Le cinquième mois de vie de Sasha se voit ponctué par une curiosité certaine, et Eddie s'étonne presque de l'éveil dont son fils peut faire preuve alors qu'un rien semble déjà émerveiller ses petits yeux. Sa dernière venue au théâtre accompagné du nourrisson n'a pas manqué de faire sensation mais cette fois, c'est une sortie de plus grande ampleur qu'il projette d'offrir à Sasha pour marquer le coup des toutes premières festivités que son fils pourra admirer, et rien de mieux que les Roaring Twenties pour faire à la fois vibrer son cœur d'artiste et de père. Tôt ou tard, le dernier né des Yang s'intéressera sans doute lui aussi à l'art sous ses différentes formes et qu'il se passionne pour le cinéma, la musique ou bien la danse, Eddie soutiendra ses préférences en lui remémorant ce fameux événement dont ils avaient profité à deux, pour ne pas mentionner aussi la présence de sa tante. Callie prend déjà son rôle très à cœur et Eddie n'aurait pas pu rêver mieux que de passer un moment privilégié avec sa sœur, celle-ci l'encourageant d'ailleurs à se faire une place au fameux bal masqué tout en lui assurant que son fils sera pendant ce temps soigneusement gardé. Il lui fait confiance, bien sûr, et se laisse alors tenter par le mystère entourant la chose, paré lui aussi d'un masque derrière lequel se dissimuler tandis qu'autour de lui, nombreux sont ceux se prêtant déjà au jeu. Des rencontres, le jeune père n'est jamais allergique à l'idée d'en faire et si celles d'aujourd'hui peuvent s'inscrire sur un fond d'inconnu autant que d'inédit, il veut croire que l'exercice ne pourra que lui plaire. Pour l'occasion, il s'est d'ailleurs paré d'une tenue de circonstances et n'attend déjà plus que le moment où il pourra danser, loin de questionner l'identité des autres participants mais bien décidé en revanche à préserver la sienne car il n'oublie pas qu'à minuit, tous les masques devront tomber.

Depuis un coin de la pièce, Eddie salue son fils et sa sœur restés quant à eux en retrait avant que son regard ne vienne balayer le lieu dans son ensemble, à la recherche d'un partenaire de jeux, de danse ou peut-être même les deux. Et c'est là, très exactement entre deux machines à sous qu'il repère celui dont il jurerait presque qu'il cherche à se cacher. Ce jeune homme, masqué lui aussi, inspire aussitôt à Eddie une tendresse qu'il ne s'explique pas et c'est sans se poser de question qu'il aligne déjà des pas dans sa direction, peut-être bien décidé à ce que personne ne reste seul ce soir. « Salut, il est sympa ton masque. » remarque-t-il en étirant un sourire qui est non seulement visible, mais qui s'entend certainement aussi. À vrai dire, si Eddie s'écoutait, il pourrait tout aussi bien complimenter l'inconnu sur ses boucles mais ce serait une approche bien peu conventionnelle, et il n'en garantirait aucunement l'effet. « Et cette soirée l'est aussi, je trouve. Même si pour être honnête, j'avais jamais mis les pieds dans un casino de ma vie avant aujourd'hui. » Et cet aveu, il espère sans doute qu'il détendra un peu le jeune homme qui ne semble pas non plus tellement dans son élément ici, histoire qu'il ne s’imagine pas avoir affaire à un grand habitué. Eddie ne vient tout simplement pas d'un monde où les sorties au casino étaient de coutume mais il y a une première fois à tout, aussi peu tenté soit-il par ces jeux d'argent en profusion autour d'eux quand avant tout, l'appel de la danse s'avère être le plus fort. « C'est une bonne musique pour danser, tu trouves pas ? » il questionne à l'attention du jeune homme alors qu'un classique de la musique jazz se met à retentir, comme une invitation à glisser sur la piste mais étrangement, Eddie n'a pour une fois pas le cœur à s'y rendre seul. Son regard sonde alors l'inconnu à travers son masque, comme pour évaluer ses chances de le convaincre de l'accompagner mais quelque chose lui fait dire qu'elles ne sont pas bien grandes.

Il ne saurait pas réellement dire ce qui l'a poussé à aborder ce jeune homme en particulier, si ce n'est qu'il aurait trouvé dommage de ne pas profiter d'être seuls l'un et l'autre pour s'offrir mutuellement un peu de compagnie. Eddie le sent un peu fébrile et se demande si l'approcher revient véritablement à lui rendre service, car son intention n'a jamais été de mettre qui que ce soit mal à l'aise et ce n'est pas aujourd'hui que cela va commencer. « Ah uh… merci. J’aime beaucoup les couleurs du tien. » Lui aussi à vrai dire, c'est même la raison pour laquelle ce masque a récolté sa préférence car il lui trouvait un petit côté joyeux. Mais quitte à respecter le thème, c'est surtout sur sa tenue que le danseur a entrepris de miser pour coller à celui-ci. « Ton costume aussi, il est classe. » Un compliment qu'Eddie apprécie de recevoir comme son sourire en témoigne, détaillant à son tour la tenue du jeune homme face à lui dont la nervosité lui semble encore palpable. Peut-être n'est-il pas un grand habitué des soirées masquées et que le fait de ne pas percevoir le moindre visage tend à le déstabiliser ? À moins qu'il ne soit comme Eddie parfaitement étranger aux casinos et que l'occasion lui est aussi donnée d'y mettre pour la première fois les pieds. « Ah non? C’est sûr que c’est pas pour tout le monde… c’est très… chic. » Chic, c'est bien le mot et un monde où l'argent règne en maître ne peut assurément pas être le sien. Il ne juge pas pourtant, et se promet simplement de ne pas tenter le diable en se frottant à ces machines car il a mine de rien une petite bouche à nourrir. « Difficile de dire qui est habitué et qui ne l'est pas avec ces masques et ces accoutrements, mais j'imagine que c'est aussi tout l’intérêt de l'événement. » souligne-t-il d'une voix tranquille puisque ce soir, tout le monde peut prétendre mener une vie à la Gatsby comme évoluer à une époque pour le moins révolue.

Le monde extérieur et leur petit quotidien peuvent bien attendre, même si Eddie ne tarde pas à manifester son éternel intérêt pour la danse comme celui que sa passion finira toujours par trahir. Il faut dire que cette musique l'inspire, assez en tout cas pour en faire part à son interlocuteur. « Ouais, j’imagine… Tu fais de la danse? » Le voilà bien obligé de hocher la tête, n'ayant aucune raison de cacher cette information à ce jeune homme aussi inconnu soit-il. « Je suis danseur oui, et même chorégraphe. Mais les danses de bal ne sont pas vraiment ma spécialité, je ne me considère donc qu'à moitié avantagé. » Il ponctue ces paroles d'un fin sourire, gardant pour lui que ses genres de prédilection sont plutôt le hip-hop et le contemporain car dans le fond, ce n'est pas ce qui l'empêcherait d'improviser quelques pas ici. « Ça fait beaucoup trop longtemps que je n’ai pas mis les pieds sur une piste de danse, je ne sais probablement plus comment aligner deux pas… » Les mots du jeunes homme suscitent chez lui l'attention que l'on devine et pour cause, il semble que l'intéressé ait lui-même une petite expérience avec la danse. Loitaine d'après ce qu'il comprend, mais elle a le mérite d'exister malgré tout. « Oh, alors tu as déjà dansé ? Même si ça fait longtemps comme tu dis, c'est pas pour autant que ça ne compte plus aujourd'hui. » Bien au contraire serait-il tenté d'ajouter car si le risque après plusieurs années est d'être un peu rouillé, il n'est à ses yeux jamais trop tard pour s'y remettre. « Et puis tu n'as peut-être pas tout perdu, non plus. » il reprend d'une voix se voulant encourageante alors que très vite, Eddie saisit qu'il pourrait être le seul à se prêter à l'exercice. Le jeune homme semble pour sa part bien plus hésitant et son regard parcourant la piste ne lui échappe pas, comme s'il en avait envie mais n'osait tout simplement pas. « T’empêche surtout pas d’y aller! » Il ira, c'est certain, mais ne ressent pas le besoin de le faire dans l'immédiat si cela signifie devoir le laisser là. « Tu sais, je passe bien assez de temps à danser en dehors d'ici pour ne pas avoir besoin de me précipiter ce soir. » En d'autres termes Eddie peut bien contenir encore un peu son envie de danser, lui qui le fait déjà à longueur de journée sur tous les parquets que ses pieds peuvent fouler. Son regard remonte alors pour croiser celui du jeune homme à travers son masque, avant de tenter un nouveau sourire. « Mais en admettant que je fasse quelques pas, tu te sentirais de me suivre ? » Ce n'est pas un piège, pas une obligation non plus et personne ne le trainera contre son gré sur cette piste, Eddie peut d'ores et déjà lui en faire la promesse. Il est en droit de ne pas le sentir, mais peut-être que son ressenti est susceptible d'évoluer par la suite. « Ou tu peux seulement me regarder, le but c'est vraiment pas que tu te sentes forcé. » Une chose est sûre, Eddie n'a pas en tête de beaucoup s'éloigner comme s'il se donnait pour mission de lui transmettre son énergie. Sait-on jamais que quelques pas effectués de son côté ne donnent lieu à quelques pas tentés aussi, chez son camarade tout juste rencontré.

Il prend plus rapidement ses marques qu'attendu à l'intérieur de ce casino, regroupant pourtant tout ce dont Eddie se tient habituellement éloigné car sans bal masqué pour l'y attirer, il y a peu de chance que le jeune père y aurait spontanément mis les pieds. Et sans doute que son nouveau cavalier est à peine plus initié, quand bien même sa posture lui inspire surtout un jeune homme d'une grande timidité. C'est un peu tout ce qu'il peut en dire, ne pouvant se fier qu'à sa façon de se tenir à défaut de pouvoir en juger l'expression de son visage, dissimulée pour l'occasion derrière un masque. De quoi rendre l'analyse de celles et ceux qui les entourent d'autant plus compliquée, si l'envie de parier sur de potentiels adeptes de jeux d'argent se faisait ressentir – une catégorie à laquelle, au moins, son nouveau camarade ne semble pas appartenir. « Ceux qui sont un peu trop scotchés aux machines à sous sont clairement des habitués. » Certains ne se font en effet pas prier pour y tenter leur chance avant même d'effectuer la moindre danse sur la piste, un réflexe qu'Eddie a pour le coup bien du mal à saisir car n'ont-ils pas déjà l'occasion de jouer tout le reste de l'année ? « C’est pas très pratique quand tu cherches quelqu’un par contre. » Un point pour cet inconnu là encore, car ils ne reconnaitraient probablement pas leur propre voisin si ce dernier se trouvait présentement à leurs côtés. Comment savoir alors que ces loups dissimulent la plupart des visages, les participants ayant en grande majorité accepté de jouer le jeu pour que ce bal puisse dignement porter son nom. Intrigué par les mots de son cavalier, Eddie prend tout de même le temps de questionner : « C'est ton cas apparemment ? Si tu attends quelqu'un, je m'éclipserai t'en fais pas. » Son intention n’est pas de déranger qui que ce soit car Eddie compte bien aborder ces festivités avec légèreté, sa sœur et son fils se trouvant de toute façon à l'autre bout de la piste s’il devait retourner à leurs côtés.

Son statut de danseur ne reste néanmoins pas longtemps un secret pour le jeune homme se tenant devant lui, ce dernier ayant senti qu'il n'était pas tout à fait débutant dans le domaine et c'est bien le risque quand la première chose à laquelle on pense est de bouger son corps en rythme, peu importe la musique. Il n'a simplement pas la prétention de briller dans tous les styles, les danses de bal se hissant parmi celles qu'Eddie maitrise le moins et cela, sans honte aucune. « On est deux, ce n’est pas vraiment mon style non plus. Haha… » Pour autant, son camarade ne précise pas quel est le style qui lui convient le plus et à cet instant, Eddie ne cerne pas totalement le lien que celui-ci peut entretenir avec la danse. Amateur ? Son instinct lui souffle que non. « Tu as ton propre studio? » Son hochement de tête est immédiat alors que le jeune homme s'intéresse et se montre même plus bavard qu'il ne l'avait d'abord cru. « Oui, depuis quelques années déjà. J'y donne des cours sur mon temps libre. » Un temps libre venant certes quelque peu à lui manquer depuis la venue au monde de son fils mais Eddie s'efforcera toujours de trouver du temps pour assurer ses cours, enseignant par passion bien avant de chercher à en faire un second gagne-pain. S'il danse c'est aussi pour partager et transmettre, que ce soit avec son public ou avec ses élèves. « Ça doit faire dix ans facile que je n’ai pas dansé… à part de temps en temps dans les bars avec un coup de trop dans le nez. C’était dans une autre vie… » Mais il note quand même que son camarade a lui-même une histoire bien particulière avec la danse, peu importe le temps s'étant écoulé depuis qu'il a officiellement cessé de la pratiquer. Ces confessions trouvent un certain écho en lui, peut-être bien touché par ce garçon dont il perçoit sans mal le manque de confiance et d'assurance. Et il connait bien ça Eddie, pour avoir été un adolescent très timide et complexé à qui la danse a véritablement permis de pouvoir s'affirmer. « Et puis j’ai clairement perdu mon cardio d’antan! » La précision le fait sourire, retrouvant finalement dans cet inconnu les raisons poussant parfois de nouveaux élèves à se tourner vers lui. L'envie de renouer avec un corps considéré comme rouillé, ce qui ne s’apparente jamais à une mission impossible pour lui. « Raison de plus pour reprendre en douceur alors. » glisse-t-il avec malice, ne serait-ce que pour prendre la température auprès du jeune homme. Ce n'est de toute façon pas à lui qu'il va apprendre l'importance de l'échauffement, d'autant plus après dix ans. « J'imagine que tu as eu tes raisons d'arrêter à l'époque, une blessure peut-être ? » Sa question est un peu plus prudente cette fois, conscient que beaucoup de danseurs sont contraints d'arrêter malgré eux alors que les destins brisés sont hélas très nombreux dans le milieu. Si cet inconnu n'a pas été victime du plus grand fléau des danseurs, il prendra aussi moins de risque à le suivre sur la piste car au même instant, Eddie y songe déjà secrètement.

Alors non, même si l'appel de la danse se fait assez fort il ne compte pas fausser compagnie à son camarade aussi vite, car c'est aussi le principe du bal masqué que le jeune père compte bien honorer.  « C’est gentil. » C'est surtout bien normal à ses yeux, même s'il mentirait en disant ne pas avoir une petite idée derrière la tête. La piste est grande, la musique pour le moins entrainante et l'occasion ne pourrait pas être plus belle pour que son camarade se laisse finalement attirer avec lui, c'est donc le risque qu'Eddie décide de prendre en présentant la chose sous cet angle. Il ne le forcera à rien s'il ne le sent vraiment pas, ce que le silence de son camarade laisse d'ailleurs craindre alors qu'Eddie le couve d'un regard attentif, sans intention d'insister. Ce qu'il lui propose alors consiste à se contenter dans un premier temps de l’observer si cela a la moindre chance de le détendre ou de l'inspirer, car le jeune homme semble en proie à de nombreux blocages contre lesquels Eddie ne désire pas aller sans lui. C'est seul qu'il peut décider de tenter le coup, ne serait-ce que pour esquisser un ou deux pas, puisqu'il est uniquement question d'y aller à son rythme. « Peut-être… » Il dirige vers son camarade un regard curieux, croyant percevoir le début d'une réflexion à voix basse. C'est aussitôt bon signe pour Eddie mais il n'entend pas crier victoire, pas avant d'être sûr qu'il ne sera pas le seul à rejoindre la piste. Peu à peu, l'inconnu paraît dénouer ses nœuds et considérer pour de vrai son offre, celle impliquant de participer et pas juste de le regarder. « Hmmmmm peut-être. » C'est un peut-être qui s'oriente joliment vers un oui si on lui demande son avis, et ne mettez pas ça sur le compte d'un trop-plein d'optimisme. Il veut y croire Eddie, officiellement trop impliqué dans cette histoire pour ne pas être suspendu à ses lèvres. « Peut-être ? » Il le remarque bien ce petit sourire qui semble confirmer que l'idée a bel et bien cheminé dans son esprit, et c'est après plusieurs secondes que le jeune homme se laisse enfin convaincre. « Ok. Go avant que je change d’idée. » – « Alors c'est parti ! » Pas question que l'élan de courage de son camarade ne puisse s'évanouir, ce dernier lui emboite alors le pas pendant que leur duo rejoint le centre de la pièce, là où d'autres binômes se laissent d'ores et déjà aller en musique. Les premiers mouvements de son camarade sont hésitants et il n'en attendait pas moins de lui, mais les suivants lui font dire que certaines habitudes ne tardent pas à revenir. Au fond de lui, un danseur ne demande certainement qu'à renaitre et il en franchit peut-être bien la toute première étape, ce soir. « Hey, tu vois que t'as pas tout perdu. » il remarque d'une voix énergique, improvisant lui-même les pas que tout ceci lui inspire. C'est encourageant et son camarade s'en rendrait peut-être compte, s'il osait ouvrir les yeux. « C'est même pas mal du tout pour quelqu'un qui n'a pas dansé depuis longtemps comme tu dis. Et tu sais, je crois que je reconnaitrais un danseur de hip-hop entre mille. » Sur ces mots, il le gratifie d'un clin d'œil car quelque chose dans sa façon de bouger l'en persuade bien vite, ses mouvements ne pouvant pas le tromper ou du moins, il en serait fortement étonné. « Je m'appelle Eddie au fait, si jamais tu veux mettre un nom sur ce masque plus tard. » Et sur ce danseur aux réflexes un peu trop prononcés de professeur, sans doute. « Si je te parlais de hip-hop c'est parce que c'est aussi mon domaine à la base. Je baigne là-dedans depuis une bonne quinzaine d'années mais je reconnais que le jazz a son charme, bien sûr. » Il ne manquerait plus que tous deux aient débuté la danse au même moment, peut-être même que... non, le monde n'est tout de même pas aussi petit, mais n'est-ce pas ce qu'il a déjà pu se dire un paquet de fois dans sa vie ? S'il a fini par croire au destin, ce n'est sûrement pas pour rien.

En prenant le risque d’aborder ce jeune homme en retrait, Eddie était bien conscient que ce dernier ne resterait peut-être pas seul éternellement car qui peut vraiment lui garantir qu’il ne s’est pas invité auprès de lui alors qu’il attendait quelqu’un ? C’est aussi ce que les paroles du concerné l’amènent bien vite à penser sans que ce ne soit pour autant un problème, le danseur n’étant pas de ces personnes sans gêne capables de rester lorsqu’elles ont une chance d’être de trop quelque part, une chose que son nouveau partenaire s’empresse toutefois de démentir. « Oui, mais non. » Il n’attendrait donc personne, fidèle à l’image qu’il avait renvoyée au départ car c’est surtout de le voir dans son coin qui avait motivé Eddie à le rejoindre. Une part de lui préfère tout de même entendre qu’il n’est pas en train de déranger, quand l’autre déplore peut-être bien que l’inconnu ait pu se destiner à passer sa soirée seul – ou pas totalement, d’après ce qu’il comprend. « Ma sœur est supposée être ici, mais elle sera accompagné d’un ami donc c’est pas très grave si on ne se rejoint pas. » Ainsi donc la sœur du jeune homme ne doit pas être bien loin, et cela signifie qu’il connait au moins une autre personne dans ce bal masqué tout comme Eddie peut lui-même en dire autant, en vérité. « Tu attends quelqu’un? » De là à dire qu’il attend Callie néanmoins, ce n’est pas tout à fait le cas. Il remue alors la tête lorsque la question lui est retournée, s’amusant au passage de la concordance de leurs deux situations à un petit détail près. « Personne, non. J’ai aussi ma sœur qui est ici, elle s’occupe de mon fils un peu plus loin mais elle dirait qu’on se voit déjà bien assez comme ça, alors je la laisse respirer. » S’il en sourit, c’est parce qu’il sait que sa petite sœur chérit le temps qu’elle peut passer avec son neveu, et Eddie n’aurait pas pu espérer meilleure entente entre eux. Pour cette raison, il consent à profiter de cette soirée de son côté sans être à tout prix sur le dos de Callie, et ce même si son étiquette de jeune père le suit toujours d’une certaine façon.

Le courant a également le mérite de bien passer avec l’inconnu, auquel Eddie se surprend même déjà à parler de sa première passion comme s’il s’agissait à chaque fois de son unique sujet de conversation. Il jure être capable de discuter d’autre chose mais il dirait que le sujet de la danse s’est encore imposé de lui-même, sans avoir franchement tenté de l’esquiver, c’est vrai. « Sur ton temps libre? Tu fais quoi sinon? » C’est sans doute le moment où son partenaire va comprendre qu’il trempe pleinement dans le domaine et que son implication dépasse très largement les quelques cours donnés à son studio, jusqu’à collectionner plusieurs casquettes. « Je suis danseur professionnel et chorégraphe dans un théâtre, pas très original je sais. » il remarque dans un sourire, sans mentionner qu’il touche parfois à d’autres choses car c’est bien pour cet art qu’il se donne corps et âme avant tout. « On peut dire que la danse occupe une très grande place dans ma vie, la pratiquer n’était plus suffisant quand j’ai compris que je pouvais aussi l’enseigner. » Et cela pour se préparer aussi à la retraite qui guette assez tôt les artistes comme lui, d’ores et déjà assuré d’entretenir la relève lorsqu’il ne se produira plus de façon professionnelle. Eddie a toujours affirmé qu’il garderait quoi qu’il arrive un pied dans le métier, comme quelqu’un qui serait tout bonnement incapable de raccrocher. « Et toi, qu’est-ce que tu fais ? » questionne-t-il à son tour en pouvant déjà présumer que le jeune homme ne gagne pas sa vie en tant qu’artiste, quand bien même il en possède l’aura selon lui. Il reconnaît après tout lui-même qu’il n’a pas dansé depuis plusieurs années, soulignant au passage que son endurance n’est plus vraiment ce qu’elle était mais Eddie n’est pas inquiet : s’il souhaite s’y remettre, rien ne l’empêche d’y aller à son rythme pour progressivement retrouver ce qu’il a le sentiment d’avoir un peu perdu. Le spectre de la danse existe encore quelque part en lui, c’est la seule chose dont il soit sûr tandis qu’il se renseigne sur les raisons qui ont pu le pousser à tirer un trait sur sa passion. Une blessure probablement, Eddie en connaît pour sa part un rayon sur le sujet et s’il y a bien une chose que de nombreux danseurs redoutent, c’est assurément celle-ci. « Non. Enfin, pas exactement… » Il fronce légèrement les sourcils face aux paroles du jeune homme, étonné qu’il ait pu arrêter sans même s’être blessé. « Tu l’as sûrement vécu toi aussi, tu sais, un gars qui danse… Je me faisais beaucoup intimider, je n’avais plus les reins assez solides. Je gère mal la pression. » C’est une petite grimace qui vient alors tordre ses traits, tout sauf ravi d’entendre qu’il ait pu cesser de danser contre son gré. Dans ce milieu, les stéréotypes ont la vie dure et les Billy Elliot semblent encore nombreux, renvoyés sans cesse à une passion qui ne serait pas faite pour eux. « Je vois très bien, oui. C’était pas la passion la mieux comprise à l’époque, et ça le serait sans doute pas tellement plus aujourd’hui. » Eddie ne dirait pourtant pas qu’il en a grandement souffert en dehors du rejet de ses propres parents, ces derniers n’ayant jamais partagé ses ambitions ni approuvé ses rêves, car ils avaient tout simplement d’autres projets pour le garçon qu’il était. Il n’aime en tout cas pas imaginer ce jeune homme, aux épaules visiblement bien moins solides, être intimidé pour le simple fait d’aimer danser et c’est après un bref soupir qu’il reprend. « C’est stupide cette manie de ranger les gens dans des cases, et je suis désolé qu’on s’en soit servi contre toi. » Il le dit avec la sincérité de celui pouvant le comprendre, regrettant que cet acharnement ait finalement eu raison de lui. Peut-être bien qu’à cet instant, Eddie se donne d’autant plus pour mission de l’aider à se remettre en selle, jusqu’à en faire une affaire personnelle car c’est ce qu’il ferait si l’un de ses élèves lui disait subir des moqueries et des jugements pour une passion qui ne se limite à aucun genre. « C’est les autres le problème, pas le fait que tu gères mal la pression, j’espère juste que tu le sais. » L’ancien timide qu’il est voudrait même tout entreprendre pour le pousser à s’endurcir mais s’il pouvait déjà lui permettre de renouer quelque peu avec la danse, il en serait le premier ravi.

Et c’est assez bien parti avec l’élan de courage semblant gagner l’inconnu face à lui, ce dernier l’entraînant même sur la piste sans qu’il n’ait à insister. C’est une occasion à saisir avant qu’il ne fasse marche arrière, il peut même fermer les yeux si cela peut l’aider à oublier celles et ceux qui l’entourent même si personne ici n’a probablement l’intention de juger ses mouvements, pas même Eddie dont le regard l’analyse sans chercher à pointer du doigt quoi que ce soit. Le jeune homme n’a après tout pas dansé depuis un certain temps, c’est en tout cas ce qu’il avait assuré le premier car en pratique, on ne peut pas dire qu’il ait absolument tout perdu. Eddie n’a de toute façon aucune raison de lui mentir, il ne lui dirait pas que sa reprise est encourageante s’il ne le pensait pas réellement et d’après ce que ses yeux détectent, il ne serait pas étonné que son partenaire ait lui aussi fait du hip-hop sa spécialité par le passé. « C’est autant évident que le nombre d’années que j’ai passé sans danser? » Ce qui parait évident, c’est surtout sa capacité à être beaucoup trop dur envers lui-même mais ce manque de confiance est une chose sur laquelle ils pourront travailler dans un second temps. « Je te jure que c’est pas si flagrant, ça. » il le souligne une nouvelle fois en espérant le lui faire entendre, accompagnant ces mots d’un sourire se voulant motivant. Il a connu des danseurs qui revenaient de bien plus loin, les bases semblent toujours présentes et c’est le signe qu’il aurait été dommage de ne pas donner une chance à cette danse aujourd’hui. « C’est vrai que le jazz a son charme aussi… » L’un et l’autre ne pourront pas le nier, et c’est le moment qu’Eddie choisit pour se présenter à lui. « C’est drôle, il y avait un Eddie au studio où je dansais et c’était justement il y a une quinzaine d’années environ. » Bien sûr, il mentirait s’il disait que ces paroles n’accrochent pas son oreille d’une façon particulière car c’est une sacrée coïncidence, tout de même. La période concorde mais sans doute n’était-il pas le seul Eddie pratiquant le hip-hop quinze ans plus tôt dans cette ville. « Vraiment ? » Il commence à avoir certains soupçons, c’est vrai, mais il n’y prête pas vraiment attention jusqu’à ce que le jeune homme reprenne, l’amenant alors à une réalisation soudaine. « Je m’appelle Lincoln. Lincoln Mulligan. » Quelles étaient sérieusement les chances ? Ce nom n’est évidemment pas inconnu à Eddie, dont les mouvements se stoppent sans attendre sur la piste. « Ma jumelle Tessa dansait au même studio aussi si jamais. Elle était moins timide, les gens la connaissaient souvent davantage. » Il n’en faut pas plus pour le convaincre d’avoir retrouvé son ancien camarade et ami, la mention de sa sœur étant le détail qui ne peut désormais plus le tromper. « Arrête. C’est vraiment toi, Link ? » Son regard cherche une réponse dans le sien alors qu’il sait qu’il ne peut pas s’agir d’un autre Lincoln, pas avec un tel nom et une jumelle nommée Tessa. Eddie s’accorde alors quelques secondes pour intégrer la chose, riant nerveusement face à cet incroyable coup du destin ou de tout ce qu’on pourrait nommer à ce stade. « Bordel si on m’avait dit que je te reverrais ici. C’est moi, Eddie. Le Eddie dont tu parlais juste avant, avec juste quinze ans de plus dans les dents. » Et s’il n’était pas encore sous le choc de cette découverte, il le prendrait certainement dans ses bras au nom du bon vieux temps. Link, face à lui après toutes ces années à s’être demandé ce qu’il avait pu devenir, c’est le genre de chose qu’on ne voit habituellement que dans les films. « Tessa est ici alors ? J’arrive pas à croire qu’on se retrouve comme ça, mais faut croire qu’on devait renouer par la danse, c’était écrit. » Et quelle jolie symbolique se dit-il, gardant en tête que Tessa se trouve en compagnie d’un amie même s’il espère malgré tout avoir une chance de l’apercevoir elle aussi. « Bon. Tu m’en voudras pas de briser la tradition de minuit et d’enlever mon masque un peu avant, en espérant quand même que tu me reconnaisses. » Sur ces mots, Eddie retire le masque qui recouvrait jusque là ses traits, conscient d’avoir changé depuis le souvenir d’adolescence que son ami en a gardé. Et Lincoln, à quel point a-t-il changé en dehors de ces fameuses bouclettes qui auraient presque pu lui mettre la puce à l’oreille ?