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@RORY CRAINE & NINA

lieu: les fleurs du mal, spring hill

Ça ne devrait pas la tracasser autant de rejoindre sa propre mère pour un café. C’est ce que tout enfant normal a l’habitude de faire avec ses géniteurs, c’est ce que l’on attend d’une relation saine entre les générations. Mais rien de tout cela n'entrait dans une quelconque normalité chez les Craine. Si Nina n’avait qu’une seule opportunité pour décrire l’enfer, elle choisirait cet instant : le lent et long chemin qui la menait vers le salon de thé choisi par Frances Craine pour une réunion familiale imposée. À chaque seconde écoulée, elle espérait que le bipeur dans la poche avant de son sac à main se mette à sonner frénétiquement. Certes, elle était en repos après une garde de plus de 48 heures, mais une urgence pouvait toujours arriver, non ? Est-ce qu’elle devait envoyer un message à Diego pour qu’il lui trouve la meilleure chirurgie de tous les temps, de celle qui ne peuvent pas attendre une heure de plus ? Tout était prétexte à fuir. Faire demi-tour sans se retourner et service une froide excuse à un Rory qui sera forcément déçu. C’est lui qui avait insisté, lui qui avait envahi le groupe Whatsapp de message en tout genre pour que quelqu’un se dévoue à satisfaire la subite envie de Frances de renouer des liens. Ils s’étaient tous fait avoir une fois, ou même plus. Tous, chacun à leur tour. Pourtant Rory était toujours celui qui était prêt à accorder une deuxième chance à leur génitrice. Et si tous les autres s’était empresser de refuser, Rory avait su faire usage de son franc-parler pour convaincre Nina. Pour le reste du monde, elle apparaissait comme un être sans cœur, pour son grand-frère elle devenait parfois capable de quelques concessions. L’éternel cercle vicieux venant avec son nom de famille, un chantage affectif rendant chacune de ses interactions avec la société un peu plus difficile. Nina avait été dure avec Rory après l’avortement, puis avec la nouvelle de son mariage et l’adoption. Nina avait bien des choses à rattraper auprès de son frère aîné, alors elle avait accepté.

Nina n’avait aucune envie d’être là. Plus spécifiquement encore lorsque l’hôtesse lui fit comprendre qu’elle était la première arrivée. Allait s’en suivre des minutes interminables à attendre tout ce qu’elle avait envie de fuir depuis l’instant où elle s’était réveillée dans son lit vide ce matin. Jouant avec le menu qu’on lui avait tendu dans un sourire crispé, Nina cherchait à distraire ses pensées. Tout en revenait toujours à la véritable raison qui avait poussé la matriarche à leur demander un entretien. Qu’elle fantaisie allait-elle bien pouvoir inventer ? Est-ce Frances allait encore supplier sa fille de lui trouver une place au sein d’une cure de désintoxication ? Nina avait assez donné à ce sujet, elle avait été claire avec Rory, elle ne ferait plus aucun effort. Il était hors de questions que les lubies passagères de sa génitrice viennent entacher sa réputation à l’hôpital et pire encore, auprès de ses confrères. Mais quoi d’autres ? Nina ne croyait plus aux envies de renouer une véritable relation. Ce genre de rêves s’était effondré à son adolescence lorsque Frances avait choisi la bouteille plutôt que ses propres enfants.

Le temps paraissait avoir ralenti, venant jouer avec les nerfs d’une Nina qui ne cessait de regarder sa montre. Encore cinq minutes et elle trouvera une excuse, n’importe laquelle. C’est comme si Rory l’avait entendu, tirant un soupir à la chirurgienne qui observa son frère entrer dans le salon de thé en marche arrière. Elle était prête à se moquer de sa démarche, avant que Rory ne se tourne pour laisser entrevoir une poussette. Poussette très occupée par un bébé, sa fille. Elle sentit son cœur faire un petit looping et pas de ceux que l’on pourrait classifier comme agréable. Nina n’aurait jamais dû venir. Pourtant, elle s’efforça de coller un sourire sur ses lèvres, pour rien ne laisser paraître. Tout allait bien. Ce n’était rien après tout. « T’avais pas assez de bras pour ramener toute sa chambre ? » Elle pouvait se moquer de tout le bordel que Rory transportait, c’était facile et naturel entre eux. « Frances n’est pas là et j’ai pas toute l’après-midi. » Nina ne voulait pas être là.

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Il ne pensait pas que ça leur compliquerait autant la vie, lorsqu'il avait suggéré d'aller boire un café avec leur mère pour sortir celle-ci de la solitude dans laquelle elle s'enfermait de plus en plus et s'assurer qu'elle ne passerait pas l'après-midi à contempler le fond d'une bouteille d'alcool, probablement cachée quelque part dans sa penderie ou dans son garage. Il ne pensait pas que ça coûterait autant à Nina, de constater une fois encore que le monde se devait de tourner autour de Frances Craine et de ses lubies, quand leur mère avait certainement l'intention de consacrer la moitié de la conversation à se plaindre de ne plus les avoir suffisamment et d'avoir le plus grand mal à réunir ses enfants autour d'une même table. Il ne pensait pas non plus qu'il se retrouverait à embarquer la poussette de sa fille en catastrophe et à rejoindre avec elle le point de rendez-vous, faute d'avoir pu la faire garder ni même eu le temps de s'organiser différemment. Ce n'était pas Robin qui risquait de se plaindre de pouvoir passer un peu de temps auprès de sa tante, mais il savait que pour Nina sa présence n'était pas toujours la plus évidente à appréhender et qu'une part d'elle au moins ne savait jamais vraiment comment y réagir, ou jamais avec énormément de diplomatie. Parce qu'il la connaissait par cœur, que même lorsqu'elle se renfermait il n'y a rien que Nina puisse véritablement lui cacher, et surtout pas sa souffrance. « T’avais pas assez de bras pour ramener toute sa chambre ? » Alors il mentirait s'il prétendait qu'il ne s'attendait pas à ce qu'elle ironise sur la présence de Robin si tôt sa fille et lui apparus dans son champ de vision, mais ça faisait partie des choses dont il s'efforçait de ne pas lui tenir rigueur. Même lorsque ça lui serrait le cœur, de voir les deux yeux de sa fille briller d'amour pour sa tante et ne pas toujours recevoir son affection en retour. « Désolé, oui, hm... il était pas prévu que j'amène Robin mais Swann a du partir s'occuper d'un patient et j'ai pas eu le temps d'appeler une baby-sitter. » Tout s'était fait très vite et il avait paré au plus pressé en voyant l'heure tourner et en imaginant Nina seule avec leur mère ; par chance, celle-ci n'était visiblement pas encore arrivée. « Elle a fait sa sieste tout à l'heure, elle devrait être sage comme une image. » Il précisa en se penchant vers sa sœur pour déposer un baiser sur sa joue, espérant qu'ils pourraient au moins éviter une crise de larmes et que Robin n'en profiterait pas pour donner de la voix. Il aurait suffisamment à tempérer les choses, aujourd'hui.

« Frances n’est pas là et j’ai pas toute l’après-midi. » L'agacement perceptible dans la voix de sa sœur cadette valut à Rory d'esquisser une légère grimace, conscient de l'emploi du temps chargé qui était celui de Nina et du fait que ce contre-temps lui vaudrait probablement de faire des heures supplémentaires. Et tout ça, parce que leur mère avait une nouvelle fois décidé de se faire désirer – un comble, lorsqu'elle était celle qui répétait à tout bout de champs qu'elle aimerait voir ses enfants réunis plus souvent. « Ça fait longtemps que t'attends ? Je vais essayer de l'appeler. » Probablement que cinq minutes seraient déjà de trop aux yeux de sa sœur, raison pour laquelle il ne perdit pas davantage de temps avant de se saisir de son téléphone et de composer le numéro de leur mère. Et sans surprise, la ligne sonnait occupée. « Je tombe sur son répondeur, elle doit être au volant. Je suis sûr qu'elle est dans les parages et qu'elle cherche simplement une place où se garer. » Il ne savait pas tellement lui-même qui d'eux deux il cherchait le plus à convaincre, mais il tenait absolument à ce que Nina soit de bonnes dispositions lorsque leur mère déciderait finalement de pointer le bout de leur nez. Se penchant vers la poussette de sa fille pour l'en détacher et prendre Robin sur ses genoux, il remonta un regard quelques peu anxieux vers Nina, appréhendant sans doute que la présence de sa fille rende l'instant encore un peu plus inconfortable pour elle. « Tu as déjà commandé ? » Ils n'étaient pas obligés d'attendre l'arrivée de leur mère, surtout si ça pouvait permettre de combler quelques blancs. « C'est elle qui a proposé ce rendez-vous, elle va bien finir par arriver. » Il tenta, dans un sourire seulement à moitié convaincu et alors que son regard se tourna à nouveau vers l'entrée du salon de thé avec le naïf espoir d'y voir apparaître la silhouette de Frances. Rien ne se passait jamais comme prévu dès que leur mère entrait dans l'équation, c'était une réalité qu'ils avaient tous été forcés d'accepter avec les années.

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Ses doigts fins tapaient un rythme imprécis sur la nappe immaculée. Sa nervosité pouvait passer pour de l’impatience, les deux se trouvant étrangement compatibles dans cette situation. Nina voyait les minutes défilés sans qu’aucun membre de sa famille ne dégaine passer le pas de la porte. Elle se demandait encore pourquoi elle avait spontanément accepté la demande de Rory. Probablement pour éviter toute désillusion à son grand frère qui cherchait encore et toujours à recoller les morceaux d’un vase que plus personne ne cherchait à sauver. Elle lui accordait cette chance, la possibilité d’un seul rendez-vous avec leur mère qui pourrait bien se dérouler. Elle n’était pas naïve Nina, elle savait déjà que Frances ne viendra pas.

Rory venait d’arriver, lui. Les bras chargés d’un sac à langer et d’une petite fille qui eut un immense sourire à la simple vision de sa tante. Le cœur de Nina fit quelques soubresauts. Une nausée inexplicable vint tirer sur son estomac. C’était toujours la même chose depuis l’arrivée de Robin dans la famille. Elle ne voulait jamais s’attarder sur ses sensations, mais il lui était difficile de passer outre. « Désolé, oui, hm... il était pas prévu que j'amène Robin mais Swann a dû partir s'occuper d'un patient et j'ai pas eu le temps d'appeler une baby-sitter. » Qu’est-ce qu’elle pouvait bien répondre à cela ? Elle ne pouvait pas demander à Rory de faire marche arrière. Il agissait comme un père responsable et au fond d’elle Nina en était fière. « Elle a fait sa sieste tout à l'heure, elle devrait être sage comme une image. » Elle eut une autre sensation acide à la précision de son aîné. Comme si la petite se devait d’être parfaitement invisible. « C’est pas grave Rory. » Il se montrait présent pour sa fille, Nina ne pouvait décemment pas lui reprocher cela. Tout comme elle ne pouvait déposer sur les épaules de son frère, les conséquences de ses propres décisions. Oui, mais Robin aurait pu avoir un cousin ou une cousine. Et malgré toute sa volonté, Nina ne put s’empêcher d’y penser. Elle aurait pu arriver avec son propre bambin et Frances n’aurait jamais fait partie de l’équation.

Frances qui persistait avec un retard de plus en plus flagrant, venant jouer avec les nerfs de Nina. Elle rêvait soudainement de ne plus être seule, en tête-à-tête, avec son frère et sa nièce. Il lui fallait une distraction, quelque chose qui viendrait l’extraire de ses propres pensées. « Ça fait longtemps que t'attends ? Je vais essayer de l'appeler. » - « Quelques minutes. » Des minutes de trop, Rory saura en juger par le ton qu’elle venait d’employer. Elle l’observa jongler entre le corps potelé de sa fille et son téléphone portable. Rory le sauveur, celui qui croyait que tout était possible dans son monde de rêveur. « Je tombe sur son répondeur, elle doit être au volant. Je suis sûr qu'elle est dans les parages et qu'elle cherche simplement une place où se garer. » Elle ne sut retenir son rire exacerbé. « Ou cette fois elle a véritablement réussi à encastrer sa voiture dans un poteau. » C’était déjà arrivé par le passé que leur mère provoque un accident de la circulation. Nina avait été appelée aux Urgences pour gérer sa mère alcoolisé et délirante. Une humiliation devant ses paires qu’elle n’avait jamais pleinement digérée. Une déception de plus dans la longue liste établie par ses géniteurs depuis plusieurs années. « Tu as déjà commandé ? » - « Je t’attendais. » Elle avait au moins pris cette politesse. « Je vais juste prendre un café. » Elle soulignait son intention de ne pas s’attarder sans jamais détacher son regard de celui de Rory. Même quand Robin cherchait à faire remarquer sa présence, Nina ne voulait laisser son regard glisser vers la petite fille. Elle ne s’était pas préparée à la voir, et même si elle savait tenir ses émotions à distance, certaine était bien plus complexe à contrôler.

« C'est elle qui a proposé ce rendez-vous, elle va bien finir par arriver. » Il avait encore de l’espoir Rory. Le seul qui tentait encore et encore de trouver des solutions et d’amener le pardon. Habituellement, Nina le laissait faire, ne cherchant pas à provoquer une dispute avec son aîné. Mais pas aujourd’hui. « Rory. » Elle capta son attention sans lui adresser le moindre sourire cette fois. « Il va falloir que t’arrêtes avec tes espoirs infondés. » Son ton était dur. Elle voulait le secouer, lui rappeler ce qui comptait réellement maintenant qu’il était un mari et un père. « Elle ne va pas venir. » Nina pouvait le sentir au plus profond d’elle-même. « Et même si elle avait la décence de se pointer, elle trouvera le moyen de te reprocher la façon dont tu tiens ta fille et la manière dont je gère ma carrière et mon couple. » C’était toujours le même refrain, sans cesse. Frances n’avait à cœur que l’image que renvoyait sa famille, elle qui restait marier à l’homme qui avait fait d’elle la femme la plus cocue du pays. « Au mieux, elle nous fera son petit cirque larmoyant. » Celui où leur mère jure qu’elle ne touchera plus jamais à une goutte d’alcool pour mieux replonger deux jours après sa sortie d’une énième cure. Nina ne voulait plus de tout cela, elle s’était juré de ne plus s’impliquer. « Tu me fais chier à toujours m’impliquer dans tout ça. » Elle était celle qu’il appelait à chaque fois. Et à chaque fois, Nina venait. Pour lui, jamais pour leur mère. Nina fulminait au sujet de leur mère pour ne pas laisser ses autres émotions prendre le dessus.

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Ce n'était pas ce qui était prévenu pour cette sortie, et Rory avait presque l'impression d'avoir tendu un piège à sa sœur. D'abord en lui demandant de se joindre à lui pour cette sortie avec leur mère, laquelle n'était toujours pas arrivée. Ensuite en emmenant sa fille à défaut de pouvoir faire autrement, là où il avait toujours nourri l'impression que sa présence remuait quelque chose d'inévitablement douloureux chez elle. S'ils n'en parlaient pas et que Nina était toujours très douée pour prétendre aller bien, il savait pertinemment que certaines blessures ne s'étaient pas refermées et qu'il contribuait sans doute malgré lui à les rouvrir, aujourd'hui – une pensée doublement douloureuse pour celui qui aurait voulu que l'arrivée de Robin dans la famille soit uniquement synonyme de joie pour tout le monde. « C’est pas grave Rory. » Tout ce qu'il espérait, c'est que sa fille comprendrait que le moment n'était pas des mieux choisis pour s’époumoner et donner une raison supplémentaire à sa tante de trouver le temps long. « Quelques minutes. » Il n'y avait bien que leur mère pour organiser ce type de rendez-vous et pour leur faire faux bond, ce à quoi Rory aurait du s'attendre quand il avait accepté de venir. Tomber sur son répondeur tandis qu'il essayait de la joindre pouvait signifier deux choses : qu'elle était en route ou qu'elle avait drastiquement changé d'avis. « Ou cette fois elle a véritablement réussi à encastrer sa voiture dans un poteau. » Son cœur se serra en repensant aux nombreuses fois où ils n'étaient déjà pas passés loin du drame et où leur mère aurait pu se mettre véritablement en danger ou blesser quelqu'un d'autre. « Dis pas ça, Nina. J'ai pas envie de penser à cette éventualité, et je sais que toi non plus. » Quoi qu'elle en dise, il savait que ça ne la laisserait pas indifférente s'il devait lui arriver quelque chose. « Je suis sûr qu'elle s'est simplement mise en retard, ça lui ressemblerait bien. » Et c'était de loin l'option qu'il préférait considérer, encore davantage alors que sa fille de quelques mois n'avait encore aucune idée de la complexité de toute cette situation. Robin était insouciante, ne connaissait de sa grand-mère que ses meilleurs cotés, et il tenait à ce que ça reste ainsi. « Je t’attendais. » Cette fois, le brun retrouva un léger sourire. « Je vais juste prendre un café. » - « Je crois que je vais prendre comme toi. » Ça la fera peut être arriver, qu'il se retint d'ajouter pour ne pas risquer de la voir rouler des yeux, conscient qu'elle y croyait bien moins que lui. Il attendit ainsi qu'un serveur approche et passa commande.

« Rory. » Lorsque son regard remonta jusqu'au minois de sa cadette et qu'il n'y perçut aucun sourire, Rory comprit qu'elle comptait lui parler sérieusement. « Il va falloir que t’arrêtes avec tes espoirs infondés. Elle ne va pas venir. » - « J'essaie juste d'être positif. Tu devrais essayer parfois, tu sais. » Et à peine eut-il prononcé ces mots qu'il les regretta, bien sûr, n'ayant jamais voulu que ça sonne comme un reproche. Ils savaient tous les deux qu'il avait toujours été un brin trop idéaliste, que ça lui avait même parfois joué des tours, alors il savait au fond de lui que Nina n'avait pas tort. « Désolé, c'est pas ce que je voulais dire. » Il lui assura doucement, parce qu'ils étaient du même coté et qu'il n'irait jamais penser le contraire, même simplement parce que sa sœur avait arrêté depuis bien longtemps d'accorder des circonstances atténuantes à leur mère. Elle avait aussi ses raisons, avait été témoin de suffisamment d'épisodes sordides pour savoir que si elle ne s'était pas battue pour aller mieux pour ses enfants, alors sans doute que rien ne la convaincrait jamais de se reprendre en main. « Et même si elle avait la décence de se pointer, elle trouvera le moyen de te reprocher la façon dont tu tiens ta fille et la manière dont je gère ma carrière et mon couple. » C'était difficile à entendre, mais une part de lui savait qu'elle était dans le vrai. Que leur mère avait toujours fonctionné comme ça, qu'ils n'avaient jamais été assez bons dans quoi que ce soit à ses yeux et alors même qu'elle n'était plus depuis longtemps en position de juger aucun d'entre eux. Bien sûr que Frances trouverait à redire de sa façon d'élever sa fille, et bien sûr que ce serait douloureux d'encaisser en silence plutôt que de risquer de dire quelque chose qu'il regretterait pour de bon, cette fois. « Je sais qu'elle est loin d'être la mère parfaite et qu'on se prépare tous psychologiquement à subir ses reproches quand elle propose de nous voir, mais... » Il baissa la tête, les petits doigts de sa fille se resserrant quant à eux autour de son index. « Je crois qu'elle essaie de se rapprocher de nous, à sa manière. Même si c'est maladroit. » C'est comme ça qu'il voulait voir cette sortie, sans doute parce qu'il en avait besoin. Même si c'était un énième échec, même si ça ne mènerait sans doute à rien : si elle avait proposé de les voir, c'est bien que ça partait au moins d'une bonne intention, non ? « Au mieux, elle nous fera son petit cirque larmoyant. » La gorge serrée, il demanda. « Tu penses vraiment qu'elle est pas sincère, quand elle nous dit vouloir arrêter tout ça ? Qu'elle l'est pas du tout, même dans une toute petite part d'elle-même ? » Qu'elle n'avait jamais eu l'intention de se faire aider, même lorsqu'elle les avait laissé démarrer certains démarches, restées vaines jusqu'ici ? Il voulait croire le contraire, Rory, mais les faits donnaient en plus en plus raison à sa sœur.

« Tu me fais chier à toujours m’impliquer dans tout ça. » A ces mots, Rory accusa le coup et reposa un regard soucieux sur sa fille, qui observait elle-même sa tante avec un brin d'appréhension, comme si elle avait senti la contrariété qui l'habitait. Déposant tendrement un baiser sur le crâne de Robin, il reporta à son tour son attention sur sa sœur. « Je suis désolé, Nina. » Il sentait bien que la situation la frustrait et qu'elle aurait volontiers échangé sa place avec n'importe quel autre membre de leur fratrie, et pour ça il ne pouvait pas lui reprocher d'exprimer sa lassitude. Surtout quand leur mère avait encore trouvé le moyen de leur faire perdre leur temps. « Je sais que t'as énormément de boulot à l'hôpital et aucune envie de gérer les lubies de maman sur le peu de temps libre que tu as. » Vraiment, il en était conscient et il ne lui aurait jamais demandé de venir s'il avait du se douter que Frances trouverait le moyen de se faire désirer. Elle avait raison sur un point, Nina : éternel idéaliste, il nourrissait toujours de trop grands espoirs dès que ça concernait leur mère. « Mais je suis dépassé et je m'inquiète pour elle. » Il confia dans un souffle, espérant qu'elle saurait à son tour se mettre à sa place. Il était l'un des seuls à rendre encore régulièrement visite à leur mère et à constater systématiquement à quel point son état empirait. La plupart du temps il parvenait encore à garder ça pour lui, à tenter de lui ouvrir les yeux par lui-même en s'efforçant de la convaincre de regarder le problème en face. Mais il était père, aujourd'hui, et pour sa fille autant que pour Swann il ne pouvait pas continuer à porter ce fardeau. Pas sans demander de l'aide et espérer en trouver auprès de sa sœur, quand bien même elle aurait des raisons de passer son tour. « Tu veux... on peut l'attendre un quart d'heure et nous en aller si elle nous fait faux bond ? Elle pourra pas nous reprocher de pas l'avoir attendue. » Il pourrait aussi l'attendre seul avec Robin, mais n'osait pas formuler cette possibilité de peur que Nina saute sur l'occasion pour la saisir. A défaut de peut être passer un moment avec leur mère, ils avaient au moins l'occasion de se voir tous les deux – tous les trois, même, avec sa fille qui n'avait pas tant d'occasions de voir sa tante autrement. Ça non plus, Rory ne le ferait pas remarquer, trop conscient au fond de lui de ce que la présence du bambin ravivait sans doute et craintif à l'idée de la blesser quand c'était pourtant la dernière chose qu'il souhaitait au monde.

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« Dis pas ça, Nina. J'ai pas envie de penser à cette éventualité, et je sais que toi non plus. » Non, elle n’en avait pas envie, mais ses raisons différaient très probablement de celle de son aîné. Elle ne voulait laisser ses pensées s’égarer auprès d’une telle possibilité, car elle n’en voyait que toutes les emmerdes dont elle allait hériter. La paperasse, les histoires de successions et la gestion d’un paternel à qui elle n’avait plus adressé la parole directement depuis ce qui lui semblait être des années. Non, définitivement, Nina ne voulait pas en arriver à penser à une telle éventualité. Mais cette dernière restait plausible que Rory veuille l’admettre ou non. « Je suis sûr qu'elle s'est simplement mise en retard, ça lui ressemblerait bien. » Elle ne put retenir un léger éclat de rire sarcastique. « Effectivement, depuis quand Frances Craine arrive à l’heure ? » Elle leur avait rabâché des années durant qu’il se fallait de toujours arriver à un rendez-vous avec un peu d’avance, mais elle n’était jamais fichue de venir les chercher en temps et en heure à leur activité extra-scolaire ou lorsqu’ils avaient besoin d’elle. En réalité, Nina n’attendait plus rien de sa génitrice. Les déceptions avaient été trop nombreuses, trop récurrentes. Elle allait encore se pointer avec le sourire aux lèvres tout en leur racontant une histoire rocambolesque qui tendait à justifier son énième manqué. Cela ne prenait plus, mais Nina était déjà préparée. En attendant, elle se retrouvait seule avec son frère et sa nièce, et même si l’humeur n’était pas de mise elle avait bien l’intention de consommer une boisson chaude. « Je crois que je vais prendre comme toi. » Elle pouvait l’entendre répéter que cela ferait venir leur mère. Il se retint néanmoins et pour prouver sa bonne foi, Nina s’empressa d’ajouter. « Rajoute un scone, j’ai un peu faim. » Ils finiront probablement par le partager.

Son humeur semblait clasher avec l’espoir qu’elle pouvait déchiffrer sur les traits de son frère. Rory était un optimiste, il l’avait toujours été. Ce qui pouvait parfois s’avérer être une qualité, finissait toujours par lui jouer des tours dès lors que cela touchait leur famille. « J'essaie juste d'être positif. Tu devrais essayer parfois, tu sais. » Son commentaire lui fit l’effet d’une gifle cinglante quand bien même cela n’était pas son attention. Elle se retint d’enchaîner avec une remarque acerbe, notant le regret dans les prunelles de son aîné, sans s’attarder à croiser son regard. « Désolé, c'est pas ce que je voulais dire. » Un soupir s’échappa d’entre ses lèvres tandis qu’elle se redressa pour mieux marquer la distance entre eux. « Pourtant, t'as pas pu t’en empêcher. » Elle ne sait pas vraiment ce qu’il avait souhaité sous-entendre par-là, s’il relevait un état général ou s’il se permettait un simple commentaire sur la patience qu’elle ne savait plus trouver en elle pour leur mère. « En attendant Rory, moi je suis là. » Quand Frances ne semblait toujours pas décider à franchir la porte du café. Alors, certes, elle n’était pas d’un optimisme très franc, mais elle avait pris la peine de se déplacer, parce qu’il le lui avait demandé. Une fois encore. Quand bien même elle se préparait à devoir éponger une énième déception dans le cœur de son frère, Nina avait répondu présente. Elle ne savait pratiquement rien lui refuser, mais elle ne pouvait apprécier le fait qu’il semble en jouer aussi délibérément.

Leur mère ne les avait habitués qu’à cela, être déçu de ses actions, le tout enveloppé dans des vagues de reproches sur les moindres détails de leurs vies. Il en avait toujours été ainsi. « Je sais qu'elle est loin d'être la mère parfaite et qu'on se prépare tous psychologiquement à subir ses reproches quand elle propose de nous voir, mais... » Déjà, elle levait les yeux au ciel, excéder par ses arguments. « Je crois qu'elle essaie de se rapprocher de nous, à sa manière. Même si c'est maladroit. » Non, cette fois, il s’agissait de la goutte de trop. Nina éclata d’un rire mauvais. « Tu t’entends parler Rory ? C’est quoi la prochaine connerie que tu vas sortir, que demain papa dira qu’il est fier de nous ?! » Autant continuer sur la lignée des rêves impossibles, Nina pouvait lui en procurer toute une liste. L’enfer est pavé de bonne intention toute aussi bancale que celle que Frances ne cessait de leur présenter. « Tu penses vraiment qu'elle est pas sincère, quand elle nous dit vouloir arrêter tout ça ? Qu'elle l'est pas du tout, même dans une toute petite part d'elle-même ? » - « Je crois surtout que tu n’es pas prêt à entendre ma réponse. » Elle pouvait se montrer acerbe avec beaucoup de monde Nina, mais dès qu’il s’agissait de Rory, elle s’efforçait à une certaine retenue. Il était le plus sensible de la fratrie, celui qui y croyait encore malgré les déceptions et les ratés. Personne ne le couvait pourtant, tous cherchant à lui rappeler la dure réalité de ce cocon familial qui avait implosé depuis des années. « Je pense qu’elle maîtrise assez bien son jeu d’actrice pour te manipuler et te faire espérer à des changements quand elle n’a jamais su lâcher sa bouteille malgré tous nos efforts pour l’aider à s’en sortir. » Elle ne voyait sa génitrice que comme une manipulatrice hors pair, mais cela Rory n’était pas prêt à l’admettre. « Tu es père de famille maintenant Rory. Alors dis-moi, tu t’imagines lui faire traverser tout ce que maman nous as fait subir ? » Son regard se planta sur Robin qui l’observait déjà de ses grands yeux ronds. Si l’innocence avait un visage, ce serait la copie conforme de sa nièce, sans hésiter. Frances n’avait pas d’affection pour un visage aussi pur, elle n’avait su que manipuler ses enfants à devenir les parfaits pantins d’une vie qu’elle continuait à rêver quand son mari l’avait rendu cocue avec le trois quart de pétasses présentes dans cette ville. Non, Nina ne pouvait plus croire aux promesses larmoyantes de leur mère. Elle n’avait jamais été une mère aimante à ses yeux. « Elle n’a aucun remords, tout ce qui compte, c’est sa putain de bouteille ! »

Elle n’avait pas souhaité s’emballer ainsi. Elle n’avait pas cherché à hausser le ton au point d’en surprendre sa nièce, mais le sujet avait tendance à la faire bouillir plus que de raison. Du coin de l’œil, elle observa Rory rassurer sa fille, alors que la petite ne décollait pas son regard de sur elle. Dans un geste timide, elle vint faire glisser ses doigts sur le mollet tout potelé de Robin. « Excuse-moi. » Elle n’avait pas voulu l’effrayer et souhaiter encore moins lui laisser l’image d’une tante en colère envers le monde entier. « Je suis désolé, Nina. » Tout le monde s’excusait à tour de rôle et rien ne faisait plus réellement sens dans cette accumulation de demande de pardon. « Je sais que t'as énormément de boulot à l'hôpital et aucune envie de gérer les lubies de maman sur le peu de temps libre que tu as. » Tout cela n’était qu’un doux euphémisme. « Surtout en ce moment Rory. » Elle se devait de donner cent pour cent de son temps à l’hôpital avec l’intervention qu’elle préparait. « Mais je suis dépassé et je m'inquiète pour elle. » Comme toujours. Le refrain se voulait à être éternellement le même. « Tu veux pas t’inquiéter avec Rosalie, je sais pas. » Elle savait bien faire ce genre de chose leur aînée. « Avec votre ribambelle de mioches, là, vous mettrez ça sur le compte des hormones. » Une fois encore, elle choisissait le sarcasme pour ne pas laisser entrevoir la douleur qu’elle pouvait ressentir à voir ses frères et sœurs devenir parent alors qu’elle n’avait pas eu le droit à cette chance. « Tu veux... on peut l'attendre un quart d'heure et nous en aller si elle nous fait faux bond ? Elle pourra pas nous reprocher de pas l'avoir attendue. » Une nouvelle fois, elle se mit à soupirer. « D’accord. » Avait-elle déjà dit ne rien savoir lui refuser ? « Mais Rory… C’est la dernière fois. Je ferais plus d’exception pour lui trouver une place dans un centre. » Elle avait joué avec toutes les ficelles que lui apportait son métier, à quelques semaines de l’opération la plus importante de sa jeune carrière, elle ne pouvait plus se permettre ce type de digression. « Je jouerais pas ma carrière pour maman. » Il en était tout simplement hors de question.

« Et je reste parce que j’ai bien l’intention de te laisser aucune miettes de mon scone. » Qu’elle annonça en venant croquer avec ferveur dans son gâteau. Détourner l’attention, elle savait faire. Nina voulait clôturer le sujet de leur mère. Il ne restait plus qu’à se lancer dans une conversation banale, de celle qui lui filait de l’urticaire. « Comment tu vas ? » Après tout, elle ne lui avait pas demandé avec tout ça. Ils étaient assis l’un en face de l’autre depuis quelques minutes et seul les reproches avait déferler entre eux. Et au milieu de tout ça, Robin ne délogeait jamais son regard de sur son visage. La gamine paraissait comme hypnotisée par la présence de Nina. Et cette dernière ne pouvait décemment plus ignorer la petite fille qui l’observait comme la huitième merveille du monde. « Je peux la prendre ? » Ses mots avaient dépassé sa pensée, franchissant la barrière de ses lèvres avant qu’elle ne puisse en analyser les conséquences.

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« Pourtant, t'as pas pu t’en empêcher. » Dire qu'il se reprochait ses paroles maladroites serait encore un euphémisme, la dernière chose qu'il souhaitait étant de blesser sa sœur ou de lui donner l'impression qu'il ne mesurait pas les efforts que ça représentait pour elle, d'avoir répondu à l'invitation lancée par leur mère. « Mes mots ont dépassé ma pensée, Nina, je suis désolé. » Et il l'était vraiment, tout comme il se retrouvait inévitablement frustré d'avoir à nouveau cru que la démarche de Frances était sincère et qu'elle leur offrirait l'occasion de passer un moment tous les trois, au calme, en famille. Il s'était bercé d'illusions, une fois de plus, et il n'avait aucune raison de le faire payer à sa sœur. « En attendant Rory, moi je suis là. » Elle avait raison, bien sûr que oui. « Je sais, oui, et je te suis reconnaissant d'être venue. Vraiment. » Elle aurait eu de bonnes raisons de passer son tour, Nina, tout comme lui aurait pu considérer avoir fait suffisamment d'efforts pour que le sort de leur mère ne soit plus son problème. Parce qu'il était père, désormais, que son mari aussi comptait sur lui. Malgré tout ça et l'impression que rien ne bougeait, une part de lui se sentait éternellement coupable de ne pas faire plus, de ne pas trouver de solution. Alors il répondait présent, sans arrêt, encore et encore.

« Tu t’entends parler Rory ? C’est quoi la prochaine connerie que tu vas sortir, que demain papa dira qu’il est fier de nous ?! » Il ne s'attendait pas à ce que sa sœur partage son envie de voir le verre à moitié plein, malgré toutes les désillusions que leur mère leur avait causé. Pour autant, elle effleurait ici un sujet qu'elle savait particulièrement sensible pour son frère, et une part de lui ne pouvait s'empêcher de se demander si elle le faisait délibérément. « Tu penses vraiment qu'on est logés à la même enseigne aux yeux de papa ? » Il demanda doucement, tâchant sans doute de manier la question avec une certaine prudence pour ne pas créer de nouvelles tensions. « Je veux dire... j'ai toujours pensé que si l'un de nous deux était susceptible de le rendre fier, c'était toi. » Il se fendit d'un léger sourire espérant que ça aiderait au moins à calmer le jeu et à prouver à sa sœur qu'il n'avait aucune envie d'entrer en conflit avec elle au sujet de leur mère ou d'aucun de leurs parents. S'il était si convaincu qu'elle devait inspirer une plus grande fierté à leur père, c'est parce que lui savait combien ses choix l'avaient déçu. « Je crois surtout que tu n’es pas prêt à entendre ma réponse. » C'était sans doute vrai et elle le connaissait assez pour le savoir, mais il avait l'habitude de sa franchise et il ne voulait pas que Nina commence à prendre des pincettes avec lui. « Je pense qu’elle maîtrise assez bien son jeu d’actrice pour te manipuler et te faire espérer à des changements quand elle n’a jamais su lâcher sa bouteille malgré tous nos efforts pour l’aider à s’en sortir. » Sans surprise, Rory encaissa effectivement ses paroles avec difficulté, pourtant conscient qu'elles représentaient malheureusement la réalité à laquelle ils étaient confrontés depuis des années. Aussi difficile que ce soit de l'admettre, leur mère avait toujours eu un certain don pour la manipulation. « Je sais qu'elle y met aucune bonne volonté, je t'assure, mais je sais pas ce que je suis censé faire. Me désintéresser à son sort en attendant qu'il lui arrive quelque chose de grave ? Menacer d'arrêter de la voir tant qu'elle aura pas accepté notre aide ? » Il était dépassé et perdu. « J'y ai pensé, tu sais. » Il confia ainsi dans un souffle, se sentant aussitôt coupable de l'avoir formulé. Mais c'était vrai, plusieurs fois il s'était dit qu'il menacerait leur mère de ne plus lui rendre visite tant qu'elle ne se prendrait pas en main. Jamais il n'avait pourtant osé le faire. « Tu es père de famille maintenant Rory. Alors dis-moi, tu t’imagines lui faire traverser tout ce que maman nous as fait subir ? » - « Non... bien sûr que non. » Et c'était certainement ça le plus dur, que sa sœur brandisse cet argument en sachant pertinemment qu'il ferait son effet, étant prêt à n'importe quoi pour sa fille et pour la protéger. « Je me suis promis de lui épargner tout ça. Et je t'assure qu'il y a eu un moment où Swann et moi on a envisagé l'idée qu'elle s'approcherait pas de Robin. » Lorsqu'ils se demandaient si la présence de leurs deux mères serait si bénéfique que ça dans la vie de Robin, lorsqu'ils avaient pensé en premier lieu à ses intérêts. Ils étaient tous les deux adeptes des secondes chances, mais ils étaient pères avant tout.

« Elle n’a aucun remords, tout ce qui compte, c’est sa putain de bouteille ! » Ces mots lui serrèrent le cœur et s'il se serait normalement assuré que personne autour d'eux n'avait capté des bribes de leur conversation, il n'en eut cette fois pas le réflexe. « Excuse-moi. » S'il aurait sans doute aimé qu'elle pense davantage au mal que ça pourrait lui faire de l'entendre parler de leur mère de cette façon, il savait que c'était simplement sa manière de vider son sac. De se débarrasser elle aussi de ce poids qui pesait sur son cœur. « Ça avait besoin de sortir. » Il souffla alors, avec sa compréhension habituelle, comprenant mieux que quiconque que le problème lui semble certains jours sans issue. Lui aussi, il se demandait souvent pourquoi leur mère continuait de prendre la situation à la légère quand elle faisait inévitablement souffrir toutes les personnes qui l'aimaient. « Surtout en ce moment Rory. » - « Je sais que tu te donnes à fond dans ton boulot, je t'assure que je déteste l'idée de t'en demander autant. » Et qu'il ferait autrement s'il le pouvait, supportant difficilement l'idée de la placer continuellement dans une position infernale quand elle en avait déjà supporté beaucoup. « Tu veux pas t’inquiéter avec Rosalie, je sais pas. Avec votre ribambelle de mioches, là, vous mettrez ça sur le compte des hormones. » Son sarcasme, Rory avait appris à composer avec il y a de ça des années, ainsi il ne le blessait sans doute pas autant que c'aurait été le cas s'il ne la connaissait pas aussi bien. Elle ne voulait pas se montrer blessante, elle exprimait simplement son ras-le-bol. « Tu sais qu'avec l'accouchement qui approche, il vaut mieux qu'on la ménage. Avec ce qui s'est passé la dernière fois, aucun de nous n'a envie de revivre tout ça. » Les difficultés relatives à son dernier accouchement restaient bien ancrées dans l'esprit de Rory, qui redoutait plus que tout de voir la situation se reproduire. Leur famille n'avait pas besoin de revivre un drame. « D’accord. » Elle acceptait de rester et d'attendre quelques instants avec lui, ce qui le soulagea inévitablement. « Mais Rory… C’est la dernière fois. Je ferais plus d’exception pour lui trouver une place dans un centre. Je jouerais pas ma carrière pour maman. » Prenant conscience d'à quel point tout ça pouvait être injuste pour elle et depuis le départ, il secoua la tête d'un air sincèrement navré. « Non, c'est toi qui as raison. C'est injuste de t'en demander autant et de te faire prendre des risques. J'essaierai de me débrouiller autrement la prochaine fois, je vais... réfléchir à des solutions pour soulager tout le monde. » Il ne pouvait pas continuer à la solliciter chaque fois que leur mère était prise d'une lubie à laquelle il ne pouvait malgré lui s'empêcher de céder. « Vraiment, je veux plus te placer dans cette situation. Je pourrais pas me le pardonner si t'avais des problèmes à cause de moi. » Son boulot était tout pour elle, et elle était tout pour lui. Il ne lui demanderait plus de risquer de se compromettre pour leur mère, peu importe à quel point son état l'inquiétait.

« Et je reste parce que j’ai bien l’intention de te laisser aucune miettes de mon scone. » Des mots qui suffirent à étirer un sourire un peu plus grand sur les lèvres de l'acteur, qui s'amusa de la façon dont elle parvint à alléger rien qu'un peu l'atmosphère. « C'est de bonne guère, je crois. » Et bien qu'il ne prendrait pas le risque de le souligner, de peur peut être que sa cadette y voit un reproche, ça le rassurait surtout de la voir manger à sa faim quand elle semblait toujours courir après le temps, même pour ce genre de choses. Elle se donnait énormément dans son travail, Nina, et ça l'amenait parfois à s'inquiéter pour elle. « Comment tu vas ? » Reposant sur elle un regard chaleureux, touché sans doute qu'elle prenne de ses nouvelles malgré les circonstances, il souffla. « Je vais bien. Le voyage de noces approche et ça nous rend impatients. Je risque de reprendre le boulot dans les prochaines semaines si tout va bien, alors j'ai envie de profiter de Swann et de Robin un maximum avant ça. » Il se faisait donc une joie de pouvoir partir quelques jours à Cuba avec son mari et de pouvoir passer un maximum de temps avec leur fille à leur retour, sachant que le probable tournage de son nouveau projet occuperait forcément une partie de son temps dans les prochains mois. Pas au point de l'éloigner durablement de sa famille, mais suffisamment pour qu'il appréhende ce changement dans leur quotidien. « Et toi, ça se passe bien à l'hôpital depuis ta titularisation ? » Il savait tout ce que sa sœur avait sacrifié pour en arriver là et tous les efforts que ça lui demanderait encore de prouver qu'elle était faite pour ça, alors il ne pouvait qu'être fier du courage et de la détermination dont elle faisait preuve au quotidien. Fier d'elle, tout simplement. « Je peux la prendre ? » Un brin d'étonnement se lut sans doute dans son regard lorsque les mots de sa sœur le prirent de court, Rory appréhendant toujours quelques peu ses réactions face à sa nièce et tout ce que sa seule présence devait certainement raviver. Il en était conscient et avait toujours eu à cœur de ne pas la brusquer, même quand il regrettait forcément qu'elle ne cherche pas à nouer un lien avec Robin. Aujourd'hui, pour la première fois, il semblerait qu'elle veuille faire un pas vers elle. « Oh... oui, bien sûr. » Se redressant doucement, sa fille toujours dans les bras, il contourna la table pour s'approcher de Nina. « Elle a légèrement grandi depuis la dernière fois que tu l'as vu. » Lui tendant sa fille avec précaution jusqu'à la lui déposer dans les bras, il remarqua rapidement qu'elle restait hésitante. « Si t'es pas sûre, je peux aussi la reprendre. » Il souffla alors, ses yeux interrogeant les siens tandis que Robin, dans son insouciance habituelle, semblait apprécier toute l'attention qui lui était portée. Et c'était bien le principal, finalement.

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Comme toujours, il ne fallut que quelques minutes pour que la conversation ne dérape. Nina s’était pourtant juré de garder son opinion pour elle, de ne pas chercher à brusquer son frère. Il faut croire que c’était tout simplement plus fort qu’elle. Dès qu’il s’agissait d’aborder le sujet de leur mère, elle ne voyait que la naïveté de son aîné et cherchait à l’en sortir, coûte que coûte. Quitte à parfois flirter avec la limite. « Tu penses vraiment qu'on est logés à la même enseigne aux yeux de papa ? » Levant un sourcil étonné, elle chercha à comprendre le sous-entendu que Rory paraissait vouloir laisser transparaître. « Je veux dire... j'ai toujours pensé que si l'un de nous deux était susceptible de le rendre fier, c'était toi. » Elle ne su retenir un long soupir. Ils avaient déjà eu cette conversation, une bonne dizaine de fois. « Avec ma spécialité si peu réputée et mes fiançailles à rallonge ? » Bien sûr qu’elle avait gagné le respect de leur géniteur avec ses études de médecine, mais quand lui s’était imaginé avoir une cardiologue dans la famille, il n’avait hérité que d’une chirurgienne en pédiatrie. Ce n’était pas l’image qu’il avait projetée sur elle, parce que leur père aurait toujours quelque chose à redire. Ce n’était pas une compétition, juste un triste constat.

Ce qui arrivait, tout de même, encore à les réunir n’avait jamais été leur père. « Je sais qu'elle y met aucune bonne volonté, je t'assure, mais je sais pas ce que je suis censé faire. Me désintéresser à son sort en attendant qu'il lui arrive quelque chose de grave ? Menacer d'arrêter de la voir tant qu'elle aura pas accepté notre aide ? » Oui. Mille fois même. Nina ne pouvait que le presser dans ce sens-là. « Bien sûr Rory. » La menacer, lui dire que tout était fini, qu’elle se retrouverait seule et que ses pleurnicheries n'auront plus aucun effet sur le moindre de ses enfants. À ses yeux, c’est ce dont Frances avait cruellement besoin. Un rappel à l’ordre. « J'y ai pensé, tu sais. » - « Alors pourquoi est-ce que tu ne le fais pas ? » Qu’est-ce qui le retenait encore ? La perspective d’une énième déception ? Nina ne voulait pas briser les illusions de son frère. Elle avait cessé de vouloir être celle qui allait le secouer, ne voulant être vu comme la méchante qui ne donnait de change à personne. Mais elle restait celle qui venait encore, celle qui, peut être dans le fond, voulait voir du changement également. Mais elle restait réaliste. Leur mère était malade, soumise à une addiction qu’elle seule pourra soigner. Son point de vue de médecin ne cessait de lui rappeler qu’il était impossible de guérir un addict, si le processus n’était pas de sa propre volonté. Nina voulait surtout que Rory se défasse de cette image de leur mère, celle qui n’existera plus jamais. « Je me suis promis de lui épargner tout ça. Et je t'assure qu'il y a eu un moment où Swann et moi, on a envisagé l'idée qu'elle s'approcherait pas de Robin. » Ils auraient dû rester sur cette idée, mais ce n’était que son avis et Nina en avait déjà assez dit.

Elle n’avait pas eu l’intention de laisser sa voix l’emporter, de s’agiter ainsi, de donner aux gens autour d’eux la possibilité de comprendre le sujet de leur conversation. Nina s’était emportée sans le contrôler. « Ça avait besoin de sortir. » Elle s’en voulait rien qu’en voyant les traits tristes de Rory. Se penchant un peu sur la table, elle vint poser sa main sur celle de son frère, dans un signe d’excuse. « Je sais que tu te donnes à fond dans ton boulot, je t'assure que je déteste l'idée de t'en demander autant. » Elle eut un soupir. « Ce n’est pas le souci. » Pas vraiment, tout du moins. « Ce qui m’énerve le plus Rory, c’est te voir te mettre dans cet état pour elle. » Se montrer aussi concerné, presque aussi triste, ce n’était plus possible. Il ne pouvait plus autant se laisser atteindre par les agissements de leur mère. « Tu as tellement plus désormais… » D’un signe de la tête, elle désigna Robin. « Arrête de lui chercher des excuses et de dépenser ton énergie dans quelque chose qui est foutu depuis des années. » Qu’il se concentre sur son mari, sur sa fille. Sur ce, qui vaut encore la peine de se battre. Et surtout, qu’il cesse de la mêler à tout cela. Nina n’avait plus la patience, ni l’envie. Il pouvait bien se tourner vers le reste de la fratrie. « Tu sais qu'avec l'accouchement qui approche, il vaut mieux qu'on la ménage. Avec ce qui s'est passé la dernière fois, aucun de nous n'a envie de revivre tout ça. » Elle hocha la tête. Bien sûr qu’il fallait la ménager, précieuse Rosalie qu’il ne fallait jamais bousculer. Une fois, encore elle préféra retenir le moindre commentaire, elle en avait déjà bien assez dit.

« Non, c'est toi qui as raison. C'est injuste de t'en demander autant et de te faire prendre des risques. J'essaierai de me débrouiller autrement la prochaine fois, je vais... réfléchir à des solutions pour soulager tout le monde. » Il ne comprenait donc pas. « Rory. » Elle prit une inspiration pour ne pas laisser ses pensées prendre le dessus sur sa raison. « Tu vas arrêter de réfléchir tout court. Elle ne veut pas qu’on l’aide. » Leur mère n’avait que quelques lubies passagères, probablement pour se rassurer sur le fait que sa progéniture ne lui avait pas encore totalement tourné le dos, mais cela devait prendre fin. « Laisse là se débrouiller. Au moins un temps. » Juste un peu, pour que Frances réalise un peu ce qui lui pends au nez depuis si longtemps. « Si t’accours à chacun de ses appels, elle comprendra jamais Rory. » Est-ce qu’il pouvait au moins entendre cela ? Même si l’exercice allait s’avérer complexe pour lui. « Vraiment, je veux plus te placer dans cette situation. Je pourrais pas me le pardonner si t'avais des problèmes à cause de moi. » Nina eut un léger sourire malgré tout. « Je vais pas avoir de problèmes. » Parce qu’elle ne donnerait plus son nom pour venir en aide à sa génitrice. C’était terminé. Elle l’avait placé deux fois en usant de sa maigre réputation, mais elle n’allait pas recommencer et il était hors de question d’impliquer Ruben dans tout cela.

Et juste comme ça, parce que la conversation avait déjà trop duré, Nina décida de changer de sujet. Le chapitre familial se devait d’être clôturé, Frances n’allait jamais passer le pas de la porte de ce café, elle en était désormais certaines. Mais Rory était là et elle ne l’avait pas vu en tête-à-tête depuis si longtemps. « Je vais bien. Le voyage de noces approche et ça nous rend impatients. Je risque de reprendre le boulot dans les prochaines semaines si tout va bien, alors j'ai envie de profiter de Swann et de Robin un maximum avant ça. » Elle ne put s’empêcher de sourire en voyant son frère serrer sa fille un peu plus dans ses bras. Il faisait un bon papa, elle n’avait aucun doute là-dessus. « C’est quoi ton prochain rôle déjà ? » Il lui avait dit, une fois au téléphone, mais elle avait déjà oublié. Ce n’était pas un manque d’intérêt, juste une information supplémentaire qui était venu se noyer dans le tourbillon de sa vie. « Et toi, ça se passe bien à l'hôpital depuis ta titularisation ? » - « Oui ça va. » Nina n’était jamais bien bavarde sur sa vie, mais aujourd’hui son attention se portait surtout sur sa nièce qui ne cessait de l’observer avec ses grands yeux de bébé. « J’enchaîne les gardes, mais c’est ce qui me plaît. » C’est aussi ce qui l’empêche de passer trop de temps seul dans son appartement quand Ruben n’est jamais là. Nina ne supporte plus d’être seule, mais elle s’abstient d’en faire le constat face à son aîné. Rester seule, c’était prendre le temps de ruminer tout ce qui l’avait tenu éloigné de sa propre nièce depuis son arrivée dans la famille. Nina avait ignoré Robin, l’ayant relayé au second plan pendant si longtemps. Et pourtant, la petite demoiselle ne cessait de lui offrir les plus grands sourires, dans son innocence la plus totale. Elle avait eu un pincement au cœur en la voyant ainsi, s’en voulant d’avoir ignoré un petit être si pur, qui n’avait rien demandé à personne.

« Oh... oui, bien sûr. » La surprise de son aîné vint encore plus lui comprimer la poitrine. Rory ne devrait pas être étonné de voir sa sœur réclamer de porter sa nièce. Il devrait lui avoir collé dans les bras dès l’instant où il s’était assis, mais ce n’était pas comme cela. Parce que Nina portait un deuil qu’elle avait exposé à son frère, de la manière le plus cruelle et la plus maladroite qui soit. Elle n’avait pas pleuré, elle avait simplement crié, ruinant un énième repas et poussant Rory a prendre des gants avec elle. « Elle a légèrement grandi depuis la dernière fois que tu l'as vu. » Il était en train d’hésiter et Nina n’était plus réellement sûre d’elle, mais finalement, Robin fut placé dans ses bras et elle marqua un temps d’arrêt. Une fois encore, Robin lui adressa un sourire. « Si t'es pas sûre, je peux aussi la reprendre. » - « Rory, je travaille toute la sainte journée avec des bébés. » Bon. Peut-être pas uniquement des bébés, mais tout de même. Nina savait porter un enfant. Et Robin venait de trouver sa place, tendant déjà ses petits doigts boudinés vers la chaîne que sa tante portait autour de son cou. Juste une seconde, alors que son regard se plongea dans celui de sa nièce, Nina eut la pensée de trop. Son bébé, celui qu’elle aurait dû avoir avec Ruben, aurait pratiquement le même âge que Robin. Ses yeux s’embuèrent, juste une seconde, alors qu’elle se pencha pour embrasser le petit crâne de sa nièce. « Elle est bien éveillée. » Si sa voix venait de dérailler un peu, elle le cachait dans une légère quinte de toux. Un maigre sourire étira ses lèvres alors que Robin était bien décidé à laisser ses petites mains tirer sur les cheveux de Nina. « Sois honnête, c’est qui le plus gaga entre Swann et toi ? » Elle aurait placé son argent sur son frère, mais Nina n’osait plus relever les yeux vers son aîné. Pas de suite, alors que son émotion était encore palpable et qu’il avait toujours été capable de lire en elle. Elle ne voulait pas gâcher le moment, ne pas parler d’elle surtout. Nina bataillait sans cesse entre son envie d’avoir une place importante dans la vie de sa nièce et le désir de faire comme si cette dernière n’existait pas et ne pouvait donc pas lui rappeler ce qu’elle avait perdue.

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« Avec ma spécialité si peu réputée et mes fiançailles à rallonge ? » Il n'avait jamais voulu que l'ambiance s'alourdisse et réalisait maintenant qu'il avait mis le sujet sur la table qu'il l'avait certainement fait avec maladresse, ses lèvres s'étirant en une moue désolée tandis que les petits doigts de Robin serraient toujours ceux de son père. « Il n'a aucun avis à émettre sur la spécialité que tu as choisi, Nina. Ce que tu fais pour ces enfants, tout ce que tu leur apportes, il serait incapable de le faire pour les siens. » Ce n'était pas un constat qu'il faisait avec plaisir, mais c'était on ne peut plus proche de la réalité. Leur père avait toujours trouvé à redire de chacun de leurs choix, comme si tout ce qu'ils faisaient n'était jamais assez bien à ses yeux. Garrett, Rosalie et Nina pouvaient au moins se targuer d'avoir opté pour des voies relativement prestigieuses aux yeux de Mark Craine, là où son fils cadet l'avait probablement déçu de bout en bout. C'est à ça, et simplement à ça, qu'il faisait allusion un peu plus tôt. « Pour le reste, je sais que Ruben et toi prenez votre temps parce que vous travaillez énormément et ça non plus, personne ne peut vous le reprocher. » Il est certain que depuis leurs fiançailles, beaucoup d'entre eux avaient espéré qu'une date serait fixée pour le mariage et qu'ils pourraient tous fêter ça ensemble, l'entrée de Ruben dans la famille étant de toute façon officielle depuis de nombreuses années désormais. Sans doute que personne ne se réjouissait plus à l'idée de les savoir un jour unis l'un à l'autre que Rory. « Même si je te mentirais si je te disais que je suis pas impatient de voir mon meilleur ami épouser ma sœur. » Il glissa dans un petit sourire, simplement parce qu'elle le connaissait, lui et son tempérament sentimental. Il aimait les jolies histoires qui finissent bien, Rory, et il ne souhaitait rien de moins pour deux des personnes qu'il aimait le plus.

Il le voyait, Rory, que sa sœur supportait de moins en moins qu'il s'acharne à vouloir aider leur mère quand celle-ci n'y mettait pas la moindre bonne volonté, s'enfonçant dans son addiction depuis des années sans plus donner l'impression de vouloir se battre pour reprendre le dessus. La situation devenait de plus en plus pesante pour tout le monde, incitant certains d'entre eux à se détourner de leur mère pour se focaliser sur leurs propres soucis, et ça n'était pas une chose que Rory irait un seul instant leur reprocher. A vrai dire, lui aussi y pensait de plus en plus, convaincu que l'énergie qu'il mettait à vouloir l'aider lui serait bien plus utile auprès de son mari et de leur fille. « Alors pourquoi est-ce que tu ne le fais pas ? » Cette question, il se l'était posé à lui-même des centaines de fois sans jamais avoir trouvé le courage de tourner le dos à celle qui lui avait pourtant rarement rendu tout ce qu'il avait pu faire pour elle. La plupart du temps, sa mère ne semblait pas même si enthousiaste à l'idée de le voir, là où elle acceptait pourtant bien volontiers l'aide qu'il était prêt à lui apporter. Même depuis l'arrivée de Robin, Frances Craine n'avait que rarement demandé à rencontrer sa petite-fille, peut être parce qu'elle était elle-même consciente de ne pas être en état d'être présente pour elle. Peut être aussi parce qu'elle sentait certaines réticences de la part de son fils à l'idée de la laisser passer du temps avec Robin en ce moment. « Parce que si chacun de nous finit par se détourner d'elle, elle aura plus aucune raison de vouloir s'accrocher. Et je veux pas la voir dépérir et me dire que j'aurais pu faire quelque chose de plus. » Il ne pourrait pas vivre avec cette idée, même alors que leur mère avait cessé d'être vraiment une mère pour eux il y a des années de ça. Quelques fois, pourtant, il la retrouvait telle qu'il l'avait connu et se persuadait que ça pourrait toujours être comme ça. « Je sais que tu dois trouver ça idiot, qu'à tes yeux il y a longtemps que j'aurais du abandonner... Mais c'est notre mère, Nina. » Et c'est pour ça qu'il ne parvenait pas à l'abandonner. Qu'il finissait toujours par revenir vers elle, par lui dégager du temps et s'organiser pour qu'elle puisse toujours se reposer sur quelqu'un. Son père ne tenait plus ce rôle-là depuis bien longtemps, et le reste de leur fratrie était tout aussi réticent que Nina à lui laisser une énième chance. « Ce n’est pas le souci. Ce qui m’énerve le plus Rory, c’est te voir te mettre dans cet état pour elle. » Ses mots l'atteignaient forcément en plein cœur, alors qu'aujourd'hui sa vie se trouvait bien plus remplie qu'à l'époque et que tout ce qui le touchait lui, se répercutait inévitablement sur Swann et sur leur fille. « Je déteste ça, moi aussi. Parce que je m'étais promis qu'une fois que je serais installé avec Swann, qu'on aurait enfin la famille qu'on a toujours voulu, tout ça m'atteindrait plus de la même manière. » Il s'était promis que ça marquerait le début d'une nouvelle vie à tous les niveaux et que leur mère ne pourrait plus l'atteindre aussi facilement. Il s'était promis que tout serait différent et que c'est sa vie, sa famille, qui passeraient toujours en premier. Et si c'était effectivement le cas, ça ne l'empêchait pas de répondre aux sollicitations constantes de Frances. « Tu as tellement plus désormais… » Son cœur se serra lorsque Nina souligna l'évidence et qu'il comprit à quel point leur mère avait toujours eu une emprise phénoménale sur lui. Une emprise qu'il pourrait rompre rien que s'il se décidait à la laisser se débrouiller seule, pour une fois. « Arrête de lui chercher des excuses et de dépenser ton énergie dans quelque chose qui est foutu depuis des années. » C'est sur sa fille que son regard attristé se reposa à ce moment-là, Rory réalisant que la meilleure motivation qu'il pourrait trouver pour faire comprendre à leur mère qu'il n'était plus disposé à en faire autant pour elle, c'était encore Robin. « Il y a vraiment des moments où j'y ai cru, tu sais. Au fait qu'elle se reprendrait en mains si on lui donnait une motivation. » Il confia dans un soupire dépité, le cœur gros d'éprouver l'impression d'avoir échoué quelque part. Parce qu'il avait toujours eu à cœur de l'aider, d'aider leur famille par la même occasion, et qu'il nourrissait l'impression de n'en avoir pas fait assez. « Ça aurait sûrement du me mettre sur la voie, de voir que ses propres enfants suffisaient pas à lui donner envie de se battre. » C'était peut être bien ça, le constat le plus douloureux. Réaliser que s'il avait du dépenser autant d'énergie à tenter de la convaincre de se soigner, c'est parce qu'elle n'avait même pas trouvé l'envie de se reprendre en mains pour sa propre famille. Pour ses cinq enfants, qui tous auraient eu besoin qu'elle accepte de se faire enfin aider. « Rory. » Au souffle émit par sa sœur, Rory comprit qu'elle ne lâcherait pas avant de lui avoir ouvert complètement les yeux. « Tu vas arrêter de réfléchir tout court. Elle ne veut pas qu’on l’aide. » Et elle avait raison, Nina. Parce que si sa mère avait voulu de leur aide, il y a longtemps que la situation se serait au moins en partie arrangé. « Laisse là se débrouiller. Au moins un temps. Si t’accours à chacun de ses appels, elle comprendra jamais Rory. » - « Je sais, oui. T'as sûrement raison. » C'était douloureux de se l'avouer, mais c'était surtout nécessaire. Il ne pouvait pas continuer à se rendre disponible chaque fois que leur mère appelait ou demandait à le voir. Il avait une famille, un mari, une fille. Il avait une vie à mener, désormais. « Je lui parlerai. Je vais... » Il prit une inspiration, retrouvant plus de contenance au moment de lui assurer. « Je lui dirai qu'il faut qu'elle s'habitue à ce que j'ai moins de temps à lui consacrer désormais. Je vais le faire, c'est promis. » Et il le ferait en premier lieu pour lui et pour sa famille, ça aussi c'était une promesse. « Je vais pas avoir de problèmes. » Une manière pour Nina de lui signifier qu'elle aussi ne répondrait sans doute plus aux sollicitations de leur mère, ce qui pouvait parfaitement se comprendre. Ils avaient tous eu leur compte, après tout.

« C’est quoi ton prochain rôle déjà ? » Elle ne se souvenait sans doute pas de la fois où ils en avaient parlé, et il ne pouvait pas tellement la blâmer d'avoir trop de choses en tête pour avoir prêté attention à ce qui concernait son prochain film. Peut être était-il habitué à ce que ses parents n'aient jamais montré beaucoup d'intérêt pour son art, ou peut être se considérait-il simplement chanceux de pouvoir en discuter avec son frère et ses soeurs sans immédiatement éprouver l'impression qu'il les ennuyait – Wendy était toujours la plus enthousiaste en la matière, sans que ça n'étonne personne. Dans un cas comme dans l'autre, il était reconnaissant à Nina de poser la question. « Un biopic sur la vie de John Fitgerald Kennedy, Jr. » Il souffla ainsi, reprenant. « Et pour être tout à fait franc, je savais pas grand chose de lui avant de lire le script, et c'est de voir à quel point sa vie a été marquée par les drames, par la pression médiatique et l'influence de sa mère qui m'a donné envie de  rendre hommage à l'homme complexe qu'il était. » Il avait beaucoup lu sur cet homme fascinant, Rory, en parallèle de tout ça. Il s'était beaucoup renseigné pour tenter de mieux le comprendre, de se glisser dans sa peau en avant l'absolue certitude d'avoir cerné celui qu'il était et de pouvoir le raconter avec le plus de justesse possible. Sur ce projet, il n'était pas question d'un personnage fictionnel auquel il pouvait simplement ajouter sa pâte et donner de la profondeur, mais de quelqu'un qui avait véritablement existé et qui n'aurait sans doute pas voulu qu'on dresse de lui un portrait édulcoré ou mensonger. C'est à ça qu'il s'attacherait, avec ce film. « Tu savais qu'il se rendait au mariage de sa cousine quand son avion s'est abîmé en mer et leur a coûté la vie à sa femme, sa belle-sœur et lui ? Tu devineras jamais comment elle s'appelle. » La fameuse cousine, qui était d'ailleurs toujours en vie mais qui ne faisait pas partie des interlocuteurs qu'il avait rencontré en premier lieu pour préparer ce rôle. Peut être que ça viendrait, auquel cas ils s’apercevraient qu'ils partageaient un point commun et peut être, que tout ça prenait encore un peu plus de sens finalement.

« Oui ça va. J’enchaîne les gardes, mais c’est ce qui me plaît. » Des mots qui suffisaient à tranquilliser son cœur de grand frère, quand bien même il restait conscient d'à quel point son boulot lui en demandait beaucoup, souvent au détriment d'une grande partie du temps qu'elle pourrait passer à se reposer ou à cultiver des hobbies en dehors des murs de l'hôpital. Il ne lui reprocherait jamais d'avoir choisi une voie aussi exigeante, ne pouvant contenir la fierté que ça lui inspirait de la voir dédier autant de son énergie à aider les autres, mais il regrettait parfois que ça la pousse à sacrifier autant. « Je sais que ce que tu fais te passionne, et je suis heureux de te voir t'épanouir dans un boulot pour lequel tu es faite. Même si je me plaindrais pas de te voir te reposer un peu plus souvent. » Elle savait déjà tout ça, c'était loin d'être la première fois qu'ils avaient cette discussion et c'est pour ça qu'il ne comptait pas l'éterniser. Il était son frère, qu'il s’inquiète pour sa santé était inévitable, mais ça ne l'empêchait pas d'être heureux de voir quel médecin formidable elle était pour ses petits patients. Pourtant lorsqu'elle émit le souhait de prendre sa fille dans ses bras, une part de lui se retrouva à hésiter, non pas parce qu'il ne voulait pas lui confier Robin mais parce qu'il craignait sans doute que ce soit difficile pour elle. Parce qu'ils ne parlaient jamais de ce qui lui était arrivé, de la façon dont ses révélations avaient jeté un froid sur le dernier repas de famille, mais qu'il pensait constamment à la douleur et au traumatisme que ça avait du être pour elle d'interrompre cette grossesse à la demande d'un autre. Une part de lui ne pardonnerait sans doute jamais totalement à Ruben de lui avoir demandé de faire ce choix, même si avec lui non plus le sujet n'était pas facilement évoqué. « Rory, je travaille toute la sainte journée avec des bébés. » Elle avait raison, c'était ridicule de sa part de prendre autant de pincettes alors que c'est Nina elle-même qui lui avait demandé de tenir Robin, certainement parce qu'elle se sentait prête. « Je sais, oui, je voulais juste... ça fait rien, oublie. » Il était impensable qu'il lui refuse une telle chose, lui qui depuis des mois nourrissait l'espoir que sa sœur veuille un jour se rapprocher davantage de Robin. Qu'elle demande à la porter pouvait sembler peu de choses, mais c'était un énorme pas en avant aux yeux du jeune père qu'il était et qui désespérait sans doute un peu de la voir faire un pas vers sa fille. Un pas extrêmement symbolique et qui réchauffait inévitablement son cœur. Alors Rory abandonna ses dernières réserves lorsqu'il déposa sa fille au creux des bras de Nina, convaincu au fond de lui que si l'initiative venait d'elle, alors c'était forcément bon signe. « Elle est bien éveillée. » Son sourire s'étira doucement tandis qu'il couva sa sœur et sa fille de son regard le plus tendre, incapable de ne pas s'émouvoir devant cette scène. « Elle est hyper curieuse de tout. C'est un bébé vraiment enthousiaste et on a beaucoup de chance qu'elle se soit facilement adaptée à son nouveau chez elle. » Les premières semaines ne s'étaient pas passées sans encombre mais leur fille avait rapidement adopté son nouveau foyer en retour, les rassurant après que Swann et lui aient eu tout le temps de s'inquiéter de ce qui adviendrait une fois qu'elle les aurait rejoint. « Sois honnête, c’est qui le plus gaga entre Swann et toi ? » - « Oh je crois qu'on arrive à égalité sur ce point. Ce bébé, on le voulait tellement, je crois qu'on passe autant de temps à s'appeler l'un-l'autre pour prendre de ses nouvelles quand l'un est seul avec elle et que l'autre n'est pas à la maison. Avec nous elle a vraiment hérité de deux pères hyper-protecteurs. » Et ce n'est que lorsqu'il redevint un court instant silencieux qu'il nota que quelque chose avait changé dans l'attitude de sa sœur, dont la voix avait d'abord laissé paraître une vive émotion mais que Rory avait sans doute mise sur le compte de ce moment un peu particulier. A présent, alors qu'il la voyait éviter son regard et baisser la tête, se renfermant sur elle-même de minute en minute, il comprenait que quelque chose n'allait pas. « Nina... tout va bien ? » La question lui semblait si stupide qu'il s'en voulut presque de l'avoir posé. Parce qu'il savait tout au fond de lui ce qui la torturait ici. Qu'il voyait la scène se jouer sous ses yeux comme s'il l'avait déjà vécu, incapable de ne pas faire un parallèle avec la détresse qu'il avait perçu chez sa sœur le soir où elle s'était confiée. « Je suis désolé, je voulais pas... » Il ne voulait pas raviver de douloureux souvenirs, conscient que c'était sans doute inévitablement le cas lorsqu'elle posait les yeux sur Robin et repensait à cet enfant qu'elle n'avait pas mis au monde. Nina était peut être secrète, mais il la connaissait trop bien pour ignorer son mal-être. Pour ne pas voir que ça la détruisait sans doute intérieurement autant que ça l'aidait sans doute d'être en présence de Robin aujourd'hui. « Tu sais que tu peux me parler, si tu as besoin, pas vrai ? » Qu'elle pouvait tout lui dire, même ce qu'elle ne se sentait capable de dire à personne. Tout ce qu'il voulait, c'était qu'elle puisse se libérer de ce qui lui pesait sur le cœur. Si la présence de Robin pouvait à terme devenir source de réconfort pour elle plutôt que le rappel constant d'un moment douloureux de sa vie, alors au moins n'aurait-il plus l'impression que ça torturait quelque chose chez Nina d'être en sa présence. Parce que ça le faisait se sentir inévitablement coupable chaque fois qu'elle semblait troublée et ailleurs, et qu'il ne voulait pas savoir sa sœur en souffrance quand ils passaient du temps tous les trois. Il voulait plus que tout que Robin noue une relation privilégiée avec sa tante, mais pas au détriment du bien-être de Nina. Il voulait que tout le monde soit heureux, Rory, pour ne pas changer. « Je crois qu'elle a trouvé une place très confortable. Je m'attends déjà à ce qu'elle se rebelle quand il faudra qu'elle quitte les bras de sa tante pour rentrer. » Et il tenta d'insuffler une certaine légèreté à ses propos, espérant que ça aiderait au moins à rendre le sourire à Nina et à l'apaiser, à défaut qu'elle soit peut être prête à se confier à lui ou que le moment soit peut être des mieux choisis pour ça.

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@RORY CRAINE & NINA

« Il n'a aucun avis à émettre sur la spécialité que tu as choisie, Nina. Ce que tu fais pour ces enfants, tout ce que tu leur apportes, il serait incapable de le faire pour les siens. » Elle aurait voulu rire, mais les propos de Rory se voulaient bien trop proches de la réalité. Leur père n’avait jamais rien fait pour eux, et pourtant, il passait son temps libre à critiquer le moindre choix de ses enfants. Seul Garrett avait su gagner son respect, enfin… Il l’avait acheté avec le temps et l’argent qui renflouait son compte en banque. Nina n’avait jamais eu ce désir, elle avait choisi un métier qui la passionnait, comme Rory avait pu le faire avant elle. « Pour le reste, je sais que Ruben et toi prenez votre temps parce que vous travaillez énormément et ça non plus, personne ne peut vous le reprocher. » Elle commençait à se le reprocher elle-même pourtant, mais ce n’est pas quelque chose qu’elle allait avouer à Rory. Ils allaient se marier, ce n’était qu’une question de temps désormais. « Même si je te mentirais si je te disais que je suis pas impatient de voir mon meilleur ami épouser ma sœur. » Nina leva les yeux au ciel face à l’évident romantisme démontré par son aîné. « Je vais devoir prévoir une boîte de mouchoir rien que pour toi le jour J. » Il serait celui avec les larmes aux yeux dès le début de la cérémonie, elle n’en avait aucun doute.

Elle n’était pas certaine de savoir où allait sa préférence : parler de son mariage qui tardait à se réaliser ou à s’éterniser sur l’absence si criante de leur mère ? Nina n’avait plus la patience d’attendre après une mère qui ne démontrait jamais le désir de faire le moindre effort pour ses propres enfants. Rory restait l’idéaliste de la famille, celui qui préservait à laisser une chance à cette femme qui avait cessé d’être leur mère depuis si longtemps. « Parce que si chacun de nous finit par se détourner d'elle, elle aura plus aucune raison de vouloir s'accrocher. Et je veux pas la voir dépérir et me dire que j'aurais pu faire quelque chose de plus. » Aussi étrange que cela puisse paraître, Nina ne fut qu’à peine touché par la déclaration de son aîné. Elle avait parfaitement conscience qu’ils avaient tous une certaine responsabilité dans la santé de leur mère, mais elle ne pouvait se résoudre à tout abandonner pour se donner pleinement à cette femme. « Je sais que tu dois trouver ça idiot, qu'à tes yeux il y a longtemps que j'aurais dû abandonner... Mais c'est notre mère, Nina. » Elle eut un rire mauvais, parfaite traduction de tout ce qu’elle pouvait ressentir dans cette situation. « J’ai plus vraiment eu l’impression d’avoir une mère depuis bien longtemps, Rory. » Elle n’avait eu le droit qu’à un maigre sourire lorsqu’elle avait annoncé ses fiançailles, sa mère ne s’était même pas déplacée pour sa titularisation. Nina ne la comptait plus dans ses projets, elle ne se berçait plus d’illusions. Les déceptions ont été grandes, mais elle en avait fini avec tout cela. Tout ce qui lui restait à voir était l’énergie que Rory dépensait dans un espoir aussi vain. « Je déteste ça, moi aussi. Parce que je m'étais promis qu'une fois que je serais installé avec Swann, qu'on aurait enfin la famille qu'on a toujours voulue, tout ça m'atteindrait plus de la même manière. » Et pourtant, il continuait à se laisser bouffer par son sens des responsabilités. « Tu te fais du mal. » Il en avait pleinement conscience, elle pouvait le voir dans ses aveux à demi-mots. « Il y a vraiment des moments où j'y ai cru, tu sais. Au fait, qu'elle se reprendrait en mains si on lui donnait une motivation. » Mais quelle motivation ? Des petits-enfants ? Elle en avait trois, bientôt quatre et pourtant rien n’avait changer.  « Ça aurait sûrement dû me mettre sur la voie, de voir que ses propres enfants suffisaient pas à lui donner envie de se battre. » Nina eut un soupire. « C’est papa le responsable de tout ça. » Il l’avait détruit en la trompant ainsi sur la place publique. Leur mère ne s’était jamais remis de l’humiliation, d’un cœur brisé au-delà de ce qui pouvait être réparé. « On ne peut plus tout abandonner pour elle. » Pas alors que chacun tentait de construire sa propre vie en dehors de l’univers toxique dans lequel ils avaient tous grandi. « Je sais que tu nous en veux d’avoir déjà abandonné. » Il ne le formulerait jamais ainsi, parce que ce n’était pas le genre de Rory, mais elle avait besoin de s’exprimer à sa manière aussi. « Mais Rory, on ne peut pas se battre pour quelqu’un qui ne veut pas qu’on l’aide. » Nina ne voulait plus se détruire la santé pour une mère qui ne serait jamais fière d’eux et elle ne voulait plus voir son frère s’épuiser avec ça. Il devait réaliser que rien n’allait changer, que tout était briser depuis bien trop longtemps. « Je sais, oui. T'as sûrement raison. » - « Je suis désolée. » Ce n’était pas des mots qui passaient régulièrement la barrière de ses lèvres, mais Nina était profondément désolée de voir son frère autant attrister par la situation. « Je lui parlerai. Je vais... » Un instant, elle eut peur qu’il n’ait en réalité rien compris de ce qu’elle s’efforçait de lui faire comprendre. « Je lui dirai qu'il faut qu'elle s'habitue à ce que j'ai moins de temps à lui consacrer désormais. Je vais le faire, c'est promis. » Elle pouvait entendre toutes les conditions qu’il sous-entendait, tout ce qu’il ne serait pas capable de complètement rayer de sa vie, mais elle ne pouvait lui en vouloir. Rory avait toujours été si altruiste, personne n’allait le changer du jour au lendemain. « Je veux juste que tu penses à toi. » Il n’y avait rien de plus à dire.

Et dans le but de ne pas laisser cette conversation empoisonner les rares moments qu’ils pouvaient passer ensemble, elle fit prendre un tournant drastique à leur discussion. S’intéressant bien plus à ce que Rory allait tourner très prochainement. « Un biopic sur la vie de John Fitzgerald Kennedy, Jr. » Il avait suffi qu’il prononce ces quelques mots pour qu’elle se souvienne. Il lui en avait déjà parlé et elle avait oublié. « Mais oui bien sûr ! » Il lui avait dit et ce qu’elle s’apprêtait à dire, elle le lui avait déjà dit également. « Je trouve que c’est un rôle qui te va si bien, physiquement. » Il avait un peu des airs de Kennedy dans le fond, ce n’était pas pour se vanter, mais Nina avait toujours clamé que son frère possédait un charme fou. « Et pour être tout à fait franc, je savais pas grand-chose de lui avant de lire le script, et c'est de voir à quel point sa vie a été marquée par les drames, par la pression médiatique et l'influence de sa mère qui m'a donné envie de rendre hommage à l'homme complexe qu'il était. » Clairement un rôle qui était taillé pour lui, elle n’en doutait pas. Rory allait pouvoir rendre justice à cette histoire si peu connue du grand public. « Tu savais qu'il se rendait au mariage de sa cousine quand son avion s'est abîmé en mer et leur a coûté la vie à sa femme, sa belle-sœur et lui ? » Elle secoua la tête en guise de négation. « Je savais juste pour l’accident d’avion. » Un drame de plus dans l’histoire étonnante de cette famille. « Tu devineras jamais comment elle s'appelle. » - « Nina ? » Elle plaisantait bien sûr, mais le simple fait de voir l’étonnement sur le visage de Rory la fit éclater de rire. « Non vraiment, elle s’appelait Rory ? » Si tout cela ne se résumait pas à un signe du destin. « Tu seras à New-York longtemps ? » Nina avait toujours rêvé de voir cette ville, mais il serait fou de s’imaginer prendre un congé pour rejoindre son frère. « Je sais que ce que tu fais te passionne, et je suis heureux de te voir t'épanouir dans un boulot pour lequel tu es faite. Même si je me plaindrais pas de te voir te reposer un peu plus souvent. » Même si lui serait capable de tout organiser pour qu’elle le rejoigne justement. « Je vais bien Rory. » Il ne cesserait donc jamais d’être cet homme inquiet pour toute sa fratrie même lorsqu’il n’avait pas raison de l’être.

Nina allait lui en donner une de raison pourtant, lorsqu’elle exprima le désir de prendre sa nièce dans ses bras. Elle avait lu son hésitation dans son regard tendre. Il marchait sur des œufs autour d’un sujet qu’elle se refusait d’aborder avec lui ou qui que ce soit d’autre d’ailleurs. « Je sais, oui, je voulais juste... ça fait rien, oublie. » Nina lui adressa un regard noir. Il n’avait pas besoin de prendre des pincettes avec elle, ce n’était pas nécessaire. Elle n’allait pas fondre en larmes simplement en portant Robin. Les émotions étaient présentes, elle ne pourrait le nier, mais elle n’allait pas s’effondrer, elle se le refusait purement et simplement. Les émotions étaient bel et bien présentes, mais Nina s’efforçait de poursuivre la conversation, comme si de rien était. « Elle est hyper curieuse de tout. C'est un bébé vraiment enthousiaste et on a beaucoup de chance qu'elle se soit facilement adaptée à son nouveau chez elle. » Robin lui offrit son plus grand sourire sans dents et Nina senti son cœur se serrer. Elle n’entendait plus les réponses de Rory à ses questions si idiote et dénuée de sens. Il n’avait fallu que quelques minutes pour que sa nièce l’adopte. Un sourire, une petite main potelée poser sur sa joue et Nina se sentit submergé par quelque chose qu’elle n’avait jamais pris le temps de laisser s’échapper. Tout lui revenait en mémoire, ce jour affreux, dans cette clinique hors de la ville, cette date précise. Et le calcul qui s’imposait à elle. Son bébé aurait eu le même âge que Robin à quelques semaines près. Elle sentit une douleur vive venir se loger dans sa poitrine. « Nina... tout va bien ? » Elle voulait qu’il cesse de la regarder comme il était en train de le faire, qu’il ne s’inquiète pas constamment pour elle. Mais elle ne pouvait ouvrir la bouche sans laisser s’échapper le sanglot qui semblait s’être logé dans le fond de sa gorge. « Je suis désolé, je voulais pas... » - « Arrête ! » Son ton se faisait dur, faisant presque sursauter Robin contre elle. Instinctivement, Nina resserra son étreinte contre la petite fille, plongeant la moitié de son visage dans ses petits cheveux de bébé. Elle avait besoin d’une minute, une seule, pour ne plus faire l’amalgame, pour se rappeler des différences. Ce n’était pas son bébé, mais sa nièce. Ce n’était pas la faute de Rory si ce simple souvenir la blessait autant. Ce n’était qu’une période passée, elle en avait fait son deuil, pas vrai ? « Tu sais que tu peux me parler, si tu as besoin, pas vrai ? » Bien sûr qu’elle le savait. Est-ce qu’il avait besoin de le répéter constamment ? Probablement pas. Nina ne voulait pas parler de cela, elle ne voulait pas. C’était difficile et absolument pas nécessaire. Cela provoquait tout un tas d’émotions chez elle, du genre de celle qu’elle ne savait pas gérer. Encore moins en public. Mais Rory avait demandé et Nina ressentait ce besoin morbide de le dire à voix haute. « Il aurait eu le même âge que Robin. » Il pour le bébé, en général. C’est tout. Ce n’était qu’un murmure qu’elle espérait qu’il n’est presque pas entendu. C’était dit et cela ne changeait rien à sa situation. Elle n’avait pas d’enfant, elle n’était toujours pas mariée et Ben continuait à n’être qu’un fantôme de passage dans son quotidien parfois.

Nina remercia Rory d’avoir au moins la présence d’esprit de changer de sujet. « Je crois qu'elle a trouvé une place très confortable. Je m'attends déjà à ce qu'elle se rebelle quand il faudra qu'elle quitte les bras de sa tante pour rentrer. » Robin eut un petit rire amusé aux paroles de son père, un doux son qui ramena un peu de gaieté sur le visage de Nina. Elle prit une inspiration avant de relever les yeux vers son frère. « On t’as pas dit ? » Elle mima une exagération de la surprise pour mieux enterrer ses émotions au plus profond. « On vient de se mettre d’accord avec Robin, elle va rester avec tata. » Et comme si la petite fille venait de comprendre les paroles de sa tante, elle se mis à pousser un petit cri aigu d’approbation. « Tu vois ! » Et cette fois, il ne restait plus aucune trace d’émotions sur le visage de Nina. Elle avait renfilé son masque.

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@NINA CRAINE & RORY

« Je vais devoir prévoir une boîte de mouchoirs rien que pour toi le jour J. »
« Arrête, je suis prêt à parier que même papa risque de verser une ou deux larmes de joie. »

Trait d'humour ou non, ils savaient tous les deux combien leur père avait toujours apprécié l'idée qu'elle fasse sa vie avec un médecin aussi sérieux et réputé que Ruben, qu'il cochait sans doute plus de cases que n'importe qui d'autre à ses yeux et faisait office de gendre idéal à bien des niveaux pour celui qui avait toujours placé la réussite et la réputation avant n'importe quoi d'autre. Des détails bien plus secondaires aux yeux de l'acteur, qui aurait été immensément heureux de voir sa sœur épouser le chirurgien même s'il n'avait pas une carrière aussi prometteuse devant lui, et pas uniquement parce qu'ils étaient eux-mêmes amis depuis plus d'une décennie désormais et que Ruben avait toujours plus ou moins fait partie de la famille à ses yeux. Qu'il épouse prochainement Nina venait simplement rendre les choses un tout petit peu plus officielles. « J’ai plus vraiment eu l’impression d’avoir une mère depuis bien longtemps, Rory. » A ces mots, c'est son cœur qui se serra de plus belle tandis qu'il fut envahi du douloureux sentiment que Nina verbalisait ce qu'il éprouvait lui aussi depuis bien longtemps. « Je sais, Nina. Je crois que je comprends ça mieux que personne, à vrai dire. » Malgré toute l'énergie qu'il dépensait pour tendre la main à leur mère et l'aider même quand elle ne voulait pas s'aider elle-même, malgré toute sa bonne volonté face au temps qu'elle lui faisait pourtant perdre depuis toutes ces années à lui faire croire qu'elle se reprendrait en main sans jamais tenir ses promesses. Malgré ça, il était tout aussi désillusionné que sa cadette. « Tu te fais du mal. » Il ne pouvait même pas lui donner tort sur ce point, de plus en plus conscient qu'il se provoquait à lui-même ces déceptions répétées à vouloir à chaque fois laisser une nouvelle chance à leur mère. Au bout de combien de tentatives ratées pouvait-on raisonnablement baisser les bras ? « C’est papa le responsable de tout ça. » Et à nouveau, c'était comme si Nina disait tout haut ce qu'ils avaient tous pensé tout bas à un moment ou à un autre. Même Rory, qui pourtant s'était toujours refusé à tourner complètement le dos à leur père malgré l'indifférence qu'il lui avait bien souvent inspiré. Les faits étaient là et il ne servait à rien de les nier. « Il a causé beaucoup de mal autour de lui, je me demande parfois s'il s'en rend seulement compte. » Et ça n'était pas seulement cette histoire de tromperie, ce déménagement précipité pour sauver les apparences. Ils savaient tous les deux que ça allait bien au-delà et que c'est dans son rôle de mari et de père qu'il avait échoué continuellement. Il faut dire que leur père, quand il ne préférait pas sauter dans un avion pour s'éloigner d'eux, n'était pas l'homme le plus démonstratif qui soit. « On ne peut plus tout abandonner pour elle. » Et ces mots-là résonnaient tout particulièrement en lui maintenant qu'il était un mari et un père, évidemment. « Je sais que tu nous en veux d’avoir déjà abandonné. » - « Non, c'est... je t'assure que je comprends que ce soit devenu trop pour chacun de vous. » Ça l'était aussi devenu pour lui, tout du moins il commençait à accepter l'idée qu'il s'était déjà trop battu pour quelqu'un qui n'avait jamais été capable de dépenser la même énergie en retour, pas même pour tenter d'aller mieux. Sa mère se reposait sur ses efforts depuis des années et ça lui avait pris du temps de le comprendre. « Mais Rory, on ne peut pas se battre pour quelqu’un qui ne veut pas qu’on l’aide. » Et elle était probablement là, la douloureuse vérité. « J'ai encore besoin de m'en convaincre, je crois, mais je sais qu'au fond tu as raison. » Aussi difficile que ce soit, il lui était de plus en plus impossible d'ignorer que sa mère n'avait sans doute jamais voulu de son aide, que tout au plus elle aimait qu'on se préoccupe d'elle et qu'on réponde continuellement présent quand elle en avait besoin. « Je suis désolée. » Elle n'avait pas à l'être, c'est lui qui en vérité culpabilisait d'avoir pu lui donner l'impression qu'il lui tenait rigueur de la distance qu'elle cherchait à mettre entre Frances et elle, là où il était pourtant grand temps que quelqu'un pose des limites à ce que leur mère exigeait sans jamais faire d'efforts en contre-partie. « Je veux juste que tu penses à toi. » Ainsi, dans un souffle teinté d'une plus grande douceur, il ajouta. « Je le sais, je t'assure. » Et il lui en était aussi reconnaissant que son regard, pourtant teinté d'une certaine tristesse, le lui exprimerait. Des limites, c'était à lui désormais d'en poser.

« Mais oui bien sûr ! » Sa réaction lui valut cette fois d'afficher un air plus amusé, alors qu'un éclat de fierté brillait inévitablement au fond de son regard lorsqu'il se confiait sur ce projet cher à son cœur. Il était conscient de se voir offrir une chance de montrer ce qu'il valait vraiment, Rory, que ce script était non seulement brillant mais que l'homme à l'origine de ce projet était aussi l'une des figures les plus talentueuses du paysage cinématographique d'aujourd'hui. Ce rôle, il savait que de nombreux autres comédiens avaient rêvé de le décrocher. Alors il comptait s'en montrer digne et ne pas ménager ses efforts pour ça. « Je trouve que c’est un rôle qui te va si bien, physiquement. » Et ça l'amusait d'autant plus qu'à ses débuts, son physique l'avait un temps cantonné à des rôles relativement superficiels. Aujourd'hui, il avait contribué à lui offrir cette opportunité. « Tu m'en voudras pas de le prendre comme un compliment, il a quand même été élu « The Sexiest Man Alive » par People à son époque. » Une précision qu'il pouvait se permettre de faire maintenant qu'il n'ignorait plus grand chose de la vie et du parcours de cet homme particulièrement inspirant de son point de vue. Il n'accordait pas grande importance à ce genre de détails, Rory, mais il n'avait pas de mal à comprendre que John ait pu représenter le fantasme ultime de la fin des années 80, tant aujourd'hui encore tout ce qu'il représentait inspirait une certaine fascination. « Je savais juste pour l’accident d’avion. » Ils étaient trop jeunes elle et lui à l'époque pour avoir entendu parler de cette affaire. Une grande partie de ce qu'il savait, Rory ne l'avait appris que bien plus tard. « Nina ? » - « Non, raté. Quoi qu'il a peut être une petite cousine de ce nom-là quelque part. Ça vaudrait la peine de faire des recherches. » De ce qu'il en savait, les drames à répétition survenus dans cette famille ne les avaient pas empêché de cultiver un arbre généalogique des plus longs, alors qui sait. « Non vraiment, elle s’appelait Rory ? » Lui aussi, la coïncidence l'avait fait halluciner au départ. « Rory Kennedy, oui. Elle est la fille de son oncle, qui lui aussi a connu un destin tragique. Quand je l'ai su, j'ai pas pu m'empêcher d'y voir comme un signe. » C'était peut être idiot, mais il s'était dit que c'était quand même presque fou, quand on y réfléchissait, sans pour autant aller jusqu'à y avoir quelque chose de l'ordre du destin. « Tu seras à New-York longtemps ? » - « Le tournage devrait durer à peu près deux mois en tout, mais je ferai des allers-retours entre ici et là-bas. Je veux pas laisser Swann et Robin aussi longtemps. » Elle le connaissait, ainsi sa sœur ne serait pas surprise qu'il réfléchisse déjà au nombre de voyages qu'il aurait à faire pour être présent le plus souvent possible pour son mari et leur fille. Tourner à New York impliquerait forcément de rater certaines choses et il se le reprocherait suffisamment, mais il pouvait au moins s'organiser pour perturber le moins possible l'équilibre de Robin. « Je vais bien Rory. » Et aussi vrai qu'une part de lui continuait de penser qu'elle en faisait parfois trop et mériterait de faire passer son bien-être en priorité rien qu'une fois, il croyait profondément que son métier l'épanouissait et trouvait cette pensée réconfortante.

Voir sa sœur exprimer le désir de prendre sa nièce dans ses bras répandit une émotion inévitable chez l'acteur, mais cette scène d'abord attendrissante le poussa bientôt à culpabiliser malgré lui. Nina avait beau montrer difficilement ce qui l'affectait et arborer une carapace qui dissimulait habituellement ses émotions, il n'avait jamais été aussi frontalement témoin de sa détresse et c'était un spectacle des plus douloureux pour son frère, qui savait bien ce que ce moment devait inévitablement raviver. Ce n'était pas de la faute de Robin, ce n'était probablement pas de la sienne à lui non plus, pourtant le simple fait de tenir sa fille contre elle était certainement un supplice pour Nina ; un supplice qu'il ne pouvait alors que se reprocher d'avoir indirectement provoqué. Il le savait, Rory, qu'elle n'avait jamais cessé de penser à son interruption de grossesse et que cet événement avait eu des conséquences, bien plus profondes que quiconque ne l'avait sans doute jamais perçu. Même lui, dont on disait pourtant qu'il s'inquiétait toujours un peu trop, il n'avait sans doute pas été suffisamment attentif aux signes. « Arrête ! » Les propos de sa sœur l'incitèrent à se figer et à s'interrompre, sans qu'il prétexte être surpris que cet élan de bons sentiments rende sans doute ça encore un peu plus difficile pour elle. Il voulait bien faire, il voulait plus que tout l'apaiser et serait même prêt à prendre un peu de sa douleur pour la supporter à sa place, mais ça n'était pas suffisant. Et surtout, ça n'était pas ce dont elle avait ici besoin. « Excuse-moi. » Il souffla alors, le cœur lourd de la voir ainsi et plus encore de ne pas pouvoir l'aider comme il le voudrait. Robin, elle, ne se doutait de rien et profitait simplement de ce moment dans les bras de sa tante, encore si loin de perdre son insouciance – pour le plus grand soulagement de son père. « Il aurait eu le même âge que Robin. » Finalement, son regard se teinta d'une plus grande tristesse encore tandis qu'il déposa prudemment sa main sur la sienne, dans un geste que Nina jugerait peut être démesuré mais qu'il espérait plus approprié que ses tentatives maladroites pour la réconforter. Il essayait, Rory. Il tentait d'être là pour elle sans l'étouffer, sans accentuer la peine qui devait déjà la consumer de l'intérieur. « T'as pas à traverser ça toute seule, Nina. » Il avait besoin de le dire, besoin aussi qu'elle l'entende, peu importe à quel point Nina s'était justement construite autour de l'idée que chercher du réconfort auprès des autres était rarement une option. Elle était forte, mais elle n'avait pas à endurer tout ça comme si personne ne pouvait être là pour elle, pour l'écouter livrer ce qu'elle avait sur le cœur ou simplement l'entourer si elle ne voulait rien dire de plus. « T'auras jamais à le faire. » Il serait toujours là pour elle, qu'elle éprouve ou non le besoin de verbaliser ce qu'elle ressentait. Il serait toujours là et il ferait tout son possible pour que la présence de sa nièce soit à l'avenir synonyme d'apaisement, peu importe le temps que ça prendrait. Ils lui laisseraient le temps ; non seulement lui, mais aussi Robin qui du haut de ses quelques mois avait déjà tant d'affection à offrir et pas une once de jugement en elle. Sa nièce lui laisserait le temps, il en était certain.

Et d'ici là, il lui semblait plus sage d'alléger l'atmosphère par tous les moyens, jugeant qu'ils avaient tous eu assez d'émotions pour aujourd'hui. « On t’as pas dit ? On vient de se mettre d’accord avec Robin, elle va rester avec tata. » Son regard amusé passa de sa sœur à sa nièce, et c'est bientôt d'un ton faussement offusqué qu'il reprit. « Oh, vraiment ? Ça risque de poser un problème à Swann, ça. » Et à lui aussi, bien évidemment, mais il était déjà trop peu crédible et n'y mettait clairement pas beaucoup de bonne volonté non plus, soulagé que l'ambiance se fasse déjà beaucoup plus apaisée. « Tu vois ! » Robin n'avait mis qu'une poignée de secondes à donner raison à sa tante, elle dont les petits gazouillements donnaient une nette idée d'à quel point elle était à l'aise auprès de Nina. Et ça, ça réchauffait forcément le cœur de l'acteur, convaincu en son for intérieur qu'il suffisait d'un rien pour qu'un lien profondément fusionnel se créé entre ces deux-là. « C'est pas juste, tu joues sur la solidarité féminine et moi je fais pas le poids. » Finalement, après que quelques éclats de rire aient allégé pour de bon l'atmosphère et certainement contribué à sauver cette après-midi déjà entachée par l'absence de leur mère, c'est d'un ton un peu plus sérieux que Rory reprit la parole. « Si tu dois pas retourner tout de suite à l'hôpital, tu peux peut être venir te balader un peu avec nous. J'ai promis à Robin qu'on irait faire un tour au parc pour essayer d'y voir des écureuils, et je crois que cette petite chipie compte pas te laisser repartir de si tôt. » Et à vrai dire, il aimait lui-même bien trop les voir ensemble pour vouloir gâcher ce tableau attendrissant. « Si tu peux pas, ça fait rien. On pourra faire ça une autre fois. » Il n'oubliait pas que sa sœur était occupée, que ses patients avaient besoin d'elle et que c'était déjà assez inespéré qu'elle ait pu se libérer aujourd'hui à sa demande. « Je dirai à Maman qu'on en a eu assez de l'attendre. C'est tant pis pour elle. » Et comme pour prouver à sa sœur qu'il avait été particulièrement attentif à leur conversation et qu'il ne comptait pas continuer à attendre en vain après les efforts de leur mère, Rory se redressa pour faire signe à un serveur de lui apporter l'addition, déjà prêt à se saisir de sa veste et à prendre avec Robin et Nina la direction de l'extérieur.

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sheer and wild abandon that's all i need

@RORY CRAINE & NINA

« Il a causé beaucoup de mal autour de lui, je me demande parfois s'il s'en rend seulement compte. » Elle ne lui fera pas l’affront de répondre à cette question. Ce serait insulter son frère et tout l’espoir qu’il mettait encore au sein de leurs liens familiaux. Elle l’avait assez bousculé ainsi, ce n’était pas ce qui fonctionnait le mieux avec Rory. Elle se permettait bien plus de vérité auprès de Garrett ou même Rosalie, mais Nina avait conscience que les choses se devaient d’être géré d’une manière bien différente avec son aîné. « Non, c'est... je t'assure que je comprends que ce soit devenu trop pour chacun de vous. » Ils n’avaient pas eu la même patience que lui, mais Nina pouvait voir que son frère commençait à atteindre ses propres limites. Ils avaient chacun eu leur cheminement sur la question, mais elle voulait bien accompagner Rory au cours des dernières étapes qui seraient sans doute les plus douloureuses pour lui. « J'ai encore besoin de m'en convaincre, je crois, mais je sais qu'au fond, tu as raison. » Lui adressant un sourire timide, Nina vint chercher la main de son frère pour la serrer dans la sienne. « Et si t’as besoin d’en parler, on prendra le temps. » Ce n’était pas dans leur habitude, ce n’est pas quelque chose dont elle avait hâte, mais si Rory en ressentait le besoin, pour lui, elle saurait répondre présente. Pour qu’il prenne enfin conscience de tout ce qui ne va pas dans cette relation bancale, et surtout pour qu’il puisse enfin penser à lui. De tous les enfants Craine, Rory était celui qui avait le plus le droit de jouer la carte de l’égoïsme durant un temps.

Il était tellement plus simple pour elle d’amener Rory vers une conversation bien plus banale. Si elle n’était pas la plus renseignée sur la carrière de son frère, Nina ne manquait jamais de voir les films de son frère et le prochain était, bien entendu, déjà sur sa liste. Le challenge paraissait bien plus conséquent que ce que Rory avait pu entreprendre jusqu'à présent et c’est avec une véritable curiosité qu’elle l’écoutait parler de ce futur rôle. « Tu m'en voudras pas de le prendre comme un compliment, il a quand même été élu « The Sexiest Man Alive » par People à son époque. » Elle ne put s’empêcher de ricaner quelque peu. « Qui sait, tu seras peut-être le prochain élu. » Si elle n’avait jamais réellement compris toute la hype autour de ce titre quelque peu prétentieux, elle souhaitait tout de même sincèrement que la carrière de son frère atteigne des sommets. « J’en connais un qui va apprécier de te voir dans des costumes d'époque. » Il y avait définitivement quelque chose dans les années 50/60, une manière que les hommes avaient de se vêtir qui c’est perdue avec le temps. Un costume à la découpe parfaite, un chapeau et des bretelles pour une touche de classe quelque peu différente. « Tu m’enverras des photos ? » C’est ce qu’elle aimait le plus lorsque Rory devait s’absenter pour un tournage, il lui envoyait des aperçus des backstages, comme une petite curiosité, un privilège qu’elle partageait avec lui. Sa manière à elle d’avoir toujours un lien avec son aîné sans que cela ne se transforme en des conversations qui perdurent durant des heures.  « Non, raté. Quoi qu'il a peut être une petite cousine de ce nom-là quelque part. Ça vaudrait la peine de faire des recherches. » - « Ce serait bien des parents de s'être inspirés des Kennedy. » Surtout de la part de leur père, lui qui avait toujours entretenu son lien avec la haute bourgeoisie et la distance qu’il tenait avec le reste du monde. « Rory Kennedy, oui. Elle est la fille de son oncle, qui lui aussi a connu un destin tragique. Quand je l'ai su, j'ai pas pu m'empêcher d'y voir comme un signe. » Nina leva les yeux au ciel. « Évite de voir des signes dans des destins funestes, s’il te plaît. » Est-ce qu’elle allait s’inquiéter pour lui ? Probablement, mais ce n’était pas nécessaire de le souligner ainsi. Elle préférait s’enquérir sur ses absences, calculant déjà vaguement le décalage horaire qui allait les séparer. « Le tournage devrait durer à peu près deux mois en tout, mais je ferai des allers-retours entre ici et là-bas. Je veux pas laisser Swann et Robin aussi longtemps. » Bien sûr qu’il allait s'épuiser à faire des allers-retours. Il était inutile d'émettre le moindre commentaire, elle pouvait déjà l’entendre contester chacune de ses paroles. « Tu feras attention. » C’est bien tout ce qu’elle pouvait dire et qui pénétrera la tête dure de Rory.

Et même si ce rendez-vous paraissait tourner au fiasco total quant à l’espoir de voir Frances franchir la porte du salon, Nina se voulait de passer un bon moment en présence de son frère. Il n’était jamais simple de le voir avec Robin, parce que la moindre de ses pensées se tournait alors vers ce qui n’aura jamais pu être, ce qu’elle avait manqué, ce pour quoi elle ne s’était pas assez battue ou ce qu’elle avait abandonné trop vite, elle ne savait plus vraiment. Tout paraissait se superposer dans un vacarme qu’elle ne tenait pas à affronter et elle s’en voulait de tellement tenir à distance sa nièce qui n’avait rien demandé. Alors elle cherchait à faire un effort, sous le regard empli de questions, de doutes et presque de jugement de son frère. « Excuse-moi. » Elle ne voulait pas entendre ses pensées à lui, elle ne saurait les affronter. Tout ce que Nina voulait était de pouvoir passer du temps avec Robin sans se demander comment les choses auraient pu être. Pourtant, la pensée était là, sournoise et venant la narguer sans cesse. Son bébé, si elle l’avait gardé, aurait eu le même âge que sa nièce, à quelques semaines près. Et la main de Rory contre la sienne vint la sortir de sa torpeur. Se détournant de l’affection de son frère, elle préféra fixer son regard sur les traits de sa nièce, pour réellement la regarder sans imaginer qui que ce soit à sa place. « T'as pas à traverser ça toute seule, Nina. » Elle ne voulait pas relever les mots de Rory, ne voulait pas se lancer dans cette conversation qui ne mènerait à rien de bon. « T'auras jamais à le faire. » Nina préférait fixer son regard dans celui innocent de sa nièce. Robin qui l’observait comme si elle allait lui décrocher les étoiles et qui lui offrait des petits sourires emplis de bienveillance.

Elle se focalisait sur ce point, cette douceur qui semblait naître entre elles. Rien ne serait simple, cela allait prendre du temps avant que Nina se sente pleinement à l’aise dans son rôle de tata, mais elle le prenait à bras le corps malgré tout. Et plutôt que de plonger dans une conversation mielleuse à décortiquer des sentiments et des émotions dont elle n’avait toujours pas pris la mesure, Nina préféra relancer la conversation sur un ton bien plus léger. « Oh, vraiment ? Ça risque de poser un problème à Swann, ça. » - « Mouais. Moi, je suis sûre que si je lui offrais la possibilité de t’avoir tout nu sans bébé dans les parages, il se plaindrait pas trop Swann. » Elle ne put s’empêcher de le taquiner à ce sujet. Pour complètement tourner la page des émotions et reprendre le rôle qui lui allait comme un gant, celui de la petite sœur casse pied et qui se mêlait toujours des affaires de son aîné. « C'est pas juste, tu joues sur la solidarité féminine et moi je fais pas le poids. » - « Il faut bien qu’une femme lui apprenne tout à cette demoiselle. » Est-ce qu’elle aurait le droit à ce rôle dans la vie de Robin ? Pas celui d’une mère de substitution, jamais. Mais plutôt celui de la tante qui offrait une touche de présence féminine, celle vers qui Robin saurait se tourner pour des soucis dont elle ne voudrait parler avec ses pères ? Parfois, elle l’espérait, mais Nina avait bien trop peur de le formuler à voix haute. « Si tu dois pas retourner tout de suite à l'hôpital, tu peux peut-être venir te balader un peu avec nous. J'ai promis à Robin qu'on irait faire un tour au parc pour essayer d'y voir des écureuils, et je crois que cette petite chipie compte pas te laisser repartir de si tôt. » L’excuse de l’hôpital était si simple. Il suffisait qu’elle jette un regard à son téléphone pour prétendre à une urgence et s’enfuir. « Si tu peux pas, ça fait rien. On pourra faire ça une autre fois. » Elle était devenue experte dans cela, Nina. Mais aujourd’hui, alors que les doigts de Robin ne semblaient guère vouloir lâcher sa blouse, elle prit une seconde pour respirer lentement. « J’ai le temps de vous accompagner un peu. » Ce n’était pas l’après-midi que Rory avait envisagé, mais c’est bien ce que Nina préférait dans tout cela. Passer du temps seule avec lui, comme ils ne l’avaient pas fait depuis si longtemps, au final. « Je dirai à Maman qu'on en a eu assez de l'attendre. C'est tant pis pour elle. » - « Tu diras à Maman qu’on ne l’attendra plus, surtout. » Est-ce qu’il aurait l’audace de le faire ? Elle ne le saura jamais. Mais rien que pour une après-midi, Nina se laissait espérer au fait que son frère prendra un peu de plomb dans la tête, et qu’il ne se laissera plus marcher sur les pieds. « Je compte pas te la rendre. » Qu’elle ajouta alors que Rory paraissait attendre pour qu’elle dépose Robin dans la poussette. Non, elle comptait bien profiter encore dans sa douce odeur de bébé et de cette petite main qui refusait de la lâcher. « Aller, ouvre nous la porte, les princesses attendent. » Et peut être qu’au final, sans le vouloir, Frances par son absence, avait réussi à rapprocher encore un peu plus, deux de ses enfants.