octobre 2021 « Aux côtes ». Sa réponse ne l’étonne pas réellement au vu de cette respiration haletante et le geste qu’il a depuis qu’elle l’a rejoint de se tenir le ventre. Évidemment, qu’à plusieurs sur lui, les coups de pieds ont dû aller bon train de la part de ces voyous qui l’ont pris à partie. « Tu permets ? » demande-t-elle alors qu’elle souhaite soulever son tee-shirt pour voir l’étendu des dégâts. Il se charge lui-même de le relever et Stacey peut ainsi observer les hématomes sur son torse. Il en a plusieurs mais le plus marquant est celui qu’il porte sur son côté gauche. Stacey vient à porter sa main dessus pour regarder de plus près et voit ainsi Hunter grimacer « Désolé… » murmure-t-elle avant de se lever à nouveau pour aller chercher une autre poche de glace. Lorsqu’elle revient, elle la dépose délicatement sur sa blessure « Tu dois très certainement avoir des côtes brisées… » La solution serait évidemment d’aller à l’hôpital, mais le Club et hôpital dans la même phrase ne font pas bon ménage « Il te faudrait des antidouleurs pour atténuer ça… Je pourrais m’en procurer à l’hôpital, s’il faut… ». Stacey a toujours cet air inquiet, alors qu’elle ajoute « Ou je peux appeler un médecin… » Elle se doute que le Stringer ne va pas apprécier l’idée, ce pour quoi elle enchérit « Un médecin du Club, je peux appeler Alec pour avoir ses coordonnées », parce qu’il y a toujours les petites mains qui agissent dans l’ombre, ceux qui doivent de l’argent au Club et qui, pour se racheter, rendent des services comme venir procurer des soins à ceux qui se seraient blessés ou pire… « Qu’est-ce que tu fais encore ici Stacey, tu ne devrais pas avoir fini ton service ? ». Elle s’applique à lui soigner une des plaies qu’il a sur le visage et s’interrompt dans son geste suite à sa question « J’ai terminé… mais j’ai pris l’habitude de passer par ici avant de rentrer, le chef cuisinier me laisse toujours de quoi grignoter, parce qu’il sait que j’ai à peine le temps de manger entre mon service ici et mon service aux urgences ». Stacey a ses traits qui se détendent progressivement alors qu’un sourire apparaît en coin et qu’elle termine de panser la plaie ouverte « Ce sont des moelleux au chocolat… Tu en veux ? ». Elle n’attend pas réellement sa réponse pour aller les récupérer sur le comptoir. Elle comptait ramener les deux restants à Lawrence et Mila, mais si cela pouvait donner un peu de réconfort à Hunter à la place, elle est prête à faire une concession « Ils me font penser à ceux que ta mère nous faisait pour le goûter, quand on était gamins… ». Stacey vient s'asseoir à côté d’Hunter, s’appuyant contre le mur, le regardant tout de même de son air inquiet, quand il peine à dissimuler la douleur qu’il peut ressentir à cause de ses blessures.
27 décembre 2021. Un an en arrière, et toutes les années précédentes, Zoya Lewis était toute excitée à l’approche des fêtes de fin d’année. Noël a toujours été sa fête favorite, elle a toujours apprécié cette effervescence qui animait un peu plus les rues de Brisbane, ou qu’importe quelle autre grande ville ou petite ville du monde dans laquelle elle se trouvait à cette période. Elle aimait les décorations qui ornait les places publiques, comme les allées des magasins, elle aimait déambuler dans les marchés de Noël et craquer pour un vin chaud, bien qu’il fasse une chaleur à crever en cette période-là, à Brisbane. Mais, du fait de son métier, elle a aussi eu la chance d’avoir des Noël plus blanc, découvrant les bonheurs et la magie de cette période sous la neige. Bref, elle aurait été capable de vous en parler pendant des heures, argumentant sans aucune difficulté sur ce qui rendait, dans son cœur, le mois de décembre comme étant le plus beau mois de l’année, son favori, son chouchou. Une passion pour Noël sûrement héritée de sa mère, avec qui elle a toujours décoré la maison familiale toujours dans l’excès, reproduisant cela ensuite chez elle. D’ailleurs, Zoya se souvient très bien de l’excès de décoration que Birdie et elle ont pu exposer dans leur appartement partagé. C’est d’ailleurs ces photos là que Zoya est en train de regarder avec tristesse… Un temps où tout lui semblait plus simple, où elle ne se souciait que de sa carrière professionnelle qu’elle tentait de faire décoller, allant au culot frapper à des portes pour obtenir ce qu’elle voulait. La seule responsabilité qu’elle avait à cette époque était son petit frère qui était venu vivre avec elles pendant un an, et d’ailleurs cette tête d’idiot qu’il arbore sur la photo qu’elle fixe avec nostalgie, lui montre que Cameron n’a vraiment pas changé en grandissant – ou plutôt en vieillissant, grandir est un bien grand mot pour lui.
Et si c’est le passé qui est utilisé quant à son amour pour les fêtes de Noël, c’est parce que, cette année, le cœur n’est pas à la fête. Cette année, Noël n’a aucune saveur, Noël n’est que tristesse et déchirement. Parce qu’elle a pris cette décision – stupide, encore une – de laisser Chloe à son père et que ce dernier a pris la décision de ne pas la lui rendre. Il estime qu’elle l’a abandonné quand elle ne cherchait que le meilleur pour sa fille, pour leur fille, alors qu’elle se jugeait incapable d’être la mère que Chloe méritait… Mais la distance a fait qu’elle n’a pu rester plus longtemps éloignée de sa fille, tentant de revenir avant Noël pour la récupérer et c’est face à un mur qu’elle s’est retrouvée la Zoya. Un Freddy qui lui a craché des mots ignobles, lui disant qu’elle ne reverrait plus jamais sa fille. Zoya se retrouve alors démunie, ne sait plus quoi faire pour convaincre Freddy de lui rendre Chloe, un Freddy contre qui elle éprouve une haine profonde. Les appels et les sms qu’elle a pu lui envoyer depuis n’ont rien fait, le Mulligan l’ignorant, tout simplement. Elle ne sait plus quoi faire, se sent à l’étroit dans cet appartement bien trop silencieux et payerait cher pour retourner en arrière et revenir sur cette décision stupide…
Regarder les albums souvenirs ou occuper son esprit d’une quelconque façon qu’il soit n’aident en rien, la jeune femme tournant en rond chez elle. D’ailleurs, elle ferme d’un coup sec cet album photo qu’elle délaisse négligemment sur la table basse alors qu’elle se lève et fait les cents pas dans son appartement. C’est sur une peluche que son pied atterrit dans son marathon, ce qui la fait subitement s’arrêter. Elle se fige puis se baisse pour la ramasser… Un koala que son frère avait acheté pour la naissance de Chloe et dont la petite ne peut se passer. Elle la visualise alors en fermant les yeux, apportant la peluche sous son nez pour sentir son odeur, celui de sa fille qui lui manque cruellement. La douleur est atroce, le vide qu’elle peut ressentir tout autant et elle vient s’assoir à même le sol, dos contre le canapé, alors qu’elle est dans l’incapacité de retenir plus longtemps ses larmes…
Les trois petits coups portés à la porte lui feront relever à peine le regard alors qu’elle serre toujours cette peluche contre elle. « Youhou, j’avais dit de laisser une fenêtre ouverte mais je suis pas encore Spiderman, malheureusement, je grimpe pas les murs, j’avais zappé ce détail ». La voix derrière la porte est joyeuse et c’est une voix qu’elle reconnaitrait parmi mille. C’est Birdie, et même si elle n’a pas forcément envie de voir grand monde, honteuse de ce qu’elle a pu faire, honteuse de devoir dire qu’on la prive désormais de sa fille, Zoya finit par lâcher, suffisamment fort pour qu’elle l’entende, sans pour autant bouger de sa place. « C’est ouvert ! ». Son regard reste rivé dans le vague jusqu’à ce que la Cadburry referme la porte derrière elle… Elle vient à poser son regard sur elle, voyant une Birdie habillée de son meilleur costume de lutin, qui lui va à ravir et qui aurait plu à… « Chloe … Chloe n’est pas là, Bird… ». Sa gorge est serrée, sa respiration haletante mais elle préfère la mettre au courant dès maintenant, car elle est incapable d’entendre une fois de plus un où est Chloe ? Si elle a menti à ses parents cependant pour le réveillon de Noël, elle ne le fera pas aujourd’hui, avec Birdie. Ses larmes s’écoulant le long de ses joues, elle ajoute difficilement « Freddy… Freddy ne veut pas… que je la vois… Il… » Elle est incapable de poursuivre, sa tête venant prendre refuge entre ses genoux, la peluche tombant alors sur le côté, au sol.
Bien entendu, elle n’a pas tort. Le problème d’un homme qui attire jusqu’à chez lui des types sans cravate avec les poings serrés, on ne fréquente pas les éventuelles salles de jeux des plus légales de la ville. Ce genre de méthode est généralement liée à un monde clandestin, un où l’on prête sans compter en toutes connaissances de causes si la victime a quelque chose à offrir et n’est-ce pas le cas du père de Stacey ? N’a-t-il pas des compétences à offrir ? Ces types qu’ils ont à leur botte, on sait qu’on sera amené à utiliser les poings de nos gros bras pour gagner, sur l’endetté, sur l’homme vicié par le jeu, le pouvoir. Une fois qu’il est à notre merci, on peut demander absolument tout sans craindre d’être confronté à un refus. Il roule à la peur, mais ce n’est pas ce que je lui propose, à la petite blonde. Mes intentions ne sont pas malsaines. Elles ne sont pas vouées à causer du tort à son père et je veille à la rassurer. «Les lui interdire, c’est au minimum s’assurer qu’il viendra ici et que je l’aurai à l’oeil.» ai-je répliqué en jouant avec mon verre d’eau. J’aurais préféré quelque chose de plus fort, mais le changement s’amorce maintenant, pour tout le monde, en ce compris pour la croupière et son père. Elle a l’air sûre d’elle, convaincue par ce que mon offre soit celle qu’il faut pour assurer la sécurité de son paternel et je hoche la tête. «Je n’ai pas la prétention de te promettre que je le remettrai dans le droit chemin. Ce n’est pas mon rôle non plus. C’est un adulte.» En prime, je suis pas un exemple de droiture à tout point de vue. «Mais, tu fais effectivement bien d’accepter.» Je l’ai encouragée d’un sourire alors que j’entre dans le vif du sujet, à savoir le dossier médical de Raelyn. Finalement, cette conversation est presque une transaction commerciale, un échange de bons procédés. A aucun moment je n’ai envisagé possible que la jeune femme, parfois timide d’apparence, mais qui a un cran remarquable, cherche à négocier avec moi. J’ai envie de lui répondre : à quel moment t’ai-je donné l’impression que tu étais en position d’exiger quoi que ce soit de moi ? Je n’en ai rien fait cependant. J’ai réprimé cette remarque qui serait tombé dans l’oreille de tous si je ne partageais pas pour la blonde une forme d’affection lié à sa situation, à son âge, à ce qu’elle ressemble par bien des aspects à Sofia, Sofia que je retrouve dans toutes les filles qui ont plus ou moins leur âge ou celui qu’elle aurait eu si elle n’était pas décédée tragiquement. «Je ne rendrai pas de compte, Stacey. Je peux te dire ce qui le concerne, s’il déborde, s’il n’a pas le comportement qui convient et si les choses tournaient mal. Mais, je ne te rendrai pas de compte ce que je lui demanderai de faire pour moi ou non.» ai-je ponctué en m’adossant à mon fauteuil. «Tout ce que tu dois savoir, c’est que ce ne sera rien d’illégal. Je pensais que tu le savais d’ailleurs. Il y a moi, le Club et le casino. Si je traite avec toi, c’est par facilité, Stacey. En te demandant le dossier de Rae, je te fais confiance. A ton tour, maintenant.» Et pour moi, le débat est clos. La question est bouclée par ces remerciements qu’elle me souffle. Il n’est pas question que je change d’avis. Elle est toutefois en droit de renoncer, sur le champs, rien ne l’en empêche.
« Il ne montra pas, Stacey. Parce qu’il ne le pourra pas et qu’on ne lui donnera pas l’occasion de le faire. J’ai déjà une idée de contrat à lui soumettre… mais je ne pouvais pas lui en toucher mot sans t’en avoir parler au préalable. A mon sens, tu es la première concernée, tu ne crois pas ? ». Elle l’est. Parce que depuis sept ans maintenant, elle porte sur les épaules la lourde responsabilité de la famille Gallagher. Elle s’est substituée au rôle de parents auprès de Mila depuis que son père est tombé bien bas dans les abysses. Elle n’a eu d’autres choix alors, oui, Amos vise juste en disant qu’elle est la première concernée dans ce choix. Parce que son père lui-même n’est pas capable de faire un choix éclairé et il lui a montré un nombre incalculable de fois ces dernières années. « Si tu me dis que ça ne t’intéresse pas, que tu préfères savoir ton père dehors, à faire n’importe quoi, et à vous mettre en danger parce que dès qu’il est question d’argent, personne n’est jamais bien caché. On arrête tout. Je trouverai bien une autre façon de te remercier pour le service que je te demanderai ». Bien sûr que ça l’intéresse. Stacey préfère certainement savoir son père sous la coupe de l’Octopus, et donc d’Amos et Raelyn, et du Club en somme, qu’endetter jusqu’au cou auprès d’autres personnes tout autant malhonnêtes mais dont elle ignore l’identité. Là, elle a la sécurité qu’il sera surveillé par Amos, et même si elle ne trouve pas la solution idéale, elle estime qu’elle est toujours mieux que sa situation actuelle où il traine elle ne sait où « Tu sais qu’il suffit d’un mot pour qu’il soit interdit de tous les casinos de la ville ? Histoire que l’Octopus ou ce qu’il renferme devienne sa dernière solution ? ». « Si seulement mon inquiétude était uniquement tournée que vers les différents casinos de la ville qu’il fréquente, Amos… Les types qui se sont présentés plus d’une fois à notre porte n’était pas des types en costard cravate » mais plutôt des malfrats de plus qui opéraient dans l’ombre, dont les jeux se déroulaient dans l’illégalité la plus totale « Mais lui interdire l’accès aux autres casinos déjà me semble être une solution ». Elle est préoccupée Stacey. Elle a mille et une questions encore à poser à Amos parce qu’elle y voit ici, par sa proposition, le possible espoir que son père se sorte de ce tumulte dans lequel il traîne depuis trop longtemps… « C’est d’autant plus intéressant s’il travaillait dans la construction. Il pourrait m’être utile (…) Surtout qu’il a l’air clean ». Elle acquiesce mollement, regrettant le temps où son père excellait professionnellement parlant, où le nom des Gallagher avait plus de prestige qu’il ne peut en avoir désormais. Non pas que ce soit la réputation qui l’intéresse, mais les soucis inexistants à l’époque d’une vie plus paisible. C’est pour cette raison qu’elle ajoute « Et si par tes propositions tu parviens à le remettre sur le droit chemin » celui de redevenir qui il était avant, au moins professionnellement parlant « alors ce ne serait que du plus ». En réalité, c’est ce qui compte le plus pour Stacey. Voir son père emprunter le droit chemin à nouveau, une chose qu’elle a attendu et qu’elle attend toujours, au fond d’elle, même si l’espoir s’est amoindri depuis, serait la lumière au fond d’un tunnel interminable et l’occasion peut-être aussi pour Mila, parce qu’elle ne pense qu’à son bien, comme toujours, de retrouver un père dont elle a cruellement besoin encore à son âge. Elle voit loin, ne veut pas se faire de faux espoirs pour autant et reste lucide. « Dis-toi que ce n’est pas dans mon intérêt qu’il s’agisse où tu es et surtout ce que tu fais aujourd’hui. En conclusion, tu peux déjà dormir tranquille. Je te laisse néanmoins le temps d’y réfléchir, Stacey. Tout ce que je te demanderai, pour ma part, c’est de faire sauter le dossier de Raelyn à l’hôpital et de le faire transférer chez ce médecin ». Elle se saisit du papier qu’il lui tend, porte son regard sur l’adresse indiquée plus par mécanisme que par intérêt « C’est provisoire. Il réapparaitra plus tard, mais pour l’instant, j’ai besoin que ça disparaisse. En attendant, tu as le choix de la monnaie d’échange ». Son regard trouve celui d’Amos, comme happée dans une certaine réflexion. « C’est à toi de voir et on pourra en discuter quand tu m’auras prévenu que tout est sous contrôle. C’est bon pour toi ? ». « Ce sera fait, Amos ». Elle ne tardera pas, s’exécutera dès son prochain service, n’ayant aucune crainte face à cet exercice qu’elle a déjà fait plusieurs fois. Elle le fera avec d’autant plus de détermination qu’elle sait qu’en contrepartie, elle y trouvera son compte. « Et garde en tête qu’il ne lui arrivera rien à lui non plus ». La précision est importante parce qu’elle ne tient pas à ce que son père soit sorti de ses problèmes pour replonger dans d’autres, surtout quand elle sait que les affaires avec le Club, surtout quand on merde, peuvent mal finir. Stacey ne tient pas à voir la tête de son père mis à prix à un moment ou à un autre. Si un silence s’installe quelques instants, il est vite brisé par la jeune croupière « Je n’ai pas besoin de plus de temps pour réfléchir, Amos. Ça me rassurera de le savoir au sous-sol plutôt que je ne sais où dans certaines rues mal famées de Brisbane. Je préfère le savoir sous ta surveillance plutôt que de me dire qu’un jour ou l’autre, on viendra frapper à ma porte pour m’annoncer qu’il a été retrouvé mort quelque part. La solution que tu me proposes me semble être celle de la dernière chance… Et je ne tiens pas à passer à côté… ». La détermination est facilement détectable dans ses mots, une détermination qu’on ne lui connait que très rarement. Mais cette fois, elle est sûre d’elle et de sa décision. Elle a cependant une autre requête « Si je ne tiens pas à ce qu’il sache que je me trouve ici, j’aimerai, en revanche, être tenue au courant… Qu’il s’agisse d’un quelconque débordement de sa part, ou au contraire, pour me dire que tout se passe bien ». Le besoin d’être rassurée et aussi d’avoir un œil, à sa façon, sur lui. Et après une hésitation d’un millième de secondes, elle ajoute « J’aimerai aussi que tu me tiennes au courant des possibles propositions que tu lui feras, Amos… ». Peut-être exige-t-elle ainsi avoir son mot à dire, ou au moins, donner son opinion là-dessus même si elle ne se permettra pas de contrer les décisions d’Amos ou Raelyn. « Merci… » finit-t-elle par lâcher, dans une sincérité et une reconnaissance qu’il pourra lire aisément dans son regard qu’elle vient à trouver pour soutenir ses mots.
Elle est perplexe, Stacey et je la comprends. Nos récents échanges n’avaient plus rien de comparables à ce qu’ils étaient à l’époque où je n’étais qu’un videur au sein du Club et que ce dernier était dirigé par Mitchell et son frère. A l’époque, nos relations étaient dépourvues de la subordination qui lie le patron et son employé. Pourtant, j’ai toujours pour cette jeune gamine une affection difficile à définir. Peut-être est-ce par la faute de son âge. Il est si proche de celui de ma défunte fille… suis-je toujours objectif concernant Stacey ? Ne suis-je pas obligé, pour me défaire de mon empathie, de paraître plus dur que je ne le souhaiterais ? Ceci étant, je n’aspire pas à ce qu’elle se méfie de moi. Ma proposition est honnête vis-à-vis d’elle à défaut de l’être au regard de la justice. Un joueur - je le sais, j’en suis un - apprend à être raisonnable s’il sait que le lendemain il pourra s’asseoir à cette même table de jeu en échange d’un service quelconque. J’en mettrais ma main à couper. Je suis convaincu et je ne le dissimule pas à la jeune femme qui émet tout de même une condition. « Il ne montra pas, Stacey. Parce qu’il ne le pourra pas et qu’on ne lui donnera pas l’occasion de le faire. J’ai déjà une idée de contrat à lui soumettre…. mais je ne pouvais pas lui en toucher mot sans t’en avoir parler au préalable. A mon sens, tu es la première concernée, tu ne crois pas ? » ai-je affirmé en avançant mes coudes sur le bureau. J’essaie de réduire la distance pour favoriser un terrain de confiance entre elle et moi, celui d’hier et ça n’a rien à voir à ce que j’ai moi aussi un service à lui réclamer. «Si tu me dis que ça ne t’intéresse pas, que tu préfères savoir ton père dehors, à faire n’importe quoi, et à vous mettre en danger parce que dès qu’il est question d’argent, personne n’est jamais bien caché. On arrête tout. Je trouverai bien une autre façon de te remercier pour le service que je te demanderai.» La petite blonde est seule juge et, a priori, elle ne s’oppose pas à ma proposition. Tout ce qu’elle souhaite, c’est de ne jamais croiser son père au sein du bâtiment et ça, c’est dans mes cordes. «Tu sais qu’il suffit d’un mot pour qu’il soit interdit de tous les casinos de la ville ? Histoire que l’Octopus ou ce qu’il renferme devienne sa dernière solution ? » Dans ces conditions, il sera prêt à se plier à toutes mes exigences. «C’est d’autant plus intéressant s’il travaillait dans la construction. Il pourrait m’être utile.» Mes ambitions sont sans limite depuis que j’ai rencontré Raelyn. Qui plus est, sa grossesse fait peser sur mes épaules l’importance d’offrir à ma gamine à naître l’avenir le plus joyeux et le plus tranquille qui soit. «Surtout qu’il a l’air plutôt clean.» J’ai pris quelques secondes pour réfléchir. J’ai rassemblé dans mes idées celles qui devront être partagées avec Raelyn : il n’est de projets importants qui ne soient pas décidés sans elle, tout particulièrement s’il est question d’expansion. «Dis-toi que ce n’est pas dans mon intérêt qu’il s’agisse où tu es et surtout ce que tu fais aujourd’hui. En conclusion, tu peux déjà dormir tranquille. Je te laisse néanmoins le temps d’y réfléchir, Stacey. Tout ce que je te demanderai, pour ma part, c’est de faire sauter le dossier de Raelyn à l’hôpital et de le faire transférer chez ce médecin.» Je lui ai glissé les coordonnées du seul, assez discret, qui opère légèrement en dehors du système comte tenu qu’il tient un cabinet privé et que ses honoraires sont hors de prix. «C’est provisoire. Il réapparaîtra plus tard, mais pour l’instant, j’ai besoin que ça disparaisse. En attendant, tu as le choix de la monnaie d’échange.» Ma solution pour la débarrasser du risque représenté par son père ou une autre, si tant est qu’elle soit raisonnable à mon sens. « C’est à toi de voir et on pourra en discuter quand tu m’auras prévenu que tout est sous contrôle. C’est bon pour toi ? » A moins qu’elle ne soit déjà décidée, auquel cas, je suis prêt à lancer la machine dont la mécanique nous servira à tous les deux, raison pour laquelle j’ajoute : « Et garde en tête qu’il ne lui arrivera rien à lui non plus. » A quoi bon la garder loin de son père pour son bien si à terme je la plonge dans la fange du deuil ?
« Raisonnable devient compatible avec tous les joueurs quand on lui offre un endroit où ils ne seraient pas poursuivis par des gros bras pour qu’ils paient ses dettes ». Stacey est attentive à chaque mot prononcé par Amos. Elle l’est mais en revanche, il peut lire sur ses traits qu’elle reste dubitative face à sa dernière remarque. Parce que pour elle, son père a tout sauf la raisonnabilité en lui. Justement, elle est même persuadée que le fait d’avoir une table où jouer, une certaine sécurité ne l’empêchera pas d’être deux fois plus gourmands. Au contraire « Dans ce genre d’endroits, c’est les croupiers qui décident quand ça s’arrête. Je présume qu’il a des atouts, quelque chose a apporté qui me serait aussi utile que l’argent dont je l’arroserais mais, non ? ». La proposition qu’Amos lui fait pour sortir un tant soit peu son père du vice qui est l’attrait bien trop grand pour l’argent, argent qu’il n’a pas, ou du moins, n’a plus, la rassure. Mais en contrepartie, le fait de le savoir lié au Club, l’inquiète également. En réalité, cette proposition l’amène encore plus à se poser des questions à savoir s’il s’agit d’une réelle bonne idée « Le problème, c’est qu’il ne sait pas s’arrêter, Amos » réitère-t-elle alors. « Même si le croupier lui dit que ça s’arrête, il peut très bien décider d’aller jouer ailleurs… Même venir à l’étage après ça ». Elle envisage toutes les possibilités, parce que, même si elle n’a jamais vu son père à l’œuvre, durant ses parties de jeu d’argent, elle sait pertinemment qu’il est trop gourmand. Auquel cas, pourquoi les gros bras n’ont pas cessé de défiler à leurs portes pendant toutes ces années ? « Encore, à l’étage, on peut le contrôler… Mais, rien ne l’empêchera d’aller ailleurs, surtout s’il gagne gros, ici… », on le sait, l’appât du gain emmène à en vouloir toujours plus « Quant à ce qu’il a t’offrir… ». Elle réfléchit, ne voyant plus son père de la même manière depuis des années, le voyant plus comme un père en totale perdition plus qu’un père qui a de réels atouts « Il était à la tête de sa propre entreprise, avant… ». Elle s’interrompt pour ne pas poursuivre sa phrase, pour ne pas évoquer le décès de sa mère. « Une entreprise de construction… Il excellait dans le domaine, il dirigeait son équipe d’une main de fer, il avait le sens des affaires et des négociations… » Et, en parlant ainsi de lui, Stacey a l’impression de parler d’une tout autre personne, ce qui ne manque pas de lui nouer l’estomac, ne montrant rien pour autant à l’extérieur. « Je ne sais pas si c’est quelque chose qui pourrait te servir… » conclue-t-elle alors. « C’est son seul vice ? Le jeu ? Il se drogue ? Il boit ? ». Elle hausse mollement les épaules, son regard trouvant ses doigts qu’elle triture entre eux avant de retrouver le regard d’Amos, assis de l’autre côté du bureau « Je ne pense pas qu’il se drogue… » elle ne l’espère pas du moins, il ne manquerait plus que ça « Il boit, c’est certain… Ça a été son moyen à lui de noyer son chagrin avant de ne s’enfoncer dans ces histoires de jeu d’argent stupide ». Pour une croupière, dire ça ne sera peut-être pas bien vu, surtout devant Amos qui reste son patron, mais l’amertume transparait dans ses paroles et peut-être sera-t-il clément, comprenant qu’elle s’exprime en tant que fille d’un père qui a complètement perdu la tête et la raison à cause de l’argent.
« Tout est négociable à partir de là, en ce compris toi qui ne le croiserait pas. Et s’il y a contrepartie (…) ce n’est rien qui ne soit pas dans tes cordes, que tu aies déjà fait et qui serait dangereux pour toi. En tout cas, ce n’est rien que je ne pourrais réparer ». La contrepartie ne sera pas difficile pour elle, elle le sait puisqu’il évoque ensuite cette histoire de dossiers médicaux à faire disparaitre au fur et à mesure des rendez-vous de Raelyn à l’hôpital. Elle ne sait pas s’il compte lui en dire plus à ce propos, les raisons pour lesquelles elle doit y aller aussi régulièrement, mais il y a un point sur lequel elle souhaite revenir « Amos, je tiens vraiment à ne pas le croiser une seule fois, ici. Je ne veux pas qu’il entende mon nom ou mon prénom, ni qu’il puisse comprendre ce que je fais réellement ici… et j’aimerai… », l’inquiétude gagne son regard, alors que, peut-être pour la première fois, elle ose avoir ses exigences à l’encontre d’Amos « J’aimerai que tu me garantisses qu’en étant sous ta coupe » façon de parler « il ne lui arrivera rien… » Parce qu’elle connait l’envers du décor, sait aussi à quel point le Club et ses membres peuvent ne pas être clément, que certaines fins peuvent être tragique et évidemment, même si elle semble détester l’homme qu’il est devenu, Kurt Gallagher reste, malgré tout, son père.
J’avais de l’affection pour Stacey. Le genre de celle que l’on partage avec une cousine ou une petite sœur. Qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’en reste-t-il alors qu’elle a apporté sciemment son aide à mon pire ennemi ? Puis-je d’ailleurs lui en tenir rigueur quand elle ne savait rien des raisons qui m'animaient au sein du Club ? Je ne lui ai jamais confié mon but. Je ne lui ai pas parlé de ma gamine fauché en plein vol et en pleine jeunesse à cause des manigances de Mitchell. L’étincelle de méfiance qui danse dans mes yeux, est-elle logique ? Normale ? Réversible ? Je n’en suis pas certain. J’aimerais pourtant. J’aimerais que nos relations redeviennent celles qu’elles étaient hier. Mais, est-ce possible ? Ne restera-t-il pas toujours, en moi, un soupçon de doute qui embarrasse mon interlocutrice ? Je n’en ai pas foncièrement envie. Je prends donc sur moi pour lui adresser un sourire rassurant et lui glisser quelques mots prometteurs : ce n’est pas un interrogatoire. Pourquoi ne peut-elle se contenter de ma parole ? Parce qu’elle pressent que l’inverse n’est plus tout à fait vrai ? Le mieux est, à mon sens, ne lui rendre compte de ce qui me tracasse : le retour de Mitch en ville. Ce bruit courant ne l’a pas épargnée. La rumeur lui a chatouillé les oreilles et je suis fort aise qu’elle n’en paraisse pas chamboulée. Je me détends aussitôt, espérant que mon attitude changeante l’impactera plus positivement. Raté. J’en dis trop ou je le dis mal. Décidément, je n’ai pas le chic de Raelyn pour amener les choses avec finesse. Dans ma bouche, tout ce qui sort de ma bouche semble résonner chez les autres comme des menaces et, pour cause, je ne tiens pas une forme psychologique olympique. Mon obsession pour Steven est maladive. A défaut d’abîmer mon couple, elle me prive des plus beaux moments de la grossesse de ma complice. Je ne sais plus comment racheter mes absence d’ailleurs, si ce n’est peut-être, défalquer du dossier médical de ma dulcinée tout ce qui dévoilerait notre secret trop tôt, autrement dit, avant que nous ne l’ayons décidé. Sauf qu’un service en vaut un autre et c’est de là que naît cette conversation avec Stacey. A aucun moment je n’ai cherché à la brimer ou à l’inquiéter. Devant ses grands yeux ronds comme des soucoupes, je me sens démuni. Alors, je n’essaie pas de la détendre. Je viens au fait : ne pas tortiller pour pisser droit est du reste l’un de mes atouts. J’aborde donc la question de son père. Je cherche à savoir dans quelle mesure la garder en sécurité de ses excès me vaudrait un service et un peu de confiance mutuelle entre la gamine assise sur la chaise d’en face et moi, celui qu’elle a envisagé comme un allié et dont elle interprète aujourd’hui chaque moi. «Raisonnable devient compatible avec tous les joueurs quand on lui offre un endroit où ils ne seraient pas poursuivis par des gros bras pour qu’ils paient ses dettes.» ai-je remarqué, conscient que nous sommes tous deux dans le bon. Je ne sais rien de son père, j’ai par contre appris les joueurs : j’en suis un. «Dans ce genre d’endroit, c’est les croupiers qui décident quand ça s’arrête. Je présume qu’il a des atouts, quelque chose a apporté qui me serait aussi utile que l’argent dont je l'arroserais mais, non ? » Peut-être a-t-il des contacts avec des brutes qui ont besoin d’armes pour faire régner la terreur dans leur quartier ou pour tout simplement les protéger. Peut-être est-il un spécialiste du combat qui me serait un atout utile au sein de la sécurité du casino, à condition, bien entendu, qu’il soit maintenu sous le contrôle étroit du responsable, homme en qui j’ai grande foi. Et s’il n’avait rien de tout ça, alors il n’est pas bien compliqué de nettoyer des verres au fond d’un bar ou d’un restaurant sans faire de vague. «C’est son seul vice ? Le jeu ? Il se drogue ? il boit ? » De sa réponse dépendra la suite de ma proposition dans son entièreté. «Tout est négociable à partir de là, en ce compris toi qui ne le croiserait pas. Et, s’il y a contrepartie.» Inutile de la prendre pour une idiote. «Ce n’est rien qui ne soit pas dans tes cordes, que tu aies déjà fait et que serait dangereux pour toi. En tout cas, ce n’est rien que je ne pourrais réparer.» Et, cette fois, mon sourire s’étire avec la sympathie de jadis.
Début décembre 2021. Ses larmes ne cessent de perler le long de ses joues. Cette fois, c’est elle qui est incapable de les stopper alors que, sa fille, positionnée à l’arrière du véhicule, est étonnamment calme, mordillant son doudou dans son cozy. Elle regarde son reflet dans le rétroviseur comme si c’était la dernière fois qu’elle la voyait… Comme si elle s’apprêtait à prendre une décision sur laquelle il serait bien difficile de revenir une fois qu’elle serait passée à l’acte. Et ce n’est pas juste une impression quand c’est bel et bien la décision que Zoya a prise ce soir, à l’insu de tout le monde, à l’insu de son entourage, surtout. Un entourage qui lui interdirait de faire une chose pareille, trouvant une fois de plus son comportement totalement absurde, cette décision qui, à leur goût, serait prise bien trop vite, bien trop rapidement. Ça ne les étonnerait pas non plus, parce qu’elle agit sans réfléchir Zoya. Et pourtant… et pourtant s’ils savaient ô combien elle a retourné la question dans tous les sens pour prendre la meilleure décision qu’il soit. S’ils savaient que cela fait des semaines qu’elle y pense, qu’elle y réfléchi… Et s’ils savaient que cela fait des mois qu’elle constate qu’elle n’est pas à la hauteur de son rôle de mère. Neuf mois que Chloe est née, neuf mois qu’elle est incapable de l’aider à s’endormir paisiblement le soir, neuf mois qu’elle est incapable de faire la différence entre la faim, la fatigue, la douleur ou le désagrément chez sa fille. Pourtant, ce rôle elle l’a choisi, elle l’a voulu mais ce n’est pas suffisant de le vouloir, il faut le pouvoir… Et elle ne le peut pas… Définitivement pas. Si seulement, elle avait écouté Birdie quand elle a essayé de lui dire que ce rôle n’était pas fait pour elle. Pas encore, en tout cas, quand Zoya est bien trop un esprit libre et vagabond. Si seulement, elle avait pris ses précautions avec lui, pour ne pas à avoir à faire ce choix abominable aujourd’hui. Si seulement, elle avait été plus attentive aux conseils de ses proches. Parce qu’elle est bien entourée, malgré tout, parce qu’elle peut compter sur de nombreuses personnes pour lui venir en aide, que ce soit sa famille ou ses plus proches amis. C’est d’ailleurs à Trent qu’elle pense, à cet instant, quand elle daigne enfin sortir de la voiture, pour ouvrir la portière arrière est extirpée Chloe qui gazouille et est toujours étonnamment paisible alors qu’elle l’attrape dans ses bras. Trent, son meilleur ami, celui qu’elle a déçu par deux fois, si ce n’est plus, en jouant les mères égoïstes, pensant à son bien avant celui de sa fille. Il y a un mois de ça, la photographe s’est volatilisée pendant une semaine, sans daigner donner des nouvelles à ses proches, et encore moins à Trent qui lui a gardé sa fille pendant tout ce temps. Et malgré cette amitié forte qu’ils ont depuis des années lui et elle, bien qu’ils parviennent à se rabibocher après chaque dispute ces deux-là, quelque chose s’est définitivement brisé depuis ce jour où elle est revenue l’air de rien sur le pas de sa porte pour récupérer sa fille. Les mots de Trent raisonnent encore dans sa tête, ceux qui ont fini par avoir raison de cette décision qu’elle prend ce soir. Irresponsable, immature, inconsciente… Ces mots, elle les a entendus encore et encore parce qu’il n’est pas le seul à l’avoir qualifié de la sorte après avoir agi comme une enfant… Il y a eu ses parents, ses frères aussi… Les larmes roulent à nouveau sur les joues de la Lewis, sa fille tenue dans un bras, son sac de rechange dans l’autre. Zoya vient à fixer la porte qui se trouve face à elle. Elle sert un peu plus fort Chloe contre elle et s’avance alors d’un pas déterminé vers celle-ci… Elle le fait pour elle, pour sa fille. Chloe mérite mieux, mérite un parent qui soit à la hauteur. Zoya ignore si ce sera le cas de Freddy, mais elle estime qu’il a le droit d’avoir ses chances avec sa fille, qu’il mérite de la connaitre tout comme Chloe mérite de le connaitre aussi. Zoya se dit surtout qu’elle sera toujours mieux avec son père qu’avec elle, parce qu’elle estime qu’elle est la pire personne à cet instant même.
Les trois coups sont portés sur la porte, après un bref instant d’hésitation. Sa gorge se noue, elle essaye d’effacer les quelques larmes restantes d’un revers de main. Son estomac se noue dès l’instant où elle entend la poignée s’activer et que son regard croise celui de Freddy « Bonsoir… Freddy ». Sa gorge est serrée, les mots sortant difficilement de celle-ci. « Tiens… » fait-t-elle en lui tendant en premier le sac de rechange « Il y a tout à l’intérieur… » cette fois, pourrait-t-elle ajouter alors que, lors de leur dernière rencontre, Zoya n’a pas été capable d’avoir des couches de rechange pour Chloe. « Je… je ne peux plus Freddy… Tu avais raison… » Parce qu’il l’a lui-même remarqué et n’a pas manqué de lui dire qu’elle était une mère égoïste, incapable de calmer sa fille, loin d’être une mère exemplaire. En si peu de temps, il a compris quel genre de mère elle était, et même si elle n’a pas toléré ses critiques, celles-ci ont eu leurs poids dans la balance de cette décision qu’elle s’apprête à prendre, ce soir. « Elle sera mieux avec toi… ». Elle lit l’incompréhension dans le regard de Freddy, alors que le sien devient humide à nouveau, Chloe ressentant sûrement l’angoisse de sa mère, commençant à s’agiter dans ses bras « C’est … c’est ta fille aussi, Freddy ». Et, sans lui donner d’autres choix, alors qu’il ignorait jusqu’à maintenant sa paternité, Zoya vient à donner Chloe à Freddy, l’obligeant à prendre la petite dans ses bras. Il y a ce dernier geste où Zoya lâche doucement la petite main de sa fille, échangeant un dernier regard avec elle, avant que la jeune femme ne tourne les talons. Les pleurs de sa fille alors qu’elle monte dans l’habitacle lui brise le cœur un peu plus, et sans prendre la peine de donner le temps à Freddy de comprendre réellement ce qui se passe, Zoya démarre en trombe et décide de quitter non seulement sa fille ce soir, pour le bien de cette dernière, mais aussi de quitter la ville pendant quelques temps.
All the things we could have been - Chapter #3 Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - Univers alternatif - 2007, 20 ans
Il me désarçonne lorsqu’il me confie que je suis belle – belle, qu’est-ce que cela veut dire au juste, me trouve-t-il attirante ? Est-il attiré par moi ou bien reconnaît-il ma beauté au même titre que celle d’une femme qu’il croiserait dans la rue sans la connaître, ou d’une petite sœur qu’il chercherait à flatter pour lui redonner confiance en elle ? Moi, je sais ce que je voudrais croire : je ne me voile plus la face depuis longtemps, je suis attirée par lui et me désolé qu’il soit marié. Au moins, Sarah me facilite la tâche ; elle est jolie certes, mais comme une fleur que les responsabilités auraient fanée à mon sens, son austérité la rend à mes yeux aussi attirante qu’un bloc de pierre.
Quoi qu’il en soit, déstabilisé je réponds par l’humour, sans réellement m’attendre à ce qu’il cherche à se justifier. « Je le suis pas que tu le sois, mais que je le dise. » Il détourne le regard et je ne sais que penser. Est-ce que, comme mon cœur l’espère, je le trouble, ou bien est-il simplement gêné de recevoir de ma part une attention dont il ne veut pas ? Je n’ai pas le temps d’y réfléchir ou plutôt je ne me le laisse pas : je dépose ma tête sur ses genoux doucement et, si je demande son autorisation, je n’attends pas qu’il me la donne pour m’exécuter. Si mes yeux fixent encore le téléviseur, c’est simplement pour me donner de la contenance et me dépeindre plus innocente que je ne le suis réellement : toutes mes pensées vont vers lui. Je me demande s’il est troublé par ce simple contact ou s’il me perçoit encore trop comme une enfant pour qu’il lui semble déstabilisant. J’ai autant d’années d’écart avec Sofia que j’en ai avec lui – j’ai compté – et je sais que cela me dessert même si je me considère comme une adulte. « C’est pas le mariage qui rend aveugle, tu sais. » Doucement, je pivote sur mon dos pour pouvoir accrocher mon regard au sien. J’aime la tournure que les choses prennent. « Tu es une fille attirante malgré ta bouille de bébé. » Ma bouille de bébé. Mon égo en prend un coup et mes projets avec. Je devrais entendre le début de sa phrase – il me trouve attirante – mais je n’entends que la fin : il ne me compare même pas à une adolescente mais à un nouveau-né. Je ne suis pas idiote, il le fait pour mettre les points sur les i et mettre de la distance entre nous en me rappelant qu’à ses yeux, je ne suis qu’une petite fille et je suis blessée ou, en tout cas, vexée : pour l’instant, j’ai du mal à distinguer l’un de l’autre. « Un bébé. » Je grommèle de façon presque inaudible, et me replaçant sur mon flanc pour me tourner à nouveau vers l’écran de télévision. Je voudrais dire que je ne suis plus une enfant, que j’ai cessé de l’être en âge – je suis majeure – mais également lorsque les pires adultes de ce monde m’on traitée comme un objet. Je suis arrivée à Brisbane gonflée d’ambition et des rêves d’adolescente pleins la tête, mais il y a bien longtemps que j’ai été propulsée trop tôt dans le monde des adultes dans son expression la plus laide.
Est-ce parce qu’il m’en a tirée que je me raccroche à lui ? Comment discerner une attirance sincère d’un sentiment de reconnaissance puisque je lui dois ma nouvelle vie ? Je l’ignore, ce que je sais c’est que mon cœur bat un peu plus vite lorsqu’il pose les yeux sur moi et qu’il me regarde réellement, qu’il s’emballe alors que, ce soir, il caresse mon front et la naissance de mes cheveux alors qu’il me pense assoupie. Je finis par l’être pour de vrai ou en tout cas à moitié : lorsqu’il tente de me réveiller, je réalise que j’ai manqué presque la moitié du film. « Tu devrais monter. » Je grogne, parce que je suis bien allongée sur ses genoux. Parce que c’est ce qui se rapproche le plus d’être allongée contre lui que j’obtiendrais. Si je suis frustrée de devoir m’en contenter, je n’ai pas envie d’y renoncer, pas tout suite, alors je n’ouvre même pas un œil. Lorsqu’il se lève et que je sens ses mains passer dans mon dos et sous mes genoux, je m’accroche naturellement à son cou. J’enroule mes bras et je niche mon visage contre son torse, sans ouvrir les yeux parce que je veux profiter de cet instant un peu plus longtemps, parce que quelqu’un s’occupe de moi comme si j’étais la huitième merveille du monde et que cela fait longtemps que ce n’est plus arrivé.
Lorsqu’il me dépose dans mon lit, je le réalise à peine. Lorsqu’il embrasse mon front, la chaleur de ses lèvres contre ma peau me rassure mais, quelques minutes plus tard, j’ouvre les yeux et réalise sa douloureuse absence. Je me redresse, je le cherche et je tends l’oreille pour savoir s’il est au rez-de-chaussée ou s’il a déjà rejoint le lit conjugal. Par chance, au bout de quelques minutes, je l’entends gravir à nouveau les escaliers. « Amos ? » Je l’appelle encore une fois ou deux, avant qu’il ne pousse doucement la porte de ma chambre. « Il n’était pas si drôle finalement, ce film d’horreur. » Je me moque bien d’être convaincante : je lui offre une excuse parce que je sais qu’il en a besoin, pour justifier de passer la nuit à mes côtés. « Tu veux bien rester un peu avec moi ? » Tant pis s’il n’y croit pas. J’ai besoin qu’il le fasse juste assez pour faire taire ses propres doutes. « La maison est vide en plus… » Mais je n’ai pas peur à cause du film, j’ai simplement ressenti son absence lorsqu’il m’a laissée, et je n’ai pas envie de devoir m’endormir sans le sentir à côté de moi. J’étais bien, la tête posée sur ses genoux.
J’ignore ce qui le fait plier. J’ignore même comment j’arrive à le convaincre, d’un regard et d’une main tendue, de se glisser à mes côtés plutôt que de s’installer sur le fauteuil sur lequel il m’a tant de fois veillée lorsque j’étais au plus mal. Ce que je sais en revanche c’est qu’une fois qu’il se glisse sous mes draps, j’enroule mes bras autour de sa taille et je niche ma tête tout contre son corps, en priant pour qu’il ne me repousse pas.