Le téléphone entre le doigts, je laisse Noah choisir la chaîne télé qui lui plaît le plus, zappant sans vergogne entre les différents postes, alternant entre des films de Noël et des émissions de cuisine. Il n’a pas vu l’air surpris que j’ai eu, le premier message d’Edward illuminant l’écran de mon portable, ni entendu le maigre soupir de soulagement, bref, suffisant, maintenant que le jeune homme semblait un peu plus calme, plus posé que lors de nos derniers échanges. Edward était tout un personnage en soi, indéchiffrable pour certains, l’avait longtemps été pour moi. Si avec les années passées à ses côtés j’avais appris à le connaître un peu mieux, n’en restait que face aux derniers événements et à leur signification pour lui, il aurait été très mal avisé de prédire comment il aurait pu réagir. Pourtant, j’avais espéré de tout mon coeur, souvent, que le temps efface ses blessures. Qu’il comprenne que rien de ce que j’avais pu lui dire, que rien de ce qui avait pu être fait était contre lui, contre la personne qu’il était. Le divorce d’abord, et ce voile de manigances qu’il avait ressenti, alors que pour moi, c’était tout le contraire. L’occasion de le détacher d’un boulet qu’on lui avait collé sans demander son avis une seule fois. Ses sentiments qu’il m’avait révélés comme cri du coeur, un avertissement que j’avais préféré ravaler, nier, incapable de lui offrir ce qu’il méritait, sachant très bien que les circonstances et la vie n’avaient jamais été de notre côté, et que notre chance semblait malheureusement passée, décimée. Puis, il y avait eu la rencontre de Noah et d’Ezra, et le casse-tête censé arrimer la vie du Beauregard à celle du Fitzgerald. Tous les deux avaient leur place aux côtés de mon fils, tous les deux étaient essentiels pour le gamin, et jamais je n’aurais supporté que la présence de l’un ou de l’autre ne soit plus une option. J’avais tenté de négocier les termes, d’implorer une trêve, et tous deux avaient bien vu à quel point le tout me tenait trop à coeur pour s’enflammer. Noah ne devait pas être handicapé de la situation, il n’avait pas à payer pour les mensonges de mes parents, pour les miens. Les papiers signés, le coma derrière nous, Ed avait jugé bon se retirer le temps de remettre de l’ordre dans sa tête, et dans son coeur. Ce que je comprenais, même s’il me tardait d’avoir de ses nouvelles, de lui offrir enfin de bonnes bases, d’apprivoiser notre relation et son renouveau, celle qu’il aurait désormais avec Noah. De faire confiance à notre potentiel, une bonne fois pour toutes, sans y être forces par qui que ce soit. «
Si tu arrives à trouver une place sous le sapin, jette-toi dessus! » sa voix me tire de mes rêveries alors que c’est la tête blonde du bambin qui se précipite à l’entrée, qui ouvre la porte à la volée, annonce son arrivée. «
Attends, attends, j’ai manqué de force. » Noah est en forme, misant le tout pour le tout d'un
high five qui claque dans toute la maison, m’arrache un éclat de rire maintenant que je les rejoins dans le hall, aidant Edward à se départir de tout ce qui le brime. «
Aouch. » le bonhomme qui frotte sa main en soupirant, ce devant quoi je roule des yeux pour la blague. «
On se calme, Popeye. » il râle, il voudrait probablement même s’y remettre si ses prunelles n’avaient pas été attirées pour les divers papiers d'emballage, et les nombreuses boîtes qui s’étalent maintenant sur le plancher du
living pour son plus grand plaisir. «
Tant que j’ai autant de cadeaux que l’autre enfant-roi, ça me va. » les bras d’Edward m’enlacent comme tant d’autres fois avant, néanmoins ce n’est plus une touche d’humour pour m’en sortir qui frôle mes lèvres, mais un vrai amusement, un lâcher prise, une tentative de complicité même. Et ça fait du bien.
Quelques minutes suffisent à ce qu’il entre pour de bon dans la maison, Noah sur ses talons. Edward parcourt des yeux ce qu’il peut apercevoir de la demeure, demande à la visiter, normalement. Si le luxe de notre loft à Spring Hills est bien loin derrière les quelques rénovations entamées ici, je ne le sens pas prêt à juger, du moins, pas devant ce petit nid qu’il sait si précieux à mon coeur, et à celui du gamin. «
C’est pas le manoir McGrath à Marylebone, mais c’est juste assez cozy. On est bien. » il savait bien que je n’étais pas particulièrement intéressée par le luxe, que le plus simple, le mieux. C’est probablement pour cette raison que je lui ai laissé mes clés marquées au {#}
18{/#}, une fois le divorce signé. Et que je n’ai rien voulu entendre lorsqu’il m’a proposé de garder l’argent fait durant la vente de l’autre atelier, à Logan City. Je voulais repartir à zéro, à neuf, me prouver que j’étais plus qu’une fille de riches vivant au crochet de ses parents, puis d’un mari choisi par leurs soins. «
J’peux montrer mon mur à papa? » Noah s’emballe sur le fameux pan de sa chambre que j’ai repeint en blanc, lui donnant accès à toute ma collection de palettes de couleurs et de crayons pour qu’il puisse y gribouiller à son aise. Un petit ajout à la maison qui le remplissait de bonheur, et moi tout autant. «
Fais donc bonhomme, je reviens. » leur laissant un moment à deux, j’en profite pour filer à la cuisine préparer quelque chose à boire. Rien de bien compliqué, et un coup d’oeil amusé renvoyé à la salade que j’ai assemblée à la va vite tout à l’heure, sachant à quel point Edward aimait se moquer de mes capacités limitées en cuisine. Mimosas fin prêts, je rejoins le duo qui n’a pas quitté la chambre de Noah, pinceaux en main. Même si Ed était un amoureux d’art et qu’il m’avait accompagnée à plusieurs expositions jadis, le voir dessiner aux côtés de mon fils ne fait que provoquer une hilarité générale. Il avait définitivement d’autres forces. «
C’est pas du bourbon, mais je suis sûre que tu arriveras à passer par-dessus. » ma voix surprend leurs cachotteries, et je lui tends sa flûte les lèvres encore étirées en un sourire franc. La visite prend enfin son envol, et on passe brièvement à travers les quelques pièces qu’Hassan m’a aidé à redresser, à polir. Ma chambre reste hors de portée pour des raisons évidentes, mais c’est bel et bien tout au fond du jardin que je souhaite amener le Fitzgerald. Noah dans ses bras, je tourne la poignée de la remise, transformée depuis peu en atelier revisité - et le prépare à la grande révélation d’une confidence toute en murmure. «
Et ici, c’est là où la magie se passe. » le gamin décide qu’il en a envie d’aller courir un peu à travers le gazon pas particulièrement tondu qui lui donne des impressions de Jurassic Park, et il finit par nous laisser seuls pour la première fois depuis des mois. «
J’ai repris quelques idées que tu avais proposées, à l’ancien atelier. » il remarquera les bibliothèques au mur qu’il m’avait aidées à disposer jadis, ainsi que quelques croquis auxquels il avait assisté, du temps de Londres, son avis ayant aidé à boucler quelques traits. À sa façon, il avait toujours su être là, ambiant, malgré le peu d’espace que je lui donnais jadis, que je lui donne encore. Un silence s’installe, maintenant qu’Edward observe ce lieu qui, je l’espère, me redonnera l’inspiration perdue depuis trop longtemps déjà. Et comme si cette vague d’intimité me rattrape de plein fouet, je sens mes doigts qui s’affairent à jouer avec ma flûte, la tournant entre le pouce et l’index, trop nerveuse de faire une quelconque gaffe qui gâcherait le moment pour ne pas le laisser paraître. «
Oh, et aussi, je songe à accepter la proposition d’une amie - et à organiser un vernissage. Ça serait au printemps, à Southport et… et je suis terrifiée. » la première chose qui me vient à l’esprit et toute une. Un appel reçu quelques jours auparavant, et une Dannie qui relançait son offre, qui me proposait une aile complète de la galerie où elle expose pour mes propres toiles. «
Mais bon, c’est pas nouveau. »
que j’ai la trouille, que je me retrouve face à lui incapable de mettre des mots sur ce qui me tracasse, sur ce qui me bloque, m’effraie. Justement. «
Et toi, comment tu vas? Quoi de neuf? Tout va bien au bureau? On n’a pas eu le temps de se parler et… et depuis quand je parle autant? Depuis quand je finis mes phrases?! » j’éclate d’un rire entre le stress et la libération - parce que je ne sais plus sur quel pied danser avec lui, parce que j’espère retrouver les bons côtés, les affinités, le positif qui a fini par ressortir de ce mariage arrangé. Pourtant, j’ignore s’il n’en veut plus, s’il s’attarde ici pour la bonne forme, pour Noah et uniquement lui, ce que je ne blâme pas. «
C’est bon de t’avoir avec nous. » qui résume le malaise, qui l’explique. Si je n’avais jamais su comment nous définir, maintenant, c’était le large éventail de possibilités qui me troublait.