(c) harley & lonelywolfgifs

there's got to be more, been here before.

@ZOYA LEWIS & JAMES

(janvier 2024, Paris.) Leurs locaux parisiens connaissaient une effervescence familière en cette semaine de Fashion Week, donnant presque l'impression que cette semaine n'avait rien de bien différente de toutes celles qui avaient déjà vu rayonner le nom Weatherton au cœur de la capitale française. Pour James, pourtant, tout aurait cette fois-là un goût bien différent et ce qui était habituellement suivi de festivités aussi grandioses que mémorables le laisserait sans doute avec le cœur aussi lourd qu'à son arrivée, rien n'ayant cette semaine la capacité d'alléger la peine incommensurable qui lui serrait le cœur. Avant-hier encore, il apprenait la mort de son père après des semaines à avoir cru qu'il le reverrait et que la vie pourrait enfin reprendre son cours normal, et depuis c'était comme s'il se contentait de jouer une partition pour continuer de se mouvoir et ne pas simplement s'effondrer. Il savait ce qu'on attendait de lui, il vivait le même ballet depuis maintenant des années sans s'en plaindre un seul instant, tout comme il savait qu'il n'y avait pas la moindre place pour l’apitoiement lorsque vous présentiez comme lui le fruit de plusieurs mois de travail à des yeux aussi critiques qu'impitoyables. Cette fois ne pourrait pas être différente des autres, peu importe à quel point il voudrait simplement disparaître quelques heures, s'écrouler pour ne plus penser à rien ou noyer sa peine au fond d'un verre d'alcool fort – un réconfort qui aurait nettement aidé quelques mois plus tôt mais qui se trouvait être cette fois complètement exclus. Autant dire que ça n'aidait pas, ça non plus. « La nouvelle n'a pas encore été rendue officielle, j'apprécierais que vous fassiez preuve de discrétion. » Au téléphone avec l'un des avocats qui les représentaient Cristina et lui dans de nombreux domaines voilà maintenant des années, James s'efforçait de rappeler que la mort de son père n'avait pas encore été rendue officielle et que par conséquent, un minimum de personnes se devaient d'être mises dans la confidence jusqu'à son retour. « On sait tous les deux que c'est ce que mon père aurait voulu, Nigel. » Qu'ils ne laissent pas cet événement tragique voler la vedette à leur semaine à Paris et à la collection que ses équipes étaient fières de présenter après plusieurs centaines d'heures d'un travail acharné. Il avait toujours été beaucoup trop humble pour vouloir éclipser qui que ce soit, Norman, et James savait que ça valait aussi – et surtout – pour le travail de son fils.

« Les obsèques auront lieu à mon retour. On a déjà fixé la date. » Et il dut prendre sur lui pour ne pas que sa voix se brise et trahisse le déferlement de tristesse que cette seule pensée raviva chez lui, rien n'étant à cet instant plus abominable que de s'imaginer les yeux rivés sur le cercueil de son père lorsque celui-ci disparaîtrait dans les entrailles de la terre. Il n'était pas le moins du monde préparé à supporter cette vision, James, alors peut être bien que ça l'arrangeait aussi quelque part de pouvoir repousser toutes ces questions de seulement quelques jours. Ainsi le couturier avait le loisir de se plonger dans le travail et d'oublier – tenter, du moins – que rien ne serait plus pareil, désormais. A commencer par lui. « Je vais profiter de mon voyage à Paris pour prévenir ceux qui voudront assurément être là. Donatella a la langue bien pendue mais je sais qu'elle gardera ça pour elle jusqu'à ce que nous l'ayons officiellement annoncé. » Mademoiselle Versace ferait évidemment partie des invités d'honneur, au même titre que tout le gratin de la mode et d'une partie du show business, où un homme aussi sociable et admiré que Norman avait forcément noué de nombreuses relations. Beaucoup penseraient peut être que leur présence à tous serait avant tout une marque de politesse, une manière pour le milieu de saluer la vie et l’œuvre d'un des plus grands noms que la mode ait connu, mais tout au fond de lui James savait qu'ils viendraient surtout rendre hommage à l'homme qu'ils avaient tous connu. Et ça venait peut être adoucir rien qu'un peu l'idée que la prochaine fois qu'il se retrouverait entouré de tout ce beau monde, ce serait en des circonstances bien plus douloureuses. Pris dans des pensées subitement plus accablantes, l'anglais s'appuya fébrilement contre l'une des tables de leur atelier parisien, notant seulement lorsqu'il se redressa la tête qu'une silhouette familière se tenait debout à quelques mètres de là. « Nigel ? Je dois vous laisser. Le travail m'appelle. » Lorsque ses yeux rencontrèrent finalement ceux de Zoya et qu'il songea à ce qu'elle avait peut être entendu de cette conversation, le ventre du créateur se noua bien malgré lui. Il n'avait pas l'intention d'avoir cette discussion avec qui que ce soit d'autre qu'Auden et les rares personnes qu'il n'aurait pas d'autre choix que de prévenir maintenant qu'il était ici. Il n'avait pas l'intention de le faire avant d'y être absolument obligé, pensant jusque là avoir pris toutes les précautions pour ébruiter la nouvelle le moins possible. Dans l'état qui était le sien, il avait semble-t-il réussi à commettre une erreur là où ça l'horripilait plus que tout déjà d'ordinaire. « Ça fait longtemps que tu es là ? » Il demanda alors, reposant au même moment son téléphone sur la table.

(c) harley & lonelywolfgifs

there's got to be more, been here before.

@ZOYA LEWIS & JAMES

Ce n'est pas dans ces conditions que James pensait mettre fin à ce coup de fil, l'arrivée de Zoya et l'idée qu'elle ait potentiellement assisté à cette conversation changeait forcément ses plans. S'il pensait avoir pris suffisamment de précautions en s'isolant dans son atelier parisien, force est de constater qu'il n'avait pas assez tenu compte des allées et venues inévitables durant cette semaine charnière pour tout le monde. « Suffisamment pour avoir compris. » Elle confirma ainsi son intuition, celle qu'il avait nourri au moment où son regard avait croisé celui de la jeune femme et où il lui avait semblé percevoir une lueur différente, indiquant qu'elle avait probablement entendu ce que son avocat et lui s'étaient dit. « Je vois. » Son ton était fataliste, mais pas contrarié. Il aurait préféré que la nouvelle de la mort de son père reste un secret pour un maximum de personnes jusqu'au dernier moment, mais il se doutait qu'il prendrait des risques en se rendant à Paris comme s'il pouvait aussi facilement cacher une chose qui l'atteignait aussi intimement. « J'imagine que ça m'apprendra à décrocher sans vérifier que les lieux sont complètement vides. » Il ironisa ainsi, sa silhouette s'affalant un peu plus sur le coin du plan de travail où il était assis, épuisé tant physiquement qu'émotionnellement par le voyage et le décalage horaire, qui se faisaient d'autant plus ressentir dans son état de vulnérabilité actuel. « Je ne dirai rien à personne » - « Merci. » Elle avait sans doute déjà compris qu'il y avait une raison pour qu'elle n'ait pas été officiellement informée du décès de Norman, et il lui était reconnaissant de ne pas le souligner et de simplement promettre qu'elle garderait le secret. « Je suis sincèrement désolée, James. » Ces mots, James se préparait à y avoir communément droit à partir de maintenant, et alors que d'ici quelques jours tous ceux qui n'étaient pas encore au courant apprendraient pour son père. Ça le désespérait d'avance, de savoir que tous ceux qui croiseraient dorénavant sa route se sentiraient obligés de lui présenter ses condoléances, pour autant il n'en voulait pas à Zoya de compatir. Elle prenait cette peine quand rien ne l'y obligeait, peut être parce qu'elle aussi se souviendrait de Norman comme d'un homme bienveillant qui faisait toujours bonne impression autour de lui.

Il l'avait vu s'approcher sans pour autant avoir été capable de prédire le geste qu'elle initierait ensuite, son corps se crispant par réflexe lorsque la brune fit un pas supplémentaire pour venir enrouler ses bras autour de lui. Une étreinte que James accueillit avec sa réserve habituelle, peu habitué à ce genre de contacts et plus encore de la part de quelqu'un avec qui il n'était pas intime, quand bien même il devait reconnaître apprécier l'esprit vif et l'audace qui caractérisaient Zoya. Elle ne pensait pas à mal, et c'est ce qu'il tâcha de se répéter au moment où il s'autorisa finalement à se détendre quelques peu, relâchant les épaules et se surprenant même à fermer les paupières un court instant. « Je ne peux imaginer ce que ça doit être. » - « Je... » C'est peut être bien à cet instant qu'il songea que ça ne l'étonnait pas vraiment, au fond, que Zoya puisse être du genre tactile, là où lui était précisément tout l'inverse. Elle avait toujours dégagé cette chaleur communicative et semblait capable de nouer du lien partout où elle allait, peu importe qui elle avait face à elle. Quelque part, et même s'il se sentait incapable de l'avouer, c'était peut être bien ce dont il avait besoin, à cet instant précis. « Je suis pas encore vraiment certain de réaliser. Je pensais que c'était le cas, mais ça paraît encore tellement irréel. » Il souffla, incapable de dire quand il prendrait définitivement conscience de ce qu'impliquait la mort de son père, de ce modèle absolu qui avait indirectement influencé tant de ses choix et qu'il s'était évertué toute sa vie à rendre fier. S'il n'y avait pas Weatherton et cette passion viscérale qui le maintenait debout dans chaque épreuve que la vie lui réservait, sans doute qu'il aurait l'impression de devoir se trouver un nouveau but. Apprendre à vivre avec le fantôme de l'unique figure parentale qu'il ait jamais connu, déjà, serait un véritable challenge à long terme pour lui.

« Est-ce que…  est-ce que tu veux en parler ? » Incertain de ce qu'elle était réellement prête à entendre, mais aussi de vouloir faire peser ce poids sur les épaules de Zoya, James se résolut à rester le plus factuel possible, songeant qu'il y avait des détails que tout le monde n'avait pas nécessairement besoin de connaître et qu'une part de lui voulait aussi garder pour lui. « Je l'ai su juste avant notre départ pour Paris. J'ai tenu à honorer ce voyage parce que je sais que c'est ce qu'il aurait voulu. » Parce qu'elle pourrait légitimement s'étonner qu'il ait tenu à être du voyage malgré tout, qu'il en ait même eu la force. La vérité, c'est que sans Millie et Auden pour veiller à ce qu'il tienne bon et puisse espérer se reposer entre deux obligations, il se serait probablement effondré depuis longtemps. Le ton de sa voix, si différent de l'assurance que Zoya lui avait toujours connu, le lui indiquerait mieux que quoi que ce soit d'autre. « Ils sont encore certains de rien, mais ils pensent que c'est arrivé le jour-même du passage de la tempête. Qu'il n'y avait déjà plus rien à faire quand... on était tous à sa recherche. » Cette seule pensée brisa quelque chose de plus en lui, ses yeux embués se perdant quelque part dans le vide de la pièce lorsqu'il reprit, la voix écrasée par l'émotion. « Désolé, j'ai un peu de mal à en parler. » Parce qu'une part de lui continuerait à s'en vouloir terriblement de ne pas avoir senti tout de suite ce qui était arrivé à son père. Qu'il était incapable d'accepter l'idée qu'il ait pu rester dans cette voiture, dans ce lac, durant tout le temps où James croyait encore à la possibilité qu'il se soit simplement mis à l'abri quelque part. C'était ça, qui lui était au fond insupportable. « Je vais devoir te demander de garder ça pour toi jusqu'à notre retour, on tient à contenir la nouvelle jusque là. Mon père mérite que ceux qui l'ont connu puissent le pleurer dans un moment mieux choisi. » La Fashion Week n'était pas le moment propice pour cette annonce, et il refusait aussi bien l'idée d'endeuiller le travail de ses équipes que de priver son père d'un moment qui lui soit consacré. A lui et à lui seul. « Tu crois que tu peux faire ça ? » Elle avait proposé d'elle-même de garder le secret, sans doute le pourrait-elle quelques jours de plus. Loin des ordres qu'il donnait d'habitude, c'était ni plus ni moins qu'un service qu'il lui demandait.