellement le faire. L'affection que j'avais pour Elora s'était développée rapidement, le courant avait passé naturellement entre nous deux et nous nous étions rencontrés à des périodes de notre vie où il nous semblait légitime d'être présents pour s'épauler. Je gardais toujours un œil sur la Dawson, ayant endossé un rôle s'apparentant à celui d'un protecteur, bien que je reconnaissais encore ce soir que la blonde composait l'une des personnes les plus fortes mentalement que j'ai eu à rencontrer dans mon histoire. « Toi aussi, tu arriveras à te relever Isy, » qu'elle m'assure, appuyant ses propos d'un baiser sur ma joue. Un sourire en coin étire mes traits fatigués et comme si elle lisait dans mes pensées, je l'entends clamer ces dernières : « Pour le moment, tu penses que c’est impossible, mais tu y arriveras. J’en suis persuadée. » Ma mâchoire se crispe discrètement, mon regard brille davantage. C'est dans ce genre d'instant que l'on réalise le poids des mots ainsi que la puisse dont ils sont dotés. Parfois, il ne suffit que d'une poignée d'entre eux pour toucher en plein cœur, dessiner la vérité avec fiabilité. Mon interlocutrice devine que je me sens au point mort sur ma route, que bien souvent, j'ai du mal à mettre un pied devant l'autre vers la bonne humeur et le moral. Mais elle assure sa croyance en ma réussite à me relever, elle l'annonce sans filtre ni doute, et ceci me suffit pour me donner espoir, me procurer de la force.

Je dévoile davantage mes sentiments vis-à-vis de ma rupture avec mon ex fiancée. Chloe constituait un sujet des plus tabous de mon existence. Jamais au bar n'avais-je su l'évoquer et si ce soir j'étais aussi loquace, c'est parce que je me sentais en confiance avec Elora et que j'avais assez bu d'alcool pour anesthésier mon orgueil. Celui-ci ressortait toutefois, récalcitrant, lorsque je lui expliquais le sentiment de honte qui me tétanisait continuellement. Je n'assumais pas l'étiquette de l'homme abattu par un chagrin d'amour, tout comme je n'acceptais pas entièrement le fait que ma relation avec Chloe ait connu son terme, ce que je m'entendais confier à demi-mot.

Quelques secondes de silence nous étreignent pendant lesquels mon regard passe nonchalamment de la télévision à la table basse puis à nos pieds. « Eh Isy… » m'appelle finalement la Dawson qui se tourne vers moi de manière à ce que nos regards se croisent sans difficulté. « En aucun cas, tu ne devrais avoir honte de quoique ce soit. C’est légitime d’être affecté, de penser qu’il n’y a pas de solutions, de se sentir submerger. Personne ne devrait te faire croire le contraire. » Le pire, dans l'histoire, c'est que fréquemment, j'ai le sentiment que mon pire ennemi est moi-même. Que je conserve cette voix constante qui me rabaisse, dénigre mes sentiments, m'humilie, me ridiculise. Je n'avais pas besoin du courroux ni de l'aigreur des autres qui m'apportaient généralement que leur soutien et leur amitié : je disposais de cette toxicité envers ma propre personne qui détestait purement qui j'étais en ce moment et la vie que je menais. J'entends Elora me certifier que j'avais le droit d'être perdu, que c'était même normal de se sentir égaré en de tels temps et que surtout, je ne devrais pas penser le contraire. J'inspire profondément, les mots justes de la jeune femme réussissant à nouveau à panser parfaitement les maux exposés, les plaies ouvertes à découvert. « Je comprends Isy, » qu'elle me semble terminer, un fin sourire reconnaissant apparaissant sur mon visage. Je savais qu'elle comprenait. Même si elle n'avait peut-être pas vécu une rupture amoureuse en tant que tel, elle savait cruellement ce qu'était de perdre quelqu'un, de sentir son monde bouleversé, dépeuplé. Jamais je n'aurais l'indécence de comparer ma rupture avec le drame qu'avait subi la Dawson, mais en aucun cas ne doutais-je qu'elle assimilait le mal que je lui relatais. « Je sais, » j'adresse ainsi, avant de poursuivre en toute sincérité et gratitude : « Merci d'être là. De m'écouter. De savoir quoi dire. »

Je croise son regard et le silence s'installe de nouveau entre nous deux. Des minutes paisibles, presque nécessaires à absorber nos derniers échanges, qui prennent fin quand la barmaid enchérit avec une nouvelle idée : écrire pour se libérer. Je l'écoute, incrédule, confus, tant qu'elle s'en met à rire légèrement. Je souris face à ce dernier et l'écoute s'excuser, me décrire sa volonté de m'aider, de me rendre en quelque sorte la pareille. « Tu mérites de te libérer de tout cela et d’être heureux Isy, » Je conserve mon sourire avant de certifier : « T'as pas à t'excuser et je te suis très reconnaissant que tu veuilles m'aider. Tu es une vraie amie et ce n'est pas te mêler de ce qui te regarde pas. Je te dis tout ça parce que je le veux et parce que je pense que tu veux bien l'entendre » Le regard que je lui lance tente de s'assurer qu'elle approuve toujours la tournure de cette conversation, parce que si elle en a marre et préfère dévier vers un autre sujet ou une autre activité, je le respecterais totalement. Je ne voulais absolument pas déprimer Elora ni la mettre mal à l'aise. Mais puisque cette idée d'écrire persiste tout comme sa volonté de m'aider à aller mieux, je prononce : « Et je veux bien essayer. Tu as de quoi écrire ? »

Quand Elora revient avec deux crayons et du papier, je pose une feuille sur la table basse du salon et m'installe au pied du canapé afin d'être à la hauteur du meuble pour pouvoir écrire convenablement. J'inspire profondément, mon regard passant de la feuille vierge à la blonde. « On écrit à qui ? A soi ? » Je questionne, ne saisissant pas encore totalement le concept. Je pouvais essayer de rédiger ce que je ressentais sur cette feuille, qui était vouée possiblement à être brûlée comme l'avait suggéré Elora. A ce rappel, deux souvenirs me venaient. Le premier étant la dernière fois où j'avais relaté mes émotions, ma détresse, mon désespoir et aussi mon amour inconditionnel pour Chloe au sein de cette lettre, enfermée je l'imaginais dans mon dossier médical. Une missive abandonnée sur le comptoir de ma cuisine, clamant la sombre vérité que j'attentais à mes jours, tirant pour mes secouristes une véritable sonnette d'alarme. Je me demandais si Elora s'était un jour douté que j'avais été admis à l'hôpital pour avoir désiré mettre fin à ma vie, si elle le savait. Ou si comme Itziar, elle l'ignorait. Le deuxième souvenir, dans tous les cas, était cette soirée que j'avais passé avec Arthur, celui qui avait su appeler les secours et avait réduit à néant mes plans funestes. Celui avec qui j'avais brûlé une partie de mes souvenirs de Chloe : des photos, des écrits, des babioles qu'elle ne voulait plus et dont je pensais sain me défaire ainsi.

« J'ai déjà brûlé des trucs qui me la rappelaient avec un ami, » je renseigne Elora sans raison particulière, si ce n'est que faire le lien entre son idée et cet agissement que cet ancien feu que j’avais embrasé. « Ça a aidé, » j’estimais. Ne plus croiser ces babioles représentant de réelles hantises. Les effacer de mon présent, de mon quotidien. M'en défaire à tout jamais. Le stylo plane, hagard, au-dessus du papier, puis inscrit maladroitement quelques chiffres, quelques dates, à défaut de sentiments. « Elora ? » je sollicite son attention et une dose de mon courage, avant de finir par questionner, l'alcool toujours bien présent dans mon sang : « Tu t'es déjà demandé... » Je marque une pause, tapotant la feuille de mon crayon, et recommence : « Tu as remarqué que je venais plus au bar ? En mars/avril ? »

We're just swimming around in our glasses and talking out of our asses

Isaac & Elora

Lorsqu’il avait débarqué au bar un peu plus tôt, me sauvant de mon boulet de la soirée, jamais je n’aurais imaginé que nous finissions notre nuit comme cela. Tout doucement, Isaac se confie à moi. Comme il ne l’avait jamais fait auparavant. Je me doute que l’alcool l’aide grandement à se libérer, mais je suis heureuse de voir qu’il me fait confiance au point de me parler de tout cela. Jamais je n’avais vu Isaac aussi fragile. Je l’ai connu en tant que professionnel de santé. Il a été un pilier pour moi lors de mon hospitalisation, cette force tranquille et rassurante qui faisait tout pour m’aider à me sentir mieux. Puis, je l’ai revu au bar transformant alors notre relation en amitié. Là encore, Isaac me semblait être un homme fort, qui aime plaisanter et surtout qui est toujours présent pour son prochain. Jamais je ne l’avais vu aussi brisé, au bord du gouffre, à bout de souffle face à une situation dont il ne sent plus maître. Alors tout doucement, je l’aide à se confier tentant de le rassurer du mieux que je peux. Je me sens maladroite dans mes paroles, j’ai l’impression de réciter des clichés et pourtant petit à petit, il semble se détendre un peu. Comme un ballon de baudruche que l’on relâcherait par à-coups. Il me remercie de l’écouter et je secoue quelque peu la tête. « Tu n’as pas à me remercier Isy. C’est normal. » lui dis-je tout en continuant à lui sourire tendrement. Après tout ce qu’il a pu faire pour moi, je lui dois bien cela. Il a clairement besoin de se confier alors si je peux être cette épaule sur laquelle il peut se reposer le temps d’une soirée, cela me convient. Pour autant, je vois bien que parler n’est pas suffisant pour lui. Qu’il a besoin de plus. Il a clairement besoin de se libérer d’un poids une bonne fois pour toute. Je sais parfaitement qu’il ne pourra pas oublier son ex copine en un claquement doigt, cependant, peut-être qu’il pourrait amorcer un début d’éloignement. La laisser partir petit à petit. Un pas après l’autre. Alors je laisse le silence nous englober tout en cherchant une solution, quelque chose qui pourrait l’aider un peu plus. Je ne veux pas m’imposer, il doit pouvoir avancer à son rythme, mais je ressens le besoin de lui proposer ces éventuelles solutions. Je lui explique et puis je m’excuse comme embêter de vouloir tellement l’aider. Un sourire se dessine sur son visage et me soulage immédiatement. Le fait qu’il me qualifie de véritable amie me fait chaud au cœur. « Je fais cela parce que tu es mon ami Isaac et bien sûr que je veux entendre tout ce que tu as à me dire. Tu n’es pas tout seul, même si je semble dire des choses bien basiques, je suis là pour toi. » lui assurais-je à nouveau afin de lui confirmer ses pensées. Bien entendu que je me soucie de ce qu’il a à dire et je serais prête à l’écouter tant qu’il aura besoin de moi.

Tout doucement avec un air quelque peu septique néanmoins, il accepte ma proposition d’écrire ses pensées afin de les laisser s’envoler ailleurs. On m’en avait parlé après le décès de maman et pourtant, je ne l’ai jamais fait. Alors lorsqu’il me demande si j’ai de quoi écrire, je saute sur l’occasion et par dans ma chambre chercher des stylos et quelques feuilles blanches. On s’installe à même le sol, le dos contre le canapé, notre feuille bien étalée sur la table basse du salon. Un peu hébétées, nous hésitons un moment avant qu’Isaac ne prenne la parole, posant à haute voix la question qui tournait dans mon esprit. « Je pense que tu peux t’écrire à toi ou à quelqu’un d’autre. Tu peux écrire à ton toi du passé, ton toi du futur, à Chloé, à qui tu veux… Tant que cela te soulage. » dis-je doucement faisant tourner mon stylo entre mes doigts. Il ne me faudra que quelques secondes pour savoir à qui je vais bien pouvoir adresser cette lettre. « Je vais écrire à maman. » lui avouais-je dans un léger murmure. Il y a énormément de choses que j’aimerais dire à ma mère. Des petites choses que je n’ai jamais dit de son vivant et surtout tout ce qui chamboule ma vie actuellement. Alors, je prends mon stylo et commence à rédiger quelques lignes. Ce qui me vient en tête, sans réfléchir. Je laisse les mots sortir par eux-mêmes. À mes côtés, Isaac semble hésiter. Une nouvelle fois, il se confie à moi, me disant qu’il avait déjà brûlé des affaires appartenant à Chloé et cela l’avais aidé. Tandis que je relève la tête de ma feuille de papier pour lui sourire, je le vois commencer à gribouiller quelques mots sur son papier.

Pendant quelques minutes, nous nous perdons dans notre bulle tout en étant conscient de la présence de l’autre. Isaac m’interpelle et je pose mon stylo lui donnant toute mon attention. « Oui ? » Soudainement, il semble bien plus nerveux. Comme prêt à me faire un aveu. Je dois dire que sa question me déstabilise quelque peu. Je fouille dans mes souvenirs remontant à cette période qu’il évoque. Bien sûr que je me souviens de son absence, il ne venait plus du tout au bar. Puis tout doucement, il a commencé à revenir, son beau sourire aux lèvres. « Oui… Oui je me souviens. Pourquoi ? » demandais-je alors un peu inquiète soudainement. « Je me souviens m’être dit que tu avais probablement besoin d’un peu de temps pour toi. » À l’époque, je ne connaissais pas tous les détails de son histoire amoureuse. Je savais que Chloé était partie et je savais quel impact cela avait pu avoir sur mon ami. Je l’avais vu boire de trop pendant certains soirs comme il le fait encore parfois. Alors j’avais pensé qu’il avait eu besoin d’espace, de temps pour lui. Pourtant, en analysant le regard d’Isaac, j’ai soudainement la sensation que c’était bien plus que cela. « C’était pas ça ? » lui demandais-je alors quelque peu inquiète. Je dépose mon stylo sur ma feuille et me tourne de nouveau vers lui sentant qu’il avait probablement besoin de se confier encore un peu plus.