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« James ? Voilà la sélection définitive. Si on a votre aval, on les contacte sur le champ. » Le créateur quitta son prototype des yeux pour les poser sur deux des employés en charge de l'élaboration de la prochaine grosse campagne signée Weatherton, où leurs créations textiles ne seraient cette fois pas les seules à se retrouver mises en avant. C'est en effet vers une toute nouvelle collection de fragrances que les projecteurs seraient ici braqués, un nouveau défi que James prenait tout particulièrement à cœur, lui qui assumait de plus en plus son ambition d'actualiser toujours davantage l'image de la marque. Les concepts devaient être toujours plus novateurs sans jamais trahir le style de la Maison, et pour ça il n'y avait rien de plus accrocheur que l'image influente d'une égérie qui inciterait n'importe quel consommateur à se ruer dans la parfumerie la plus proche pour se procurer leur dernière création. Sous ses yeux : les photos de la poignée de candidats retenus par ses équipes dans cette première étape de sélection, et dont James avait pris le temps d'étudier attentivement le profil. « Hm, je suis pas convaincu par la première. Elle dégage rien, son chien lui vole la vedette sur toutes ses photos et vous connaissez pourtant mon amour des chiens. » Et sa préférence assumée pour les chats, en l'occurence. S'il comptait vendre une gamme de stylos bille, probablement qu'elle ferait très bien l'affaire, mais pour Weatherton elle n'avait même pas le minimum de charisme requis et ça n'était pas un point sur lequel ils pouvaient faire des concessions. « Le dernier non plus, il fera pas l'affaire. Il a le regard vitreux, je sais pas si c'est parce qu'il a rendu son dernier repas ou parce qu'il est complètement stone, mais ça expliquerait que sa dernière série ait fait un four. » Un type incapable de faire illusion sur une simple photo ne pouvait pas espérer convaincre qui que ce soit pendant neuf épisodes de quarante-deux minutes. « Personnellement il me donnerait pas envie d'acheter quoi que ce soit. Et après avoir épluché son compte instagram je doute qu'il ait seulement porté une seule chemise de sa vie. » Et ça la foutait assez mal, quand bien même cette fois ce sont bien des parfums qu'ils comptaient lancer : Weatherton n'en était pas moins l'une des plus anciennes et illustres institutions de mode australiennes, ils laissaient volontiers ce genre de playboys à Abercrombie & Fitch. « Et il a créé la polémique la semaine dernière en... » - « Okay, vous me le dégagez. Et contactez les autres. » Ils se passeraient bien d'un scandale, quel qu'il soit.

Les quelques autres profils sélectionnés ne leur avaient heureusement réservé aucune mauvaise surprise, et ce après avoir missionné des experts d'éplucher le moindre de leurs posts sur les réseaux sociaux et de passer au peigne fin la moindre de leurs fréquentations. Weatherton prônait des critères éthiques et moraux particulièrement stricts – l'une des conditions pour bénéficier de l’appellation Haute Couture et du prestige qui allait avec – alors ils n'avaient pas de temps à perdre avec du damage control. Et pour s'assurer que les sélectionnés n'étaient pas seulement de jolis visages capables de susciter l'émoi sur les réseaux sociaux mais qu'ils avaient aussi des choses à dire, un esprit vif et de la personnalité, c'est James en personne qui les recevait pour s'en faire une idée encore un peu plus précise. L'un de ceux qui leurs avaient le plus tapé dans l’œil, justement, venait semble-t-il d'arriver et de passer l'étape du contrôle de sécurité. Eddie Yang, danseur talentueux dont le physique avantageux s'était déjà retrouvé sur des panneaux publicitaires, était en tous points un candidat idéal aux yeux du créateur. Qu'il ait posé pour une marque de glaces jouait même étonnamment en sa faveur aux yeux de James, qui voyait en lui un profil plus inattendu et rafraîchissant que tous les autres, pourtant loin d'être incompatible avec le prestige inévitablement associé à ce genre de campagne. En fait, pour s'être intéressé de près à lui, il lui semblait capable de toucher une audience particulièrement large de part son background justement très diversifié. « Bonjour. » Son regard rencontra celui du danseur lorsque James troqua les étages supérieurs pour le hall d'entrée, où il le salua d'une poignée de main vigoureuse. « Bonjour, Eddie. Vous êtes ponctuel, c'est bien. » Et si maintenant qu'ils se retrouvaient face à face les traits de son visage lui revenaient avec exactitude et lui rappelaient que leurs routes s'étaient déjà croisées à plusieurs reprises, il prit soin de ne pas s'attarder sur la question puisque de toute manière, ça n'était pas pour ça qu'il était ici. A vrai dire, il n'avait fait le lien avec Halston qu'en le voyant en chair et en os. « Je ne sais pas vraiment ce que je fais ici, pour tout avouer. » Il pouvait le voir à son regard, qu'il ne savait pas tout à fait dans quoi il avait mis les pieds et à quelle sauce on le mangerait aujourd'hui. « Mais vous êtes venus quand même. » James souligna, un fin rictus au coin des lèvres, plutôt satisfait de constater qu'il avait été suffisamment curieux pour répondre à l'invitation, il est vrai quelques peu énigmatique, qui lui était parvenue. « Détendez-vous, c'est pas un piège. La personne qui vous a contacté sur instagram est restée évasive parce qu'on préférait vous donner tous les détails lors de cette rencontre. » Pour un millier de raisons, la principale étant qu'il avait besoin de le rencontrer pour le juger digne d'intérêt ou passablement inintéressant, et qu'il ne servait à rien de tout lui dire avant d'en avoir eu l'occasion.

L'invitant à le suivre tandis qu'ils alignaient quelques pas jusqu'aux ascenseurs, James laissa tout le loisir à Eddie de se familiariser avec les lieux. Weatherton avait installé ses quartiers dans un immeuble ancien du quartier d'affaires, dans un bâtiment d'un attrait certain et dont James avait tenu à garder le charme d'antan, en hommage à son grand-père. « Cet endroit a été fondé dans les années 60 par mon grand-père. Je dirige son atelier et son département artistique. Ça inclus nos collections et nos différentes campagnes. Vous en avez sûrement déjà vu un aperçu quelque part en ville. » Les affiches ne manquaient pas de pulluler aux quatre coins de Brisbane chaque fois qu'une nouvelle campagne voyait le jour, toujours dans des endroits réputés pour être particulièrement stratégiques. Difficile de passer à coté. « En ce moment Weatherton recherche des artistes capables d'incarner un état d'esprit dynamique, créatif et contagieux, et que la jeune génération pourrait prendre pour modèle. Et votre profil nous a tapé dans l’œil. » Il ne lui disait pas encore pour quoi, ni ce qu'il espérait précisément éclaircir grâce à cette rencontre, préférant jauger sa réaction et se faire une première idée de ce que ça lui inspirait potentiellement, comme première ébauche.

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Il était toujours ravi de faire son petit effet, James, et il ne donnait pas rendez-vous à ses interlocuteurs dans ce grand hall par hasard. Il aurait été tout aussi agréable d'inviter Eddie à manger un morceau dans le bistro le plus proche, mais le créateur tenait bien trop à ce qu'il en prenne plein les yeux. Tout autour d'eux, les murs exposaient fièrement les réussites de cette entreprise familiale dont le créateur ne pourrait pas être plus fier, des premières années de Weatherton sous l'égide de son grand-père à ses plus récents exploits. C'était comme une manière pour lui de transmettre l'idée que quiconque franchissait ces portes seraient entre les meilleures mains qui soient : après tout, la réputation irréprochable de la Maison n'était pas près de se tarir. « À vrai dire, je me demande qui n'a jamais vu l'une de vos campagnes dans ce pays. » Un petit sourire satisfait fendit le coin de ses lèvres, alors qu'ils prirent ensemble la direction des ascenseurs. « Je dois admettre qu'il est toujours satisfaisant de lever les yeux n'importe où en ville et de constater que notre équipe marketing mérite chaque centime que nous lui versons. » Il ne le nierait pas, un sentiment de fierté s'emparait de lui chaque fois qu'il avait de nouveau la preuve que l'aura de Weatherton continuait de briller aussi fort des décennies après sa création et voyait son succès traverser les époques. « Je ne suis pas certain de tout comprendre, qu'entendez-vous au juste par incarner ? » Il avait piqué sa curiosité. Parfait, c'était exactement son intention. « Et si je vous disais, devenir l'un des visages que tout le monde pourra justement admirer sur ces affiches que vous voyez partout ? » Son regard rencontra le sien sans qu'il n'ajoute quoi que ce soit, pour le moment, désireux de jauger sa réaction et de voir si un soupçon de panique ou bien d'intérêt s'y reflétait en premier lieu. Eddie ignorait à quelle sauce il serait mangé, en arrivant ici, et peut être n'imaginait-il rien de cette ampleur. « Bien sûr, je suis flatté de savoir que mon profil vous intéresse et pour être tout à fait honnête, mettre les pieds dans une maison aussi prestigieuse que Weatherton a de quoi intimider. » Le contraire l'aurait sûrement surpris et même, probablement un peu déçu. Pas parce qu'il espérait à nouveau que ce qu'il verrait l'épaterait, mais parce qu'ils recherchaient des profils capables de se fondre dans cet univers sans pour autant donner l'impression d'en faire entièrement partie. Des visages auxquels n'importe qui pourrait s'identifier et vers qui il se sentirait en même temps immanquablement attiré. Pour cette campagne, c'est sur l'authenticité qu'ils comptaient miser. « Ne croyez surtout pas que j'essaie de me vendre, mais j'ai participé au défilé des créateurs du Pride Month en 2021 et à cette occasion, j'avais pu porter l'une de vos créations. Une chemise tirée de votre collection pink satiny, je l'ai d'ailleurs toujours en ma possession. » Finalement, un soupçon de surprise éclaira le regard de James, qui plissa les yeux un instant pour l'observer. Là, il secoua la tête comme si une illumination lui était parvenue. « Vous étiez là, oui, je crois m'en rappeler. J'ai salué énormément de monde ce jour-là mais je me souviens que vous aviez défilé avec votre amie. » Il n'oubliait pas facilement les visages, James, c'était une qualité précieuse dans son métier. « Et aujourd'hui vous voilà ici. Le monde est petit, n'est-ce pas ? » Et leurs routes, elles, semblaient destinées à se recroiser.

Rejoignant le couloir qui menait droit à son bureau, James invita Eddie à l'y suivre et désigna ensuite l'un des fauteuils pour qu'il se mette à l'aise. « Je vous en prie. » Ils seraient bien mieux pour discuter qu'au beau milieu du hall ou au détour d'un couloir où les oreilles avaient vite fait de train – ce qu'ils se diraient entre ces murs n'avait théoriquement rien de secret pour quiconque travaillait chez Weatherton, mais James préférait ne pas s'avancer tant qu'il ignorait encore l'issue que connaîtrait cette entrevue. Et par nature, il était toujours relativement méfiant. « Je vous sers quelque chose à boire ? » A cette heure-ci, lui opterait pour un café, mais il pouvait lui trouver tout ce qui pourrait lui faire plaisir. James aimait prendre soin de ceux qu'il recevait ; il avait peut être bien l'étoffe d'un homme d'affaires, au fond, et quoi qu'il en dise. Alignant quelques pas autour du bureau, il annonça finalement. « Comme je vous l'ai dit, Weatherton recherche les nouveaux visages de sa prochaine campagne publicitaire. Seulement cette fois, c'est notre toute nouvelle collection de parfums que nous comptons promouvoir. » Pas de vêtements, donc, mais des créations d'un autre genre qui feraient bientôt elles aussi l'ADN de la marque. « Des fragrances exclusives qui seront commercialisées pour la prochaine Saint-Valentin. » Une date particulièrement stratégique et qui n'avait pas été choisie au hasard. L'idée, c'était bien évidemment que tout un chacun se précipite dans la parfumerie la plus proche pour offrir à sa ou son bien-aimé(e) un exemplaire d'une de leurs nouvelles fragrances. « Notre parfum signature, Elixir, s'est classé parmi les meilleures ventes à l'international sur ces deux dernières années. Aujourd'hui, nous cherchons à faire encore mieux et à proposer une gamme à laquelle chacun pourra s'identifier. » Une gamme toujours synonyme de prestige mais qui soit dans le même temps accessible au plus grand nombre. A la fois élégante et abordable. Innovante et intemporelle. « Est-ce que sur le papier, l'idée vous séduit ? Je suis conscient que ça peut faire beaucoup d'informations d'un seul coup. » Il ne lui forcerait pas la main. Son profil les intéressait et il avait la conviction que ce qu'il dégageait s'accorderait parfaitement avec l'esprit de ces fragrances, mais ce n'était pas exactement une proposition anodine et James savait qu'en ayant gardé un certain mystère jusqu'à l'heure de ce rendez-vous, elle avait forcément un coté inattendu et potentiellement déstabilisant. Et même dans le cas où sa curiosité serait piquée, Eddie avait certainement beaucoup de questions.

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« Je vous répondrais que l'idée me paraît folle, mais qu'elle m'intéresse aussi. » Il ne connaissait peut être Eddie que depuis quelques minutes, tout du moins officiellement, mais James n'en attendait probablement pas moins de lui. Parce qu'il avait étudié longuement son profil, qu'il s'était fait une idée plutôt précise du professionnalisme dont il pouvait faire preuve dans la danse et en dehors et qu'il avait dressé de lui un portrait qui n'attendait que d'être complété davantage, mais qui lui faisait déjà dire qu'il prendrait cette opportunité au sérieux. « J'aurais été assez surpris que ça ne vous semble pas un peu fou, pour être tout à fait honnête. » Il lui semblait plutôt terre-à-terre, du genre à fréquenter plus souvent la scène d'un théâtre ou le parquet d'une salle de danse que les studios photo d'une Maison de Haute Couture, et c'était exactement pour cette raison qu'il était ici. James savait reconnaître quelqu'un que cet endroit impressionnait sincèrement. « C'est assez difficile à imaginer sans en attraper le tournis, vous campagnes sont tellement.. » - « Grandioses ? Inoubliables ? » Oh, il n'avait pas la plus petite once de fausse modestie en lui, James, parfaitement conscient du prestige renvoyé par Weatherton et du talent de leurs équipes. Leurs campagnes avaient toutes profité d'un important succès à travers le pays comme à l'étranger, devenant à leur tour des piliers de la modernisation de la marque avec les années, si bien que le département de parfumerie n'avait cessé de s'étendre. Ils étaient le visage-même de la mode australienne à l'étranger et ce depuis maintenant des décennies. « Nous soignons énormément leur élaboration. J'aime penser qu'elles reflètent tout autant Weatherton que les créations que nous présentons pendant nos défilés. » A l'échelle de la marque, sans le moindre doute, quand bien même lui ne gérait que les aspects artistiques de ces campagnes et n'éprouverait jamais de plus grand plaisir et de plus grande fierté que ceux de créer les collections de demain entre les murs de son atelier. « C'est exact, mon amie avocate était avec moi. » A présent, tout lui revenait un peu plus précisément et James comprenait cette impression de déjà vu éprouvée lorsqu'il avait accueilli le jeune homme. « Je me souviens, oui. Et pourtant mes équipes sont parties de zéro lorsqu'elles ont du sélectionner des profils pour cette campagne. Le votre est simplement sorti du lot. » Il se rappelait l'avoir trouvé photogénique sur les quelques clichés qui avaient immortalisé le show, à l'époque, mais les choses en étaient restées là. Certaines routes semblaient vouées à se recroiser tôt ou tard.

« Je veux bien un verre d'eau, merci. » James acquiesça avant d'aligner quelques pas hors du bureau et jusqu'à la fontaine à eau siégeant d'un coté du couloir, réapparaissant après quelques secondes pour tendre son verre à Eddie. Lui opta plutôt pour un café, sans que ça n'ait rien de tellement surprenant – mais c'était toujours mieux que ce qu'il se serait peut être servi s'il avait été seul, cependant. « Oh, je devine que la période de lancement a été choisie pour une raison bien précise. » Eddie semblait du genre futé, à se questionner sur les bribes d'informations que James partageait avec lui pour se faire une première idée de la direction que prendrait cette campagne, et ça lui plaisait. « Certains disent que la Saint-Valentin est une fête commerciale. Je dirais surtout que c'est le moment idéal pour susciter des envies de cadeaux au sein des couples. » Il était marié lui-même et ne faisait jamais l'impasse sur cette fête, peu importe que les sentiments qui les animent sa femme et lui aillent au-delà d'une dimension amoureuse et trouvent leur origine dans une fascination respective, un respect absolu et une loyauté sans faille. Aussi ironique que ce puisse être, leur mariage était certainement plus solide que beaucoup de ceux qui se persuadaient que l'amour faisait le plus immuable des ciments. « Cibler Noël nous aurait forcé à accélérer les préparatifs et avec la Fashion Week de janvier, je n'aurais pas pu me concentrer suffisamment sur cette campagne. De cette façon, je vais vraiment pouvoir y consacrer du temps. » Il n'était pas là pour lui cacher des choses et de son point de vue, Eddie méritait de savoir qu'il était un homme occupé mais qu'il mettrait tout en œuvre pour accorder à cette campagne le temps et les moyens qu'elle nécessitait. « C'est assez énorme oui, j'avoue que je ne réalise pas encore très bien ce qui me tombe dessus mais.. c'est aussi très flatteur, forcément. » Comme il le lui avait dit, il espérait que cette offre ne le laisserait pas de marbre, convaincu que quelqu'un qui ne se sentirait pas un tout petit peu dérouté en mettant un pied dans ce monde ne saurait pas renvoyer une image suffisamment accessible à leur cœur de cible. « Est-ce que votre nouvelle collection de parfums porte déjà un nom ou c'est une information gardée secrète pour le moment ? » - « C'est effectivement une information confidentielle à ce stade, mais je peux déjà vous dire que l'idée est de lancer une trilogie de parfums raffinés, intemporels, déclinés au masculin et au féminin. » Les concepts et leurs maquettes étaient pratiquement finalisés à l'heure qu'il est, à quelques modifications près qui opéraient toujours jusqu'au dernier moment. « La campagne publicitaire s'étendra à plusieurs pays ainsi qu'aux réseaux sociaux. Vos proches feraient donc bien de s'habituer à voir votre visage partout si vous acceptez. » Il précisa, l'esquisse d'un sourire entendu au coin des lèvres, préférant ne pas faire de mystère à ce sujet et parce que la médiatisation de cette campagne était un détail qu'Eddie ferait mieux de considérer au moment de faire son choix.

« Et est-ce que je suis censé faire des essais photos, ce genre de choses ? » A première vue, n'importe quel professionnel pourrait dire que sa photogénie ne faisait pas le moindre doute et qu'un visage comme le sien n'aurait aucun mal à vendre une fragrance – tout comme à peu près n'importe quoi d'autre, en réalité. Pour autant, ils ne laissaient pas ce genre de détails au hasard. « C'est prévu, oui. Si vous êtes intéressé, vous rencontrerez nos équipes pour des tests photos et vidéo, et ça nous permettra de confirmer si votre profil est bien celui qu'on recherche. » Les shootings le mettraient en conditions et lui donneraient aussi une première idée de l'ambiance qui serait recherchée, ainsi ça l'aiderait sans doute aussi à confirmer sa décision ou à la révoquer. Une fois tout le monde sur la même longueur d'ondes et le contrat signé, il ne serait plus temps de revenir en arrière. « J'imagine que le procédé ne vous est pas totalement inconnu, de part votre métier de danseur et votre collaboration avec... Häagen-Dazs, c'est bien ça ? » Il s'était évidemment renseigné et savait qu'il n'en serait pas à son premier contrat ; avoir pu poser un regard objectif et critique sur le résultat de ladite campagne n'avait fait que le convaincre qu'Eddie avait ce qu'il fallait pour transmettre l'esprit de ces fragrances. Il dégageait simplement trop de charisme pour se contenter de promouvoir des crèmes glacées.

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« Je n'aurais pas pu le croire si on me l'avait dit ce matin. » Il semblait sincèrement impressionné et ça avait presque quelque chose de touchant, sans que James connaisse encore précisément son parcours ou le milieu duquel il était issu. Peut être le monde du luxe et celui de la mode lui étaient-ils parfaitement étrangers parce qu'il n'avait pas l'occasion de s'y intéresser étant plus jeune, ou peut être qu'il n'était pas particulièrement attiré par cet univers au départ mais qu'il n'avait jamais fermé la porte à l'idée d'en découvrir plus. Dans un cas comme dans l'autre, il semblait intéressé par ce qu'il avait autour de lui et pour James, c'était déjà au moins la certitude qu'ils n'avaient pas fait d'erreur de casting en le convoquant. « Vous allez finir par me faire croire au destin vous savez, mais je ne regrette pas d'avoir donné suite au message de vos équipes. » Il avait été presque étonné que ça ne lui ait pas pris davantage de temps pour réfléchir avant d'accepter ce rendez-vous, et puis il s'était souvenu qu'Eddie avait déjà fait ça et qu'il savait probablement qu'il lui serait toujours possible de décliner leur offre par la suite. Il était venu s'entretenir avec James et en découvrir plus sur la campagne pour laquelle son profil avait été sélectionné, mais il restait libre de partir sans donner suite à sa proposition. Il était peut être difficile de refuser quoi que ce soit à l'anglais, mais il n'avait jamais retenu quiconque contre sa volonté.

« Avec tous ces événements autour de la mode, je comprends que le planning puisse être serré. Et j'avoue avoir également besoin de m'organiser avec mon travail de danseur car trouver du temps ne sera pas un problème, bien sûr, mais Noël aurait également été un peu juste. » - « Je comprends, oui, ça nous semblait effectivement plus simple pour tout le monde d'attendre le début d'année. » Même en ayant plusieurs semaines devant eux pour tout prévoir et tout organiser, l'échéance des fêtes de fin d'année aurait été trop juste et il lui aurait fallu se dédoubler pour pouvoir assurer chacun de ses engagements. La priorité restait les préparatifs de la Fashion Week de janvier tant qu'il leur restait du travail et c'est dans un deuxième temps qu'il pourrait enfin entièrement se consacrer à l'élaboration de cette campagne, sur laquelle beaucoup d'intervenants bûchaient déjà à temps plein. Ils n'auraient pas entrepris de convoquer de potentielles égéries si ça n'était pas le cas. « On organisera un gala de lancement pour cette campagne, je vous dirai quand et où en temps voulu et l'idéal, ce serait que vous puissiez vous libérer. Mais nous n'y sommes pas encore. » Il veillerait à le prévenir suffisamment tôt pour qu'il puisse s'organiser, ça va sans dire, mais ils n'en étaient pas encore là et si tout lui semblait pointer dans la bonne direction, Eddie n'avait pas encore officiellement signé son contrat. Il partait donc du principe que rien n'était encore acté et que si le danseur semblait bel et bien intéressé, tous ces détails seraient à prévoir dans un second temps. « J'aime beaucoup l'idée et votre façon d'en parler, on peut dire que vous savez rendre les gens curieux. » Il ne le nierait pas, entendre ce genre de choses flattait toujours son ego et lui rappelait que son travail et ses efforts ne passaient jamais inaperçus, même quand la plupart des personnes autour de lui jugeaient qu'il en était déjà suffisamment conscient pour ne plus qu'on le lui répète. C'était un tort et James n'avait jamais autant eu besoin de reconnaissance que ces derniers temps, alors que son quotidien reposait sur un équilibre plutôt fragile et que le boulot lui permettait plus que jamais de se recentrer sur ses priorités et de se maintenir à flot. « Ça fait aussi partie de mon métier. » Pas de parler comme un commercial, mais de vendre du rêve. Parce que James ne se considérait pas comme un commercial, justement, laissant ce genre de choses à d'autres et se satisfaisant pleinement de gérer la partie purement créative – ce qui ne l'empêchait pas de savoir parfaitement de quoi il parlait et d'avoir tous les éléments en sa possession quand il devait fournir ce type de précisions. « Je ne devrais pas avoir besoin de beaucoup réfléchir, entre nous. » N'importe qui se voyait toujours offrir le temps de la réflexion mais la plupart du temps, James et ses équipes s'étaient assurés d'avoir balayé leurs doutes et de leur avoir donné plusieurs très bonnes raisons de signer avec eux. Ce genre de contrats ne pouvaient pas reposer entre les mains du hasard ; tous les partis avaient bien trop à gagner dans cette histoire.

« Je suis intéressé, bien sûr. » Un sourire satisfait apparut alors sur les lèvres du créateur, qui se redressa sur sa chaise au moment de souffler. « Vous m'en voyez ravi. » Ravi, parce que c'était évidemment l'issue qu'il attendait pour cette rencontre et parce qu'Eddie n'était pas leur premier choix pour rien. Ils avaient bien d'autres candidats en ligne de mire et qu'ils veilleraient à rencontrer à leur tour, mais en ce qui concernait le jeune danseur leur choix était déjà plutôt arrêté. S'il leur restait quelques petites précautions à prendre, James voulait croire que les choses se dérouleraient sans encombre. En partie, c'est vrai, parce qu'Eddie n'en serait pas à sa première campagne et que la précédente semblait avoir rencontré un succès encourageant. « C'est exact, je n'en suis pas vraiment à mon premier casting et vous ne vous trompez pas au sujet de ma première campagne publicitaire non plus. Elle remonte à environ deux ans, même si certains penseraient sans doute qu'être égérie d'une marque de glaces n'est pas très glamour. » James lui-même n'était pas tellement un amateur de glaces, mais il avait le plus grand des respects pour ceux qui mettaient au point des campagnes qui vous faisaient habilement oublier que ce qu'on vous incitait à acheter, ça finissait bien souvent directement sur vos hanches. « Ce n'est pas exactement n'importe quelle marque, ils sont l'un des leaders du marché. » Alors rien que de ce point de vue là, James était tenté de dire que non, ça n'était pas tellement sa définition du glamour, mais qu'ils n'étaient pas des petits joueurs pour autant. « Si vous aviez posé pour une marque de cassoulet ou pour des suppositoires, j'aurais sans doute eu plus de mal à percevoir votre charisme. » Il souffla sur un ton un peu plus léger, ajoutant. « Mais chez Häagen-Dazs je sais qu'ils mettent généralement beaucoup de moyens dans leurs campagnes. Et du point de vue d'un directeur artistique, elles sont même généralement créatives et esthétiques. » Et c'était forcément un détail d'importance pour lui, qui en connaissait un rayon en la matière et pouvait juger objectivement de la qualité des campagnes en question. « J'ai d'ailleurs un book photos que j'amène souvent avec moi, il est resté dans le top case de ma moto mais je peux aller le chercher si besoin. » En vérité, James n'avait eu aucun mal à se procurer certains des clichés professionnels que le danseur avait fait réaliser, alors il n'avait plus tellement besoin d'être convaincu à ce stade. Pour autant, il ajouta. « Je me suis déjà procuré ce dont j'avais besoin mais vous pouvez toujours le laisser à mon assistante en partant. Elle me le remettra. » Il demanderait à Millie de raccompagner le jeune homme et ainsi elle pourrait se procurer le book et s'assurer personnellement qu'il ne tomberait pas entre les mains de quelqu'un à l'accueil. James aimait mieux limiter le nombre d'intermédiaires dans ce genre de cas de figure et il n'y a personne ici à qui il fasse davantage confiance qu'à la jeune femme.

« Oh, et je me permets aussi d'en parler même si c'est encore assez secret. » Le regard du créateur interrogea un court instant celui du danseur, incertain quant à ce que dernier s'apprêtait à lui révéler et si ça aurait la moindre incidence sur leurs affaires, ce qu'il souhaiterait tout naturellement éviter maintenant que les choses étaient en aussi bonne voie et qu'Eddie semblait lui-même partant et motivé à l'idée de prendre part à cette aventure. « Je ferai partie de la deuxième saison de la série Netflix Squid Game, pour laquelle j'ai décroché un petit rôle l'année dernière. Je préfère que vous le sachiez, même si le tournage ne me demandera de passer que quelques jours en Corée du Sud et ne m'empêchera pas de mener à bien mes projets ici. » Une certaine surprise se lut sans doute sur les traits de James, qui s'attendait à peu près à n'importe quel scénario mais sans doute pas à celui-ci. Il n'y connaissait pas grand chose en matière de séries télévisées, c'est un fait, alors pour ce qu'il en savait Eddie aurait tout aussi bien pu lui citer n'importe quel autre show qu'il n'aurait pas été plus avancé. « Ainsi donc vous tournez pour la télé à vos heures perdues. Je dois admettre que c'est une surprise, mais vous avez raison de diversifier vos activités. » Et s'il éprouvait un certain attrait pour l'acting et que ça lui permettait d'étendre son champ de possibilités, il aurait sans doute tort de se priver de ce genre d'opportunités. Du point de vue de James, en tout cas, ça n'avait rien de honteux. Il n'aurait pas forcément fait preuve de la même tolérance avec un projet polémique ou qui aurait pu leur faire une mauvaise publicité par le biais d'Eddie, mais dans ces cas-là il n'avait pas l'impression que ce soit un risque – il questionnerait tout de même Millie pour avoir plus d'informations, juste au cas où. « Ça change rien, en ce qui nous concerne. On aura peut être simplement à rediscuter de votre rémunération si ce projet est un succès et que vous êtes très demandé suite à ça, mais on a le temps de voir venir. » Il n'en savait rien, de si ce type de rôle risquait de lui valoir un tout autre niveau de reconnaissance ou si ce serait seulement l'affaire d'une brève expérience que le danseur veillerait à ne pas réitérer. Petit rôle ou non, ils n'auraient d'autre choix que de suivre cette affaire de près pour s'assurer que le contrat qu'ils lui feraient signer s'alignerait toujours le moment venu. On prenait toutes sortes de précautions lorsqu'on travaillait avec des artistes et James avait pour habitude de parer à toutes les éventualités. « En attendant, on va fixer un rendez-vous pour les tests photos. Vous aurez simplement à venir de bonne heure pour avoir le temps de passer entre les mains de nos équipes. On veut vous photographier en conditions réelles pour avoir une meilleure idée du rendu. » Ce qui voulait dire le coiffer, le maquiller et l'habiller comme s'ils réalisaient la campagne, ces tests ayant pour but de leur donner une idée fidèle du futur rendu. Tout ce qu'ils voulaient voir, c'était si Eddie était effectivement aussi photogénique qu'ils le pensaient et si une fois en conditions, son style collait bel et bien avec celui de la future campagne. « Si vous êtes toujours d'accord et que vous n'avez pas changé d'avis, on vous fera signer votre contrat dans plusieurs semaines. » Le temps de mener ledits tests, donc, et de préparer le contrat pour le jour où ils signeraient officiellement le début de cette collaboration. Plusieurs personnes auraient d'abord à se pencher dessus et c'est dans ces moments-là que James appréciait d'autant plus de laisser le plus gros de ce genre de paperasse à d'autres. « D'ici là, ravi d'avoir pu échanger avec vous Eddie. » Tendant une main vers lui pour acter la fin de cette entrevue, James se félicita d'avoir visiblement misé sur le bon candidat, quasiment convaincu que la phase de tests et les derniers détails à prendre en compte ne seraient qu'une formalité.