Edward peut évidemment la sentir, cette nouvelle nuit de chasse qui se profile et promet de tourmenter sa conscience que le dernier siècle écoulé a déjà considérablement malmené. C'est incroyablement long quand on ne se sent pas à sa place et que la barbarie de ses pairs se heurte à des instincts qu'il combat bien plus qu'il n'écoute pour sa part, aussi forcé soit-il de ravaler tout ce qui ne ferait pas de lui un vampire digne de ce nom. Son cœur d'humain est intact, derrière cette seconde peau dont il n'a au fond de lui jamais voulu. « Il semblerait que ce soit buffet à volonté ce soir encore, mes amis. » Un soir de plus à faire couler le sang en ville, un soir de plus à voir s'enchainer les victimes... et un soir de plus où Edward aimerait se trouver une excuse, quand bien même James finira par ne plus en croire aucune. « La confusion règne partout en ville. Les proies seront aussi nombreuses que les autres soirs mais nous, nous devons œuvrer intelligemment pour garder cet endroit sûr pour nos semblables. » Confus, Edward l'est aussi lorsque les paroles de son créateur lui inspirent étrangement plus de sympathie pour ces pauvres proies que pour ses congénères aux canines pointues, tant il supporte de moins en moins l'idée de tels massacres. Il faut bien se nourrir oui, mais lui y parvient en s'en prenant à un minimum d'innocents, c'est donc que cela est possible. « Edward. » Son nom qui retentit lui vaut aussitôt d'être foudroyé d'un regard dont James a le secret et qui, même après tout ce temps, parvient encore à le faire frissonner. « Tu viens avec moi. » Ce n'est bien sûr pas une option et Edward ne se fait déjà aucune illusion, intégrant que sa fuite ne pourra pas s'opérer cette fois avec la surveillance accrue de son créateur.

Il retient un soupir qui ne ferait qu'aggraver son cas et ne détourne pas non plus le regard, bien qu'il soit très peu enchanté par le programme qui lui sera imposé ce soir. « Tu as manqué plusieurs de nos rassemblements, je me suis dit que tu avais besoin que l'on te rafraîchisse la mémoire sur ta place au sein du clan. » Ce discours n'annonce rien de bon, il le devine au ton employé comme s'il pouvait oublier que James l'a aussi bien sauvé que condamné, à l'époque où la peste était prête à l'emporter sur son lit de mort. « Vois-tu, les autres s'interrogent. Certains se méfient. » Certains qui auront préféré confier leurs doutes à son créateur plutôt qu'à lui, bien sûr, car il semblerait que les autres aient des choses à dire lorsqu'il s'éloigne pour mener sa propre chasse. Il n'aime pas vraiment ça Edward, aussi bien de faire l'objet de commérages que de sentir l'étau se resserrer sur lui car bientôt, il sera forcé de tuer devant eux pour prouver qu'il n'est pas différent. « Je connais ma place James, bien plus que tu ne le crois. » Et sa place était en l'occurrence parmi les humains, autrefois. C'est encore d'eux dont Edward se sent le plus proche, pas de ses semblables en qui il ne se retrouve pas. « Cette nuit t'offre l'opportunité de réaffirmer ta loyauté envers les tiens. » Au risque que ces derniers ne le considèrent comme un intrus sans doute, ce qu'Edward a de toute façon déjà la sensation d'être. Son regard toujours ancré dans celui de James, il ose prononcer des mots qui ne seront pas ceux que l'on attend de lui car son ressentiment à l'égard d'un destin trop lourd à porter ne date pas d'hier. Son créateur a jusqu'ici vu sans réellement voir, mais il devra également l'entendre cette fois. « Ma loyauté ? En massacrant à tout-va, comme si toutes ces vies ici-bas ne comptaient pas ? » Comme s'il n'avait pas un pincement au cœur chaque fois que des innocents sont arrachés à ce monde ? Comme si tuer était aussi facile, quand on ne l'a jamais fait par plaisir ? « Je n'ai pas envie de faire ça James, pas comme ça. » il ajoute en sentant son cœur inévitablement s'alourdir, rien qu'en songeant aux autres d'ores et déjà en train de sévir. « Ça n'est pas moi. » il finit par souffler, avec un sentimentalisme qui lui sera bien évidemment reproché.

« Parfait. Dans ce cas tu ne verras aucun inconvénient à chasser à mes cotés, ce soir. » Des inconvénients, Edward en voit en réalité tout un tas alors que sa soirée, il préfèrerait grandement la passer à traquer les plus sombres criminels peuplant cette ville. Leur sang n'est pas moins appétissant, et leur perte promet quant à elle d'être bien moindrement déplorée. Mais ce n'est pas ce qui est prévu pour lui, dans une configuration des choses qui semble bel et bien lui être imposée alors que sa loyauté, Edward aimerait la prouver de bien d'autres manières. « Ne dis pas de sottises, bien sûr que leurs vies importent. Sans eux, nous mourrions tous de faim. » Et c'est évidemment la nuance à laquelle il aurait pu s'attendre, ces pauvres mortels n'ayant aux yeux de son créateur de l'importance que pour leur servir de repas. C'est leur sang qui l'intéresse, quand Edward rechigne de son côté à les voir comme les proies qu'ils sont pourtant censés être. « Et ma vie importait elle aussi, ou je n'étais qu'une recrue intéressante pour gonfler nos rangs ? » Sa pauvre mère a eu confiance en ce pseudo guérisseur et n'a finalement jamais revu son fils, on raconte même qu'Edward possède une tombe à son nom dans le village qui l'a vu naitre.

Ce n'est pas lui, non. Il l'affirme face à son créateur dont le rire paraît alors frapper la pièce d'un vent glacial, un rire qu'il n'est jamais bon d'entendre par ici. « Mon pauvre Edward. Tu crois que combattre ta nature te rend différent de nous, mais ça te rend juste faible. » Il faut croire qu'il se moque d'être faible alors, si cela peut au moins le rendre un peu moins cruel. Son cœur est trop pur pour cette vie de vampire, à tel point qu'Edward rendrait même son immortalité et le reste sans hésiter s'il le pouvait. « Ces humains pour qui tu compatis tant, sais-tu ce qu'ils nous feraient s'ils avaient l'occasion de nous renvoyer d'où l'on vient ? » Cette fois, c'est lui qui se fend d'un rire tout aussi peu joyeux tandis qu'il refuse d'être mis dans le même panier que les autres, comme s'il n'était pas de loin le plus humain. « Je ne demande que ça James, de retourner d'où je viens. Ma vie était peut-être condamnée mais tu me l'as quand même arrachée. » Et ses accusations sont lourdes, au point de peut-être même le rendre ingrat, mais il n'aurait jamais voulu que l'on repousse sa mort annoncée s'il avait seulement su pour quelle destinée il serait ensuite forcé de signer. « Crois-tu que ton sort leur importerait ? Non, ils ne te verraient que tel que tu es : un tueur, comme chacun de nous. » Cette étiquette, Edward n'en veut pas et c'est avec fermeté qu'il se prend à la repousser : « Je ne suis pas comme vous ! » Il s'accroche tout du moins à l'idée qu'on ne pourra jamais changer ce qu'il a été et se persuade encore d'être, comme s'il n'avait pas passé plus de temps à se nourrir de sang qu'à mener sa simple existence humaine. Deux longs siècles contre vingt-quatre courtes années. « Aucun de tes états d'âme ne changera plus le sang que tu as fait couler. » S'il exècre plus que tout ce qu'il entend, Edward s'efforce de retrouver son calme pour chercher une solution à un problème qui n'en détient aucune. « James, il y a des humains profondément mauvais que nous pourrions attaquer, des criminels sans scrupules qui volent même parfois nos proies. » Puisque certains sont aussi des meurtriers, simplement d'une autre espèce, et que leur place est autant en prison qu'au cimetière. « Il est encore temps d'épargner les autres. » Les innocents, ceux qui ne font de mal à personne dans ce monde mais concernant le temps supposément devant eux, les effroyables cris qui se font au loin entendre semblent déjà le contredire.

les p'tits dés:

« Crois-tu que j'offre à n'importe qui le privilège de nous rejoindre ? J'aurais pu t'ôter la vie et t'abandonner à ton sort, mais j'ai perçu un potentiel en toi. » Ce refrain, Edward le connait par cœur pour l'avoir maintes fois entendu durant les deux derniers siècles. S'il n'a aucun mal à croire que James a effectivement décelé en lui le potentiel dont il parle, il n'en a pas moins l'impression d'avoir été épargné pour de mauvaises raisons. « Je t'ai fait don de l'immortalité et de la beauté éternelle, et tu voudrais retourner à une vie brève et misérable ? Je t'ai sauvé, Edward, ne l'oublie pas. » Comment pourrait-il l'oublier alors que James ne cesse de le lui rappeler ? Cette vie misérable lui plaisait avant que la peste ne s'en mêle, il était un humain que peu de choses pouvaient satisfaire et surtout, il n'avait pas le moindre sang sur les mains. Quant à ce reflet qu'il croise tous les jours sans que le temps n'affecte ce dernier, il y a bien longtemps qu'Edward ne se prend plus à l'admirer. « Tu sais combien je me fiche de rester jeune et beau, et qu'à mes yeux l'immortalité ne sera jamais un cadeau. » Parce que cela le condamne à une vie de chasse immorale et qu'il n'est pas sans pitié comme ses semblables, pour qui une vie arrachée ne constitue rien de plus qu'un repas.

C'est parce qu'il ne se retrouve pas dans ce qui les anime qu'Edward ne veut pas y être associé, alors même que certains étaient eux aussi de simples et purs humains avant d'être transformés. Est-il donc le seul dont la conscience et le cœur soient intacts ? Si oui, il ne perçoit pas comment il pourrait ne pas se sentir doublement perdant. « Répète ça devant eux et je te garantis qu'ils demanderont ta tête. » Et n'est-ce pas un peu ce qu'il recherche, parfois ? Edward n'en sait rien en vérité, mais prétendre qu'il ne souffre pas d'une existence de vampire dont il se sent prisonnier serait mentir. Parfois, l'envie lui prend de tout tenter pour conjurer son sort et briser ce dernier, incapable d'accepter que cette nouvelle vie puisse être la sienne pour l'éternité. « C'est ce qu'il faut pour que tu te décides à accepter ta nature ? » Une nature qu'Edward ne cessera jamais de combattre, peu importe que ses mots n'inspirent rien d'autre qu'un rire à son créateur, moqueur au possible. « Combien de temps au juste crois-tu tenir en débarrassant exclusivement cette ville de ses criminels ? » C'est un problème qui finira bel et bien par se poser et Edward en a conscience, car viendra un moment où les proies restantes seront forcément innocentes. La grande majorité le sont déjà, et se nourrir restera pour toujours un besoin à assouvir, y compris lorsque ces criminels ne seront plus assez nombreux pour lui servir d'alternative. « Il y aura toujours les animaux, la plupart ne sont pas simples à approcher mais nous aurions tort de sous-estimer leur sang. » tente-t-il sans y croire beaucoup plus, et cela parce qu'il finira à force par causer l'extinction de certaines espèces en faisant d'elles ses proies prioritaires. Idéalement, Edward préfèrerait ne pas devoir dépeupler des forêts entières.

« Des chasseurs. » fait alors remarquer James tandis que de terribles cris parviennent à leurs oreilles, depuis le fin fond de la nuit. « Ils vont s'occuper d'eux. Nous, nous devons nous assurer que d'autres ne sont pas en chemin. » Ce nous le ferait presque déjà soupirer par principe si Edward ne réalisait pas l'ampleur de la situation, car l'intervention des chasseurs n'est pas une menace à prendre à la légère. « Mais, Edward. » Le regard et l'expression de son créateur annoncent à eux seuls la couleur de l'avertissement qui va lui être adressé. « Je te tuerai de mes propres mains si j'apprends qu'il sont là par ta faute. » Des soupçons, encore et toujours. S'il est évident que son clan doute à présent de lui, le peu de confiance que semble désormais lui vouer James le secoue un peu plus encore. Et cela, alors que son seul tort a jusqu'ici été d'entreprendre une chasse un peu plus juste de son côté. « Tu as ma parole que je n'y suis pour rien. » affirme-t-il, sans détourner un seul instant le regard au risque que cela puisse signer sa culpabilité. Peut-être bien qu'il a entendu deux de ses congénères parler un peu trop librement de cette nuit de chasse la fois dernière mais cette information, Edward n'a pas le temps de la communiquer qu'un chasseur fait déjà irruption pour faire de lui sa cible. James le capture avant même qu'il ne puisse pour sa part réagir, certain pourtant que son arme ne l'aurait pas manqué. « Tu vois, tu n'es pas différent de nous autres pour eux. » En à peine quelques secondes le chasseur s'effondre sous les crocs de son créateur tandis qu'Edward est bien forcé d'avouer qu'une fois de plus, ce dernier l'a sauvé. C'est ce qui l'oblige à présent à lui obéir, le temps d'une nuit où il devra lui aussi faire couler le sang d'innocents dans cette ville, qu'importe ce que tout ça devra lui coûter. Il doit bien ça à James, même si cela le tue de l'admettre.